44 ans avant Gheorghe Hagi, il devenait le premier joueur roumain à revêtir le maillot du FC Barcelone. En 1950, Nicolae Simatoc se faisait appeler Nicolae Szegedi et avait déjà 30 ans. L’apogée d’une carrière qui l’a emmené, avant, pendant et après la guerre, sur un tracé toujours mouvant, jamais certain, au gré de son talent, indéniable celui-ci. Et sous des identités multiples. Portrait d’un Bessarabe à Barcelone.

Note : la plupart des propos relatés dans cet article sont tirés de l’excellent documentaire de Violeta Gorgos, « Variations autour d’un nom. Nicolae Simatoc » (Variaţiuni pe un nume. Nicolae Simatoc, en VO), sorti en 2015 sur une idée d’Octavian Țîcu et Boris Boguș, qui en 2013 ont publié, chez Cartdidact, le livre « Nicolae Simatoc (1920-1979) – Légende du football bessarabe, de Ripensia à Barcelone » (Nicolae Simatoc (1920-1979) — Legenda unui fotbalist basarabean, de la ‹Ripensia› la FC Barcelona, en VO).

En Roumanie, de la Bessarabie au Banat

A Barcelone, il se faisait appeler Nicolae Szegedi et était considéré comme Roumain né à Timisoara. De nombreuses sources datent son décès au 1er janvier 1978 à Sydney. Tout ça est partiellement vrai. En réalité, Nicolae Simatoc naît le 1er mai 1920 en tant que Nicolae Șmatoc, à Grimăncăuţi, du côté de Briceni, commune aujourd’hui située en République de Moldavie mais faisant alors partie de la Grande Roumanie. 59 ans plus tard, Nicolae Simatoc décède à Sydney, en pleine partie de cartes, le 11 décembre 1979, sous le nom de Nicholas Sims. Entre-temps, des pérégrinations qui suivent le cours troublé de l’histoire de notre continent et qui font de lui l’un des plus grands joueurs roumains de tous les temps.

© timisoaraexpress.ro

C’est donc à Grimăncăuţi, petit village situé à quelques pas de la frontière ukrainienne, que Nicolae Șmatoc voit le jour. « Il me disait qu’il était avant tout de Bessarabie, qui faisait partie de la Roumanie. La vie était très difficile quand il était gamin. C’était difficile pour tout le monde. Il me disait que chaque jour il mangeait un bout de pain noir avec du saindoux. Il disait qu’il jouait au football avec une balle faite avec des lambeaux. Peut-être que s’il était resté à Grimăncăuţi, il n’aurait jamais joué au football », relate Silvio Simatoc-Szegedi, l’un de ses fils.

Heureusement, un recruteur du Ripensia Timişoara, le club phare de l’époque en Roumanie, passe par là en 1934 et repère tout de suite les qualités de Nicolae Șmatoc, en train de taper la balle avec d’autres gamins du coin, sur un lopin de terre le long du Lopatnic. « Il a appelé Simatoc qui se mettait en évidence de par sa stature imposante pour son âge, mais aussi sa technique et ses qualités physiques, il lui a demandé qui il était, quel âge il avait, et qui étaient ses parents. Il est allé voir sa famille et a dit à ses parents que leur fils était un grand talent et avait un avenir footballistique extraordinaire. Rapidement, ils ont fait leurs bagages et sont partis à trois : le recruteur, le jeune Nicolae et sa mère. Le père du footballeur est resté au village et ils ne se sont jamais revus », toujours d’après le fils Silvio Simatoc-Szegedi. Une version quelque peu contredite par Octavian Stancioiu, rédacteur en chef du Ripensia Sport Magazin et qui assure que « Simatoc est venu avec sa maman à Timişoara en étant encore un enfant, il n’est pas venu en tant que footballeur. Personne ne savait réellement quel était son talent en matière de football. »

Premiers pas au Ripensia

« Il y avait une série d’équipes ici, à Timişoara. Mais il n’y en avait aucune qui était autant aimée que le Ripensia. Quand un match se disputait au Stadion Electrica, on mettait des tramways supplémentaires, et toute une foule de gens, un tas d’amateurs de football, tout le monde était au stade. » – Ioan Vulcanescu, ancien joueur du Ripensia.

En 1934, le Ripensia est déjà le plus grand club de Roumanie et rivalise avec le Venus Bucarest pour les titres de champion. Les Rouge et Jaune ont remporté le championnat en 1933, l’ont laissé au Venus en 1934 puis le gagnent de nouveau en 1935 et 1936, grâce à sa fantastique équipe composée de William Zombory, Rudolf Bürger et Ștefan Dobay – trois joueurs déjà évoqués sur Footballski – sans oublier les Silviu Bindea, Gheorghe Ciolac, Ladislau Raffinski ou Alexandru Schwartz. Mais Nicolae Simatoc, qui joue sous ce nom, passe d’abord par l’équipe juniors. « Cette année-là, le club est déjà solide et dispose d’une équipe première et d’une équipe juniors, une école sportive qui forme au football et au caractère », rappelle Radu Ienovan, président actuel du club récemment reformé.


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Quand il évoque le club de sa ville, Victor Neuman, professeur universitaire et docteur en Histoire à l’Université de l’Ouest de Timişoara, est dithyrambique. « Le Ripensia est un exemple extraordinaire, on ne peut expliquer comment était-ce possible, l’existence d’une telle formation, avec une diversité de joueurs de provenances différentes et qui s’entendaient à merveille, et qui pouvaient représenter d’une part Timişoara, d’autre part la Roumanie dans les compétitions internationales de club. Le Ripensia a donné des leçons de football, il n’est pas devenu par hasard la légende du football roumain, depuis la période de l’entre-deux guerres, tant il est resté jusqu’à aujourd’hui encore dans l’esprit de beaucoup de gens. C’était une référence suprême de ce que signifiait le football de qualité. »

Un club de football de très haut niveau, une ville multiculturelle, Nicolae Simatoc s’y fond comme un poisson dans les eaux de la Bega. Il y apprend le hongrois, l’allemand et le serbe. Il intègre l’équipe première en 1939, après le dernier titre du Ripensia. « Il a assez peu joué, l’équipe était déjà en déclin », admet Octavian Stancioiu. Tout de même, il parvient à accrocher une deuxième place en 1939 et une troisième en 1941, alors que la guerre a déjà commencé et que le territoire roumain est déjà grignoté. Il joue alors milieu droit, sa taille était précieuse – Simatoc faisait 1,95m – et n’entravait en rien sa technique balle au pied, ce qui l’a même conduit à être convoqué en équipe nationale de Roumanie à l’époque.

Radu Ienovan (à g.), président du Ripensia, reçoit le fanion du club datant de la rencontre contre le Milan AC, le 26 juin 1938, de la part du fils de Nicolae Simatoc, Silvio Simatoc-Szegedi (à dr.). | © ripensiatimisoara.ro

Indiqué comme lieu de naissance dans le dictionnaire du FC Barcelone, Timişoara a marqué Simatoc. Nous devons préciser ici qu’il était préférable pour lui de ne pas évoquer son passé bessarabe en ces temps-là, la chasse aux ennemis du peuple faisant rage autant pendant qu’après la guerre. « Je crois qu’à Timişoara, il a découvert une famille. Il a pu s’intégrer à cette ville, dans laquelle il a retrouvé une diversité. Je crois que Simatoc y a assimilé cette identité multiple », avance Victor Neuman. Le président du Ripensia, Radu Ienovan, pense que Simatoc « est parti avec un grand respect et une grande admiration envers Timişoara et le Ripensia. Cela se manifeste dans le fanion du match de 1938 contre le Milan AC, gagné par le Ripensia 3-0, à Bucarest. Il représente l’une des petites choses dont Silvio a hérité de son père et qu’il a tenu à nous offrir à son tour. »

Simatoc joue son dernier match en novembre 1941 et décide ensuite de partir au Carmen Bucarest. « Cela n’a pas été vu comme une trahison, le Carmen était encore un club peu important, les rivaux du Ripensia étaient plutôt le CAO Oradea, le Rapid Bucarest et, surtout, le Venus Bucarest », explique Octavian Stancioiu. Le CAO Oradea, justement, est la prochaine destination de Simatoc, après une saison presque blanche au Carmen, dans un championnat non-officiel organisé durant la guerre.

Entre Bucarest, Oradea et Budapest

Nicolae Simatoc décide alors de rejoindre le CAO Oradea, qui jouait dans le championnat de Hongrie depuis 1940. Il y retrouve d’autres footballeurs venus du Ripensia. « Il y trouve une vie sportive de haut-niveau, Oradea a été pionnière dans tous les domaines du sport. Surtout, dans le monde du football, le club d’Oradea, créé en 1908, était un club important, avec des supporters », indique Ioan Horga, docteur en histoire de l’Université d’Oradea. Le CAO Oradea termine deuxième de l’édition 1942-43, pour finalement gagner le championnat suivant, avec treize points d’avance sur Ferencváros.


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En Hongrie, comme tant d’autres joueurs, il a dû changer de patronyme, du fait de la politique de magyarisation à laquelle étaient soumis tous les noms qui sonnaient étrangers. « Simatoc a choisi le nom de Miklós Szegedi. Ce n’était pas inhabituel à l’époque, c’était obligatoire pour les meilleurs joueurs d’utiliser un nom hongrois », explique Denes Tamas, journaliste sportif basé à Budapest. Le front se trouvant en Transylvanie un an plus tard, Oradea ne pouvait plus jouer dans le championnat hongrois et six joueurs rejoignent alors le Vasas Budapest. Parmi eux, Simatoc qui y joue deux petits matchs mais, surtout, rencontre dans la capitale sa future épouse, une jeune femme issue de l’aristocratie, du nom d’Etel Sztolárcsik. « Elle fut effacée de l’histoire hongroise, étant de famille de nobles allemands. Son grand-père étant général dans l’armée hongroise, il fut exécuté par les Soviétiques, et toute sa famille a été exterminée. Ca a poussé Simatoc, à l’arrivée des Soviétiques en Hongrie en 1945, à se réfugier en Roumanie », poursuit Octavian Țîcu.

Simatoc revient alors au Carmen Bucarest. « C’était un garçon social, sympathique et plaisant, déclare Angelo Niculescu, entraîneur et coéquipier de Simatoc au Carmen. Il se réjouissait non seulement de l’appréciation de ses collègues, mais aussi du public. Quand il jouait au Carmen, la majorité du temps, il était titulaire en équipe nationale où il donnait satisfaction aux spectateurs mais aussi à la presse et aux techniciens avec qui il était en contact. » A cette époque, déjà, Nicolae Simatoc aimait assouvir sa seconde passion, le jeu, les cartes, le Rummy. Il passait déjà beaucoup de temps au café.

Lors de la saison 1946-47, le Carmen termine deuxième du championnat. Simatoc n’y est déjà plus, au terme de la saison. Son dernier match remonte en fait au 13 octobre 1946, pour le compte de l’équipe nationale en déplacement en Albanie. « C’était un grand malheur que le communisme est arrivé. Il aurait été mis au cachot s’il restait au pays. Quelle peur c’était de parler de Simatoc parce qu’il en était de notre responsabilité – si cette histoire était sortie, nous aurions été accusés de propagande hostile aux communistes », poursuit Angelo Niculescu. Simatoc n’avait pas dit un mot, ni de son projet, ni de ses origines, à ses coéquipiers du Carmen. La fuite vers l’Ouest est inévitable et il la réalise avec trois autres collègues footballeurs.

Sa Bessarabie natale est annexée par l’URSS, les liens avec ses origines sont définitivement coupés. Simatoc fait bien attention à les masquer, d’où le fait de mentionner Timişoara comme lieu de naissance. Son départ provoque en effet la fureur du régime. Il est privé de citoyenneté roumaine, le Carmen est radié du football et toute référence à son nom a disparu complètement durant la période communiste, puisqu’il s’est moqué du régime.

L’argent avec l’Inter, les convoitises avec Hungaria

Passé par la Yougoslavie, après un détour par Timişoara pour dire adieu à sa maman, Simatoc arrive à l’Inter, non sans soucis. On lui diagnostique une double pneumonie, tandis qu’un de ses acolytes a perdu un pied à cause du froid. « Mon père est arrivé avec une double pneumonie, il avait une sonde dans le dos pour extraire l’eau de ses poumons. Quand il est arrivé en Italie, ils ont cru qu’il allait mourir », raconte son fils, Silvio Simatoc-Szegedi.

Alors que c’est la Roma qui finance son évasion, Simatoc signe finalement à l’Inter Milan, qui lui a promis de faire en sorte que son épouse, encore à Budapest, puisse le rejoindre en Italie, en plus de prendre en charge les frais médicaux. Giuseppe Meazza, alors entraîneur du club, le voulait absolument. Après une première saison mi-figue mi-raisin où l’Inter se classe 12e loin derrière loin derrière l’intouchable Torino, Nicolae Simatoc et ses coéquipiers parviennent à accrocher la deuxième place la saison suivante, à la fin de laquelle a lieu la catastrophe du Superga.

Nicolae Simatoc (à droite) en pleine discussion avec son entraîneur Giuseppe Meazza, à l’Inter. | © Oriol Tortajada / lesportiudecatalunya.cat

En août 1949, Simatoc signe à Brescia, plus de quarante ans avant que Lucescu, Hagi ou Răducioiu n’y transitent. Le club lombard vient de finir 5e de Serie B. « A Brescia, comme dans toute l’Italie, en 1949 on se remettait en route, on reconstruisait après la Seconde Guerre mondiale, explique Cristiano Tognoli, journaliste du Giornale di Brescia. Le football était très suivi, Brescia jouait encore dans un vieux stade, sur la Viale Piave. Il existait ce désir de relaxation et de distraction, pour oublier les brutalités et les souffrances de la guerre. (…) Simatoc est décrit à l’époque du transfert comme un joueur de grande classe, avec une très bonne technique, qui peut jouer à trois positions, milieu centre, milieu défensif et défenseur. » Simatoc joue 30 matchs, pour 8 buts.

Mais Brescia est surtout le lieu où, avec plusieurs autres footballeurs évadés d’Europe de l’Est, surtout des Hongrois, il rencontre un joueur qui deviendra un grand ami, avec lequel il fonde « l’équipe des réfugiés » basée dans le camp de réfugiés de Cinecittá, près de Rome. Ce joueur, c’est Ladislau Kubala, et l’équipe est la fameuse Team Hungaria ou Hungaria FbC Roma, entraînée par le Slovaque Ferdinand Daučík. Arrivé en Italie, Simatoc était apatride, comme d’autres évadés d’Europe de l’Est. Il n’a pas obtenu la citoyenneté pour jouer à l’Inter ou à Brescia, il a utilisé le certificat de la Croix Rouge. « C’était un phénomène d’époque pour les footballeurs d’Europe de l’Est qui se sont évadés ; ils ont choisi d’être apatrides pour jouer en championnat et éviter d’être disqualifiés », rappelle Octavian Țîcu, faisant référence aux sanctions de la FIFA infligées à ceux qui ont fui leur pays.

Kubala est à genoux avec le trophée, Simatoc se trouve debout. | © archive.is

« Après avoir quitté leur pays, sans demander l’accord de leur Fédération pour rejoindre l’Italie, ils ont été suspendus par la FIFA. La majorité d’entre eux étaient sans club, mais certains avaient un permis pour jouer, comme Gyula Zsengellér, par exemple, mais c’était une exception. Cette équipe essayait de maintenir sa forme avec des matchs de football durant la période de suspension et, malheureusement, certains ont ainsi gâché leurs plus belles années », indique Denes Tamas, tout en soulignant la qualité de l’équipe en question, qui a joué une série de matchs amicaux en 1950, notamment contre le Real Madrid, le FC Barcelone ou l’Espanyol. Elle bat même une équipe d’Espagne en pleine préparation pour le Mondial brésilien. « Les Espagnols ont demandé un match retour après la défaite, poursuit Denes Tamas, mais les Hongrois menaient encore à la marque, alors les Espagnols leur ont demandé de leur concéder la victoire pour éviter un scandale. »

La saison des cinq Coupes à Barcelone

« Ils étaient tellement bons que de l’équipe des réfugiés, qu’ils ont montée sous le nom de la Hongrie, mais qui en fait était de nulle part, ils sont arrivés dans les premières divisions en Italie et en Espagne, jouant des matchs amicaux pour gagner de l’argent pour la nourriture dans les camps de réfugiés où ils habitaient. Cela démontre quel genre de joueurs ils étaient. » – Ladislau Kubala Jr, fils de Ladislau Kubala

Dans cette équipe, Nicolae Simatoc, qui se renomme alors Szegedi, était le seul à avoir un statut de footballeur professionnel, « ce qui donnait une certaine légitimité à cette équipe d’immigrés », rajoute Octavian Țîcu. Durant la tournée espagnole, comme Kubala, Simatoc est approché par Santiago Bernabeu avant d’accepter l’offre du concurrent, le FC Barcelone, peu avant son ami hongrois. Il devient du même coup le premier Roumain à joueur pour les Culés. Avec à sa tête Ferdinand Daučík, le Barça des années 1950 devient petit à petit irrésistible, Nicolae Szegedi porte le numéro 10 et participe à la fête deux saisons durant. « Szegedi était comme un nom de scène. La plupart des gens pensaient qu’il était hongrois, mais les journalistes le savaient roumain », s’amuse Silvio Simatoc-Szegedi.

Son premier match se déroule contre la Real Sociedad, le 10 septembre 1950. Victoire 8-2, avec un dernier but de Nicolae Szegedi. Les débuts sont plutôt réussis. Le public l’adopte très vite, jusqu’à faire jaillir toutes sortes de légendes. « Il y a une anecdote dans un journal qui disait que dans un match, Szegedi a pris la balle et a dribblé toute l’équipe. Il a même dribblé Kubala, Cesar et Biosca, ses coéquipiers, et les deux policiers qui se tenaient derrière le goal puis a donné une passe à César qui a mis le ballon au fond ! » raconte Silvio Simatoc-Szegedi.

Le Barça des Cinq Coupes. | © puterea.ro

Deux semaines plus tard, le Barça humilie le Real Madrid, 7-2, le record du Clasico le plus prolifique de l’après-guerre, avec Szegedi sur la pelouse. Le Roumain est très souvent utilisé par Daučík cette saison-là, avec un total de 28 matchs pour deux buts. Kubala est encore banni et ne peut jouer que la Coupe d’Espagne, que le Barça gagne en battant la Real Sociedad 0-3 en finale.

Après une 4e place en championnat en 1950-51, la saison suivante est celle de tous les succès, celle des « Cinq Coupes ». Championnat, Coupe d’Espagne, Supercoupe d’Espagne, le Trophée Martini & Rossi (décerné à l’équipe au meilleur goal average) et surtout la Coupe Latine, gagnée 1-0 face à l’OGC Nice. Le Barça est au-dessus de tout le monde. « L’équipe des Cinq Coupes est celle qui a rendu le Barça d’aujourd’hui possible. C’est celle qui a fait la différence. Jusqu’alors, ils jouaient dans le stade Les Corts, devant60 000 personnes. Après tous ces trophées, le stade est devenu trop petit, immédiatement », raconte Silvio Simatoc-Szegedi.

Nicolae Szegedi joue sept matchs lors de cette saison, marquée par une grosse blessure au pied droit durant l’hiver. En 1952, il a 32 ans et pense tout doucement à la suite de sa carrière. Aussi, sa passion du jeu et des cartes, qu’il aime autant que le football depuis tout petit, s’intensifie avec les généreux salaires offerts par le club catalan. On raconte que lorsqu’il a reçu sa première paie, le néo-Barcelonais s’est acheté une voiture et a filé à Monaco pour tout dépenser, en une nuit, au casino. Il a appelé Kubala et lui a demandé de lui envoyer de l’argent pour qu’il puisse acheter un ticket de train pour retourner à Barcelone ! Sa santé et son manque de discipline ont un impact sur ses performances sportives. Il fait alors une pige au Real Oviedo, tout juste promu en Liga, où il met fin à sa carrière de footballeur.

Sydney sur sa carte d’identité

Sa femme et lui sont apatrides et ont fui leur pays d’origine très tôt, sans un espoir de le revoir un jour. Ils se sont connus à Budapest, ont déménagé à Milan, puis à Brescia, à Barcelone et à Oviedo.  Après sa carrière de footballeur, il passe son diplôme d’entraîneur et prend en charge quelques équipes espagnoles modestes (Lleida où il découvre Elavio, après avoir pris en main Sabadell) et se voit même proposer le poste de sélectionneur de la Roumanie en 1963, la détente étant amorcée, mais il refuse. C’est à ce moment-là que sa femme et lui réfléchissent à ce qui est le mieux pour eux, mais surtout pour leurs fils. La réponse se trouve de l’autre côté du globe, à Sydney, où la famille déménage et reçoit la citoyenneté australienne. Un passeport, enfin.

« La décision de l’Australie fut prise pour moi et mon frère. Ma mère disait : mes fils auront un passeport australien, ils auront un futur. Ce pays est nouveau, sans ressentiment comme on peut en avoir en Europe », explique Silvio Simatoc-Szegedi. Nicolae Simatoc se trouve un dernier nom, Nicholas Sims et se met aux affaires après quelques piges d’entraîneur dans des équipes locales de différentes communautés, hongroise avec le St. George-Budapest Club et polonaise avec le Polonia Western Eagles. Que pouvait-il ouvrir d’autre qu’un casino ? Amoureux des jeux, c’est en jouant aux cartes que Simatoc s’éteint, le 11 décembre 1979.

Sa technique raffinée, sa taille et son jeu aérien extraordinaire en ont fait un joueur très apprécié par ses coéquipiers et le public. Il a progressé partout où il est passé, jusqu’à atteindre l’apogée de sa carrière avec l’immense FC Barcelone de Daučík et Kubala. Vice-champion de Roumanie, champion de Hongrie, vice-champion d’Italie, champion d’Espagne. Simatoc a réussi à glaner un palmarès fourni dans une période troublée, au gré de son talent et en évitant les toiles d’araignées totalitaires de l’époque. « Il ne parlait jamais de ces performances, il n’a jamais dit qu’il est champion de ceci ou de cela. Il continuait juste sa vie », assure Silvio Simatoc-Szegedi.

Différents noms pour le même joueur. | © Timisoaraexpress.ro

Un polyglotte aux identités multiples, tel le reflet des villes cosmopolites dans lesquelles il a vécu et brillé. Un talent inné, poli au fil des ans, endurci par les épreuves, mis au service des réfugiés dans l’équipe Hungaria, et reconnu comme tel par ses pairs. « Lorsque l’équipe nationale roumaine est venue en Australie, mon père est allé à leur hôtel pour leur rendre visite. Il a dit « Je suis Nicolae Simatoc ». Le sélectionneur avait joué avec lui, au Carmen, et a commencé à pleurer. Parce que, en Roumanie, tout le monde pensait qu’il était mort », conclut Silvio Simatoc-Szegedi.

Thomas Ghislain


Image à la une : Du voyage pour le Real-Barça du 11 novembre 1951. Malgré la défaite 5-1, le Barça remportera le championnat. | © prosport.ro

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