Footballski était à Astana pour la rencontre de Coupe d’Europe contre Rennes. Au programme, de belles rencontres, du rap kazakh, un vol de bâche, une doyenne avec toutes ses dents et beaucoup d’émotions.

Astana me revoilà

5h du matin au Kazakhstan, l’arrivée dans le nouvel aéroport Nursultan Nazarbayev se fait à la fraîche. Après m’être gavé de baursak et de manty, je me dirige vers le nouveau musée Nur Alem (en VF « la galaxie de Nur » -pour Nursultan Nazarbayev-) et sa boule en verre géante qui a accueilli l’EXPO 2017. Puis je prends un train dans la nouvelle gare Nursultan Nazarbayev pour aller à Pavlodar, ville nettement moins moderne qu’Astana. La grisaille, la pluie et un froid glacial m’accueillent dans une ville qui n’a pourtant pas besoin de ces conditions pour paraître morne.

Heureusement, il y a des taxis. Dans celui que je prends, résonne la musique de Scriptonite, l’artiste favori des adolescents et jeunes adultes. Adil Zhaletov – le nom du rappeur caché derrière le blase Scriptonite – est d’ailleurs originaire de Pavlodar (ou plutôt de Leninskiy le village d’à côté). Son histoire parle à beaucoup de ses compatriotes. Le jeune Adil a grandi dans un milieu pauvre, travaillait dans une station d’essence locale tout en travaillant ses beats et en les vendant sur les réseaux sociaux. Ses chansons tournent d’ailleurs autour de thèmes ayant marqué sa jeunesse : les crédits à foison pour vivre, l’alcoolisme, la drogue, les violences domestiques, entre autres douceurs. Sa musique recherchée alternant les genres et ses thématiques l’a propulsé numéro 1 des charts au Kazakhstan et star en Russie, dont le rap est de plus en plus sujet à l’influence kazakhe (citons Truwer de Pavlodar lui aussi, et Nazima de Shymkent, mais on pourrait en citer plein d’autres). Une success story qui ne reflète en rien la réalité du pays, ni n’augure de quoi que ce soit, malheureusement pour la jeunesse pauvre de Pavlodar et des autres villes lui ressemblant.

Le football local ne va pas bien non plus puisque l’Irtysh est dernier du championnat. Une surprise pour Mathias Coureur, rencontré par le plus grand des hasards dans l’avion me ramenant en France une semaine plus tard. En effet, après m’avoir raconté les nouveaux déboires conjugaux d’Arshavin (tromper c’est mal), il me raconte : « Je ne comprends pas trop, ils n’ont pourtant pas perdu de gros joueurs l’an dernier. Le mythique coach Dimitar Dimitrov est même revenu mais ils n’ont pas redressé la barre. Ils ont très mal demarré, puis après la confiance… Mais c’est un choc, personne ici ne peut et ne veut imaginer l’Irtysh en deuxième division. C’est impensable. La ligue fera quelque chose pour les sauver ». Mais en fait, je ne vous écrit pas pour vous parler de l’Irtysh et puis si jamais ça vous intéresse, je l’avais déjà fait l’an dernier.


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Une journée bien remplie et un nouveau dodo dans le train plus tard, me revoilà à Astana. La ville continue de briller depuis mon dernier passage et ses bâtiments originaux sont toujours bien resplendissants. Citons, pèle mêle, une salle de concert en forme de fleur, une bibliothèque en forme d’œuf, un cirque en forme de soucoupe volante, un ministère de la finance sous forme de billet de banque, un palais présidentiel conçu pour ressembler à la maison blanche ou le fameux Baiterek, la tour de 100 mètres de haut qui fait penser à une sucette géante. Les hôtels et centres commerciaux tous plus immenses et modernes les uns que les autres se succèdent.


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L’Etat ne compte cependant pas s’arrêter en si bon chemin : après le centre commercial en forme de tente, il y aura celui en forme de cheval. Et comme il n’y a pas d’autres transports en commun que le bus, ce sera le tramway volant qui arrivera à l’horizon 2019-2020. La ville continue d’attirer les jeunes Kazakhs en quête de vie meilleure ou d’opportunités intéressantes. On est décidément loin de la déprimante ville de Tselinograd des années 1990 et son économie dédiée à l’agriculture. Tselinograd a depuis été remplacée par Astana, donc, pour contenir la menace Russe au Nord du pays. Cette nouvelle capitale au design futuriste montre aussi l’ambition du Kazakhstan et son désir de s’éloigner de l’héritage soviétique. Après avoir interviewé le nouveau fan club du FC Astana qui m’a ouvert les portes du club en m’accréditant pour le match, je vais en conférence de presse d’avant match. Il n’en fallait pas plus pour me motiver, cela faisant déjà un mois que j’attendais impatiemment le match.


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Pour patienter, après des discussions avec les sympathiques fans de ce club, je traverse la route et je me dirige vers le stade de Hockey, tout nouveau, tout beau, qui accueille des matchs de KHL. L’ambiance est bon enfant, le public est familial et Barys accroche en plus l’ogre CSKA Moscou (2-3 après prolongations). Mais l’attraction du match, c’est plutôt la superstar Gennady Golovkin présent dans les tribunes et incroyablement acclamé par toute l’arène lorsque le speaker annonce sa présence. Les « Genna, Genna » accompagnent aussi la sortie du stade, tout le monde espérant apercevoir le héros national. Mais le plus important, c’est demain.

barys astana
Damien F

Place aux jeunes

20h au Kazakhstan, seulement 16h en France. Le stade s’offre à nous, superbement illuminé en cette douce soirée d’octobre. Je suis déjà nerveux et excité. J’espère qu’Astana prouvera à toute la France (et surtout à mes collègues) que les Kazakhs savent jouer au football. Le public est très majoritairement jeune, voir très jeune. Ce qui est bien représentatif d’Astana, nouvelle ville faisant office d’eldorado pour tous les jeunes du pays et une des plus jeunes capitales du monde. Tous ne sont pas amateurs de football, loin de là, selon le journaliste kazakh avec lequel je monte en conférence de presse :

Beaucoup d’entre eux viennent pour la première fois, ne s’intéressent pas au football. Cela vient souvent après.

Effectivement, le Kazakhstan est loin d’être un pays de culture foot, personne ou presque n’ayant grandi avec ce sport jusqu’à il y a peu. Depuis quelques années, le football kazakh connaît un frémissement et les jeunes commencent à s’y intéresser. Les soirées européennes à Astana sont justement propices à émerveiller les novices, venant pour l’atmosphère et le plaisir de voir le club représentant le pays rayonner. Le temps que les gens finissent le travail, le stade se remplit doucement, jusqu’à être quasiment plein 10 minutes après le coup d’envoi. Il y aura finalement 28 500 personnes dans ce stade pouvant en contenir 30.000. Parmi eux, un petit contingent de Rennais quasiment au milieu des supporteurs Kazakhs, et un Bordelais qui se trouvait là, sans que l’on sache vraiment pourquoi…

fk astana
Damien F

Le match débute fort pour Astana qui impose un pressing d’enfer et va de l’avant, poussé par un stade criant à chaque fois que son équipe se projette vers l’avant. Une fois de plus, on peut observer la classe incroyable de Maievski, monstrueux à la récupération et convertissant chaque ballon en or. Malheureusement, les choix du trio d’attaque Pedro Henrique – Tomasov – Kabananga sont rarement les bons et le score à la mi-temps est de 0-0. Les Rennais semblent apathiques sur cette première mi-temps, et ne se sont pas créés d’autres occasions que des tirs dans les nuages. Le public se calme enfin pendant la mi-temps, et je demande à mon interlocuteur si un deuxième groupe de fans s’est créé, car je vois un groupe y ressemblant dans le virage faisant face à celui du « 12ème Homme », avec lequel nous avions discuté.

Mi-gêné, mi-amusé, celui-ci me répond : « Oui, ils ne voulaient pas supporter l’équipe avec des femmes ». Ah… Ils se distingueront plus tard par le vol d’une bâche d’un Rennais : « C’est fatigant, ils donnent une mauvaise image de notre pays qui est accueillant. Ils ne sont même pas ultras. S’ils étaient en face des ultras d’Aktobe, ils auraient tellement peur, qu’ils courraient comme des lapins… » rétorque le fan club original. Depuis, la bâche a été retrouvée et va être rendu à son destinataire, notamment grâce aux efforts du « 12ème Homme ». L’ambiance entre les deux promet d’être sympa à l’avenir…

Nous rejoignons justement le fan club pour passer la deuxième mi-temps avec eux. Oui, la tribune de presse c’est sympa, on a une belle vue, mais c’est quand même plus sympa de s’égosiller et de vibrer avec les fans ! La gent féminine y est effectivement très présente, comme dans tout le stade, ce qui n’est pas du tout déplaisant. Un point m’amuse particulièrement, celui de voir un capo qui doit avoir 25 ans, mince, habillé d’une simple combinaison maillot-jean, et un visage de beau gosse de lycée. Les footballskitrips, m’ayant poussé à voir un certain nombre de matchs avec les groupes de supporters, je m’étais habitué à d’autres types de capo… D’ailleurs, les personnes de ce groupe semblent totalement opposés à tout ce que j’avais pu connaître par ailleurs. Contents de voir un étranger avec eux, ils sont nombreux à venir me serrer la main, certains tentant de me dire « Bonjour », en français dans le texte. Tous sont jeunes et tous semblent très avenants.

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Damien F

La deuxième mi-temps reprend. Le gardien Nenad Eric vient devant son kop qui scande son nom. Durant toute la seconde mi-temps, ils acclameront le gardien et scanderont son nom un nombre incalculable de fois. Un vrai héros malgré les deux bourdes qu’il a pu faire contre Kiev et Akzhayik cette saison. Le stade recommence à vibrer à chaque fois qu’Astana va de l’avant. La générosité Kazakhe est récompensée à la 64eme minute quand Bakhtiyar Zaynutdinov reprend victorieusement de la tête un corner. Une délivrance pour ce grand espoir du football kazakh (dans notre sélection 2017), arrivé de Taraz l’an dernier et mis sur la touche par Grigorchuk. Babayan, depuis qu’il a pris les rênes, lui fait confiance à juste titre tant ses performances sont bonnes.

En revanche, Kabananga, autrefois si fort et si impressionnant, fait peine à voir depuis qu’il est revenu de son passage en Arabie Saoudite. Malgré une action où il fait de Jérémy Gelin sa chose avant d’expédier un tir trop haut, il n’a pas assez pesé et a mal négocié ses ballons. Il sort logiquement. La suite du match est une attaque défense et tout le monde souffre dans le stade, criant de soulagement à chaque grand ballon dégagé en touche, à chaque fois que Rennes rate une passe, un tir. Les minutes défilent, Rennes s’enlise. À l’arrivée du temps additionnel, un long ballon dégagé par un défenseur kazakh arrive par miracle au milieu de terrain. Janga gagne son duel de la tête, lançant Marin Tomasov qui file seul. Il remporte son duel avec le gardien pour soulager tout un stade qui n’en finira plus de crier de joie.

Une supportrice qui en a vu

Les « Babayan, Babayan » sortent des travées. Le coach intérimaire, ex adjoint de Stoilov, est plébiscité par les supporters qui veulent qu’il reste à la tête de l’équipe. Grigorchuk n’est pas vraiment apprécié et tout le monde espère secrètement qu’il restera en Ukraine résoudre ses problèmes familiaux. En descendant des tribunes, on entend des gens crier des « Karaganda ! », « Pavlodar ! », « Oural ! ». Signe qu’Astana est plus qu’un club et a bien une vocation nationale, pour rassembler tous les Kazakhs, comme ce que nous avaient dit leurs fans. Ici, les divisions se font rare…

Elle supportait l’ancien club puis elle est devenue fan du nouveau. Parfois, le club lui donne le droit d’aller aux matchs à l’extérieur avec le club. Tous les joueurs la connaissent, elle est très sympa.

Direction la conférence de presse ou Sabri Lamouchi a clairement la tête des mauvais jours. Passe ensuite Babayan, chaleureusement applaudi par toute la salle. Ce n’est pas ça qui va arracher un sourire à ce jeune coach (37 ans) dont le regard et le visage sont fermés en toutes circonstances. L’étape suivante est la zone mixte. Les joueurs Kazakhs prennent le temps de s’arrêter, discuter, serrer des mains. Et d’enlacer la doyenne du club :

« C’est la mémoire du club. Elle a tout connu du FK Zhenis Astana au FK Astana 1964, champion du pays au début des années 2000 quand la ville n’était pas du tout la même. Elle a connu le Stade Central où jouait l’équipe, près de l’hôtel Radisson. C’était le premier club d’Astana. Puis, il y a eu la création du nouveau FK Lokomotiv Astana (enfin, la délocalisation du FK Alma-Ata), il y avait un derby très sympa. La plupart des gens soutenaient l’ancien club qui jouait en 1ère division mais qui a fini par descendre par manque de soutien financier. En 2011, le nouveau club a changé son nom de Lokomotiv en FK Astana. Ce qui a choqué les fans de l’ancien Astana… Puis, ils ont eu des problèmes financiers, le club a été dissolu en 2013 ou 2014. Désormais, plus personne ne joue au football dans ce vieux stade, qui est pourtant mieux que la majorité des stades au Kazakhstan. » me raconte mon collègue Kazakh.

Une vraie mémoire vive du club donc que cette doyenne. « Pour en revenir à cette fan, elle supportait donc l’ancien club puis elle est devenue fan du nouveau. Parfois, le club lui donne le droit d’aller aux matchs à l’extérieur avec le club. Tous les joueurs la connaissent, elle est très sympa. Elle écrit des chansons pour les anniversaires des joueurs. Nenad Eric lui rend visite chaque année pour son anniversaire. L’an dernier une chaîne de TV lui a consacré un reportage. Elle supporte aussi Barys et tout le monde la connaît là bas, »

Seule déception pour nous, Zaynutdinov n’est pas venu. « Il est jeune et très timide, » me dit-on. Même Kabananga qui ne s’arrête jamais, prend le temps. J’en profite pour lui demander comment il se sent depuis son retour. Lucide, il répond qu’il n’a pas encore retrouvé le rythme et la forme, que sportivement c’est compliqué pour lui. Il nous parle de son plaisir de jouer, même si ce n’est que 50 minutes. Et puis, il est content d’être de retour : « Astana, le Kazakhstan, c’est chez moi ! Je suis heureux d’être revenu. Les fans m’aiment énormément et je donne tout pour eux ». Pour finir, saluons le fair play de Clément Grenier qui s’est arrêté répondre à la presse et prendre des photos avec des fans Kazakhs.

Je me dirige vers la sortie accompagné de mes camarades du 12ème homme qui vont boire un café pour débriefer le match. Heureux de cette soirée parfaite mais aussi triste que ce soit déjà fini. On se donne rendez-vous à Rennes en Décembre, où il est possible que Footballski vienne supporter Astana. Vivement le retour !

Le mien se fait le dimanche suivant, un peu avant le combat Khabib – Mc Gregor. Impossible alors de trouver un taxi pour aller à l’aéroport. Autour de moi, absolument tout le monde s’apprête à regarder le combat, sur mobile, ordinateur ou télévision. Un taxi s’arrête finalement. Il faudra doubler le prix pour y aller, et avoir une connexion internet pour que le taxi puisse regarder le combat en conduisant. Ainsi va la vie dans le pays de Golovkin. Où le football continue de grandir et de se faire une place de plus en plus grande.

Damien F., à Astana / Tous propos recueillis par D.F. pour Footballski


Image à la une : Fan club « 12ème Homme »

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