A moins d’un an de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique, avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Cette semaine, nous parlons de la Géorgie. 15ème et dernier épisode entre Caucase et Mer Noire : l’état du football depuis l’indépendance.
Se déclarer indépendant par le football (1988-1992)
Les prémisses d’un championnat de football de Géorgie indépendant interviennent quelques années avant la dislocation de l’URSS. En effet les réformes libérales introduites par Mikhail Gorbatchev donnent des idées à la population, et notamment en Géorgie, où un directeur de théâtre passionné de spiritualité et de culture extrême-orientale établit en 1988 le premier club professionnel de toute l’URSS, le Mretebi Tbilissi. Contrairement aux clubs comme le Locomotive ou le Dinamo, où les joueurs avaient un statut de cheminot ou d’agent de l’État, les joueurs sont ici officiellement salariés pour jouer au football.
Sous cette impulsion et à l’instar du Zalgiris Vilnius, le Dinamo Tbilissi ne peut que suivre les consignes de la fédération de football géorgienne et se retire des compétitions soviétiques avant le début de la saison 1990, tout comme le Guria Lanchkhuti qui devait s’engager en deuxième division soviétique. Les deux clubs vont en effet participer quelques mois plus tard à la première édition du championnat indépendant de Géorgie. Le premier match aura lieu le 30 mars 1990 devant plus de 100 000 spectateurs pour l’occasion à la Dinamo Arena et il opposera le Dinamo, renommé quelque temps avant en Iberia Tbilisi, afin de marquer le nouveau départ du club et d’effacer l’empreinte du communisme. À la surprise générale, c’est le Kolkheti Poti qui remportera le match 1-0, mais cela a peu d’importance pour une foule qui voit en ces joueurs et en Zviad Gamsakhurdia l’espoir d’être enfin reconnu comme un état indépendant à part entière. En effet il faudra attendre la fin de l’année 1990 pour que les premières élections libres géorgiennes se tiennent, remportées par Gamsakhurdia, mais le référendum qui entérinera définitivement l’indépendance n’aura lieu qu’un an plus tard, le 31 mars 1991.
Durant cette période de flou le championnat géorgien se déroulera pourtant bien comme prévu, bien que les clubs géorgiens ne soient reconnus ni par la FIFA ni par l’UEFA, reconnaissance qui interviendra en 1992. Malgré la défaite initiale face au Dinamo, pardon de l’Iberia, ce sont bien les héritiers de la société Dinamo qui remportent le premier titre de la nouvelle Umaglesi Liga (« Ligue supérieure »). Un titre qui restera propriété du Dinamo (qui reprend son nom d’origine dès 1992) pour les 10 premières saisons du championnat ! Comme dans nombre d’anciens pays du bloc soviétique l’ancien club fanion se retrouve ainsi d’un coup engagé dans un championnat avec une adversité terriblement plus faible.
Le Dinamo, plus que jamais club de tout un pays
Héritant du système mis en place durant l’Union Soviétique, le Dinamo possède dans ses rangs les meilleurs jeunes joueurs du pays, déjà préformés pour jouer en meilleur niveau international. Ce n’est donc pas par hasard que le Dinamo va produire quantité de très bons joueurs, qui partiront dans les meilleurs clubs européens de plus en plus jeunes. Temuri Kestabaia par exemple, s’envole en 1992 pour l’Anorthosis, avant de faire les beaux jours de Newcastle, et l’AEK Athènes. L’année suivant les frères Arveladze (Shota, Archil, Revaz), font également leurs valises pour diverses destinations européennes. Le plus connu, Shota, produira le meilleur de son football avec l’Ajax Amsterdam, puis les Glasgow Rangers. Deux ans plus tard c’est Georgi Kinkladze qui rejoindra Manchester City pour devenir le héros des années sombres des mancuniens. À la fin des années 1990, ce sont enfin des joueurs comme Alexandr Iashvili et surtout Kakha Kaladze qui feront parler du Dinamo dans la rubrique transfert.
Vous l’aurez compris, avec autant de mouvements et un championnat qui se fragilise d’année en année le Dinamo Tbilisi ne peut plus rivaliser sur la scène européenne alors qu’il domine sans conteste son championnat. Pour résultat seules deux performances européennes méritent d’être soulignées : en 1996 ils atteignent les 16e de finale de la Coupe UEFA en battant notamment le Torpedo Moscou, avant de tomber face à Boavista. Huit ans plus tard, en 2004 de belles performances face au Slavia Prague, au Bate Borisvo puis Wisla Krakow leur permettent d’accéder à la phase de groupe de la coupe UEFA où ils finiront avec quatre défaites en autant de matchs face à Newcastle, Panionios, Sochaux et le Sporting Portugal.
Avec d’aussi piètres performances et un championnat qui ne laisse même plus le temps aux jeunes talents d’atteindre leur maturité avant d’être vendus à l’étranger, la pauvre Umaglesi Liga peine à attirer les foules et sombre dans le désintérêt. La Dinamo Arena aura eu plus de 100 000 spectateurs pour son premier match de championnat en 1990, elle ne revivra quasiment plus de telle affluence, sauf peut-être quand un adversaire prestigieux vient par miracle à affronter le Dinamo pour un match qualificatif. 50 000 personnes viendront ainsi assister à la leçon infligée par Tottenham en 2012 (5-0 à Tbilissi).
Les années noires et le terrain de jeu des oligarques
La première guerre d’Ossétie du Sud (1991-1992), puis la guerre d’Abkhazie (1992-1993), les velléités autonomistes de l’Adjarie, puis de nouveau les guerres avec l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie en 2008, tout cela ne concourt pas à la stabilité économique et politique. Signe des tensions internes qui secouent alors la Géorgie en plein processus indépendantiste, le Dinamo Sokhumi, représentant la capitale d’Abkhazie, a lui refusé de quitter le championnat soviétique en 1990 et ne jouera plus pour le championnat géorgien. Afin de représenter et maintenir l’union du peuple géorgien, le Tskhumi Sokhumi est alors mis sur pied pour représenter la ville abkhaze et atteindra deux fois de suite la finale de la coupe, et même une deuxième place en championnat en 1992, avant de disparaitre en 1993.
Le Dinamo Batoumi rompt la première fois l’archidomination du Dinamo Tbilissi en remportant la coupe en 1998. Par la suite le Torpedo Kutaisi va faire une razzia sur les titres de 1999 à 2002 (deux championnats, deux coupes). À ce moment le Dinamo Tbilissi va être racheté par Badri Patarkatsihvili, un homme d’affaire ayant prospéré à la chute de l’URSS en investissant notamment dans les médias et qui a amassé une fortune supérieure à celle du budget de l’État. En 2011 un autre businessman, Roman Pipia va prendre le contrôle du club. Sous sa direction la Dinamo va alors reprendre des couleurs, et de gros investissements sont faits pour rénover le stade et surtout le centre de formation, qui n’ont aujourd’hui rien à envier aux clubs des grands championnats européens. Heureusement pour le championnat le Dinamo Tbilissi verra une concurrence émerger progressivement et contester la domination sans partage du club de la capitale. Mais une concurrence bien souvent très peu structurée, en proie à toutes les mafias possibles et à des scandales de corruption et matchs truqués qui rythmeront les bien tristes années 2000-2010 en Géorgie.
Le FC Zestafoni par exemple, créé en 2004, va ainsi disputer 5 finales de coupe (dont une gagnée en 2008), avant de remporter deux fois le championnat (2011 et 2012), avant de disparaitre purement et simplement en 2015. Même destin pour l’Ameri Tbilisi, fondé en 2002, deux fois finaliste de la coupe, puis disparu faute de financement en 2008. L’histoire est un peu meilleure du côté du WIT Georgia, sponsorisé et financé par la branche géorgienne du laboratoire et marque d’accessoires vétérinaires WIT, fondé en 1997, remporte ainsi le titre en 2004 et 2009 (où ils réalisent même le doublé coupe-championnat). Bien que végétant en seconde division depuis 3 ans maintenant la direction tente d’établir un projet un peu plus viable, en ayant fait notamment reconstruire un stade de 2000 places à Mtskheta.
Plus récemment deux clubs issus des territoires désormais séparés de la Géorgie ont vu le jour. Le FC Gagra, créé en 2004 par un homme d’affaires géorgien d’Abkhazie exilé en Ukraine, a par exemple gagné une coupe en 2011. Le FC Tskhinvali, survivance de l’ancien Spartak Tskhinvali, club de la capitale d’Ossétie du Sud, fait régulièrement l’ascenseur entre première et deuxième division.
Lire aussi : FC Tskhinvali, ne l’appelez plus Spartak !
Cependant, depuis quelques années, il semble qu’une vraie reprise en main du football national par la fédération soit en train de se concrétiser. Les règles de financement sont plus strictes et mieux contrôlées, la communication autour du championnat et de l’équipe nationale s’est nettement améliorée et une vraie politique d’infrastructure et de formation commence tout juste à porter ses fruits (lire à ce propos notre interview du directeur sportif du Locomotive Tbilissi et de son projet à très long terme). La saison qui se termine porte en ce sens de bonnes nouvelles avec une nette amélioration des affluences, peu ou en tout cas beaucoup moins de suspicion de matchs truqués et du suspens jusqu’au bout. Il faudra encore bien des années pour que le niveau intrinsèque atteigne un niveau correct selon les standards européens, mais on peut affirmer que les années les plus noires sont maintenant derrière eux.
La sélection
Dans la foulée du premier match d’Umaglesi Liga, la sélection nationale géorgienne de football joue son premier match en tant que nation indépendante le 27 mai 1990, face à la Lituanie pour un score de 2-2. Assez rapidement, dès 1992, la GFF (Georgian Football Federation) est reconnue par la FIFA et l’UEFA, et les Géorgiens peuvent alors entamer leur première campagne de qualification, pour l’Euro 1996. Signe de l’héritage des grandes années du Dinamo, la décennie 1990 voit se succéder d’anciennes stars des années 1980 au poste de sélectionneur : Givi Nodia, Alexandr Chivadze, Vladimir Gutsaev, David Kipiani, Revaz Dzodzuashvili. La meilleure performance à ce jour reste celle obtenue lors des qualifications pour la Coupe du Monde 2002 où les croisés, emmenés par le duo Kipiani/Dzodzuashvili, finissent à la 3e place de leur groupe derrière l’Italie et la Roumanie.
Vous l’aurez compris, les performances notables de la sélection géorgienne ne sont pas légion. Alors qu’à l’époque soviétique, et cela à chaque génération, au moins 3 Géorgiens pouvaient prétendre porter le maillot rouge, la sélection se voit en manque de talents au fil des années. Au cours des années 1990, le Dinamo Tbilissi reste cependant une magnifique machine à talent dans laquelle ont été produits des joueurs d’un niveau indiscutable : Shota Arveladze, Levan Kobiashvili, Temur Ketsbaia, Giorgi Kinkladze, et autre Kakha Kaladze. Mais, d’une part, partis pour la plupart de plus en plus jeune tenter leur chance en Europe, ils y acquièrent une culture footballistique totalement différente les uns des autres (pour ceux qui arrivent à s’imposer). De l’autre, le manque de moyens et la faiblesse criante du championnat local ne font qu’affaiblir d’année en année une équipe qui aurait pu et aurait dû être un peu plus enthousiasmante. Malgré la tentative de faire venir des entraîneurs étrangers comme Johan Boskamp, Ivan Susak, Hector Cuper, aujourd’hui Vladimir Weiss, et même Alain Giresse (de 2004 à 2005), peu de fois la Géorgie a été en mesure de réaliser une performance telle qu’une qualification pour une phase finale.
Antoine Gautier
Image à la une : © Footballski