Tout au long du mois de mai, Footballski brosse le portrait d’entraîneurs hongrois qui, à différents moments du XXe siècle, sont partis exercer leur métier à l’étranger. Attirés par le goût de l’aventure ou fuyant un antisémitisme galopant, tous ont laissé une trace loin de chez eux. Une trace parfois indélébile et, surtout, souvent méconnue. Huitième et dernier épisode de notre série avec Ferenc Puskás, devenu coach globe-trotter après avoir raccroché les crampons.
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En Hongrie comme au Real Madrid, l’image laissée par le Ferenc Puskás joueur reste intacte. Mais on en viendrait presque à oublier que le « Major galopant » a ensuite été entraîneur pendant plus de 25 ans. Une carrière marquée par de nombreux voyages, effectués afin de diriger des équipes aux quatre coins du monde. Et par un authentique exploit : avoir guidé le Panathinaïkos jusqu’en finale de la coupe d’Europe des Clubs champions en 1971.
Cet article a été publié le 16 novembre 2016.
« Ce fut une période difficile de sa vie. Je ne dis pas qu’il était toujours dehors, ou qu’il buvait trop, mais il n’arrivait pas à trouver sa place et essayait de se consoler en passant ses soirées avec ses amis. Il a commencé à prendre du poids aussi. C’était un gros traumatisme pour lui. » C’est en ces termes qu’Erzsébet Puskás évoque la difficile fin de carrière de son mari. En mai 1966, après une troisième finale de C1 remportée avec le Real Madrid, Ferenc Puskás, 39 ans, décide de raccrocher les crampons. Définitivement. S’ensuit une période de déprime, au cours de laquelle l’ancien buteur prolifique du Honvéd cherche désespérément à tuer le temps. Puis, assez rapidement, un projet naît dans son esprit : devenir entraîneur.
Jouissant toujours d’une grande notoriété sur le territoire espagnol où il réside avec son épouse et sa fille, le natif de Budapest sait qu’il n’aura pas de mal à trouver un club prêt à le laisser s’asseoir sur le banc de son équipe première. Il y a néanmoins un élément à prendre en compte : en Espagne, obtenir un diplôme d’entraîneur nécessite de suivre, au préalable, une formation de deux ans. Mais Puskás n’est pas n’importe qui. Il est autorisé à exercer en même temps qu’il suit ses cours. Pancho (l’un de ses surnoms) commence sa carrière sur le banc d’Herculés Alicante, en deuxième division.
1967, une expérience avortée au Canada
Quelques mois plus tard, toujours en 1967, une offre des plus alléchantes parvient jusqu’aux oreilles de celui qui fut la figure de proue du « Onze d’Or » hongrois. Les dirigeants des San Francisco Golden Gate Gales lui proposent de devenir directeur sportif du club. Le football professionnel en est alors à ses balbutiements aux Etats-Unis et les contrats proposés peuvent être assez juteux. Mais l’instabilité règne également. Le temps que l’intéressé prenne sa décision, la franchise de San Francisco a fusionné avec… les Vancouver Royals, au Canada. Moyennant un salaire de 90 000 dollars sur trois ans, Puskás s’envole donc pour la Colombie-Britannique.
Outre-Atlantique, l’expérience vécue par Öcsi (un autre de ses surnoms) est plutôt mitigée, notamment à cause de querelles internes. Propulsé au poste de directeur sportif par les Américains, il aurait ainsi volé la vedette à Sir Bobby Robson, soutenu par la partie canadienne du club. Malgré tout, le binôme hongrois formé par Puskás et József Csabai (l’entraîneur) tente de bâtir une équipe compétitive. Celle-ci n’a, malheureusement, guère le temps de montrer ce qu’elle vaut. Rattrapée par une situation économique très précaire, la franchise doit brutalement mettre la clé sous la porte. Dès 1968, Ferenc Puskás est de retour à Madrid.
« Si nous allons jusqu’en finale, la moitié de la Grèce sera à vous »
Après quelques mois passés sur le banc du Deportivo Alavès (1968-1969), Pancho reçoit une nouvelle proposition en provenance de l’étranger. Tout fraîchement sacré champion de Grèce, le Panathinaïkos se retrouve sans coach après le départ de Lakis Petropoulos pour le poste de sélectionneur national. Désabusé par ce départ inattendu, Kitsos Mihalis, le président du club, fait jouer ses relations pour contacter le Real Madrid. Son objectif est d’attirer José Santamaría, mais celui-ci est déjà engagé auprès de l’équipe d’Espagne U21.
Les Merengues susurrent alors le nom de Ferenc Puskás. Mihalis tente le coup et propose à la légende hongroise de venir à Athènes. Au moment de négocier son contrat, Puskás demande l’introduction d’une clause selon laquelle plus le club ira loin en Coupe d’Europe des Clubs champions, plus on lui versera des primes importantes. Le président, qui pense honnêtement que son équipe ne fera pas long feu sur la scène européenne, accepte sans poser de question. « Si nous allons jusqu’en finale, la moitié de la Grèce sera à vous, » dit-il même sur le ton de la rigolade.
Pourtant, le miracle est en marche. A la tête d’une formation composée de joueurs semi-professionnels, de travailleurs et d’étudiants, Ferenc Puskás se lance à la conquête de l’Europe. Les Luxembourgeois de La Jeunesse d’Esch sont facilement écartés (2-1, 5-0), puis c’est au tour du Slovan Bratislava, vainqueur de la Coupe UEFA en 1969, de subir les foudres du Pana (3-0, 1-2). En quarts de finale, les Grecs éliminent Everton (1-1, 0-0), mais leur plus grosse performance a lieu lors des demies. A Belgrade, les Verts sont balayés par l’Etoile rouge (4-1). « Si Dieu s’endort pendant quelques instants, peut-être que nous avons une chance de nous qualifier, » déclare Puskás à ses joueurs avant le match retour. Nul ne sait si le Tout-Puissant s’est effectivement assoupi, mais toujours est-il que le Panathinaïkos s’impose 3-0, compostant par la même occasion son billet pour la finale.
Major galopant contre Hollandais volant
Le rendez-vous est fixé à Wembley, le 2 juillet 1971. En face, l’Ajax Amsterdam de Rinus Michels, qui compte dans ses rangs deux Johan de grand talent, Neeskens et Cruyff. Etudiant en médecine, Frangiskos Sourpis débute la rencontre en défense centrale. Avant le coup d’envoi, Puskás lui dit ces quelques mots : « Tu vas t’occuper de Cruyff. Ce sera l’un des plus beaux après-midi de toute ta vie. » Cueillis à froid par un but de Van Dijk dès la cinquième minute de jeu, les joueurs du Pana tiennent ensuite la dragée haute aux Néerlandais, ne cédant à nouveau qu’en toute fin de match (2-0). Un résultat anecdotique pour le coach Puskás, qui a réussi un improbable exploit : guider un club grec jusqu’en finale de la plus prestigieuse des compétitions européennes. Une performance qui n’est plus jamais arrivée depuis.
Pancho reste en Grèce jusqu’en 1974. Son humilité et sa générosité naturelle en font quelqu’un de très apprécié, dans le vestiaire comme en-dehors. De retour dans la capitale hellénique en 1978-1979, pour y coacher l’AEK Athènes, l’entraîneur magyar est démis de ses fonctions deux semaines avant la fin du championnat, ses dirigeants espérant ainsi ne pas avoir à lui verser la prime due en cas de sacre national. L’affaire se poursuit devant les tribunaux, et Puskás finit par récupérer 10 000 dollars de dommages et intérêts. Une somme qu’il reverse intégralement à Marsellos Mimis, un restaurateur chez lequel il avait l’habitude d’aller dîner.
Sur tous les continents
Entre le milieu des années 1970 et le début des années 1990, le Major galopant n’hésite pas à voyager vers des destinations pour le moins exotiques. L’une d’entre elles est l’Arabie saoudite, où il est, de manière éphémère, sélectionneur national (1976-1977). Profitant de son aisance en espagnol, Pancho fréquente également des bancs d’Amérique latine, chez les Chiliens de Colo-Colo puis au Paraguay, du côté du Club Sol de América et de Cerro Porteño. Entre 1979 et 1982, Puskás est en Egypte, où il entraîne Al-Masry. Ce voyageur chevronné prend ensuite la direction de l’Australie, pour devenir coach de South Melbourne. Vainqueur de la coupe nationale lors de sa première saison, il remporte le championnat national la saison suivante. En dépit de ces derniers résultats, les expériences de l’entraîneur Öcsi, souvent éphémères, sont rarement couronnées de succès. En 1992, après avoir exercé sur les six continents, il choisit de rentrer en Hongrie.
Parti en exil après l’insurrection de Budapest, en 1956, Ferenc Puskás a l’occasion de retourner dans son pays natal en 1981, le gouvernement ayant levé les charges pesant sur lui. Mais il ne s’y réinstalle de manière durable qu’au début des années 1990, une fois le régime communiste renversé. L’équipe nationale hongroise est alors au plus bas. En 1993, le sélectionneur Imre Jenei jette l’éponge. La Fédération, gangrenée par de grosses tensions en interne, dirige son regard vers l’ancienne gloire du Honvéd et lui propose le poste désormais vacant. Puskás accepte, mais seulement pour les quatre rencontres à venir. Son bilan est de trois défaites et une victoire de prestige, lors d’un match amical en Irlande (2-4). Les Hongrois sont pourtant menés 2-0 à la mi-temps. « Öcsi est arrivé dans le vestiaire et a dit, avec une pointe de colère dans la voix : « Vous aussi vous savez comment marquer, putain ! », avant de tourner les talons. Il avait raison, nous en avons mis quatre en seconde période, » raconte Gábor Márton, milieu de terrain magyar. Son coéquipier Flórián Urbán, lui, garde une autre image en mémoire :
« Quand je repense à l’accueil que le public irlandais lui a réservé, j’ai la chair de poule. C’était glaçant. Le stade entier était debout et applaudissait. Un jour, j’aimerais voir un footballeur être célébré en Hongrie comme Öcsi Puskás l’a été en Irlande. »
Le 16 juin 1993, le Major galopant met un terme définitif à sa carrière d’entraîneur. Celle-ci l’a donc conduit de l’Espagne jusqu’à l’Australie, en passant notamment par le Canada, le Paraguay et l’Egypte. Puskás a 66 ans, l’âge de prendre une retraite paisible. Et de laisser de côté son passeport, criblé de tampons.
Raphaël Brosse
Image à la Une : © Rémy Garrel
Toutes les citations sont extraites de l’ouvrage Puskás : Madrid, Magyars and the Amazing Adventures of the World’s Greatest Goalscorer, de György Szöllősi (First Editions, 2015).
Y-a-t-il eu dans l’histoire du football un joueur autant aimé que lui ?