Il y a dix ans, l’Arménie entamait une campagne qualificative mémorable qui fit couler beaucoup d’encre. Si aujourd’hui ces performances sont un lointain souvenir, elle permirent tout de même l’émergence de la « génération de l’indépendance ».
Objectif 2012
Le tirage au sort des groupes de la phase qualificative de l’Euro polono-ukrainien s’est tenu à Varsovie le 7 février 2010. L’Arménie tombe dans le groupe B en compagnie de la Russie, la Slovaquie, l’Eire, la Macédoine et Andorre. Le sélectionneur Vardan Minassian, en poste depuis 2009 déclarera :
Le groupe n’est pas si faible que ça. Nous allons faire tout notre possible pour être bien classés. Il y a un changement de génération au sein de la sélection et la lutte contre la Russie, l’Irlande et la Slovaquie nous sera très utile.
Vardan Minassian ne croyait pas si bien dire. Il va s’appuyer sur son apprentissage auprès de Ian Porterfield, le regretté entraineur écossais qui fut sélectionneur de l’Arménie en 2006-2007 avant de décéder d’un cancer. Sous sa houlette, la jeune formation arménienne (24 ans de moyenne d’âge) allait faire vivre au peuple arménien sa plus fabuleuse aventure footballistique depuis l’épopée glorieuse de l’Ararat Erevan dans les années 1970.
L’Ararat Erevan aux deux sommets du football soviétique en 1973
L’équipe arménienne aura aussi un renfort de poids en la personne de Yura Movsisyan (23 ans), un puissant attaquant, dont le profil a toujours manqué à la formation caucasienne. On retrouve également le nouveau prodige du football arménien, Henrikh Mkhitaryan qui va s’engager au Shaktar Donetsk. Enfin, on retrouve les deux vétérans, l’inamovible gardien Roman Berezovsky (36 ans) et le défenseur et capitaine Sarkis Hovsepyan (38 ans).
Le premier match de leur campagne les amènera à affronter la République d’Irlande le 3 septembre 2010 à Erevan. Le but de Fahey à la 76ème minute scelle la victoire irlandaise. Mais, Giovanni Trappattoni déclarera après le match : « chaque équipe de notre groupe qui jouera à Erevan va avoir de gros problèmes ». Son homologue arménien affirmera : « Mes protégés ont senti qu’ils méritaient la victoire et dans l’avenir ils montreront leurs forces. ».
Quelques jours plus tard, les Caucasiens s’envolent pour la Macédoine. Yura Movsisyan inscrit son premier but en sélection à la 41ème minute, mais les locaux vont égaliser sur le coup d’envoi par l’intermédiaire de Gurovsky. En deuxième mi-temps, chaque formation aura sa chance.
Les Arméniens penseront avoir fait le plus dur en reprenant l’avantage à la 91ème minute grâce à Edgar Manucharyan. Malheureusement, dans les ultimes secondes des arrêts de jeu, le défenseur Ararat Arakelyan écarte un ballon de la main. Le pénalty est transformé par Naumoski. L’Arménie vient de perdre deux points précieux.
Un mois plus tard, c’est la Slovaquie de Marek Hamsik qui se présente à Erevan avec le statut de favori. Il s’agit de la Slovaquie qui a éliminé l’Italie de la Coupe du Monde quelques mois plus tôt. Les Arméniens ne se laisseront pas impressionner et vont livrer une des plus belles prestations de leur histoire.
Yura Movsisyan ouvre le score à la 23ème minute tandis que Vladimir Weiss, auteur de 4 buts lors du précédent Mondial égalise à la 37ème minute. Au retour des vestiaires Gevorg Ghazarian redonne l’avantage aux Tricolores avant que Mkhitaryan ne scelle la victoire des siens avec une frappe à l’entrée de la surface à la 89ème minute.
Troisième à mi-parcours
Le prochain adversaire à se présenter au stade Republican est l’équipe d’Andorre, le petit poucet du groupe. L’affaire est pliée en trente trois minutes. Ghazarian ouvre le score d’une frappe lointaine après seulement cinq minutes de jeu. Ce but est le centième de l’histoire de la sélection arménienne.
Les locaux vont doubler la mise onze minutes plus tard par l’intermédiaire de Mkhitaryan. C’est ensuite au tour de Movsisyan de tromper le gardien andorran en reprenant de volée un centre du capitaine Hovsepyan qui s’était arraché sur le côté droit.
En deuxième période le plus brésilien des Arméniens, le milieu de terrain Marcos Pizelli, ajoute un quatrième but à la 52ème minute. La manifestation de sa joie restera une image forte de cette campagne qualificative : il court vers la caméra et embrasse l’écusson. A cette époque, il s’agit du plus large succès de la sélection arménienne (4-0).
A la fin de cette année 2010, l’Arménie s’est hissée à la 59ème place du classement FIFA. Au niveau comptable, après quatre journées, la formation de Vardan Minassian pointe à la troisième place du groupe avec sept points, neuf buts inscrits pour quatre concédés. Ils sont à égalité avec l’Irlande (deuxième) et la Slovaquie (quatrième).
Enfin, la Russie est leader du groupe avec neuf unités. C’est sans conteste le meilleur départ de la formation caucasienne et certaines voix s’élèvent et osent rêver … « Et si on allait au bout ? ». Le sélectionneur arménien préfère rester prudent en affirmant que même s’il voit du progrès, il reste encore beaucoup de choses à améliorer.
Les éliminatoires vont reprendre le 26 mars 2011. C’est au tour de la Russie, de venir à Erevan. A cette occasion, Nikita Simonyan, le meilleur buteur de l’histoire du Spartak Moscou fera le déplacement et recevra une décoration de la part du Président de la République d’Arménie.
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Les locaux vont parvenir à résister aux assauts russes et arriver à glaner un point. Ils auraient même pu l’emporter si l’attaquant Movsisyan avait réussi à redresser son ballon après avoir éliminé le portier russe. A mi-parcours, les Arméniens disposent de huit points et sont en quatrième position en embuscade à deux points de retard sur leurs adversaires.
Le 4 juin, c’est l’Arménie qui se déplace à Saint-Pétersbourg. Si les visiteurs vont arriver à ouvrir le score par Pizelli, leurs vieux démons vont resurgir puisque Pavlioutchenko va égaliser sur le coup d’envoi. En deuxième période ce même Pavlioutchenko inscrira deux autres buts permettant aux siens de l’emporter 3-1 et de garder leur première place.
En revanche leurs adversaires du jour resteront en quatrième position à cinq longueurs du trio de tête (Russie, Slovaquie, Irlande). Avec quatre matchs à disputer dont trois à l’extérieur, les Arméniens ne disposent quasiment plus de marge de manœuvre.
Frissons d’une soirée à Zilina
Trois mois plus tard, à la reprise des éliminatoires, la sélection caucasienne se rend en Principauté d’Andorre. Elle s’impose aisément 3-0 grâce à des réalisations signées Pizelli (35’), Ghazarian (75’) et Mkhitaryan (90+1 sur pénalty). Ce succès leur permet de faire le plein de confiance avant un délicat déplacement en Slovaquie quelques jours plus tard qui possède trois points de plus.
Au classement les Russes sont toujours en tête avec seize points, suivis de l’Irlande et de la Slovaquie (quatorze). Le 6 septembre 2011, L’Arménie va livrer une prestation qui aujourd’hui encore est une référence.
A Zilina, les protégés de Vardan Minassiaan vont résister aux attaques slovaques durant la première période. En revanche, lors du second acte la tendance va s’inverser et Movsisyan va ouvrir le score à la 57ème minute. C’est ensuite au tour de Mkhitaryan de s’illustrer à l’entrée de la surface de réparation à la 74ème minute. Six minutes plus tard, il se transforme en passeur pour Ghazaryan.
Sonnés, les Slovaques vont céder une dernière fois dans les arrêts de jeu, lorsque le tir de « Heno »repoussé par la transversale, sera repris par Sarkisov dans le but vide. Ce succès incroyable va les relancer dans la course à la qualification puisqu’ils vont monter sur le podium, à une petite longueur de la place de barragiste.
Les deux derniers matchs vont se jouer en octobre 2011. Les coéquipiers de Mkhitaryan vont croquer la Macédoine sans trop de difficulté (4-1) dans un stade Republican en ébullition. Cela signifie que s’ils battent l’Irlande à Dublin ils seront barragistes !
Etre toujours en course après neuf journées aurait été un doux rêve irréalisable à peine un an auparavant pour le peuple arménien. C’est ici que la valeur des deux points perdus bêtement contre la Macédoine à Skopje se fait cruellement sentir.
De « Séville 82 » à Dublin 2011
Le 11 octobre, C’est la « finale » entre l’Eire et l’Arménie à l’Aviva Stadium de Dublin. Evidemment c’est le match le plus important de la jeune histoire de l’équipe arménienne, dont certains joueurs étaient à peine nés lors de l’indépendance de leur pays. Comme lors du match de l’Ararat Erevan contre le Bayern Munich en 1975, des supporters arméniens de toute l’Europe feront le déplacement.
Si le début du match est relativement équilibré, tout va basculer à la 26ème minute de jeu. L’attaquant irlandais Simon Cox va se retrouver à la réception d’une longue passe dans le dos de la défense arménienne. Il va tout d’abord s’aider de la main pour contrôler le ballon avant de tenter de lober le gardien Berezovsky, sorti à sa rencontre hors de sa surface.
Le portier arménien va bien contrer le ballon mais de la poitrine. L’arbitre espagnol Eduardo Itturalde Gonzalez n’y verra que du feu : il expulse le gardien pour une main imaginaire en dehors de sa surface au lieu de sanctionner la faute de Cox !
Face à ce coup dur, Minassian va sacrifier le millieu de terrain Malakyan pour faire entrer le jeune gardien Petrosyan dont c’est le baptême du feu. Sonnée, la défense arménienne va craquer à la 41ème minute lorsque le défenseur Valeri Aleksanyan va pousser un centre anodin dans son propre but. Ce sera ensuite au tour de son jeune gardien de se trouer sur un autre centre à la 59ème minute.
Dunne profitera de cette erreur pour inscrire le deuxième but. N’ayant plus rien à perdre, les visiteurs vont se ruer à l’attaque. Movsisyan va trouver Mkhitaryan à l’entrée de la surface pour tromper Shay Given à la 62ème minute. Malheureusement, les autres assauts arméniens seront stériles et ils ne profiteront pas non plus de l’expulsion de Kevin Doyle à dix minutes de la fin du match.
Après la rencontre, les réactions des Irlandais seront très curieuses, eux qui avaient tant parlé de fair-play et d’injustice avec la main de Thierry Henry deux ans auparavant. Simon Cox reconnaitra que le gardien n’a pas touché le ballon de la main alors qu’il a demandé à l’arbitre de l’expulser. Il ajoutera qu’il aurait préféré que cela arrive en barrages.
Toute proportion gardée, cet événement sera pour le football arménien l’équivalent de ce que fut« Séville » pour l’équipe de France en 1982. Cependant, on peut également expliquer leur échec par la jeunesse de la sélection et son inexpérience face à des rencontres comportant un tel enjeu.
La presse irlandaise fera preuve de plus d’empathie. L’Irish Independent écrira d’ailleurs ces lignes déchirantes :
C’est plus l’histoire d’une tragédie arménienne qu’un succès irlandais. Quand on a vu les courageux Arméniens quitter la pelouse les larmes aux yeux, c’est une part du supporter qui vit en nous qui est morte.
Giovanni Trapattoni, le sélectionneur irlandais reconnaîtra également que les Arméniens ont bien joué. Après le match l’attaquant Movisyan déclarera :
L’équipe arménienne est plus fière qu’en colère. Personne ne nous attendait à ce niveau, un an auparavant. Je pense que nous avons réussi à assurer une place à l’Arménie sur la carte du football mondial.
Les supporters arméniens n’en voudront pas aux joueurs d’avoir échoué, comme le montre l’accueil chaleureux qui leur sera réservé à leur retour à l’aéroport. En effet, cette campagne qualificative a permis de rassembler tout le pays derrière son équipe nationale.
Les joueurs se consoleront avec quelques statistiques révélatrices. Tout d’abord, leur parcours permettra à l’Havakakan d’atteindre la 46ème place au classement mondial de la FIFA en décembre 2011. Avec 22 réalisations en dix matchs, ils possèdent une des meilleures attaques des éliminatoires.
De plus, ils disposent de plusieurs buteurs avec Mkhitaryan (6 buts), Ghazaryan (5 buts), Movsisyan et Pizelli (4 buts). Ces joueurs vont également changer de championnat durant cette phase qualificative : Pizelli et Ghazarian vont quitter le championnat arménien pour rejoindre le Metalurg Donetsk en Ukraine tandis que Movisyan ira de Randers (Danemark) au FK Krasnodar (Russie) .C’est aussi durant cette période que Mkhitaryan se révélera comme l’indispensable maître à jouer de la sélection caucasienne.
Henrik Mkhitaryan, porte-drapeau de l’Arménie
A la fin de l’année, le gouvernement arménien décernera une décoration aux deux vérétrans de l’Havakakan. Le capitaine Sarkis Hovespyan recevra la médaille Movses Khorenatsi, la plus haute distinction culturelle du pays. Le gardien Berezovsky sera décoré de la médaille pour service rendus à la patrie (deuxième classe).
Cependant, ces performances prometteuses ne combleront pas les attentes espérées. Si l’Arménie fera quelques résultats intéressants lors des éliminatoires de la Coupe du monde 2014 (victoire au Danemark, en République Tchèque et nul en Italie), elle sombrera pour les qualifications de l’Euro 2016 (dernière de son groupe) et de l’Euro 2020 (avant-dernier) et pour la Coupe du monde 2018 (avant-dernier).
10 ans après, cette campagne qualificative pourrait-elle de nouveau faire office de référence pour le football arménien et d’objectif pour les coéquipiers du capitaine et fer de lance Mkhitaryan ?
Jacques der Sarkissian