Coupe du Monde 2018 – Croatie : Domagoj Vida, la Vida Loca

Elle est là : la Coupe du Monde 2018. La vôtre … et la nôtre. Pour fêter cette compétition, chez nous, dans nos contrées russes, notre rédaction a décidé de faire les choses comme il faut en vous offrant différentes séries d’articles. Il est temps de passer à l’heure russe ! 

En Slavonie, à la frontière entre la Croatie et la Hongrie, coule la rivière Drava qui constitue une frontière naturelle entre les deux pays. Sur ces berges de la Drava, on retrouve Donji Miholjac, petit village ne dépassant pas les dix-mille habitants. Un endroit qui semble être plus propice à l’agriculture qu’à l’éclosion d’internationaux croates de football.

Une jeunesse croate

Et pourtant, le village a vu grandir de bons joueurs, tels que l’ancien gardien Slaven Belupo, Sylvijo Rodic, et Mladen Madjaric, l’homme qui a participé à l’une des histoires les plus célèbres du football croate, lorsque son ancien club de Naftas Ivanic Grad a éliminé le Dinamo Zagreb en Coupe en 2005. Cependant, la plus grande contribution de la ville au football croate vient de la famille de Vida, et plus particulièrement de Domagoj.

Son père, Rudika, était l’icône de la première division croate lors de la saison 1993/94, quand il a marqué 26 buts pour le NK Belisce. On pourrait penser qu’un tel goleador serait destiné à une grande carrière, mais il s’est finalement cantonné à une modeste carrière en Slavonie, à Belisce, puis à Osijek, où il n’a pas réussi à marquer le club de son empreinte. Mais Rudika n’a jamais joué au football pour l’argent, lui qui n’a pas profité de sa carrière pour arrêter de travailler dans l’exploitation pétrolière de Naftaplin, à Benicic.

Rudika était un prolétaire, le football était son plaisir, comme un bol d’air frais, mais son travail à l’exploitation pétrolière était bien son obligation principale. A Miholjac, il se murmure que le fils aîné de Rudika, Hrvoje, avait un don pour le football. Mais comme le père se rendait quotidiennement à Benicic, le fiston ne pouvait pas aller régulièrement s’entraîner dans le grand club du coin, Osijek. Puis Domagoj est arrivé, jouant attaquant dans un petit club local. Selon le témoignage du père Rudika, un de ses collègues l’a exhorté à envoyer son deuxième fils à Osijek, où Domagoj Vida est arrivé à 11 ans. La concurrence étant trop élevée en attaque, les entraîneurs ont l’idée de progressivement replacer Domagoj en position défensive. C’est en défense qu’il s’affirme en jouant son premier match à seulement 17 ans en équipe première, après quoi il est rapidement devenu capitaine.

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Mais l’adolescent déjà capitaine du club de sa région voit plus haut. Le Bayer Leverkusen met 2 millions d’euros, Osijek n’a pas d’autre choix que d’accepter au vu de ses finances. Mais Vida n’est pas prêt aux exigences allemandes et revient en Croatie après 9 apparitions officielles et un fait divers. A la veille d’un rassemblement avec l’équipe nationale, il participe à une bagarre de rue dans les rues de son village. Complètement saoul, il est accusé d’avoir frappé des jeunes sortant d’un mariage avec quatre amis.

Le Dinamo Zagreb récupère alors le grand blond, néo-international, qui a besoin de jouer. Mais Vida connaît les mêmes problèmes. En déplacement lors d’un 16ede finale de Coupe de Croatie, il s’ouvre une canette de bière devant les yeux médusés de son coach, Ante Cacic, qui ordonne au bus de se stopper immédiatement pour faire descendre le défenseur. Mais le Dinamo ne peut pas se séparer de lui. Une amende d’un quart de son salaire annuel lui sert de leçon. Vida devient un élément clé de l’équipe avec son talent et sa technique diversifiée. Jouant surtout arrière droit et parfois arrière central, il réussit à s’adapter dans plusieurs configurations et devient une pièce maîtresse de l’équipe malgré son indiscipline rendant ses entraîneurs furieux. Une séquence vidéo à l’entraînement montre Cacic furieux contre son défenseur ne respectant pas sa position, jusqu’à lui donner des coups. C’est pourtant le défenseur qui sauve la tête de son coach contre Ludogorets, en tour préliminaire de Champions’ League, en marquant de la tête à la 98ème minute.

Vida reste lui-même, jouant avant tout pour le plaisir du football, un trait de caractère probablement hérité du père Rudika. Les deux sont l’incarnation, chacun à leur époque et leur contexte, d’un football brut naïf, en s’appuyant sur leur talent brut comme toile de fond de la créativité artistique sur le terrain. Une pièce artistique de plus dans un puzzle croate qui a de quoi faire peur à beaucoup d’équipes.

Domagoj en mission à Kiev

A l’hiver 2013, les supporters ukrainiens du Dynamo Kiev enregistrent l’arrivée d’un nouveau défenseur en provenance du Dinamo Zagreb. Quel poste derrière ? Demande l’un d’entre eux. Tous ! Un couteau suisse vient de poser ses bagages à Kiev. Une arrivée qui tombe à pic pour l’arrière garde du club ukrainien qui affiche quelques carences. Domagoj Vida ne tarde donc pas à être utilisé un peu partout par son Ballon d’Or de coach, Oleg Blokhin. Sans crever l’écran, le croate affiche sa combativité et son abnégation. Des qualités qui séduisent dans la capitale ukrainienne.

Les adieux du croate au Dynamo Kiev © wbc.kiev.ua

La suite de son aventure à Kiev n’est pourtant pas des plus tranquilles sportivement. La légende Blokhin est relevée de son commandement et cède sa place à son second Sergiy Rebrov, autre grand nom du club, après une triste quatrième place. Le plus mauvais résultat de l’histoire ukrainienne du club malgré un recrutement intéressant (Mbokani, Belhanda, Trémoulinas, Lens et Dragovic). Si le Dnipro et le Metalist Kharkiv ont su tirer momentanément les marrons du feu, trône toujours sur la première marche du podium l’indéboulonnable Shakhtar de Mircea Lucescu qui se goinfre de titres depuis cinq saisons de suite maintenant. Il est temps, pour le grand Dynamo, de relever la tête.

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Tout se met en place à l’été 2014, les recrues performent et les espoirs se concrétisent. Mbokani plante devant, Yarmolenko rayonne sur les côtés, Dragovic scelle les portes derrière. Les victoires s’accumulent, le Metalist et le Dnipro si féroces les années passées, sont enfin remis dans le rang. Et pourtant, une ville d’irréductibles résiste encore et toujours. Donetsk, que le Dynamo n’a plus battu en championnat depuis près de trois ans et demi, une éternité pour les fans, se présente au Stade Olympique un soir d’octobre. 57 500 personnes vont alors apprendre à connaitre le numéro 24 du Dynamo.

L’idole du peuple

Zéro à zéro alors que le match entre dans sa 70e minute. Le corner est négocié par le Portugais Miguel Veloso pour Kiev. Le ballon fuse bien au-dessus de la meute. Encore un coup dans l’eau pense-t-on. C’est sans compter sur l’abnégation du Néerlandais Jeremain Lens qui, tout seul, fait l’effort de l’autre côté du terrain pour empêcher cette balle de sortir. Voyant un maillot orange approcher à toute vitesse, il préfère décaler sur sa droite pour Andriy Yarmolenko qui contrôle et renvoie le ballon dans la boite à l’opposée. Deux silhouettes s’élèvent alors, l’une plus bien plus haute que l’autre. Domagoj Vida prend l’impulsion de sa vie pour corriger dans les airs son vis-à-vis défensif. Oleksandr Kucher est largement battu et se retourne dans la seconde vers le Croate, lui lançant un regard noir. Une poussette, un ascenseur, un coup de coude ? Rien, Kucher est tout simplement battu physiquement. Vida reprend parfaitement le centre de son camarade Yarmolenko. Son coup de boule plein de rage vient s’écraser sur les gants du portier du Shakhtar Anton Kanibolotskiy qui ne peut que tendre ses bras rapidement vers l’avant pour repousser ce ballon. Le cuir heurte les doigts tendus du jeune gardien mais ne repart pas vers l’avant mais dans les airs. Un arrêt réflexe incomplet qui envoie le ballon en chandelle vers l’arrière. Le temps se fige, le stade arrête de respirer durant cette seconde et demie qui parait en durer vingt. C’est bien sous la barre transversale que semble se diriger cette balle. Le cuir retombe derrière Kanibolotskiy et vient heurter la poudre blanche qui matérialise la ligne de but. L’espace d’un instant, le portier semble soulager de voir derrière lui un de ses coéquipiers en dernier rempart. Le fameux sauvetage miraculeux sur la ligne. Mais pas cette fois-ci. Le buteur brésilien Luiz Adriano, celui qui avait fait tant de mal au Dynamo ces dernières années se troue complétement, recule, tente une volée pour sortir son équipe de ce pétrin mais fini par s’emmêler les pinceaux dans ses gestes. Le ballon franchi la ligne et fait exploser le Stade Olympique de Kiev.

Le buteur, Domagoj, se précipite à quelques encablures des lieux du crime, devant le secteur réservé aux ultras pour y escalader le panneau publicitaire. Les bras tendus devant ses fidèles, ses coéquipiers le rejoignent dans la foulée, Younès Belhanda le prend même sur ses épaules. La tribune ne se fait pas prier pour devenir rouge de fumigènes. Enfin, le Shakhtar a fini par plier !

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Pourquoi tant de louanges, tant de vénération pour le défenseur croate qui n’a fait que son boulot, placer sa tête pour inscrire un but ? Pas le plus beau de sa carrière en plus. Plus qu’un but en championnat, c’est une véritable libération qu’a offert Vida à tout un club, à toute une ville qui n’avait appris qu’à baisser la tête ces cinq dernières années. Le Croate signe le retour du Dynamo Kiev sur le devant de la scène, trois ans et demie après leur dernière victoire, dans un match où Oleg Gusiev et Andriy Shevchenko s’étaient distingués. Le latéral ne manquera pas de se faire remarquer une nouvelle fois face à son ennemi préféré en inscrivant un doublé face à ce même Shakhtar, offrant par la même occasion la Coupe d’Ukraine à son club et à ses fans. Bête noir de Donetsk ? Il faut dorénavant rajouter le nom de Domagoj Vida parmi les héros du « Classico » ukrainien.

Les adieux du guerrier

© kp.ua

Après avoir soulevé tous les trophées ukrainiens possibles et accompli ses missions sur tous les fronts de la défense, Domagoj tente une nouvelle aventure au Besiktas Istanbul, club qui le courtisait depuis un bon moment. Le président du Dynamo, Igor Surkis, lui donne un bon de sortie pour service rendu quand les ultras ne manquent pas l’occasion de lui rendre une partie de cet amour du maillot qu’il n’a cessé de montrer du premier au dernier jour. Et pour rappeler à tous, le combattant qu’il est, Vida laisse une dernière trace indélébile sur son maillot comme dans les cœurs. Lourdement touché à la tête lors d’un match de Ligue des Champions face aux Young Boys de Berne, le Croate n’accepte que de sortir du terrain le temps que le doc’ lui fasse un bandage. C’est le visage et le maillot maculé de sang que le taulier de la défense revient sur le rectangle vert terminer le job, brassard de capitaine vissé au bras. L’abnégation et le sens du devoir éclipsant la souffrance physique, c’est avec des guerriers que l’on part à la guerre.

Damien F. et Remy Garrel 

 

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