À l’occasion de la Ligue des Nations, la jeune nation des Balkans a prouvé qu’il pourrait devenir à terme un acteur respecté des joutes européennes et mondiales.
Les résultats fabuleux du Kosovo lors de ces derniers mois ne doivent rien au hasard et sont le fruit d’un processus débuté il y a de nombreuses années, la vision d’un homme malheureusement absent pour en profiter : Fadil Vokrri.
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Un sélectionneur clair et sans fard
Mais avant de s’éteindre d’une crise cardiaque en juin dernier, le président mythique de la fédération de football du Kosovo avait fait un dernier cadeau aux siens : Bernard Challandes.
Le Suisse de 67 ans est indéniablement l’un des hommes clés de ce triomphe en Ligue D. Le nouveau sélectionneur a amené au Kosovo ce dont cette sélection avait le plus besoin : de la structure, de la volonté collective et surtout du calme.
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Il ne faut cependant rien enlever au mérite d’Albert Bunjaki, son prédécesseur. Le Kosovar avait en grande partie formé ce groupe de joueurs et lancé la plupart des internationaux actuels. Mais il lui manquait certainement un zeste d’expérience internationale et surtout du recul par rapport aux attentes locales.
Challandes a su gérer ces attentes en rappelant patiemment que le Kosovo n’était qu’un nouveau venu sur la scène internationale, certes talentueux, mais avant tout inexpérimenté. Il n’a cessé de rabâcher que le travail collectif serait indispensable pour que les talents s’expriment tout en ramenant constamment sur terre des joueurs et un public prompts à s’emballer.
Jouer à domicile, enfin
Le public ? Un autre élément fondamental de cette belle aventure. Lors de cette campagne en Ligue des Nations, le Kosovo a enfin pu évoluer à domicile, à Prishtina.
Lors des éliminatoires pour le Mondial 2018, le Kosovo devait recevoir ses adversaires en Albanie. La distance et le coût entravaient ainsi un vrai soutien populaire des Kosovars envers leur sélection nationale.
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Depuis cet été, le stade Fadil Vokrri à Prishtina est devenu l’antre des Dardanet et cela change beaucoup de choses. En effet, les supporters jouent réellement leurs rôles de 12e homme et la sélection est portée par cet élan populaire qui rend ce déplacement difficile pour toute nation adverse.
Après la dernière victoire face à l’Azerbaïdjan à Prishtina, Bernard Challandes avait décrit cette folle passion au micro de la RTS : “Je ne m’étais pas rendu compte de l’importance que cela a dans le pays. On a rempli le stade, c’est 13 000 places, mais on a eu 200 000 demandes de billets. Cela va au-delà du football.”
Un onze rodé avec des paires qui s’apprivoisent
Challandes est reparti avec un schéma inamovible qu’utilisait souvent Bunjaki : le 4-5-1. Mais si le Kosovo se définissait surtout comme une équipe de contres, il est devenu un ensemble protéiforme. Le Kosovo sait ainsi évoluer en fonction de la rencontre et de ce qui est proposé.
Bien entendu, le jeu de contres reste une grande force avec la vitesse des Rashica ou Zeneli, capables de désosser une défense en trois passes comme l’a démontré le match à Malte. Cependant, les Kosovars sont aujourd’hui également capables de contourner une défense bien regroupée et de faire preuve de patience.
Au fur et à mesure, Challandes a fait émerger un onze qui semble avoir de l’avenir avec des paires très complémentaires. Le carré défensif composé des deux défenseurs centraux Rrahmani-Aliti et des deux milieux défensifs Kryeziu-Shala est solide et permet une première relance plutôt propre.
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Comme Bunjaki le faisait, Challandes a interverti Kryeziu et Shala. Le gaucher Shala se situe ainsi à droite de Kryeziu, créant d’autres opportunités en termes de passes. Shala est aussi installé dans cette position pour compenser le plus faible travail défensif de Rashica, aligné à droite.
En ce qui concerne le jeu offensif, le Kosovo s’anime surtout via ses ailes. Sur le côté gauche, la paire Kololli-Zeneli amène un danger constant. Benjamin Kololli s’est distingué par sa capacité à créer le danger et à conclure alors que son vis-à-vis à droite, Vovjoda, est un peu plus sage dans le dos d’un Rashica devenu mature.
Enfin le puzzle est renforcé par Valon Berisha en soutien de Vedat Muriqi. Le milieu offensif de la Lazio n’est pas aussi décisif et important qu’il devrait être dans cette sélection, il semble d’ailleurs avoir parfois du mal à se positionner avec ses partenaires. Enfin, Muriqi est avant tout là pour créer les espaces pour ses feux follets, mais aussi pour conclure les actions développées sur les ailes.
Quelques individualités sortent du lot
Dans cet ensemble, les talents purs des Kosovars peuvent se mettre en évidence. La qualité de dribble de Rashica peut ainsi s’exprimer. Le jeune ailier du Werder a pris une autre dimension lors des dernières rencontres (auteur d’un but exceptionnel aux Féroé), sans doute poussé par la concurrence du très jeune et très talentueux Edon Zhegrova.
🇽🇰 This dipping finish by Kosovo star Milot Rashica 🔥#NationsLeague pic.twitter.com/A3Ao4rBjOJ
— UEFA EURO 2024 (@EURO2024) October 17, 2018
Au milieu, Hekuran Kryeziu reste indispensable. Sa science du jeu, sa qualité technique et son abattage soulagent grandement les milieux offensifs. Son absence aux îles Féroé avait grandement pesé.
Dans cette campagne, Benjamin Kololli s’est également montré en s’affirmant sur son aile gauche. Plus surprenant, Muriqi a terminé les deux derniers matches avec des prestations de très haut vol. Longtemps en concurrence avec Nuhiu, le buteur semble avoir acquis une nouvelle confiance grâce à Challandes.
Enfin, le sélectionneur n’a pas eu peur de lancer Edon Zhegrova, seulement âgé de 19 ans. Le milieu offensif de Genk a démontré une grande personnalité et des capacités techniques très au-dessus de la moyenne, même s’il reste parfois brouillon.
Et maintenant ?
Lors de la “finale” du groupe face à l’Azerbaïdjan, Bernard Challandes a aligné Arijanet Muric dans les buts. Le joueur de Manchester City (20 ans) a ainsi pris la place de l’inamovible capitaine Samir Ukjani et cela sonnait déjà comme un changement d’ère, la différence de qualités entre les deux faisant clairement pencher la balance en faveur de Muric.
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Au lendemain de cette victoire à Prishtina, le Kosovo a également reçu une grande nouvelle : Loret Sadiku, le défenseur central de Kasimpasa, va enfin pouvoir jouer avec les Dardanet dès 2019. Celui-ci était présent pour le premier match amical officiel du Kosovo contre Haïti en 2014, mais attendait depuis le feu vert de la FIFA pour évoluer définitivement avec cette équipe (ayant porté le maillot de la Suède en U21 par le passé). Il pourrait être la dernière pièce manquante du puzzle, en amenant un surplus de sérénité en charnière avec Rrahmani.
Après cette campagne victorieuse contre des adversaires modestes, le Kosovo doit maintenant prouver qu’il a vraiment grandi et les éliminatoires du prochain Euro 2020 vont être un excellent révélateur. Opposés à l’Angleterre, la République Tchèque, la Bulgarie et le Monténégro, les Dardanet devraient avoir un vrai rôle à jouer dans leur groupe. De plus, l’Angleterre va devenir la première grande nation du football mondial à être reçue à Prishtina et la fête devrait être incroyable.
Quoi qu’il en soit, l’avenir de la sélection kosovare sera sans doute radieux. Tous les joueurs du groupe actuel ont 26 ans ou moins (hormis Ujkani) et cet ensemble semble prendre conscience de ses possibilités rencontre après rencontre. Avec un guide comme Challandes et son nouveau pouvoir d’attraction sur tous les jeunes talents d’origine kosovare dispersés en Europe, le Kosovo devrait d’ici 2022 ou 2024 devenir une de ces nations qui comptent juste derrière les grands ténors du football européen.
Tristan Trasca
Image à la une : Erkin Keci / ANADOLU AGENCY via AFP Photos