Tout au long du mois de mai, Footballski brosse le portrait d’entraîneurs hongrois qui, à différents moments du XXe siècle, sont partis exercer leur métier à l’étranger. Attirés par le goût de l’aventure ou fuyant un antisémitisme galopant, tous ont laissé une trace loin de chez eux. Une trace parfois indélébile et, surtout, souvent méconnue. Septième épisode de notre série avec József Szabó, le plus ukrainien des Hongrois.

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Difficile de se repérer lorsque l’on se renseigne sur József Szabó. On trouve d’emblée plusieurs manières d’écrire et de prononcer le nom de cet enfant de la Transcarpatie, une région qui changea de maître plusieurs fois au cours de son histoire. József, Yozhef puis Szabó et Sabo, selon qu’on l’écrive à l’ukrainienne, à la soviétique ou à la hongroise. S’il est le plus hongrois des Ukrainiens, l’inverse est aussi vrai. C’est à travers ses trois nationalités que l’on découvre la carrière de József Szabó, une des figures les plus emblématiques du Dynamo Kiev.

Le Royaume sans roi

József Szabó naît le 29 février 1940 à Ungvár, dans le Nord-est du Royaume de Hongrie. Le « Royaume sans Roi » même, puisque depuis 1920 la Hongrie est dirigée par l’amiral Miklós Horthy, un militaire nationaliste qui a combattu les communistes après la Première Guerre mondiale. Le régent, sympathisant fasciste, se rapproche d’Adolf Hitler dans les années 1930 et agrandit par la suite son Royaume sans intervention militaire. Grappillant des territoires voisins à la faveur des arbitrages de Vienne en 1938. La Seconde Guerre mondiale éclate et la Hongrie rejoint naturellement les forces de l’Axe.

A l’instar de l’Empire des Habsbourg, le Royaume de Hongrie doit composer sur son territoire avec une foule de nationalités différentes. La région natale de József Szabó est en effet peuplée de Russes, d’Ukrainiens, d’Allemands et de Slovaques. Parmi eux, les Hongrois sont en réalité les moins nombreux. Malgré tout, l’enseignement se fait en hongrois uniquement. Le russe est volontairement mis de côté dans les écoles et les administrations. Après la mort de sa mère, le jeune József vit avec sa grand-mère obstétricienne et fréquente assidûment l’église grecque-catholique. Sur son lit de mort, sa maman lui avoue qu’il est en fait né un 29 février et non un 1er mars, comme cela est inscrit sur ses papiers. Le couple Szabó a préféré déclarer le 1er mars à l’administration pour trois raisons. La première pour que le petit József célèbre son anniversaire tous les ans, la deuxième car le 1er mars est un jour férié en Hongrie, célébrant la restauration de la monarchie et la dernière – qui va de pair avec la précédente – car l’Etat Hongrois offre 500 Pengö et l’ouverture d’un compte bancaire aux enfants nés à cette date.

En 1944, l’Union soviétique déclenche l’opération Bagration et déferle sur l’Europe centrale. La régence est renversée et le pays est mis sous la tutelle du Parti communiste local. Le 29 juin 1945, la région de Transcarpatie est cédée à l’Union soviétique est devient un oblast de la RSS d’Ukraine. La ville de Ungvár est désormais appelée Uzhgorod. Szabó devient par la même un citoyen de l’URSS. Il déclarera toute sa vie, sur le ton de la rigolade, « je n’ai pas quitté la Hongrie, c’est la Hongrie qui m’a quitté ».

Malgré la « soviétisation » des populations, József Szabó grandit au rythme des exploits des footballeurs hongrois. Sa patrie d’origine est toujours présente dans le cœur de cet enfant, qui se passionne pour le ballon rond à travers l’épopée de la Hongrie de Puskás à la Coupe du Monde 1954. Insatiable, il joue pour trois équipes différentes. Le club local de Kalush, l’équipe des boulangers d’Uzhgorod ainsi qu’au sein de l’Etoile Rouge, l’équipe de l’usine de meubles où travaille son père. A seulement 15 ans, Szabó impressionne parmi les adultes et se distingue par ses qualités physiques et son sens du but. A 17 ans, il est invité à se joindre à l’équipe professionnelle du Spartak Uzhgorod, ancêtre du Goverla Uzhgorod, pour un salaire de 140 roubles qui lui paraît être une véritable fortune. Il ne tarde pas à remporter son premier titre, de champion de D4, avec le Spartak en 1958.

C’est à cette époque que Szabó est pris sous l’aile de Zoltan Derfi, un entraîneur lui aussi hongrois que toute l’équipe appelle affectueusement « Oncle Zoli » (Zolibachi). Il voit en lui un joueur promis à une belle carrière, ce qu’il explique à sa famille lorsque le jeune prodige est frappé par une pneumonie. Maladie dangereuse à l’époque, ses proches souhaitent qu’il mette un terme au football pour préserver sa santé. Derfi lui assure qu’au contraire, leur petit doit persévérer dans cette voie tant il est convaincu d’en faire un grand joueur.

L’année suivante, Vyacheslav Solovyov est nommé à la tête du Dynamo Kiev et entend bien bâtir son équipe sur une base jeune et prometteuse. Szabó est appelé dans la capitale pour faire partie de l’aventure, en première division. Même si la Transcarpatie est, depuis plus de dix ans, intégrée à l’Ukraine, on y parle toujours le Hongrois au quotidien. Szabó fait ses valises direction Kiev. Il ne maîtrise pourtant pas le russe.

Fils, tu joueras au football

Le jeune milieu de terrain rejoint la promotion 59 du Dynamo Kiev, qui compte entre autres talents Valeriy Lobanovskyi, Oleg Makarov, Oleg Bazylevych, Yuri Voïnov et Andriy Biba. Alors qu’il n’est pas sûr d’être conservé dans l’équipe à l’issue des matchs de préparation, Szabó est jeté dans le grand bain lors d’une rencontre amicale contre Tottenham. A l’issue du match Yuri Voïnov, considéré comme un des meilleurs milieux du pays, lui tape sur l’épaule et lui dit « fils, tu joueras au football ». Voïnov ne s’est pas trompé, Szabó intègre la colonne vertébrale du Dynamo Kiev.

Il apprend beaucoup au contact d’entraineurs de renom comme Solovyov ou plus tard Viktor Maslov. En 1965, il est appelé en sélection et reçoit le titre de Maître honoraire des sports de l’URSS. Il s’illustre avec le maillot CCCP lors du Mondial 1966, en Angleterre, où il retrouve sur la pelouse ses « anciens » compatriotes hongrois. Ce match est l’occasion pour lui de renouer avec sa patrie d’origine. Les cadres de la sélection hongroise savent parfaitement que ce jeune milieu prometteur est né à Ungvár. A cette époque, le club de Ferencváros, mené par l’élégant Flórián Albert, tutoie les sommets européens et Szabó est tout de suite approché après la rencontre. Il doit cependant décliner l’offre, de peur de fâcher les Soviétiques. Un transfert à l’étranger, même dans un pays ami, serait mal vu et potentiellement problématique pour sa famille en Ukraine.

© ua-football.com

Après 246 matchs sous le maillot du Dynamo Kiev, Szabó rejoint pour une saison le Zarya Lugansk avant de répondre à l’appel de Konstantin Beskov, coach et légende du Dinamo Moscou. Pour sa dernière saison en tant que joueur, il échoue malheureusement dans sa conquête d’un titre européen. Le Dinamo Moscou s’incline 3-2 au Camp Nou en finale de C2 face aux Glasgow Rangers. Une rencontre disputée en Espagne franquiste et qui restera entachée de nombreuses controverses, notamment l’invasion du terrain par les supporters écossais alors que le match n’était pas terminé.

Szabó raccroche les crampons en 1972 mais ne s’éloigne pas des terrains. Il a appris aux côtés d’entraîneurs prestigieux durant toute sa carrière et c’est donc logiquement sur un banc de touche que l’aventure se poursuit.

Le football d’abord

József Szabó entame sa formation de coach dans une académie supérieure spécialisée. Il en sort diplômé en 1977 et prend les rênes du Zarya Lugansk, devenu Zarya Vorochilovgrad. Le club se classe 9e sur 16. L’année suivante, il effectue un rapide passage au SKA Kiev en D3, avant de prendre la tête du Dnipro Dnipropetrovsk. Le club ukrainien est malheureusement relégué en D2 à l’issue de l’exercice 1978. La saison suivante n’est guère plus brillante, avec une 17e place sur 24 en seconde division.

Szabó est débarqué est va manger son pain noir durant quatorze années. Aucun poste de coach ne lui étant proposé, il s’attèle alors à la mise en place de complexes sportifs dans la ville de Kiev. C’est dans la capitale ukrainienne qu’il va connaître une seconde naissance. Car entre temps, l’URSS s’est effondrée et l’Ukraine indépendante s’est dotée de son propre championnat. Après avoir été hongrois et soviétique, il reçoit un passeport ukrainien. A la suite d’une première édition du championnat remportée par le Tavria Simferopol, le Dynamo repasse la première avec un titre en 1992-93. La saison suivante, Szabó est appelé sur le banc du club qui l’a vu éclore. Il succède à Mykhailo Fomenko partit entraîner le Veres Rivne et la Guinée.

C’est avec une équipe redoutable qu’il rencontre ses premiers succès de coach, remportant le championnat par deux fois ainsi que la Coupe d’Ukraine. Il s’installe véritablement dans le paysage et passe pour un entraîneur apprécié par ses hommes malgré une certaine dureté dans ses méthodes. Intransigeant sur la forme physique de ses troupes, il s’illustre surtout pour s’être opposé au mariage des joueurs. Le football d’abord, les femmes ensuite.

Mentor de Shevchenko

A l’automne 94, les qualifications pour l’Euro 96 se passent mal pour la sélection ukrainienne qui s’incline à la surprise de tous contre la Lituanie. Le sélectionneur Oleg Bazylevych est fortement critiqué et doit quitter son poste. La Fédération Ukrainienne de Football propose alors le poste à József Szabó qui prend ses fonctions fin septembre. Le nouveau sélectionneur s’appuie sur la colonne vertébrale du Dynamo, son Dynamo, avec les sélections de jeunes pousses comme Serhiy Rebrov, Andriy Shevchenko et Oleksandr Shovkovskiy.

C’est bien lui qui voit le talent du jeune Shevchenko. Il le prend sous son aile à 17 ans et commence à tailler ce diamant brut. Selon lui, Shevchenko ne jouait à l’époque pas mieux que les autres mais présentait un potentiel énorme. Il n’avait peur de rien, et surtout pas des défenses adverses. Szabó lui fait travailler son physique et lui inculque la discipline, aussi bien sur le terrain qu’en dehors. Sous son commandement, pas question de voir un attaquant râler après avoir manqué une action. C’est la tête haute que l’on repart au combat. Szabó expliquera des années après qu’il a littéralement tiré « Sheva » du mauvais chemin car à cette époque, le jeune attaquant fumait et s’était entiché d’une femme de dix ans son aînée.

Szabó cède sa place sur le banc au moment du retour du grand Valeriy Lobanovskiy, en 1997. Trois ans plus tard, il devient vice-président du club et s’attache à développer la détection et la formation des jeunes. Il modernise les installations et les académies de football du club de la capitale. Il retourne sur le banc en 2004, après la mort de Lobanovskiy en 2002 et l’intermède de deux saisons d’Oleksiy Mykhaylichenko. L’occasion de décrocher un dernier titre avant de tirer sa révérence.

Après une carrière de joueur, de coach et de vice-président, il ne manquait à Szabó que celle de consultant pour la télé. Il est aujourd’hui un incontournable des plateaux de télévision ukrainiens, où il commente les matchs et apporte ses fines analyses. József Szabó reste un homme respecté et écouté en Ukraine, de par son parcours avec les plus grands et ses succès au Dynamo. Sa vision du coaching est toujours très appréciée au pays et continue de faire des adeptes. Comme un symbole du passage de témoin entre élève et professeur, c’est désormais son ancien poulain Andriy Shevchenko qui mène aujourd’hui la sélection nationale.

Rémy Garrel

Image à la Une : © Footballski

1 Comment

  1. Nicolas cavoleau 10 juillet 2020 at 18 h 38 min

    Encore un article passionnant ! Merci footballski !!!

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