Temps de lecture 7 minutesCoupe du Monde 2018 – Croatie : Zlatko Dalić, dernier coup de Zdravko Mamić ?

Elle est là : la Coupe du Monde 2018. La vôtre … et la nôtre. Pour fêter cette compétition, chez nous, dans nos contrées russes, notre rédaction a décidé de faire les choses comme il faut en vous offrant différentes séries d’articles. Il est temps de passer à l’heure russe ! 

Le 6 juin 2018 restera une date clé dans l’histoire du football croate : Zdravko Mamić est enfin reconnu coupable par la justice pour avoir illégalement touché des commissions sur les transferts de Luka Modrić et Dejan Lovren. Il est condamné à 6 ans et demi de prison, son frère Zoran est lui condamné à 4 ans et 11 mois de prison.

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Si vous suivez Footballski, vous savez sûrement tout ceci depuis de longues années. Mais alors pourquoi les Mamić sont reconnus coupables seulement aujourd’hui, le 6 juin 2018, bien que certains faits remontent à très loin ?

Toute la controverse concernait la façon de prouver la culpabilité ou non de Mamić, et surtout de savoir s’il travaillait légalement selon la loi croate ou non. Et tant pis pour le concept de responsabilité morale. Dans une société moins malade, les révélations au fil des années auraient été suffisantes pour soustraire ces gens de toute fonction publique et les contraindre de partir pour ne pas ruiner la réputation des institutions qu’ils représentent. En Croatie, aujourd’hui, même des mafias locales ont meilleure réputation que la fédération de football, c’est dire …

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Cela explique en partie que la sélection nationale croate ne rassemble plus les foules, mais les déchire. Si les expatriés soutiennent toujours l’équipe, les choses sont différentes au sein du pays, où le désenchantement prime. Le pays tout entier qui soutenait sa sélection en 1998 (à la manière de l’Islande aujourd’hui) ne vibre plus. Et les raisons ne sont pas sportives, loin de là même, la Croatie ayant l’une des meilleures équipes de son histoire.

Dalić, nouvel homme du clan Mamić ?

Depuis des années, la fédération croate accumule les choix d’entraîneurs douteux. Le plus récent d’entre eux est Ante Čačić, qui n’a même pas été sauvé par la génération ultra-talentueuse de joueurs à sa disposition. Principal artisan de la campagne catastrophique pour la qualification à la Coupe du Monde, il a été remercié. Pour le remplacer, la HNS a porté son choix sur Zlatko Dalić, qui était occupé depuis plusieurs années à amasser des dollars dans le golfe Persique. Une décision à la hâte et totalement improvisée. Comme d’habitude.

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Un quatrième entraîneur en quatre ans, qui ne semble toujours pas avoir toutes les caractéristiques pour entraîner une sélection telle que la Croatie, malgré des succès certains dans le Golfe et en coupe asiatique. Encore une fois, la fédération aurait-elle choisi un proche de Mamić, après Štimac et Čačić ? On peut se poser des questions en lisant le nom de son successeur aux Émirats arabes unis. Surprise, c’est Zoran Mamić. Frère de Zdravko !

Dalić a beau expliquer qu’il n’a rien à voir avec l’arrivée de Zoran Mamić à Al-Ain après son départ du banc, on a du mal à le croire. Comme lorsqu’il assure qu’il ne connaît Zdravko Mamić ni d’Ève ni d’Adan, une personne avec qui il n’a « jamais pris de café » dans sa vie. Dommage pour lui, on le voit clairement en photo attablé avec Mamić. On ne sait effectivement pas si c’était le café ou autre chose, mais il n’en reste pas moins qu’il était avec « Papa ». Sur cette même photo, on peut également s’amuser de voir Ante Čačić, son prédécesseur. Bien sûr, celle-ci ne peut pas prouver l’amitié entre Dalić et Mamić, et encore moins qu’il ait obtenu le poste avec ce lien, mais les raccourcis trouvent vite preneur. Et pour cause.

Pro Mamić + Anti Mamić = ambiance délétère ?

L’affaire Mamić ne cause pas que des remous au sein du staff technique. L’ambiance n’est pas au beau fixe dans l’équipe, entre joueurs pro-Mamić, anti-Mamić et ceux qui ne sont pas concernés par tout cela. Si l’on devait illustrer la situation actuelle, on pourrait tirer une séquence du récent Brésil – Croatie :

La Croatie récupère le ballon, le capitaine Luka Modrić a le cuir, Andrej Kramarić fait l’appel à sa gauche, attaquant l’espace. Cependant, la balle ne lui arrivera jamais. Modrić hésite d’abord, puis préfère tenter un dribble. « Modrić ne veut pas faire la passe à Kramarić », assure même le commentateur Marko Šapit … et beaucoup n’ont pu s’empêcher de le penser également.

L’idée : le joueur de Mamić n’a pas voulu faire la passe à celui qui n’a pas voulu l’être. Vous ne comprenez pas ? Petit rappel pratique avant d’aller plus loin. Le Dinamo est le meilleur centre de formation du pays (financé par les contribuables) et Mamić en est le patron. Quand il repère un jeune joueur, il signe d’abord un contrat personnel avec lui, en prenant soin d’inclure une clause lui donnant droit à une part importante de leurs gains tout au long de leur carrière. Puis, agissant en tant que dirigeant de club, il rajoute des clauses dans les contrats précisant la répartition des frais de transfert entre le club et le joueur. Une fois qu’un joueur reçoit une partie de l’argent qu’un club étranger paie au Dinamo pour ses services – jusqu’à 50% -, il en transmet la majeure partie à Mamić.

C’est ce qui s’est passé avec Modrić et Lovren, qui avaient confirmé les soupçons de la justice avant de changer leurs témoignages devant les tribunaux, affirmant que les enquêteurs les avaient troublés. Parmi les documents présentés au tribunal, une liste d’instructions pour Lovren a été découverte, sur la façon de répondre aux questions spécifiques posées par l’accusation. Instructions que le joueur, très appliqué, aurait suivies à la lettre.

Modrić et Lovren, pour avoir préservé les intérêts de Mamić, ont retourné l’opinion publique contre eux. En revanche, Kramarić, lui, a refusé de signer un tel contrat. « Il n’y a pas besoin [d’en parler], tout le monde sait ce qui se passe et les histoires que vous entendez sont vraies », disait-il, il y a un an.

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Pourtant, le Dinamo était le rêve du jeune homme né à Zagreb et qui a marqué 452 buts, selon ses calculs, pour les équipes de jeunes du club. Des chiffres qui bien évidemment ont attiré Mamić, venu à plusieurs reprises approcher la famille de Kramarić, leur promettant de l’argent et divers avantages en cas de signature. La famille a refusé et les choses sont devenues compliquées pour Kramarić. Pendant ce temps, le Dinamo refusait les offres pour le joueur, toujours convaincu qu’il finirait par signer pour le grand patron du football croate.

Mais Kramarić n’a pas craqué. Avec sa famille, il est allé déposer une plainte pour mauvais traitement lié à son refus de signer un contrat pour le compte de Mamić. Parti ensuite à Rijeka, il a relancé sa carrière et s’est imposé comme un élément important de cette future génération de footballeurs croates. En équipe nationale, il est devenu un héros en marquant les deux buts de la victoire 2-0 en Ukraine, lors des barrages pour la Coupe du Monde. Mais bien au-delà, Kramarić est devenu un symbole de résistance au pouvoir. Et finalement, il est le seul à générer un peu d’enthousiasme dans cette sélection.

Le changement, c’est maintenant ?

Cependant, le football croate a beaucoup de problèmes et le départ de Mamić ne les résoudra certainement pas. Après tout, Mamić n’a jamais été une cause directe. Il a juste profité d’une situation pour s’enrichir. Il s’est mis dans la poche les juges, les fonctionnaires, les arbitres, la fédération ou les journalistes, en les utilisant pour son propre profit.

C’est avec leur aide que Mamić a nommé à la tête de l’équipe nationale ses alliés comme Igor Štimac ou Ante Čačić, qui eux-mêmes ont profité de la situation, puisqu’ils n’avaient pas les qualités requises pour le poste. Tous ont participé à la pourriture du système. Il en va de même avec les membres de la fédération qui ont vu leurs salaires à la hausse, avec les arbitres qui étaient protégés, et ainsi de suite.

Mamić a menti pendant des années et a réussi à maintenir pendant longtemps son réseau d’influence sur la politique, le système judiciaire, la police, les médias. De même, on lui a également permis de détruire l’identité d’un des deux plus gros clubs du pays et de changer à son avantage tout le système d’élections à la fédération. Dans un autre monde, loin de ce système croate, il n’aurait pas été non plus possible de voir des joueurs du centre de formation, dès leurs premiers pas, devoir signer des contrats dans le but d’enrichir ce même Mamić.

Demain, si le nouveau Zdravko arrive, le ballet des fidèles reviendra. Et le nouveau chef s’achètera des faveurs en donnant deux billets d’un match à guichets fermés, une invitation à une fête ou un maillot officiel. La même mentalité et les mêmes petits intérêts personnels empêchant tout changement substantiel dans la société croate.

Car, bien que Mamić soit parti, tous les autres sont restés et continuent d’être des facteurs déterminants de décision. Il ne faut pas oublier que ces mêmes personnes ont récemment choisi de réélire Davor Šuker en tant que président de la HNS et qu’ils continueront d’écrire l’avenir. Ce sont ces personnes qui ont tenu l’échelle de Mamić et ont validé, avec un grand sourire, la nomination d’Ante Čačić lorsque la sélection était à son apogée.

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C’est pourquoi, bien que la mort politique de Mamić soit un début, cela ne signifie pas une guérison rapide du football croate. Tant que la nomenclature restera intacte, avec les mains aussi sales que celles de Mamić, il ne faut rien espérer.

La meilleure illustration de cela est la condamnation de Damir Vrbanović, le directeur général actuel de HNS. Bien que condamné, personne à la HNS n’a formulé de commentaire significatif selon lequel Vrbanović devrait partir pour des raisons morales, ou qu’éventuellement il pourrait faire tache. Aucune annonce n’a été faite, aucun commentaire non plus de la part des autres membres. Cela ne dérange donc pas le vice-président Damir Mišković, aussi président de Rijeka ? Personne n’a donc le courage de dénoncer l’indéfendable ?

Ce sera bien évidemment différent sans un Mamić à sa tête, mais toute la gangrène reste profondément ancrée dans le système. Pour que son football devienne meilleur, la Croatie doit s’attaquer aux problèmes de fond. En se débarrassant des officiels corrompus à tous les niveaux, des arbitres comme Bruno Maric, jusqu’aux personnes œuvrant dans les différentes régions ayant des pouvoirs de décision. Des milliers de petits Mamić restent en poste, toujours prêts à gratter un petit quelque chose. Et pour cela, ils seront toujours prêts à avancer dans le sens d’un grand Mamić.

Aucun système ne peut être construit sur une base pourrie. Pour avancer, il faut des personnes ayant de l’honneur et des idées pour le progrès et le développement. En Croatie, les infrastructures sont à un niveau catastrophique, les résultats des catégories de jeunes ne cessent de diminuer et la confiance dans les institutions est nulle. Un changement de leader n’est pas suffisant, il faut également un nouveau système de fonctionnement, une modernisation des méthodes de travail à tous les niveaux et de la démocratie dans l’échange d’opinions pour briser le clientélisme et la gouvernance d’aujourd’hui. Sans cela, rien ne changera et Zdravko Mamić peut dès lors être libéré.

Damien F.


Image à la une : GIUSEPPE CACACE / AFP

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