Chez Footballski on aime bien le foot mais pas que. On fait parler ceux qui y jouent et c’est normal, on fait parler ceux qui font jouer (les entraîneurs), on s’intéresse à ceux qui viennent voir jouer leur équipe, mais on aime bien aussi discuter avec ceux qui ont choisi d’étudier le football comme objet de société. Olga Ruzhelnyk est doctorante à l’Université de Nanterre depuis un an et s’intéresse à la façon dont les ultras et plus largement les supporters ukrainiens participent à la création d’une identité nationale ukrainienne, particulièrement après la révolution de Maïdan et la situation en Crimée et dans le Donbass. C’est donc avec plaisir que nous avons échangé longuement avec elle sur son sujet à proprement parler mais aussi sur la façon dont on mène ses recherches sur un sujet si particulier. Entre sociologie et sciences politiques, son travail s’attache ainsi à démontrer le rôle qu’ont eu les ultras ukrainiens dans ces conflits, et comment ce rôle change également la façon dont ils sont perçus en Ukraine.
Dans cette première partie nous abordons le travail délicat de doctorant et le choix d’un tel sujet. Entre Maïdan, engagement humanitaire et Andreï Shevchenko.
Lire aussi : Euromaidan, le rôle citoyen des ultras et la futilité du football
Tu prépares actuellement une thèse sur le supporterisme en Ukraine et le rôle des supporters dans la vie politique, c’est bien ça ? Ce qui s’est passé à Maïdan est le départ de ce questionnement ?
Oui, actuellement je vais me concentrer sur la façon dont une nation se construit et comment l’identification à cette nation se fait, et quelle est le rôle des fans de football là-dedans. Bien entendu, en 2014 à Maïdan, ils ont joué un rôle très très important. Mais ce n’était pas juste un engagement de deux mois, ça a commencé même bien avant et il faut comprendre que maintenant, les supporters sont super-politisés. En 1957 par exemple, le Dynamo Kiev et le Spartak Moscou s’affrontaient pour la finale de la coupe d’URSS. Le Dynamo a gagné et les supporters ukrainiens avaient des exemplaires du journal Soviet Sport, un symbole de l’union soviétique, qu’ils ont commencé à brûler. C’est quelque chose de symbolique qui s’est amplifié par la suite. Ça a ensuite vraiment commencé avec la perestroïka, à partir de 1986, quand beaucoup de libertés ont commencé à être données au peuple, et les fans ont été très actifs pour s’en emparer. Un an avant l’indépendance en 1989/1990, on a commencé ainsi à voir des drapeaux Bleu et Jaun dans les tribunes, et le public chanter l’hymne qui deviendra celui de l’Ukraine en 1992. Ensuite, pendant Maïdan, ça a évidemment été un pic d’engagement pour les fans mais ça continue encore aujourd’hui. Donc j’étudie la période complète, pas seulement Maïdan. Pour cela, je vais étudier les exemples des ultras du Metalist Kharkiv, Dnipropetrovsk, Odessa, Lviv, Dynamo Kiev. Et au Shakthar, je vais essayer de les interroger mais le problème c’est que pour beaucoup, ils sont actuellement à la guerre.
Combien de temps cela va-t-il te prendre ?
Normalement, encore deux ans mais j’ai eu une bonne nouvelle : la Fifa est intéressée par mes recherches et serait prête à en financer une partie. Cette année, je vais être plutôt sur le terrain, en mars je vais aller en Ukraine par exemple en essayant de recueillir des informations à Kharkiv et Kiev. Et peut être à Marioupol, ça serait super intéressant parce que beaucoup d’ultras sont engagés dans le bataillon Azov. Ils ont une très bonne réputation parmi les combattants, ils sont connus pour être très impliqués dans les combats. J’ai des contacts pour interviewer quelqu’un du bataillon et connaître un peu mieux les raisons qui poussent tant de fans de football à s’engager volontairement sur le front.
Le sujet exact de ta thèse c’est donc « Supporterisme, nationalisme et engagement en politique : analyse et identification d’une nation », mais il n’y est pas fait mention du nom « ultras », pas de hooligans non plus ? Pourquoi ?
Oui, le sujet c’est complètement les ultras, mais je ne voulais pas le mettre dans le titre, parce que ça amène beaucoup trop de questions de prime abord. « Ah on parle des Italiens alors ? » par exemple. Donc je préférais expliquer d’abord dans ma thèse ces notions de ultras et supporters, les sous-cultures particulières qui sont rattachées, leurs valeurs, et les pratiques qui y sont associées.
Lire aussi : Ultras Dynamo Kiev, un mode de vie – Partie I – Partie II – Partie III – Partie IV
Tu as commencé à travailler sur ce sujet en 2013 ?
En 2011 en fait, quand j’étais en Ukraine, j’ai commencé à travailler sur le sujet des fans de football, c’était mon sujet de mémoire. Puis je suis allé en République Tchèque, à Brno, et j’y ai fait une comparaison des sous-cultures entre les fans de foot en République Tchèque et en Ukraine. A l’époque, je n’avais pas encore intégré la composante politique, je me concentrais plus sur l’aspect sociologique, c’est-à-dire ce que signifie appartenir à ces groupes, la formation d’une communauté, etc., des choses beaucoup plus théoriques. Mais maintenant, mes recherches sont plus axées sur l’engagement politique.
Il semble que ton intérêt pour le football et ses fans est donc assez vieux ?
Oui bien sûr (sourire), l’Ukraine, début 2000… Andrei Shevchenko. Toute l’Ukraine regardait le championnat italien. J’étais une petite fille de 12 ans et dans ma famille, mes cousins, tout le monde regardait la TV non stop pour le regarder. Même si vous n’aimez pas le foot au départ, quand vous le regardez sept jours sur sept, vous vous y intéressez fatalement. La Juventus à l’époque était mon équipe préférée quand j’étais adolescente, avec Alessandro Del Piero… Donc j’ai choisi mes recherches par rapport à ça par la suite. Il faut choisir quelque chose qui vous plait, j’ai donc choisi le football.
Comment se passe ta recherche ? Tu vas au stade, fais des interviews ?
Voilà, aller au stade, rencontrer les fans, utiliser l’observation. C’est une recherche qualitative mais je vais aussi utiliser l’analyse sémantique, en regardant par exemple sur les réseaux sociaux et notamment Vkontakte, très populaire à l’Est pour les groupes ultras. C’est majoritairement une recherche qualitative avec un peu de quantitatif, mais pas vraiment avec des questionnaires à proprement parler.
Ce n’est pas un problème de travailler sur quelque chose pour lequel tu as un certain lien affectif ?
J’aime le football mais je n’ai jamais vraiment été une fan. Je me concentre sur le supporterisme mais surtout sur les ultras, ce qui est très différent. Quand je vais voir des matchs, par exemple le PSG au Parc des Princes, je suis une simple spectatrice, j’aime le football simplement.
Pour faire ta thèse tu es donc venue à Nanterre ? C’était la meilleure destination pour tes recherches ?
Je viens d’une ville qui est proche du front en Ukraine et en 2014, quand la guerre a commencé, un choix s’imposait et il fallait décider de la façon dont on peut aider notre pays. Dans un premier temps – j’étais très révolutionnaire après Maïdan – j’ai commencé à travailler au UNHCR. Un bon travail mais je pense que j’étais un peu jeune, j’avais 23 ans pour faire ce type de travail, aller dans les zones de combat, etc. Donc je suis retourné à mes recherches, j’étais déjà allé à Brno en République Tchèque et je cherchais à poursuivre mes études au niveau européen. Or, il faut bien dire qu’en Europe, l’école doctorale française est considérée comme une des meilleures – pas forcément en ce qui concerne les niveaux master mais pour les doctorats en tout cas, parce qu’il y a un très bon niveau d’enseignement et de recherche. Et pour un doctorant, c’est très important la personne référente pour vos travaux. Donc je me suis renseigné et j’ai trouvé Olivier Le Noé qui est devenu mon directeur de thèse.
Pourtant on sait qu’en Allemagne voire en Angleterre, le football et les supporters sont étudiés depuis bien plus longtemps qu’en France. Pourquoi avoir tout de même choisi la France ?
Et bien c’était aussi dicté par des considérations financières. Je voulais poursuivre en Europe et la France m’offrait le meilleur « rapport qualité-prix ». Vous payez moins cher et vous avez un des meilleurs enseignements. Mais je ne suis pas d’accord sur le niveau d’enseignement en France comparé aux autres pays européens, il est vraiment très bon, prenez Patrick Mignon, Christian Bromberger, Ludovic Lestrellin, c’est des top chercheurs. En fait, au Royaume-Uni par exemple, le supporterisme a été un phénomène bien plus important qu’en France. En Allemagne aussi, beaucoup de sous-cultures comme celle des skinheads ont bien plus infusé parmi les supporters, donc il était normal que les chercheurs s’y intéressent plus dans ces pays. C’est ce qui s’est passé en France avec l’après-1998 où le football est réellement devenue une question sociale, ce qu’il n’était pas avant cela. Aujourd’hui également, c’est peut-être moins intéressant d’étudier ces pays que les pays d’Europe de l’Est. En Pologne, Ukraine, Russie, les pays Baltes, la Yougoslavie, la question est très importante, les pratiques sont très diverses. La question du hooliganisme par exemple n’a plus trop d’intérêt en Europe Occidentale mais elle est très présente à l’Est, donc peut-être aussi que les chercheurs en France vont commencer à se tourner vers l’Est.
Dans l’ancien bloc de l’Est, est-ce que des chercheurs russes, ukrainiens, polonais, etc. travaillent actuellement sur ces questions ?
Tout d’abord, la recherche en sociologie était interdite sous l’union soviétique, donc avant 1991 il n’y avait rien. La sociologie était un peu considérée comme de l’astrologie, il faut le comprendre. Donc quand la sociologie s’est développée, c’était juste après l’indépendance de l’Ukraine. La transition d’une république parmi les autres en URSS à une entité indépendante, c’était extraordinaire pour les sociologues. Donc les phénomènes de fanatisme étaient plutôt ignorés, parce qu’il y avait déjà des dizaines de sujets intéressants à explorer. Puis Maïdan est arrivé, c’était il y a 2 ans, et à partir de ce moment-là, la communauté scientifique a commencé à s’y intéresser. C’est donc vraiment le moment d’étudier ce phénomène actuel.
Lire aussi : On a discuté avec Andrei, capo des ultras du Dynamo Kiev
Passons maintenant à votre travail en particulier, qu’est-ce qui fait la particularité des ultras ukrainiens ?
Eh bien ils sont homogènes et en même temps hétérogènes. Il y a l’Ouest, il y a l’Est et ils sont différents dans leurs pratiques. L’Est est influencé par la Russie, mais ça vient d’il y a des dizaines d’années. Vous savez, le supporterisme et le fanatisme actuels, ça a commencé en Angleterre puis ça s’est répandu en Europe, et en Union Soviétique un des seuls moyens d’être en contact avec le reste de l’Europe, c’était les matchs internationaux, or à cette période les meilleures équipes venaient de Moscou pour l’URSS. Donc le CSKA, le Spartak sont allés en Europe jouer des matchs, et leurs supporters aussi, qui ont donc vu ce qui se passait avec les supporters adverses et ont donc commencé à reproduire ces pratiques chez eux. Puis ils ont reproduit cela dans le championnat soviétique, par exemple lors des matchs Spartak Moscou vs. Dynamo Kiev, c’était toujours un grand match attendu, et les supporters de Kiev ont commencé à reproduire ce que faisaient les Moscovites qu’ils avaient eux-même recopié les Anglais. La partie occidentale est plus influencée par la Pologne en fait, mais plus depuis l’indépendance. Puis Maïdan est arrivé et tous ces groupes ont alors signé un accord de non-violence, ils ont marché, combattu ensemble. Selon moi, si les supporters ont pu se réunir à ce moment-là c’est que d’une certaine manière, ils ont davantage de points communs que de différences. Les différences se font plutôt au sujet des pratiques mais la mentalité est la même. Certains sont plus à droite, d’autres à l’extrême droite. En revanche, il n’y a plus de groupe de gauche maintenant. Il y avait ceux de l’Arsenal Kiev, mais il a fini par être englouti par l’influence du Dynamo.
» Quand vous êtes supporters, vous avez toujours besoin d’une opposition. Donc quand le pays est en danger, l’ennemi est très bien défini. Avant Maidan la rhétorique utilisée dans les stades était assez raciste, antisémite par exemple, et là on est passé à quelque chose de clairement anti-russe. Parce qu’aujourd’hui c’est l’ennemi, l’ennemi est extérieur et non plus intérieur. «
Lire aussi : Arsenal Kiev, le petit qui veut rebondir
Tu penses que tu aurais fait cette thèse sans Maïdan ?
Je pense que j’aurais continué à travailler dessus mais avec des sujets différents. J’aurais continué avec un angle plus sociologique, les sous-cultures du supporterisme, quelle est leur unité, mais sans les liens politiques. Je pense qu’avec Maidan, tout est devenu si facile à étudier, si évident que je ne pouvais pas passer à côté. Donc il me reste deux ans, j’aimerais poursuivre avec une comparaison sur les fans turcs d’Istanbul, lorsqu’ils se sont unifiés sur la place Taksim. L’Egypte a été un des premiers cas où les ultras se sont unis pour une révolution. Et bien sûr, la première fois où les ultras ont été impliqués dans une guerre, c’était en Yougoslavie. Au final, c’est intéressant d’étudier l’Ukraine parce que c’est une synthèse des trois situations : des ultras qui s’unissent pour un but commun, finissent par mener une révolution, et maintenant sont actifs sur un front de guerre.
Pour conclure cette première partie, pour beaucoup de Français qui ne connaissent pas trop le football ukrainien, l’une des choses qui reste en tête c’est quand Guingamp est venu jouer à Kiev contre le Dynamo et que ses fans ont été attaqués dans leur parcage. Est-ce que tu connais la situation ?
Oui je vois très bien, et c’est assez honteux. Il faut se dire que fin 2014, donc juste après Maïdan, il y a eu un scandale quand Saint-Etienne est venu jouer en Ukraine (à Dnipropetrovsk, en Europa League). Les fans de Saint-Etienne ont voulu faire de la provocation et ont voulu brûler un drapeau ukrainien dans les rues, ce qui a été vu comme un outrage énorme pour les fans locaux. (Cette version a été démentie par les groupes stéphanois dans un communiqué, NDLR.) Et quand Guingamp est venu, les supporters étaient à l’affût du moindre geste de provocation de la part des Français. Là, les supporters de Guingamp ont voulu sortir des drapeaux français cette fois-ci. Sauf que la couleur du drapeau français, bleu blanc rouge… c’est la même que le drapeau russe… donc ils ont pensé que les fans français les provoquaient encore une fois avec des drapeaux russes et ils leur ont sauté dessus. Je pense que c’est vraiment un manque de culture de la part des supporters ukrainiens, surtout qu’on parle de Guingamp, il n’y avait même pas d’ultras.
Antoine Gautier & Julien Duez / Tous propos recueillis par Antoine Gautier et Julien Duez pour Footballski
Image à la une : © Footballski.fr
Faut qu’ elle vérifie ses sources avant de lancer des infos . Aucun drapeau ukrainien brûle par les stéphanois. Simplement une bagarre qui a mal tourné pour les 100 français ( venue sans organisation à kiev ) face aux armes blanches et à feux du côté ukrainiens en pleine ville a 100m de la place maiden. Quand aux gas de Copenhague, Naples,guimgamp.les agressions se sont faites au stade. Faut bien se dire que la plupart des supporters français ne s’intéressent pas à se conflit cote ukrainiens comme côté russes. Aucun parti pris. La seule chose que l on peut voir de l extérieur c est que la politique ( très à droite ) est très très présenté chez les ultras et influencé énormément leur choix et leur symbole.
Cette bagarre fait suite au match aller, où une vingtaine de supporters ukrainiens ont été agressés par une centaine de supporters stéphanois … donc c’était une espèce de vengeance
Faut bien qu’elle se renseigne, ayant fait ce déplacement qui a mal tourné à Kiev je peux vous dire qu’aucun drapeau n’a été brûlé ! De plus elle est d’un manque de culture flagrant car à Guingamp on trouve les ultras du Kop Rouge 1993, de l’Armoric Clan et autres groupes ayant fait le dép a Kiev
Un peut simpliste comme analyse. Il ne faut pas minimiser le côté extrémiste de beaucoup de supporters Ukrainiens. Beaucoup s’engagent dans les bataillons AZOV (ou autres) et ont parfois pour exemple les nazis de la 2ème guerre mondiale. Exemple: lors du déplacement de l’ASSE à Kiev, ils ont été attaqués par les ultras (hooligans, …) du Dniepro au motif que les Stéphanois étaient communistes…
Aucun drapeau brulé à kiev, faut arrêter de sortir des conneries … Seuls les présent savent, et à priori toi tu n’y était pas petite olga. On oubli pas.
Pingback: On a discuté avec Olga Ruzhelnyk, doctorante et spécialiste des mouvements ultras en Ukraine - Partie 2 - Footballski - Le football de l'est
Pour répondre à tous les commentaires de « on oublie pas, etc » … fallait peut être pas agresser les ukrainiens à St Etienne avant le match aller, surtout que le rapport de force était très disproportionné (bien plus qu’à Kyiv). La violence provoque la violence…
A Kiev il y a des problèmes à tous les matchs européens, c’est juste des gars qui, porté par la tension actuelle et un elan de nationalisme ne peuvent pas retenir leurs violences et leurs haines, et se défoulent sur tout étranger venant.
C’est pas la peine de leur chercher plus d excuses que ca avec des histoires de provocations.
J’avais été très choqué au moment des agressions de Guingamp et surtout Sainté, étant moi même très patriote (et même un peu nationaliste je ne le cache pas ), j’ai été animé d une haine envers eux pendant un moment, mais maintenant c’est retombé et je les comprends et est même une petite symphathie pour ces ultras qui dérape si souvent mais qui aime leur pays plus que tout.
Quand je vois ce qu’il c’est passé à Lyon contre Besiktas je me dis que c’est dommage que les ultras français n’est pas pour une fois la mentalité des ukrainiens. Un tel laisser faire à domicile est juste une honte, et pourtant quand on pense que les Lyonnais sont les plus patriotes….
Ils ne défoulent pas leurs violences et leurs haines sur tout étranger venant … Mais y’a des choses qui se sont passées et dont j’ai déjà parlé.
Ce qui s’est passé à Lyon est honteux … le pire dans tout ça ce sont les supporters non ultras qui se sont retrouvés au milieu alors qu’ils ont rien demandé.
Paix à tout le monde les amis