La confusion entre Ultras et Hooligans est monnaie courante dans beaucoup de cercles médiatiques et énervent souvent les puristes, voir même les acteurs concernés. Il existe pourtant certains coins d’Europe de l’Est où les deux mouvements se marient parfaitement pour nous offrir un spectacle parfois génial parfois désolant. Entre violence, racisme, histoire et passion sur fond de nationalisme, Footballski vous emmène au cœur du mouvement ultra à Kiev. Deuxième partie.
Naftovik Stadium 2008, le vase déborde
C’est par une belle après midi du 20 avril 2008 que la petite ville d’Okhtyrka accueillit dans son modeste stade le grand Dynamo Kiev dans le cadre de la 26ème journée de championnat. Le club local, le FC Naftovik Okhtyrka, n’est alors qu’un petit club fraîchement promu parmi l’élite. Les habitants de la ville et les organisateurs sur place seront alors loin de se douter de ce qu’il allait leur arriver quelques heures plus tard.
Le stade est champêtre et vétuste, la configuration des installations n’était absolument pas adaptée à un match de première division. La sécurité était quant à elle totalement défaillante. Une aubaine pour les supporters du Dynamo qui ne vont pas manquer l’occasion de montrer qui ils sont et prendre leur revanche sur les forces de Police.
7500 supporters de la capitale vont faire le déplacement ce jour-là. Le secteur réservé aux fans visiteurs est plein à craquer puisque 750 personnes seront entassées dans un parcage prévu à l’origine pour 300. Le match démarre, le Dynamo survole la rencontre et la fiesta peut commencer. Les policiers positionnés en bas de la tribune visiteur sont pris à partie par les ultras, après les insultes viendront les fumigènes puis les sièges en plastiques. Très vite les policiers en civil qui tentaient de se fondre dans la masse seront démasqués et violemment agressés. Le match sera arrêté mais rien n’y fera, la pluie de projectile va s’intensifier et les ultras sonneront la charge. Les policiers seront forcés de battre en retraite à la course et de sortir de la tribune. Le premier round est remporté haut la main par les supporters de Kiev.
La police va alors appeler en renfort la milice. C’est armés de boucliers, de casques et de matraques que les CRS ukrainiens vont à leur tour sonner la charge pour repousser les ultras. L’assaut sera d’une brutalité extrême. Des supporters à terre matraqués par plusieurs policiers en même temps. Dans la panique, certains ultras vont même escalader le mur d’enceinte du stade afin d’échapper à la milice.
Les fans de Kiev vont franchir ce jour là un nouveau palier dans la violence. La petite ville d’Okhtyrka sera mise à sac, obligeant les commerçants du centre ville à fermer les rideaux de fer de leurs boutiques. Un choc pour les habitants, d’habitude bien loin de ces rencontres de première division à haut risque.
Les événements survenus encore une fois dans l’enceinte d’un stade vont choquer le pays tout entier et entretenir la haine réciproque entre les ultras de la capitale et les forces de l’ordre.
Pavlichenko, le malaise politique
L’affaire Pavlichenko va jeter une casserole d’huile sur le feu, ou plutôt sur le torchon déjà brûlant que se partagent les autorités ukrainiennes et les supporters du Dynamo Kiev. Une sale affaire politique qui va éclabousser l’Ukraine et déclencher une immense vague de solidarité de la part des groupes ultras à travers toute l’Europe. Le commencement de l’histoire remonte à l’année 1996 lorsque Dmtryo Pavlichenko, supporter de longue date du Dynamo Kiev et père de famille sans histoire, décide d’agrandir son appartement dans le centre de Kiev. Appartement dans lequel il vit avec sa femme et ses deux fils. Une fois l’approbation des autorités compétentes reçue et les travaux effectués, Dmtryo décidera d’installer dans cette annexe des membres de sa famille afin de les aider.
C’est ensuite dans les années 2000 que les appartements seront rachetés un par un par la société hollandaise Gooi Noord BV. L’idée étant bien sûr d’acquérir tout l’immeuble pour le démolir et en faire ensuite un business center flambant neuf. Dmtryo refusera quant à lui de vendre son appartement, considérant l’offre désavantageuse pour lui et sa famille. Dès lors la famille Pavlichenko va recevoir des menaces de mort au téléphone ainsi que plusieurs attaques au civil, prétextant que les travaux avaient été effectués sans l’accord des autorités. C’est devant ce même tribunal civil que la famille obtiendra gain de cause concernant les travaux effectués pour l’extension de l’appartement.
C’est alors qu’en 2010, Mr. Sergiy Zubkov, juge à la cour, ordonnera la démolition de cette extension ainsi que l’expulsion pure et simple de la famille Pavlichenko. Une décision qui ne sera jamais notifiée à Dmtryo et qui sera exécutée en son absence. C’est lors d’un soir de réveillon que la police ainsi que des huissiers de justice vont faire irruption dans l’appartement pour expulser les occupants. Les membres de la famille seront emmenés à bord de plusieurs véhicules et déposés loin de leur logement dans des directions différentes. Littéralement à la rue, le père de famille décidera de donner une conférence de presse pour expliquer sa situation et dénoncer la corruption flagrante des autorités ukrainiennes.
L’affaire va très vite se corser lorsqu’en mars 2011, le juge responsable de l’expropriation Sergiy Zubkov sera retrouvé mort dans son immeuble. Les témoins affirmeront avoir vu deux hommes armés poignarder le juge à plusieurs reprises avant de prendre la fuite. Dmtryo Pavlichenko ainsi que son fils Sergiy, membre actif des ultras du Dynamo Kiev, seront arrêtés deux jours plus tard. Trois mois après leur arrestation, les autorités donneront une conférence de presse pour annoncer la clôture du dossier Zubkov et l’arrestation des meurtriers.
Un seul témoin identifiera les Pavlichenko, aucune preuve ne sera retrouvée sur la scène du crime, tout comme l’arme du crime qui ne refera jamais surface. Les enquêteurs parleront de nombreuse coïncidences dans cette affaire et en profiteront pour procéder à des perquisitions illégales à leur domicile ainsi que dans leur véhicule, sans succès. Quelques temps après leur incarcération, le seul témoin à charge se rétractera et expliquera à la presse qu’il aurait été forcé par les policiers d’identifier les Pavlichenko. La police va se targuer d’avoir obtenu des aveux du père, mais Dmtryo expliquera ensuite le déroulement des interrogatoires. La Police aurait proposé au père de plaider coupable pour le meurtre du juge et de purger une peine de 10 ans d’emprisonnement. Cette accord permettrait à sa famille de vivre tranquille. Dans le cas d’un refus, ils auraient affirmé à Dmtryo que son fils Sergiy et sa femme seraient accusés de complicité et condamnés à la prison à vie avec lui. Son plus jeune fils serait quand à lui placé dans un orphelinat.
Dmtryo refusera d’entrer dans le jeu des policiers, préférant se sortir de cette affaire par des moyens légaux.
A l’automne 2012, il sera déclaré coupable de meurtre, sans aucune preuve, et condamné à la prison à vie. Son fils Sergiy sera lui condamné pour complicité à 13 ans de réclusion criminelle. Sa femme sera laissée en liberté mais condamnée à verser la somme de 500 000 UAH (47 600 €) à la justice.
Cette affaire sera bien évidemment sous-médiatisée dans les autres pays, et c’est par le biais des ultras du Dynamo Kiev qu’elle sera révélée. Le père et le fils étaient des supporters reconnus du club. C’est pourquoi ils lanceront un appel à la solidarité des ultras à travers toute l’Europe afin de faire entendre leur voix. Le slogan Freedom Pavlichenko sera repris dans de nombreux stades de foot en Russie, en Bulgarie, en Roumanie, en République Tchèque ainsi qu’au Portugal. Des banderoles qui seront reprises partout, même par les ennemis jurés du Spartak Moscou, de l’Arsenal Kiev et du Shakhtar Donetsk. Une solidarité sans frontière lorsque le système s’attaque injustement à un ultra. Une fois les rivalités sportives et politiques mises de côté, il ne reste finalement que des hommes, unis à travers toute l’Europe contre la corruption et la répression systématique qui s’abat sur les supporters de foot.
Il faudra attendre la chute du président Victor Yanukovych et le remaniement du gouvernement pour voir la libération des Pavlichenko. Une victoire pour les supporters de Kiev mais aussi pour tout le mouvement ultra ukrainien qui avait fait bloc contre la corruption du gouvernement. Comme un nouveau symbole de solidarité, Dmtryo emprisonné à Kharkiv sera accueilli à sa sortie de prison par les ultras du Metalist et porté en triomphe sur leurs épaules. Une scène inimaginable en Ukraine avant le début de l’affaire.
Fiesta à l’Obolon Arena
Un troisième club de la capitale à trôner quelques temps en première division, l’Obolon Kiev. L’occasion pour les supporters du Dynamo d’affirmer leur supériorité territoriale. Lorsque les deux équipes se présentent un soir d’avril 2010 à l’Obolon Arena, ce modeste stade de 5000 places, les fans du Dynamo comptent bien montrer à tout le monde qu’ils sont les patrons de la capitale. Le stade est plein et enregistre une affluence record, le parcage du Dynamo est en ébullition. Tous n’ont pas pu avoir une place en tribune alors ils s’organisent autrement. L’entrée des joueurs va déclencher un spectacle pyrotechnique hors du commun. Les fumigènes émergeront de tous les côtés et notamment des toits des immeubles voisins. Et pour clore le spectacle, un homme va survoler le stade en deltaplane avec fumigène et drapeau du Dynamo. Les bleus et blancs remporteront ce match 4 à 0.
Fuck Euro 2012
N’allez pas croire que les ultras du Dynamo copinent avec les FEMEN, et vice versa… Ce slogan « Fuck Euro 2012 » a été repris pas beaucoup de monde, tout au long de la période pré-Euro. Alors pourquoi bouder un événement aussi prestigieux qu’une Coupe d’Europe ?
Comme dans beaucoup de pays, la répression fait rage contre la mouvance ultra, et l’Ukraine n’y échappe pas. Les dérapages des policiers se multiplient et semblent de plus en plus difficiles à justifier. L’organisation de l’Euro va leur fournir une excuse plausible. Les opérations coup de poing vont se multiplier sur le territoire et les organisations ultras vont très vite flairer le piège.
Andreï le capo du White Boys Club s’est confié à la presse française quelque temps avant l’Euro. C’est le journal Le Monde qui a recueilli ses propos via le blog Gol ! Ukraine que je vous invite à visiter.
« On ne va pas aller supporter l’équipe nationale. On ne va pas aller au stade pour provoquer des bagarres ou perturber l’Euro. Mais pour la police c’est un bon prétexte pour justifier leurs actions contre nous, pour « sécuriser » l’Euro. »
« Ici la police travaille sans respecter la loi ou la constitution. On craint qu’elle nous fasse des sales coups. »
Un mois avant le début de la compétition la police va en rajouter une couche lors du match entre le Shakhtar Donetsk et Dnipropetrovsk. Dans un souci de prouver à l’UEFA que l’Ukraine peut mater ses supporters les plus turbulents, les forces de l’ordre vont se doter de tout nouveaux tasers et vont en faire un usage plutôt excessif lors de cette rencontre.
Une vidéo amateur filmée à l’extérieur du stade montrera trois policiers s’acharner à coups de taser sur un supporter de Dnipro menotté à terre. La vidéo va faire le tour des sections ultras en Ukraine et jeter encore un peu plus d’huile sur le feu.
Quelques temps avant le début de l’Euro 2012, la chaîne de télé anglaise BBC diffusera un reportage sur le racisme dans les stades en Pologne et en Ukraine. On y verra l’ancien défenseur international anglais Sol Campbell appeler les gens à boycotter cet Euro. Lourd de conséquences, ce reportage va engendrer dans plusieurs pays des publicités mettant en garde les fans de foot avec un slogan plutôt violent à l’attention des femmes, « Envoyez vos maris à l’Euro, on vous les renverra dans un cercueil. ». L’Ukraine terre hostile aux supporters étrangers ?
De retour dans leur pays après une défaite en quarts de finales et plusieurs milliers de peintes de bière descendues, les supporters anglais adresseront un tacle aux détracteurs. « Tu as tort Campbell. »
La bande à Bandera
En bons patriotes que sont les ultras du Dynamo Kiev c’est tout naturellement qu’ils s’attachent aux symboles du nationalisme ukrainien. Et parmi ces symboles on retrouve des drapeaux rouges et noirs. Vous vous êtes peut être demandés plusieurs fois ce que venaient faire ces drapeaux dans les tribunes de Kiev, drapeaux qui ne sont pas jaunes et bleus mais bien rouges et noirs. Ce drapeau est celui de l’armée insurrectionnelle ukrainienne, l’UPA créée en 1942 par Stepan Bandera. Ce personnage controversé de l’histoire ukrainienne représente pour beaucoup un symbole fort du nationalisme. En effet Bandera et sa bande ont créé cette faction armée avec un seul but: défendre les intérêts de l’Ukraine et réclamer son indépendance totale.
Lors de la rencontre entre l’Ukraine et Saint-Marin à Lviv, fief de Stepan Bandera, les banderoles et autres symboles nationalistes vont s’afficher en grand dans les tribunes. C’est à la suite de ce match que la société anglaise FARE (Football Against Racism in Europe) va déposer un recours auprès de la FIFA pour incitations au racisme. Bandera et l’UPA sont accusés par certains d’avoir collaborés avec l’Allemagne nazie avant de finalement la combattre. Un passé trouble qui a même valu à Bandera d’être déchu de son statut de héros de la nation par le gouvernent Yanukovytch. Sous la pression de la FIFA, la ligue ukrainienne va dans un premier temps interdire dans les stades de foot les drapeaux rouges et noirs, ce qui va déclencher en Ukraine la colère de beaucoup de groupes ultras et notamment ceux de Lviv et de Kiev.
La réponse viendra des tribunes où ces mêmes drapeaux vont fleurir partout dans le pays. Sous la pression des associations de supporters, la fédération ukrainienne va lever l’interdiction. On ne touche pas aux symboles du patriotisme ukrainien…
Rémy Garrel
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