Cinq buts. Cinq petits buts qui sont un record depuis 80 ans. Bien des décennies avant José luis Chilavert et Rogério Ceni, le football connaissait déjà un gardien buteur. Avec cinq buts marqués durant sa carrière dans les années 30, William Zombory est, aujourd’hui encore, le gardien ayant marqué le plus de buts en Divizia A, la première division roumaine devenue Liga I voila quelques années. Si son record est toujours en vigueur, le joueur n’est pas réduit à cette simple performance. Car au-delà des chiffres, William Zombory, ce sont de folles histoires, ces anecdotes d’un football révolu.

Le gardien de Timișoara

Le 11 janvier 1906, c’est sous le nom de Vilmos Zombori que naît notre homme. Un enfant qui, à l’instar de Ștefan Dobay, de Rudolf Bürger et de tous ses contemporains du Banat, naît à Temesvár (ancien nom de Timișoara), dans une région appartenant encore à l’Empire d’Autriche-Hongrie. Il faudra attendre 1920 et le retour de la région au sein de la Grande Roumanie pour que Vilmos Zombori ne devienne William Zombory.


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Le jeune Austro-hongrois n’attend néanmoins pas le Traité de Trianon pour prendre sa première licence et rejoindre le Temesvári Kinizsi SE. Nous sommes en 1919 et, à 13 ans, le jeune Vilmos fait ses premières armes dans le meilleur club de la région. Un club qui devient un an plus tard le Chinezul Timișoara, légendaire vainqueur de six championnats de Roumanie consécutifs dans les années 20. Tout comme son coéquipier Rudolf Bürger, Zombory ne participe qu’à la conquête du dernier de ces six titres. Sept ans à peine après ses débuts, le jeune gardien de but profite des premiers départs de titulaire du Chinezul – en proie à des problèmes financiers – pour trouver sa place dans l’effectif et faire ses premières apparitions en première division. Rapidement couronnées par un titre de champion national, mais également par une première sélection avant même son vingtième anniversaire.

Lorsque le Chinezul perd peu à peu ses meilleurs joueurs et rentre plus ou moins dans le rang (3e en 1929, 2e en 1930), Zombory est devenu un maillon essentiel de son équipe. Avant d’imiter une fois encore son coéquipier Bürger en rejoignant à l’été 1930 la nouvelle force du football roumain, le Ripensia Timișoara. Club qui est alors le seul du pays à avoir passé le pas du professionnalisme. Une notion qui créé de vifs débats dans le pays. La fédération met des mois à légiférer sur la question du professionnalisme, qu’elle autorise au mois d’octobre 1930. Dès le mois de novembre, Zombory fait partie des tous premiers joueurs déclarés professionnels par le Ripensia. Des joueurs qui doivent néanmoins attendre deux ans avant de voir leur club autorisé à évoluer en Divizia A. Deux années de tournées et matchs internationaux, où le club est notamment brièvement entraîné à ses débuts par un certain Ferenc Plattkó.

Match amical entre le Ripensia et le CAO Oradea en 1931. © facebook.com/stefan.dobay

Dès sa première saison, le Ripensia domine le championnat de la tête et des épaules, au nez et à la barbe des forces de la capitale que sont alors la Juventus Bucarest et surtout le Venus Bucarest, double champion de Roumanie. Vainqueur de son groupe, le Ripensia bat en finale l’U Cluj (5-3 et 0-0). Battu l’année suivante par le Venus des frères Vîlcov en finale, le club du Banat conquiert un deuxième titre en 1935, à l’issue du premier championnat de Divizia A disputé sous la forme d’un unique groupe, avant de récidiver l’année suivante, en 1936. Avec ces titres, auxquels s’ajoutent deux Coupes de Roumanie, Zombory fait partie de l’âge d’or du Ripensia. Après quelques années d’absence, l’équipe nationale lui ouvre de nouveau les bras.


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La sélection, une longue attente

William Zombory ne compte que huit sélections avec l’équipe nationale roumaine. Une chiffre qui s’explique par la rareté des matchs de la sélection à cette époque. La première remonte à 1926, année de son premier titre, lorsqu’il évoluait encore avec le Chinezul. La Roumanie avait alors battu la Yougoslavie 3-2 à Zagreb lors d’un match comptant pour la Coupe du Roi Alexandre Ier. Même chose en 1929, où c’est encore pour ce même trophée que Zombory participe à la nouvelle victoire 3-2 de la Roumanie, cette fois-ci sur la pelouse du Stade ONEF de Bucarest. Las, il ne dispute qu’un seul des quatre matchs de la sélection durant l’année et ne fait pas partie de la sélection, faite par le Roi Carol II en personne, pour la Coupe du Monde 1930.

Zombory et ses coéquipiers de la sélection en 1933 © Fotbal Vest (avec leur aimable accord)

Après ces deux premières apparitions déjà bien espacées, il faut encore attendre quatre longues années au gardien du Ripensia Timișoara pour obtenir sa troisième cape. La faute à la forte concurrence à son poste, avec Lăpușneanu, Szatmary, Püllök et autres Andrei Șepci qui se partagent le poste au fil des années. Fin 1933, c’est néanmoins Zombory qui est titularisé par le sélectionneur Costel Rădulescu pour le match face à la Suisse comptant pour la qualification à la Coupe du Monde 1934. Un match difficile face à Max Abegglen et ses coéquipiers. Au Stade du Wankdorf de Berne, les Roumains tiennent tête aux Suisses et obtiennent le nul 2-2. Mais un événement inattendu survient, lorsque la FIFA donne match perdu à la Roumanie. Celle-ci considère en effet Iuliu Baratky comme non-sélectionnable, la légendaire « Merveille blonde » ayant évolué avec la Hongrie auparavant. Pour Zombory, blessé et remplacé à l’heure de jeu par Adalbert Püllök, le match laisse un goût encore plus amer.

L’année 1934 ne démarre pas sous les meilleurs augures. Püllök est en effet titulaire lors des deux premiers matchs de la sélection nationale, notamment le 29 avril, pour le match Roumanie-Yougoslavie décisif pour la qualification à la Coupe du Monde. Dans un Stade ONEF garni de 20 000 spectateurs, les Roumains, sans Zombory, l’emportent 2-1 grâce à un but de l’inévitable Ștefan Dobay en fin de match. Un match où les Yougoslaves touchent les montants pas moins de… huit fois !


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Grâce à cette victoire spectaculaire, la Roumanie, déjà présente en 1930 parmi les quatre sélections européennes envoyées en Uruguay, se qualifie pour la Coupe du Monde 1934. Avec une équipe composée en très grande majorité de joueurs d’origine hongroise ou allemande évoluant dans les grands clubs de l’époque que sont le Ripensia Timişoara ou le Crişana Oradea. La très minorité de joueurs d’origine roumaine en sélection fait naître bien des controverses – une campagne de « romanisation » de l’équipe est même publiquement réclamée par un écrivain – mais celles-ci ne l’empêchent en rien de briller. En Italie, la donne est ainsi quasiment la même. Et en tant que champion en titre, le Ripensia envoie une très forte colonie de joueurs. Pas moins de neuf de ses titulaires sont en effet du voyage pour le Mundiale : Zombory, Bürger, Deheleanu, Kotormany, Bindea, Dobay, Kovacs, Ciolac et Schwartz. L’aventure est malheureusement très courte. Dans cette compétition à élimination directe, la Roumanie affronte la Tchécoslovaquie dès le premier tour. William Zombory y retrouve la place de titulaire. Grâce à un nouveau but de Dobay, les Roumains mènent 1-0 dès la dixième minute, mais finissent par s’incliner 2-1 face à des Tchécoslovaques qui iront jusqu’en finale. Pour Zombory, cette défaite signifie une nouvelle attente de plusieurs mois pour porter de nouveau le maillot de l’équipe nationale.

L’équipe de Roumanie opposée à la Tchécoslovaquie. De gauche à droite : Costel Rădulescu (selectionneur), Kotormany, Deheleanu, Albu, Dobay, Morawetz, Sepi, Vogl, Kovacs, Bodola, Bindea, Josef Uridil (entraîneur). En bas, Zombory tient le ballon. © historia.ro

Prêt à tout pour la sélection

Ce sont sept nouveaux moins qui s’écoulent. A l’automne 1934, la Roumanie joue un match contre la Pologne, mais sans Zombory. Ce sont en fait plusieurs joueurs de clubs de l’ouest du pays qui sont écartés. La faute à un homme : le nouveau sélectionneur Alexandru Săvulescu. Un sélectionneur accusé de l’époque de préférer les joueurs de la capitale à ceux de province. Le poste de gardien en est un exemple frappant. William Zombory et Andrei Șepci (U Cluj) sont écartés de la sélection malgré leurs bonnes prestations, pour y être remplacés par Carol Burdan (Venus Bucarest) et Anghel Crețeanu (Juventus Bucarest). Une décision vivement critiquée par la presse :

« Il fallait voir et revoir Șepci en ce début de saison. Il n’a encaissé que 11 buts en 11 matchs de championnat quand presque tous les autres en ont 20 à leur passif. Il n’a eu qu’une malchance : la provincialophobie du sélectionneur, et surtout le fait que ce dernier n’ait pas eu la curiosité de voir jouer beaucoup de joueurs autres que ceux du club qu’il soutient, le Venus. »

Mais le 30 décembre, un télégramme arrive au siège de la Fédération Roumaine de Football (FRF) : « Creţeanu blessé pendant le match contre la Bulgarie. Envoyez immédiatement un gardien pour jouer contre la Yougoslavie. » L’appel est désespéré. L’équipe nationale est alors en Grèce pour la Coupe des Balkans. Une compétition dont elle détient le trophée après une édition 1933 remportée haut la main. A Bucarest, la Roumanie avait, avec un Andrei Șepci imbattable, remporté ses matchs face à la Bulgarie (7-0), la Grèce (1-0) et la Yougoslavie (5-0) sans encaisser le moindre but. C’est donc en tenant du titre qu’elle est attendue à Athènes, mais tout ne se passe pas aussi bien durant ces fêtes de fin d’année.

Face à la Grèce, les Roumains ne peuvent faire mieux qu’un nul 2-2. Un résultat désastreux pour cette équipe, d’autant plus qu’elle menait 2-0 dès le quart d’heure de jeu. Titulaire dans la cage, Burdan est remplacé par Crețeanu pour le deuxième match, face à la Bulgarie, joué le 30 décembre. La Roumanie mène 3-0, mais Crețeanu, blessé, doit céder sa place à Burdan, qui encaisse deux nouveaux buts. Durant la retransmission radio, le commentateur Virgil Economu lui-même lance un appel désespéré aux officiels de la fédération pour qu’ils envoient Zombory, le « vétéran du Ripensia » (il a 28 ans). Sur place, Săvulescu se rend compte de son erreur et ne demande non pas un mais deux gardiens pour sauver son bilan. William Zombory et Andrei Șepci sont appelés. Et avec urgence, car le trophée doit se jouer le surlendemain, 1er janvier 1935, face à la Yougoslavie. Tout se fait dans la plus grande hâte, et le plus grand désordre. La convocation officielle tombe le 30 décembre à 19h30 pour les deux hommes. Un seul arrivera à Athènes.

Lorsque Zombory est informé de sa convocation, il a deux heures pour être dans le train en partance de Timișoara vers la Yougoslavie. A peine le temps de faire sa valise, et pour la FRF de régler les problèmes de visa. Le gardien n’hésite pas une seule seconde, mais deux problèmes se posent : absent des terrains depuis trois mois, il avoue à la fédération ne pas être sûr de son niveau, mais n’avoir surtout pas un sou en poche ! Un représentant local de la fédération lui prête un peu d’argent, et le voilà parti pour un long trajet vers Athènes.

Pour Șepci, habitant Satu-Mare, c’est bien plus compliqué. Celui-ci prend un taxi pour Cluj, où il saute dans le train pour Bucarest. De la capitale, il embarque dans un petit avion deux places piloté par un certain Gheorghe Bănciulescu, aviateur héros de la Première Guerre mondiale ayant la particularité d’avoir des prothèses aux deux jambes. Oubliant le réveillon du Nouvel An, mais surtout la tempête de neige qui s’abat sur le pays, les deux hommes décollent le 31 décembre à midi. Le trajet doit se faire en plusieurs étapes, des ravitaillements étant prévus en Bulgarie puis à Salonique avant d’arriver à Athènes.

Un Curtiss B-2 semblable à celui utilisé par les deux hommes. © avionslegendaires.net

Après un long trajet et une nuit du Nouvel An passée dans le train, William Zombory est sur le terrain, prêt à défendre le but roumain face aux Yougoslaves en ce 1er janvier. Un match que ces derniers remportent facilement 4-0 face à des adversaires totalement démobilisés. Et pour cause, Andrei Șepci n’est pas arrivé à Athènes. Son avion est porté disparu. Dans l’attente de nouvelles qui n’arrivent pas, les Roumains n’ont pas la tête au match.

« Son parachute était tellement enroulé autour de lui qu’il ne se serait jamais ouvert, il serait mort en heurtant le sol. »

Le soir du 31 décembre, les autorités grecques annoncent à leurs homologues roumaines qu’elles n’ont aucune trace de l’avion. Ce n’est qu’au petit matin, et un nouvel appel, que les Roumains s’affolent. D’autant plus que côté bulgare, aucune information n’est donnée. Ce n’est qu’en fin de journée, après le match donc, que les Bulgares annoncent qu’après une escale à Burgas allongée par les nombreuses formalités administratives à remplir, les deux hommes ont passé la nuit au sol avant de repartir au petit matin mais ont été vus volant à basse altitude le long de la côté… en direction du nord ! L’explication est simple : à cause d’un kérosène de mauvaise qualité lors du ravitaillement en Bulgarie, les deux hommes ont été contraints de faire demi-tour vers la Roumanie pour atterrir à Constanța. Las, le moteur coupe en vol, obligeant le biplan Curtiss B-2 à un atterissage forcé dans champ près de Mangalia. Une fois la périlleuse manœuvre réussie, les deux miraculés ont rejoint la ville à pied et en charrette, avant de prévenir enfin la fédération.

Le reste est raconté par Gheorghe Bănciulescu dans le journal Gazeta Sporturilor du 2 janvier : « Șepci est le véritable héros de cette Coupe des Balkans. Il s’est porté volontaire avec courage pour ce vol, malgré le froid, dans le seul but d’aider son équipe. Avant le décollage, je lui ai mis son parachute et je lui ai expliqué quand et comment sauter de l’avion en cas de danger. (…) Nous étions à 1 000 mètres d’altitude quand le moteur à commencé à ‘tousser’ et il a fallu effectuer des manœuvres compliquées pour trouver un terrain où se poser. D’un coup, je regarde derrière moi et je vois Șepci, parachute en main, prêt à se jeter dans le vide. J’ai réussi au dernier moment à le tirer en arrière, mais j’ai pu lire une détermination sans faille sur son visage. Cette seconde lui a sauvé la vie. Son parachute était tellement enroulé autour de lui qu’il ne se serait jamais ouvert, Șepci serait mort en heurtant le sol. (…) Après plusieurs manœuvres atroces, nous avons réussi à atterrir à Mangalia et de là, ce courageux jeune homme, qui mérite toute reconnaissance pour son esprit de sacrifice, est rentré chez lui en train. » Une histoire invraisemblable qui montre l’attachement de ces deux hommes pour leur équipe nationale. Une sélection dont les huit présences de Zombory s’étalent de 1926 à 1935.

Le gardien buteur

Zombory et l’équipe du Ripensia, avant la finale de Divizia A gagnée face à l’U Cluj en 1933 © nrpress.wordpress.com

Quelques jours avant son 29e anniversaire, William Zombory fête ainsi d’étrange manière sa huitième et dernière cape avec l’équipe nationale. Il n’en est néanmoins pas à son dernier coup d’éclat. Car le gardien de niveau international se double d’un excellent tireur de penalty. Lui-même déclare qu’il a marqué plus de buts qu’il n’en a encaissés dans cet exercice. Une affirmation impossible à démontrer, mais qu’il: « Je n’épargnais personne. J’avais deux atouts : je connaissais mieux que les joueurs de champ les qualités et défauts des gardiens adverses, et je conservais très bien mon calme et ma lucidité quand je frappais. » A côté des cinq buts marqués en Divizia A, deux matchs, disputés hors-championnat, en sont la preuve.

Le premier est la finale de Coupe de Roumanie, disputée le 6 juin 1935. Le Ripensia fait le voyage jusqu’au Stade ONEF de Bucarest pour y affronter le Rapid Bucarest, qui s’appelle alors encore le CFR Bucarest (pour Casa Feroviarului Rapid Bucarest). Un match au déroulement aussi fou qu’imprévisible. Contre toute attente, le CFR mène 2-0, se fait remonter, puis reprend deux buts d’avance, menant 4-2 à l’heure de jeu puis 5-3 à la 70e minute ! Le Ripensia revient néanmoins au score en fin de match grâce à Ștefan Dobay, encore et toujours, puis à Zombory, qui ne craque pas sous la pression et transforme un penalty à la 88e minute. Le CFR s’impose finalement 6-5 en prolongations. Une défaite que le Dr Cornel Lazăr, créateur et entraîneur du Ripensia, explique par la petite forme d’une partie de ses joueurs après une récente série de blessures. « J’ai prié pour qu’on ait un nouveau penalty, en vain, » a lui avoué le gardien buteur

Quelques semaines plus tard, Zombory récidive, dans des circonstances plutôt inédites. Le 19 août, le Ripensia termine une série de matchs de gala face à l’Austria de Vienne. Le grand Austria, mené par Matthias Sindelar, le « Mozart du football » sur le terrain, et le visionnaire Hugo Meisl sur le banc. Les deux hommes qui ont notamment mené la Wunderteam autrichienne en demi-finale de la Coupe du Monde italienne un an plus tôt. Deux équipes défendues par le gardien de but Rudi Hiden. Ces vedettes de l’époque, Zombory va s’en jouer durant ce match joué dans le Stade Venus de Bucarest. Non pas une, mais deux fois.

Les faits ont été relatés par Coloman Braun-Bogdan, attaquant de la Juventus Bucarest venu voir le champion national en découdre avec quelques-uns des meilleurs joueurs du monde. Des joueurs auxquels le Ripensia rend la vie dure. Jusqu’à un penalty accordé par l’arbitre. Zombory s’avance pour le tirer. Il n’est pourtant que remplaçant ! Dumitru Pavlovici est titulaire dans la cage du Ripensia, mais lorsque l’arbitre siffle la faute, Zombory, placé derrière le but, échange sa place avec son coéquipier, traverse le terrain, tire le penalty, bat Hiden, puis retourne calmement vers le but, où il croise de nouveau Pavlovici, avant de retourner s’asseoir sur le banc. Un manège qui n’était pas prémédité, comme il l’affirme par la suite : « J’étais remplaçant de Pavlovici, mais ça ne s’est pas bousculé pour le tirer, alors je me suis faufilé et j’ai marqué. » Le tout sans que personne ne bouge. L’arbitre Denis Xifando, pourtant le meilleur arbitre roumain du moment, qui a officié sur plusieurs matchs internationaux, n’a rien vu.

« Sindelar était formidable, un maestro inégalable du ballon rond, un fin stratège, aux feintes parfaites, mais vous croyez que l’on peut maîtriser ses nerfs aussi facilement? » Coloman Braun-Bogdan

Quelques minutes plus tard, M. Xifando siffle un nouveau penalty en faveur du Ripensia. « La scène se répète, raconte Cibi Braun, mais cette fois-ci, Sindelar court vers l’arbitre en criant ‘Ils sont douze sur le terrain !’ Je ne sais pas ce que Denis Xifando lui a répondu, mais Sindelar a répliqué avec son célèbre coup de pied, directement appliqué avec précision et maestria sur le fondement de l’arbitre. » Suite à ce geste d’humeur, Sindelar est exclu du match, et sera réprimandé par la fédération autrichienne. Face au ballon, Zombory ne perd pas son sang froid et bat une seconde fois Hiden. Au terme de ce match au déroulement incongru, les deux équipes font match nul 3-3.

Après cet étonnant coup d’éclat, Zombory poursuit sa carrière avec brio durant quelques années. Il ajoute deux titres nationaux à son palmarès, pour au final porter leur nombre à cinq, et marque par deux fois durant la saison 1936-37. Resté fidèle à sa ville de Timișoara, il évolue jusqu’en 1938 au Ripensia, avant de porter durant quelques matchs le maillot de l’ILSA Timișoara, le club de l’usine de laine de la ville (Industria Lânii Societate Anonimă Timișoara, soit Industrie de la Laine Société Anonyme en français). Après un arrêt de quelques années durant la Seconde Guerre mondiale, il rejoue un temps avec le Poli Timișoara, avant d’entraîner le club voisin du Vulturi Lugoj durant deux ans. Une expérience sans lendemain sur le banc, avant de se consacrer à la fonction d’arbitre pendant près d’une décennie. William Zombory est décédé en 1993, quelques jours après avoir fêté son 87e anniversaire.

Aujourd’hui encore, son record de cinq buts marqués tient toujours en Liga 1 roumaine. Le grand Rică Răducanu, titulaire indiscutable en sélection une décennie durant, s’en est approché avec trois buts marqués, tous sur penalty, en 1973 et 1974, sous le maillot du Rapid Bucarest. Auxquels s’ajoutent un but marqué en Coupe de l’UEFA, son préféré, comme il l’avouait en 2015 au journal Gazeta Sporturilor : « En 1976, avec le Sportul. On avait battu l’Olympiakos 3-0 à l’aller et on jouait à domicile. On a eu un penalty à la 30e minute. Personne ne voulait y aller, si bien qu’Angelo Niculescu m’a envoyé le tirer ! En Divizia A je ne stressais pas, mais là, il y avait une qualification en jeu. Heureusement, j’ai marqué. »

L’immense Rică Răducanu © alchetron.com

Si Zombory est un précurseur, Petre Rădulescu l’a un temps légèrement devancé. Le gardien de l’Unirea Tricolor – devenu le Dinamo Bucarest par la suite – est le tout premier gardien à avoir marqué par deux fois en Divizia A, grâce à deux buts marqués lors de la saison 1935-36. Il n’en marquera plus par la suite en championnat. Un autre portier a marqué un but lors de cette saison 1935-36. Il ne s’agit de personne d’autre qu’Andrei Șepci, le fameux gardien de la Roumanie lors de la Coupe des Balkans 1933, qui marque l’unique but de sa carrière sous le maillot de l’U Cluj.

Bien d’autres gardiens de but ont réussi à marquer un but en Divizia A. Parmi ceux encore en activité, seul Mircea Bornescu est dans la liste. En assez bonne place puisqu’il a marqué à deux reprises lors de la saison 2006-07 avec l’U Craiova. Mieux, l’actuel gardien de but du FC Voluntari avait aupravant marqué à onze reprises en Divizia B, toujours avec Craiova. A 36 ans, Bornescu n’a plus marqué depuis près de dix ans et ne devrait donc pas venir menacer le record de William Zombory. Un record qui tient donc bon en Roumanie, et pourrait bien être encore d’actualité dans une vingtaine d’années, un siècle après avoir été réalisé.

Pierre-Julien Pera


Image à la Une © historia.ro

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