Gagra est une ville de taille moyenne située sur la côte ouest de la Géorgie, au bord de la Mer Noire, à 22km au sud de Sotchi. Sa position géographique en a fait une destination balnéaire très prisée depuis l’époque impériale russe. Comme la majeure partie des villes d’Abkhazie, territoire composé d’une multitude de peuples dont les abkhazes et les géorgiens, elle a souffert de la guerre qui a opposé en 1992-1993 les séparatistes abkhazes appuyés par des combattants venant des républiques russes limitrophes (par l’intermédiaire de la Confédération des Peuples des Montagnes du Nord Caucase), à l’armée régulière géorgienne.

Suite à la victoire des sécessionnistes après un conflit qui a fait des milliers de morts dans les deux camps et marqué par des actes d’épuration ethnique contre les Géorgiens en Abkhazie notamment (qualifié de génocide par Tbilissi une enquête est toujours en cours auprès de la Cour Pénale Internationale de La Haye), le territoire échappe de facto au contrôle du gouvernement géorgien. Dès lors de 250 000 à 300 000 Géorgiens sont contraints à l’exil, en Géorgie (Internal Displaced People) ou à l’étranger, comme Beso Chikhradze. Établi en Ukraine, il a fondé en 2004 le FC Gagra, afin de redonner une  visibilité aux Géorgiens natifs d’Abkhazie.

© sportall.ge
Beso Chikhradze | © sportall.ge

Pouvez-vous nous raconter un peu l’histoire de ce club, comment vous en êtes arrivé à créer cette nouvelle entité en 2004 ?

Il faut tout d’abord dire que je suis originaire de Gagra. Je suis né et j’ai grandi à Gagra. Depuis tout petit j’ai toujours  joué au football, j’ai également joué dans le club de la ville à l’époque, le Dinamo Gagra, quand c’était encore un territoire géorgien. Mais après l’indépendance, vous savez qu’il y a eu une guerre en Abkhazie, et depuis c’est un territoire qui est contrôlé de facto par la Russie, il n’y a aucune forme d’administration géorgienne sur place, donc c’est très compliqué et risqué d’y retourner. Comme beaucoup d’autres géorgiens, après cette guerre, je me suis donc installé en Ukraine en 1992.  Enfin en 2004, j’ai donc voulu recréer une entité sportive qui représenterait la ville de Gagra, pour montrer que nous existions toujours. Bien sûr, nous ne pouvions pas nous implanter en Abkhazie, c’est pourquoi nous sommes à Tbilissi, mais je voulais aussi que de jeunes joueurs aient l’occasion de s’épanouir dans un contexte professionnel afin de devenir de très bons joueurs sur la scène internationale, puisque la Géorgie et l’Abkhazie ont toujours formé des bons joueurs.

Vous parlez de cette jeunesse, c’est vrai que dans l’effectif de cette saison on dépasse rarement les 22 ans. C’est un choix ou une contrainte ?

C’est exactement notre politique interne, permettre à de jeunes joueurs de monter. C’est aussi une nécessité économique, nous permettons au club de continuer à fonctionner grâce à l’argent de la vente de ces joueurs. Le premier que nous avons révélé est Vakhtang Pantskhava, qui est parti au Mans en France, en 2007. Et le meilleur joueur que nous avons révélé, Tornike Okriashvili ,qui est passé par Genk en Belgique, joue aujourd’hui en Turquie. Pour vous donner une idée, en 2012 l’équipe qui a gagné la Coupe de Géorgie et participé au premier match européen de l’histoire de notre club (contre Anorthosis Famagouste, ndlr) n’avait pas plus de 20 ans de moyenne d’âge.

© fcgagra.ge
© fcgagra.ge

En 2012, quand nous nous sommes qualifiés pour le premier tour de qualification à l’Europa League je suis allé au tirage au sort à Genève. Et être là-bas, parmi tous ces officiels de la Fifa, et quand j’ai vu le papier FC Gagra / Géorgie, j’ai eu l’impression d’avoir accompli quelque chose, que l’Abkhazie soit associée à la Géorgie par une institution comme l’UEFA c’était magnifique, nous avions montré que nous existions.

Et parmi ces joueurs y a-t-il une sélection qui est faite ? Visez-vous essentiellement des joueurs abkhazes ?

Non, nous avons des joueurs qui viennent de tous les coins de la Géorgie, nous avons un Nigérian d’ailleurs dans l’effectif, nous avons eu des Ukrainiens, etc. Mais c’est vrai que c’est essentiel pour nous de donner la possibilité à des jeunes réfugiés, ou issues de familles de réfugiés, de leur donner la possibilité de s’exprimer par le sport (après la première guerre d’Abkhazie de 1992 à 1993, on estime que près de 300 000 géorgiens (« d’ethnie géorgienne » ont dû fuir leur territoire pour se reloger dans d’autres régions de Géorgie, ou à l’étranger, ndlr).

Un joueur russe pourrait jouer dans votre équipe ?

Techniquement, légalement c’est possible, mais nous n’avons jamais rencontré le cas. Et nous pouvons nous concentrer sur les jeunes Géorgiens, car nous avons un vivier suffisamment important, pas besoin d’aller chercher à l’extérieur.

Cette identité abkhaze, comment s’exprime-t-elle autour de votre club ? Les joueurs qui viennent sont-ils au courant de cette histoire particulière ?

Oui bien sûr, tous les joueurs sont informés sur la situation de ce club, ce qu’il représente et la situation en Abkhazie. Nous leur montrons des photos, des documentaires sur ce qu’il reste de l’originelle Gagra. Quand c’était encore possible, nous les emmenions voir la côte abkhaze, qui est magnifique. Vous savez en 2012, quand nous nous sommes qualifiés pour le premier tour de qualification à l’Europa League je suis allé au tirage au sort à Genève. Et être là-bas, parmi tous ces officiels, et quand j’ai vu tiré le papier FC Gagra / Géorgie, j’ai eu l’impression d’avoir accompli quelque chose, que l’Abkhazie soir associé à la Géorgie pour une institution comme l’UEFA c’était magnifique, nous avions montré que nous existions.

Gagra vue des rives de la mer noire | © Hons084 / Wikimedia Commons
Gagra vue des rives de la mer noire | © Hons084 / Wikimedia Commons

Comment cela se passe-t-il au niveau des supporters ? Arrivez-vous à mobiliser des gens en dehors des principaux concernés par l’exil ?

Et bien tout d’abord c’est compliqué partout en Géorgie en termes de supporters, l’affluence est très basse, même pour le Dinamo Tbilissi. Donc nous subissons aussi cette désaffection. Les géorgiens ont dû subir des années de mauvaise situation économique donc en termes de revenus les gens ne pouvaient pas forcément se payer de places au stade, mais aussi en termes d’infrastructures nous avons très peu de bons stades pour assister à un bon spectacle. Mais cela est amené à changer dans les prochaines années, car à partir de cette année le gouvernement a décidé de mettre de l’argent pour soutenir les clubs et améliorer les infrastructures. En tant que membre du Comité de la Fédération de Football de Géorgie, je pense que c’est un processus à long terme, mais nous devrions vraiment nous améliorer sur ce point-là.

Pour le match à Chypre en Europa League par exemple aviez-vous des supporters qui avaient fait le déplacement ?

Non, mais le tirage a bien fait les choses, car beaucoup de réfugiés abkhazes se trouvent aussi à Chypre, voire en Turquie, et sont venus au stade. On en a compté au moins une centaine qui se sont manifestés avec des signes distinctifs comme supporters de Gagra, mais on pense qu’il y en avait beaucoup plus.

Nous n’étions qu’une petite république intégrée de force à l’URSS, et le football était la seule façon pour les gens de pouvoir s’exprimer, aller au stade était un acte de fierté.

Quand même, quand on regarde des photos ou vidéos du Dinamo Tbilissi des années 1970/1980 par exemple on pouvait trouver des affluences de 100 000 personnes pour certains matchs de championnat. Comment expliquez-vous cette désaffection actuelle ?

Eh bien l’exemple du Dinamo est très intéressant parce qu’à l’époque soviétique le peuple géorgien ne représentait que 2% des habitants de l’Union Soviétique. Nous n’étions qu’une petite république intégrée de force à l’URSS, et le football était la seule façon pour les gens de pouvoir s’exprimer, aller au stade était un acte de fierté. Donc le Dinamo de l’époque était comme une équipe nationale de Géorgie pour nous, c’est pourquoi tous les Géorgiens le supportaient. Mais avec l’indépendance, tous nos meilleurs joueurs sont partis, les infrastructures se sont délabrées et les jeunes partent très tôt, c’est comme cela que ça fonctionne aujourd’hui, donc effectivement la moyenne de supporters est à 5000 spectateurs maximum pour un match de championnat. L’époque soviétique n’est pas si loin d’ailleurs, et les gens se rappellent du beau spectacle qu’il y avait, avec d’excellents joueurs. Aujourd’hui, les meilleurs partent donc il y a moins de spectacle et moins de monde au stade, donc c’est à la fois économique et historique.

Je crois que nous pouvons devenir un des 5 meilleurs pays en terme de formation de jeunes joueurs en Europe.

Ces dernières années de nombreux clubs géorgiens ont eu des problèmes économiques et ont dû annuler une montée en division supérieure ou tout simplement disparaitre. Quel est votre modèle économique et pensez-vous qu’il y a une place pour des clubs comme Gagra dans le championnat de Géorgie ?

Quand j’ai repris le club, et jusqu’à cette année, j’en étais l’unique contributeur et le club fonctionnait grâce à mon investissement personnel (il a une activité dans l’import/export de vins et spiritueux géorgiens et étrangers en Ukraine, ndlr) et à la vente des transferts. Mais depuis cette année, c’est tout récent depuis deux mois à peine, nous allons recevoir du ministère géorgien, ce qui va nous permettre de stabiliser notre modèle. Mais c’est un modèle à long terme, d’ailleurs la rentabilité économique n’est pas impérative tant que nous sommes viables.

Je dois dire que je crois beaucoup à notre modèle de formation. Vous savez durant l’époque soviétique, et comme je vous ai dit nous ne représentions que 2% de la population, et pourtant il y avait toujours 3 ou 4 joueurs géorgiens dans l’équipe d’URSS. C’est pourquoi nous avions gagné le surnom de « soviets brésiliens » car nous étions le plus grand réservoir de joueurs pour l’équipe soviétique. Cela ne s’est pas perdu et aujourd’hui, je regarde ce qui se passe au niveau de la formation en Belgique, en Pologne, en France, je crois que nous pouvons devenir un des 5 meilleurs pays en termes de formation de jeunes joueurs en Europe.

Cette saison vous allez probablement finir entre la 5ème et la 7ème place en Pirveli Liga (deuxième division). Quels seront vos prochains objectifs et futurs développements ?

Continuer notre travail de formation, stabiliser notre modèle. Une fois que nous serons plus structurés, nous pourrons penser à la montée en première division et avoir des objectifs plus ambitieux. Mais comme je vous l’ai dit c’est un projet à long terme, donc pas la peine de faire une prochaine interview avant 5 ans !

Antoine Gautier


Image à la une : © sportall.ge

Merci beaucoup à Beso Chikhradze pour sa disponibilité, et à Temur Ketsbaya pour son travail de traducteur.

Sur le football en Abkhazie nous recommandons aussi le très bon article de nos confrères de Futbolgrad.

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