A moins d’un an de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Nous commençons avec l’Ukraine. Episode 4 : Igor Belanov, un homme en or.


Lire aussi : Le football dans les RSS : #2 l’Ukraine – Lobanovski, le scientifique qui créa une dynastie


Igor Ivanovich Belanov est né à Odessa, dans le sud de l’Ukraine. Très vite attiré par le football, le jeune odessite passait ses soirées à taper le ballon sur le parking de son immeuble avec ses copains. Il fait ses premières armes au sein de l’équipe locale du GEK, l’équivalent soviétique de l’office HLM. Plutôt doué dans ce qu’il faisait, il tente sa chance auprès du grand club local, le Chernomorets Odessa, pensionnaire de la première division soviétique. Malgré un talent certain, les responsables de la formation sont catégoriques, le jeune Igor Ivanovich est trop petit et sa croissance trop lente pour pouvoir se forger une place au sein d’un effectif professionnel dans les années futures. Déçu de ne pas avoir été conservé, il doit se rabattre par défaut sur le second club de la ville, le SKA Odessa, appartenant à l’armée. À 18 ans et son bac en poche, Belanov rejoint donc le SKA qui évolue alors en seconde division. Il inscrit 16 buts avec l’équipe première en deux saisons avant d’être finalement recontacté par le Chernomorets en 1981.

Une petite revanche pour l’enfant du pays qui porte finalement bien le maillot du Chernomorets durant quatre saisons. Deux ans après son arrivée au club, Belanov est appelé avec les espoirs soviétiques pour y disputer quatre matchs. Bien que ses statistiques n’aient jamais été exceptionnelles, c’est par son talent balle au pied et par sa vitesse qu’Igor Belanov séduit les entraîneurs du pays. Le moment est venu pour lui de s’atteler à de nouveaux défis. C’est donc en 1985 qu’il pose ses valises à quelque 500 kilomètres au nord d’Odessa, dans la capitale. À l’époque, le Dynamo Kiev ne se refuse pas, bien que la saison 84 ait vu le Chernomorets terminer à la quatrième place quand le Dynamo devait se contenter d’une piteuse dixième position. Le club de la capitale reste sur deux mauvaises saisons, mais compte bien se refaire la cerise avec le retour sur le banc du mythique coach Valery Lobanovskiy. À la fin de cette saison 1984, le Dynamo Kiev est même tombé sous le coup de la Loi des dix nuls. Il s’agit d’un point de règlement du championnat soviétique qui prévoyait un retrait de points au classement final pour les clubs ayant enregistré plus de dix matchs nuls durant la saison. Avec treize nuls sur l’exercice, le Dynamo s’était vu retirer trois points (correspondants aux trois nuls excédentaires), chutant ainsi de la 7e à la 10e place. Un rang inacceptable pour le club de la capitale qui se préparait à entrer dans une nouvelle ère de gloire.

Une soirée à Gerland

Malgré une peu reluisante dixième place au championnat, le Dynamo avait quelque peu sauvé sa saison en s’adjugeant la Coupe d’URSS 1985 face au Shakhtar Donetsk. Une victoire qui qualifiait donc le club ukrainien pour la prochaine Coupe des vainqueurs de coupe, la défunte C2. Valery Lobanovskiy vient d’assembler en attaque le duo Belanov-Blokhin qui allait devenir un des plus fameux d’Europe. Le Dynamo n’a donc pas de mal à renouer avec le succès en championnat, en retrouvant le titre dès la saison 1985 devant le Spartak Moscou. Une nouvelle page de l’histoire du football soviétique s’écrit en cette même année avec une victoire en Coupe des vainqueurs de coupe. Le Dynamo écarte un à un ses adversaires, Utrecht, l’Universitatea Craiova, le Rapid Vienne puis le Dukla Prague pour s’offrir une finale de rêve face à l’Atletico Madrid.

Les 39 000 spectateurs du Stade Gerland en auront pour leur argent. Comme en 1975, tout le monde ou presque sous-estime cette équipe de Kiev menée par Lobanovskiy. La victoire du Dynamo est des plus fulgurantes avec un 3 à 0 sans appel. Zavarov, Blokhin puis Yevtushenko mettent à mort le club espagnol de Luis Aragones. Le milieu de terrain est totalement vampirisé par les Bilo-Syni. Même topo en attaque où le duo Belanov-Blokhin rend fou la défense espagnole à coup d’attaques éclaires. Il n’y a pas photo ce soir-là sur le ring qu’était le Stade Gerland. Littéralement KO, les Espagnols regardent les fiers Soviétiques soulever la coupe d’Europe. Le trophée qui passe de mains en mains avait une saveur particulière pour celui qui portait le numéro dix sur le dos.

Si cette Coupe d’Europe était la seconde pour Oleg Blokhin et Valery Lobanovskiy, c’est bien la première pour Igor Belanov qui avait, en quelques mois, totalement changé de dimension. Il était bien révolu le temps où les portes du centre de formation d’Odessa se refermaient devant lui. Tout comme le temps où il se contentait des miettes d’une quatrième place avec le Chernomorets en 1984. Meilleur buteur de la compétition avec cinq réalisations, tout comme ses camarades Blokhin et Zavarov, Belanov est élu footballeur de l’année en Europe. L’Ukrainien est désormais au sommet avec le Dynamo Kiev.

Cœur brisé au Mexique

Le titre de champion d’URSS et la Coupe d’Europe en poche, Belanov se prépare à relever un autre défi, celui de la Coupe du monde. Moins d’un mois après cette folle soirée à Lyon, l’attaquant retrouve ses copains en sélection. Une équipe nationale aux allures de Dynamo Kiev d’ailleurs, car composée à plus de 50% de joueurs évoluant dans le club de la capitale ukrainienne, tout comme le coach qui n’est autre que Valery Lobanovskiy. Les performances remarquables sur la scène européenne du club ukrainien laissent présager une belle Coupe du monde pour les Soviétiques.

L’URSS ne manque pas son entrée en matière avec un succès éclatent 6 à 0 face à la Hongrie. Dans le second match de poule, Luis Fernandez répond à Vasyl Rats pour un match nul un partout entre Français et Soviétiques. Le dernier match n’est qu’une formalité avec un succès 2-0 sur le Canada pour s’assurer de la première place du groupe.

Ce sont les Belges, qualifiés de justesse en tant que meilleurs troisièmes, qui viennent mettre fin aux ambitions soviétiques dans ce mondial mexicain. Pourtant, ce huitième de finale démarre bien. Belanov en très grande forme nettoie la lucarne gauche belge d’une frappe surpuissante juste avant la demi-heure de jeu. Quelques errements défensifs en seconde période permettent à Vincenzo Scifo d’égaliser avant que Belanov ne vienne redonner l’avantage aux siens à la 70e. Rebelote dans le dernier quart d’heure, les Soviétiques laissent Jan Ceulemans tout seul au point de penalty, qui ne manque pas le 2-2. Les prolongations sont de même intensité, mais cette fois-ci, ce sont bien les Diables rouges qui prennent les devants avec les buts de Stéphane Demol à la 102e  puis de Nicolaas Claesen à la 110e. Avec une défense aux abois, l’URSS ne peut que s’en remettre à son buteur pour renverser ce huitième de finale, mais la montagne est bien trop haute à gravir. Belanov inscrit un troisième but à la 111e sur penalty, mais ne peut empêcher la défaite de son pays. Une défaite inattendue et crève-cœur pour cette sélection, qui nourrissait de grandes ambitions avec ses stars à la sauce Lobanovskiy.

Le triplé de Belanov n’aura pas suffi | © FourFourTwo

Belanov a fait le show avec son triplé en huitième de finale et surtout ses six passes décisives en quatre rencontres de Coupe du Monde. Après une Coupe d’Europe remportée début mai et une copie de haut niveau rendue au cours du Mondial mexicain, l’attaquant ukrainien est désormais sur le point d’obtenir la récompense individuelle suprême.

La consécration

Le 30 décembre 1986, le jury du 31e Ballon d’Or porte aux nues Igor Ivanovich Belanov, attaquant soviétique du Dynamo Kiev. Plus que ses statistiques, c’est bien l’importance du joueur qui est récompensée. L’importance d’un Igor Belanov au Dynamo ou en sélection était indéniable et sautait aux yeux de tout le monde. Élu avec 21 voix sur 26, l’Ukrainien devance Gary Lineker pour rapporter à l’URSS son troisième Ballon d’Or, succédant ainsi à Lev Yashin en 1963 et Oleg Blokhin en 1975. Ses coéquipiers de sélection Oleksandr Zavarov, Rinat Dasaev et Pavel Yakovenko reçoivent eux aussi des voix lors de cette édition, terminant respectivement 6ème, 16ème et 21ème.

La remise du trophée dans ces années-là était beaucoup plus feutrée qu’à notre époque. Nulle cérémonie dans des hôtels de luxe en Suisse en présence du gratin du football. Pas de footballeurs en smoking attendant leur tour après des discours et des présentations interminables. Non, à l’époque, le Ballon d’Or était apporté au vainqueur avant un match. Ainsi, c’est sur un terrain, devant son public et en tenue de travail que le joueur reçoit son trophée. Igor Belanov attendra jusqu’au 18 mars 1987 pour se voir présenter son Ballon d’Or avant un Dynamo Kiev – Besiktas en quarts de finale de C1. C’est devant plus de 100 000 personnes que l’enfant d’Odessa brandit son trophée sur la pelouse du Respublikanskiy Stadium de Kiev. De l’aveu de Belanov lui-même, ce moment fut tellement intense qu’il ne put se concentrer sur son match face aux Turcs. L’Ukrainien ne met pas un pied devant l’autre durant cette partie, mais qu’importe, déjà vainqueurs 5 à 0 à l’aller à Istanbul, les coéquipiers du Ballon d’Or 86 se chargent de faire respecter la logique dans ce match avec des buts de Blokhin et de Yevtushenko.

© segodnya.ua

De l’autre côté du rideau

Belanov conserve son titre de champion d’URSS l’année de son Ballon d’Or, avant de voir le Spartak Moscou par deux fois puis le Dnipro Dnipropetrovsk souffler le championnat au Dynamo Kiev. L’année 1989 marque un tournant dans sa vie comme dans celle de nombreux de ses compatriotes avec la chute annoncée de l’URSS. Le buteur ukrainien obtient un bon de sortie à 29 ans et rejoint le Borussia Mönchengladbach en Allemagne, contre un million de marks. Un passage à l’ouest qui se révèle difficile comme pour beaucoup d’athlètes soviétiques à cette époque. Les blessures et les quelques conflits avec son coach ne permettent pas à Belanov de donner la pleine mesure de son talent. Quatre buts pour 24 matchs en une saison et demie, voilà le maigre bilan du passage de l’Ukrainien à Mönchengladbach.

En janvier 1991, Belanov quitte son club pour rejoindre l’Eintracht Brunswick en seconde division. Outre la déception sportive, une autre histoire est à l’origine de son départ du Borussia. En effet, sa femme était mise en cause par les autorités allemandes dans une sombre affaire de vol à l’étalage. Rien ne fonctionne donc pour Belanov. Il évolue à Brunswick jusqu’en 1994 sans jamais parvenir à hisser le club en D1. Après 21 buts en 67 rencontres avec l’Eintracht, il décide de rentrer au pays et fait son retour au Chernomorets Odessa. Un retour manqué puisque le champion d’Europe 86 ne dispute que trois rencontres, luttant contre des blessures à répétition. Il tente une dernière pige au Metalurg Marioupol en 96 où il inscrira 4 buts en 5 matchs avant de mettre un terme à sa carrière de joueur.

Igor Belanov en 2005. | © Christophe95 / Wikipedia

L’après-carrière

Belanov devient en 2003 le propriétaire du FC Wil, club suisse fraîchement relégué en seconde division et plongé dans une affaire de détournement de fonds. L’Ukrainien profite de la chute de l’ancien propriétaire et banquier Andreas Hafen, condamné à cinq années de prison pour avoir détourné quelque 40 millions de dollars dans sa propre banque. Belanov rappelle à ses côtés son ancien coéquipier Oleksandr Zavarov, mais l’expérience suisse se révèle infructueuse. Empêtré dans une gestion sportive compliquée, il vend finalement ses parts pour retourner une nouvelle fois au Chernomorets Odessa afin d’y organiser la formation des jeunes.

Bien qu’Igor Ivanovich ne soit pas le plus connu des Ballon d’Or, il restera à jamais comme un homme honnête et impliqué dans tout ce qu’il fait. Très concerné par la formation et l’éducation des jeunes dans son pays, Belanov ne se déplace quasiment jamais sans son trophée. Pour les joueurs et supporters qu’il côtoie, voir ce Ballon d’Or, le toucher, impulse un supplément d’âme à ces jeunes qui ne doivent jamais perdre de vue que rien n’est impossible dans la vie, peu importe d’où l’on vient et peu importe les difficultés rencontrées.

Le titre de champion d’URSS, la Coupe d’Europe et le Ballon d’Or trônent aujourd’hui dans la vitrine de l’homme que l’on disait trop petit et trop frêle pour devenir professionnel.

Rémy Garrel


Image à la une : © segodnya.ua

Leave A Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.