Le palmarès de l’Erovnuli Liga s’est enrichi d’une nouvelle ligne cet hiver et d’un nouveau champion qui a réussi à déjouer tous les pronostics. Fondé en 1999, mettant sur place une vraie équipe professionnelle en 2005, le FC Saburtalo n’a accédé à la première division qu’en 2015 avant de remporter un titre de champion 4 ans plus tard. Une véritable « success story » géorgienne. Quelles méthodes ont permis ce succès ? Quel modèle peut-il représenter pour le football géorgien et surtout sur quel avenir compter ? Portrait du nouveau tube du football géorgien.
Un club de quartier. Une plateforme de formation.
Des clubs de football à Tbilissi, il y en a quelques uns. On pense tout d’abord au Dinamo Tbilissi bien entendu, sacré deux fois champion d’URSS, vainqueur de la C2 et vainqueur de 15 titres depuis l’indépendance. Il y a aussi le Locomotive Tbilissi un autre ancien habitué de la première division, puis si l’on descend d’un cran, le FC Shevardeni 1906 et le Merani Tbilissi, sans compter le FC Tskhinvali et le FC Gagra tous deux établis à Tbilissi. En remontant un peu l’histoire, on trouve également trace d’un Mretebi Tbilissi, qui n’aura pas survécu longtemps aux turbulences économiques de la fin de l’URSS, ou encore d’un Ameri Tbilissi victime des mêmes dérapages économiques au cours des années 2000, mais aussi un TSU Tbilissi et un Arsenal Tbilissi. Entre autres.
Cette profusion de clubs dans la même ville est d’ailleurs logique pour une capitale dans un pays de cette taille où les infrastructures sont souvent concentrées autour de la plus grande agglomération. Mais on le voit, des clubs il s’en est créé, bien souvent grâce aux fonds de généreux propriétaires aux objectifs plus ou moins avouables. Alors comment expliquer qu’un club créé il y a à peine 20 ans soit aujourd’hui un des clubs les mieux structurés de Géorgie, régnant sur le championnat et exportant à bon prix plusieurs de ses pépites à l’étranger ?
20 août 1999, Tbilissi suffoque sous une de ces lourdes chaleur d’été qui écrasent la ville. Le championnat de Géorgie, qui s’appelait encore Umaglesi Liga à l’époque, n’a commencé que depuis une journée. Lors de la saison précédente, le Dinamo Tbilissi venait de s’adjuger son dixième titre de champion d’affilée. Une domination sans partage depuis la fin de l’union soviétique qui prendra fin cependant cette année là puisque c’est le Torpedo Kutaisi qui remportera les trois éditions suivantes. C’est dans ce contexte historique que sont donc déposés les statuts d’un club de quartier comme il en existe alors des dizaines à Tbilissi, le FC Saburtalo.
Situé au Nord-Ouest de la ville, aux abords du parc Vake et de son lac de la tortue où les citadins se pressent dès les premières chaleurs affligeant la ville, c’est un quartier majoritairement résidentiel, doté de plusieurs universités, de ministères ou de sièges de télévisions. Un quartier dont tout le monde connait le nom donc mais qui ne fait pas déplacer les foules le week-end non plus. Et jusqu’en 2005 il faut avouer que le FC Saburtalo mène sa barque de manière anonyme dans les ligues amateurs géorgiennes, n’ayant d’autres horizons que d’offrir un terrain le soir venu aux gamins des écoles du quartier.
Un rachat fondateur
Le club bascule dans une nouvelle ère en 2005. Dans une Géorgie en pleine effervescence après la révolution des roses et l’accession au pouvoir de Mikheil Saakachvili, l’industriel Tariel Khechikachvili reprend en main le club. Fondateur de Iberia Business Group, revendeur officiel des plus grandes marques d’automobiles en Géorgie (Kia, Mitsubishi, Audi, Renault, Wolkswagen, etc) apporte un soutien financier conséquent. Suiveur du football et déjà sponsor de plusieurs événements sportifs locaux, le nouveau propriétaire a pour ambition de transformer ce modeste club de quartier en un centre de formation performant à tous les niveaux et devant servir de modèle à l’avenir en Géorgie.
Avec l’aide des investissements de IBG, notre école de football a eu l’occasion de grandir, en termes d’infrastructures, de joueurs inscrits, de formateurs et d’entraineurs. Nous avons pu faire venir des entraineurs d’Espagne et investir dans le développement de nos entraineurs locaux.
FC Saburtalo (Officiel)
Alors que ce genre de pari sur l’avenir est souvent tenté mais rarement concrétisé, le FC Saburtalo va se donner les moyens de ses ambitions en montant pendant près de 10 ans son académie grâce au renfort d’entraîneurs et de formateurs éprouvés. Saburtalo ne cache d’ailleurs pas que son modèle fut et reste toujours la Masia de Barcelone et l’académie de l’Ajax. A son échelle et avec ses moyens certes, mais avec comme objectif de transmettre, en plus de l’expérience de footballeur, une vision de jeu commune à tous ses futurs joueurs.
Une vision de jeu fortement héritée du style de jeu espagnol que les formateurs bien souvent passés par la case Espagne vont s’attacher à inculquer dans les différentes catégories d’âge. Fort de ces bases, les premiers résultats se font sentir dès 2012 avec les premiers championnats gagnés dans les équipes de jeunes qui ne laisseront plus grand chose à la concurrence les années suivantes. En 2015, alors que l’équipe première accède pour la première fois à l’Erovnuli Liga (premier échelon national), ils remportent également le titre en catégorie U19 et se retrouvent à jouer la Youth League, performance rééditée en 2017.
Le succès de la formation à la « Saburtalonaise »
Symbole de ces années de succès, de nombreux joueurs feront leurs gammes au FC Saburtalo avant de s’aguerrir ailleurs. On peut citer parmi les premiers Giorgi Chanturia, formé des U11 aux U17 à Saburtalo, avant de faire un tour dans l’équipe jeune du Barça puis de véritablement prendre son envol au Vitesse Arnhem. Dans la même période, Vako Qazaishvili suit les traces de Chanturia en passant 6 saison à Arnhem avant une parenthèse au Legia Varsovie et aujourd’hui aux San José Earthquakes. Parmi les internationaux géorgiens formés à Saburtalo, parlons également de Jemal Tabidze, qui aura perfectionné sa formation à la Gantoise avant d’atterrir à Ufa.
Saburtalo commence à se faire un nom et une sacrée équipe commence alors à se monter autour de Giorgi Chiabrishvili. Assistant puis coach notamment du FC Zestafoni, avec qui il a remporté une coupe de Géorgie et deux championnats, il est à la tête de Saburtalo depuis 2014. En parallèle de sa carrière de coach de Saburtalo il a par ailleurs pris en main la sélection espoirs de Géorgie entre 2016 et 2017. De quoi avoir un oeil sur ses futures pépites.
Le lien avec l’Espagne est par ailleurs toujours aussi fort car lors de la saison 2016 c’est Pablo Franco, éphémère coach de Getafe en Liga, qui prendra la tête de l’équipe de Saburtalo et le positionne dans la première partie de tableau de l’Erovnuli Liga. C’est grâce à Chiabrichvili et l’apport de Pablo Franco notamment que Saburtalo a commencé à se faire un nom dans le football géorgien en développant un football offensif, basé sur la possession, le jeu au sol et la technique plutôt que la vitesse et les enchainements.
Notre coach Giorgi Chiabrishvili est un adepte du « tiki taka », le style barcelonais, et notre style de jeu est une combinaison de « tiki taka » et d’un jeu offensif hérité du style de jeu du football géorgien historique. Dans notre académie, tous les coachs appliquent la même philosophie dans le but de préparer les jeunes joueurs à l’équipe première.
FC Saburtalo (officiel)
La concrétisation arrive lors de la saison 2018 (le championnat géorgien est organisé sur une année civile) : avec seulement 5 défaites concédées en 36 matchs, Saburtalo roule sur le championnat et relègue les historiques Torpedo Kutaisi et Dinamo Tbilissi à 10 points pour s’adjuger le premier championnat de son histoire.
Saburtalo a notamment pu profiter d’excellents meneurs de jeu : Giorgi Kharaichvili, transféré depuis à l’IFK Goteborg et aujourd’hui international géorgien, ou encore aujourd’hui Giorgi Kokhreidze, un des grands espoirs géorgiens. On peut également citer Lazare Kupatadze, jeune gardien international également. Longtemps pressenti au FC Metz à l’hiver dernier, il a finalement choisi le club voisin de la Jeunesse d’Esch qui lui offrait plus de garanties de temps de jeu. Un mauvais calcul finalement, Kupatadze est rentré à Saburtalo 6 mois après, à qui il pourra apporter ses réflexes et son bon jeu au pied.
Des espoirs à qui il faut ajouter également le latéral Luka Lakvekheliani, les milieux kenyans Alwyn Tera et l’ailier Vagner Gonçalves ou encore le défenseur central et capitaine Giorgi Margvelashvili. Après la démonstration de la saison dernière, Saburtalo est d’ailleurs aussi bien parti à mi-parcours. Dans un championnat plus resserré, ils se trouvent pour l’heure sur le podium, à la lutte avec les deux Dinamo, Batumi et Tbilissi.
Surtout, les rouge et blanc ont surpris tout leur monde au premier tour de qualification de la Ligue des Champions en dominant le Sheriff Tiraspol chez eux 3-0, avant de se faire peur au match retour (1-3). Si par la suite le Dinamo Zagreb était un morceau un peu trop coriace, ils ont réalisé de très belles prestations et donné enfin envie au public de Tbilissi de venir en masse au stade Mikheil Meskhi suivre leurs aventures, alors que les affluences restent faibles en championnat.
Malheureusement, les affluences des matchs à domicile sont faibles, spécialement à Tbilissi. Nos fans sont ambitieux et nous demandent toujours une meilleure qualité de jeu. Nous espérons qu’en nous améliorant dans notre jeu et en ayant de meilleurs résultats sur la scène européenne, de plus en plus de fans auront envie de venir assister à nos matchs de championnat.
FC Saburtalo (Officiel)
Malgré ses 5 ans à peine d’existence au plus haut niveau, Saburtalo est donc loin d’être un club « comète », bâti à coups de dollars pour construire une équipe compétitive en quelques années. Au contraire, les performances de ces derniers temps sont avant tout le fruit de près de 15 ans de travail et des fondations solides. Saburtalo a tout pour s’imposer sur la durée en tête du championnat, réaliser à nouveau de beaux parcours en coupe d’Europe et pourquoi pas faire revivre un vrai beau derby de Tbilissi avec le Dinamo. Pour que ce club, qui possède un des hymnes les plus chaloupés du football géorgien, résonne encore longtemps dans vos oreilles.
Antoine Gautier
Tous propos recueillis par Antoine Gautier pour Footballski
Photo de couverture : ErovnuliLiga.com
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