Temps de lecture 7 minutesLe football dans les RSS : #5 l’Ukraine – Le football depuis l’indépendance

A moins d’un an de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Nous commençons avec l’Ukraine. Épisode final : le football en Ukraine depuis l’indépendance.


Le football dans la RSS d’Ukraine : #1 Introduction
Le football dans la RSS d’Ukraine : #2 Valery Lobanovskiy, le scientifique qui créa une dynastie
Le football dans la RSS d’Ukraine : #3 Retour sur le premier titre du Dynamo Kiev
Le football dans la RSS d’Ukraine : #4 Igor Belanov, un homme en or


Gloire, oligarques et instabilité bienvenue dans le foot ukrainien post-soviétique

Lorsque le 1er Décembre 1991, il est demandé via un référendum au peuple ukrainien de s’exprimer sur sa volonté à devenir indépendant vis-à-vis de l’Union Soviétique, le résultat est sans appel : le « oui » l’emporte à plus de 90%. Le football, symbole discret en RSS d’Ukraine d’une certaine fierté nationale, embraye le pas au pouvoir politique en organisant sa première édition de championnat national dans la foulée. Une formule encore foutraque s’étendant sur six mois qui voit le Tavria Simféropol s’imposer en finale face à l’ogre de la capitale, le Dynamo Kiev. Plus de 22 ans après 1991, un autre référendum est « organisé » en Crimée pour rendre indépendante la péninsule du reste du pays. Malgré les multiples doutes pesant sur la procédure et son invalidation par le communauté internationale, Simféropol et la Crimée se séparent de l’Ukraine et rejoignent la Russie. L’historique premier champion ukrainien, le Tavria, est liquidé. Son successeur, le TSK Simféropol, se voit refuser par la FIFA sa demande d’intégration au championnat russe. Le tout neuf (et tout faible) championnat de Crimée sera désormais son terrain de jeu. Mais s’arrêter là serait bien trop simple… En 2016, le Tavria est refondé mais délocalisé en « Ukraine libre » (à Kherson). Accepté par la Fédération ukrainienne, il repart du plus bas échelon, pour batailler en championnat ukrainien amateur. Actuellement en troisième division, il joue fréquemment des matches de prestige face à d’autres clubs historiques du pays ayant eux aussi connu les affres du bazar politico-financier-sportif local.

Dans ce formidable cimetière de monuments qui se refusent à mourir qu’est la « druha liga », le Tavria croise ainsi le fer avec le « Metalist 1925 » (successeur du Metalist Kharkov), le FC Dnipro (finaliste de l’Europa League en 2015), le… SC Dnipro-1 (un second club, créé par un militaire du nom d’un des groupes se battant dans l’est du pays, qui est né après la faillite du premier Dnipro) ou encore le Metalurh Zaporijia, toujours en difficulté.  Si vous n’avez rien compris, c’est normal, c’est l’Ukraine. Le football dopé aux oligarques soucieux de s’offrir leur danseuse.


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Une domination bicéphale

Après s’être fait dérober le premier titre national par le Tavria Simféropol, le Dynamo Kiev a remis les choses en place durablement. Malgré des premières années chaotiques post-indépendance marquées par le départ de plusieurs cadres vers l’Ouest ou le Moyen-Orient ainsi qu’une énorme crise financière, le club de la capitale va s’adjuger les neuf championnats suivants et cinq coupes. En juillet 1993, le club devient privé et tombe dans les mains de Hryhoriy Surkis. Pas tout à fait un oligarque mais pas très loin non plus et surtout une personne ayant fait fortune de manière trouble à l’indépendance. Vingt-quatre ans plus tard, son frère est toujours président du club, lui est devenu vice-président de l’UEFA. Dans tous les cas, leurs arrivées sonnent le début d’une nouvelle ère de stabilité pour le club. Les conditions de travail redevenus adéquates au pays et son compte en banque bien gonflé par plusieurs piges dans le golfe, le légendaire Valéri Lobanovski décide de revenir en 1997 dans son club de toujours, écrire une dernière page de leur histoire commune. L’éclosion des Shevchenko, Rebrov, Luzhny, Shovkovski et d’autres, associée au style de jeu dynamique et ambitieux de leur coach va faire trembler toute l’Europe. Le Barça, Arsenal, le Real, tous tomberont face à cet épouvantail de l’Est.

Dans l’ombre du géant Dynamo, une seconde force majeure se détache alors : le Shaktar Donetsk. Pensionnaire régulier du ventre mou de la première division soviétique, le club de la Donbass va devenir le rival numéro un de Kiev. Six fois second sur les neuf titres consécutives du Dynamo, les Miniers changent de dimension lorsqu’un petit rouquin tatar devient leur président : un certain Rinat Akhmetov. Oligarque à la fortune acquise dans le chaos violent de l’après-indépendance, Akhmetov est dans un premier temps le bras droit d’Akhat Bragin. Ce dernier mourra assassiné par l’explosion d’une bombe visant la tribune présidentielle du Shakhtar Stadium. De manière très heureuse, le bon Rinat qui assistait à tous les matchs avec Bragin avait eu la bonne idée de boycotter celui-ci. Il prendra la suite de son mentor à la tête du club et va en faire un instrument de pouvoir symbolique dans la région puis dans le pays tout entier jusqu’à l’amener à la victoire lors de la dernière édition de la coupe UEFA en 2009.

Surkis au Dynamo, Akhmetov à Donetsk, d’autres oligarques vont bientôt leur emboîter le pas et investir massivement dans les clubs: la « Semia » (famille) Yanoukovitch à Kharkov, Kolomoyski au Dnipro. Ces différentes arrivées ouvrent la voie à un championnat très compétitive où le Dynamo Kiev n’est plus qu’une grosse équipe parmi quatre.


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L’implosion pendant la guerre

Les années d’instabilité qui commencent en 2013 avec Maidan, le référendum en Crimée et la guerre dans la Donbass va faire fuir des joueurs inquiets pour leur sécurité, des oligarques liés au pouvoir précédent et affaiblir financièrement le pays. Ce sont donc certains clubs historiques qui en souffrent. Le Metalist, pourtant leader et en bonne voie pour enfin remporter un titre de champion dans son histoire voit tout s’effondrer en un éclair. Un temps menacé par la guerre, la deuxième ville du pays sera épargnée, mais Sergey Kurchenko, très jeune oligarque lié au gouvernement Yanoukovich s’en va en Russie pour échapper aux poursuites judiciaires, refusant pour autant de vendre le club qui est contraint après deux saisons cauchemardesques de reprendre le cours de son existence au niveau amateur. Causes différentes et mêmes effets pour le Dnipro, un temps symbole de la réussite ukrainienne avec sa finale de Ligue Europa en 2015, qui s’est également retrouvé en faillite lorsque son oligarque Kolomoyski, pourtant défenseur de la région contre les risques de guerre, est tombé en disgrâce suite à ses sulfureuses activités. Le Chernomorets Odessa, aussi issu d’une ville, certes particulière, mais russophone également, a vu tout d’abord ses étrangers s’en aller avant ses financements et se bat aujourd’hui pour sa survie alors qu’il était encore présent en phase finale de Coupe d’Europe il y a à peine cinq ans.


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La hiérarchie du football ukrainien s’en trouve donc complètement bouleversée, et son élite ramenée à douze clubs, avec beaucoup de nouvelles équipes (certaines, certes historiques) se battant pour devenir membre à long terme de l’UPL : le Zirka Kropovinitsy, Oleksandria, Mariupol (remonté dans l’élite malgré la proximité avec la zone de front), le Veres Rivne ou encore le Stal Kamianske (renforcé par une étrange fusion avec le désormais défunt Metalurg Donetsk). Pendant ce temps là, les équipes de la Donbass doivent faire avec une délocalisation permanente, le Zorya Lugansk, nouvelle troisième force nationale évolue à Zaporozhie, l’Olimpik Donetsk, club récent, est à Kiev alors que le Shakhtar est désormais à Kharkov après avoir été exilé à l’autre bout du pays, Lviv, ville symbole du nationalisme ukrainien.

Pour le Shakhtar, cet exil fut assez compliqué à gérer car les supporters restés dans l’autoproclamée DNR (république populaire de Donetsk) ne reconnaissent plus le club, devenu symbole du patriotisme ukrainien alors que la ville de Lviv ne souhaitait pas supporter un club représentant l’est de l’Ukraine, la russophonie et qui possède tout de même en son sein des personnalités pas forcément claires sur leurs choix politiques dans cette crise. Si bien que le Shakhtar dominateur a dû laisser échapper le titre, pendant deux ans, chez le rival du Dynamo qui s’était pourtant affaibli avant la guerre. Depuis, les joueurs de la Donbass ont récupéré leur bien avec un nouveau titre en 2017.

Statistiques de l’UPL

Seules trois équipes se partagent donc les 26 titres décernées en Ukraine depuis l’indépendance : le Dynamo (15), le Shakhtar (10) et le Tavria (1) qui avait remporté le championnat inaugural à la surprise générale (La coupe a, elle, sacré deux autre équipes en plus de ces trois-là avec le Vorskla (1) et le Chernomorets (2)).

Trente-huit différentes équipes ont été membres de l’élite, deux d’entre elles, Odessa et Lviv, n’y sont restées qu’une petite saison alors que le Dynamo et le Shakhtar sont là depuis la première saison (la série du Dnipro s’arrêtant elle cette saison pour les raisons évoquées plus tôt). Quatre joueurs ont atteint les 400 matchs, il s’agit du recordman Oleksandr Shovkovskiy, d’Oleg Shelaev, d’Oleksandr Chizhevskiy et de Vyacheslav Checher (toujours au Zorya aujourd’hui). Maksim Shatskikh (le recordman venu d’Ouzbékistan), Sergey Rebrov, Evgeniy Seleznyov et Evgeniy Vorobey ont marqué plus de cent buts alors qu’Andrey Yarmolenko s’est arrêté à 99 avant de rejoindre la Bundesliga et le Borussia Dortmund.

La sélection nationale

La Zbirna n’a que trop peu profité des générations exceptionnelles que l’Ukraine a produite, il y a une dizaine d’années. Après une première campagne catastrophique pour la qualification à l’Euro 1996, l’Ukraine a ensuité longtemps buté en barrages (en 1998 contre la Croatie ou en 2002 contre l’Allemagne) mais c’est celui de l’Euro 2000 qui fut le plus cruel, deuxième d’un groupe rocambolesque remporté par la France et où la Russie a pris la troisième place, l’Ukraine qui compte sur ses meilleurs joueurs est favorite en barrages mais tombe contre la « petite » Slovénie avec notamment un but mémorable du futur Lillois Milenko Acimovic. Ce n’est qu’en 2006 que l’Ukraine se qualifie enfin pour une compétition internationale, la Coupe du Monde où, malgré une défaite originelle contre l’Espagne, elle va atteindre les quarts de finale en éliminant la Suisse (qui ne réussit aucun de ses quatre tirs aux but) avant de tomber 3-0 contre l’Italie (futur vainqueur) malgré un match de qualité.

Les barrages, eux, vont continuer de hanter l’Ukraine (2010 et 2014) avec notamment l’élimination contre la France après une victoire 2-0 au match aller. C’est donc du côté de l’Euro qu’il faut se tourner pour voir une Ukraine, décevante, en phase finale. Éliminée à domicile en 2012, malgré une victoire en poule, l’Ukraine est encore plus décevante en 2016 avec trois défaites en autant de match. Elle ne verra pas non plus la Russie, ni même les barrages, pour la prochaine Coupe du Monde. Côté joueurs, Anatoliy Tymoshchuk (142) et Andreï Shevchenko, son Ballon d’Or 2004 (111) sont les recordmen de sélections alors que ce même Shevchenko a marqué quarante-huit fois et détient largement le record de buts (deux fois plus que Yarmolenko).

 

Mourad Aerts et Adrien Laëthier

 

 

1 Comment

  1. Anonyme 8 août 2021 at 19 h 04 min

    J’ai pris du plaisir à lire cette synthèse, qui suggère effectivement le côté iconoclaste du championnat ukrainien de ces dernières années… Merci.

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