A moins d’un an de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique, avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Cette semaine, nous parlons du Kazakhstan. Épisode 3 : La première épopée en Classe A du Kairat Alma-Ata. 


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L’hiver 1959-60 est marqué d’un événement important dans la vie sportive de l’Union Soviétique. Les protagonistes principaux, comme trop souvent, sont les membres du Comité Sportif de l’URSS qui viennent encore de chambouler le fonctionnement du championnat. En l’occurrence, en décidant de l’augmentation des membres de la ligue supérieure du football soviétique. La  « Classe A » passe de 12 clubs à 22, avec l’arrivée des clubs champions de leurs Républiques. C’est ainsi que déboulent des clubs divers et variés tels que le Kairat Alma-Ata, Pakhtakor Tachkent, Kalev Tallinn, Daugava Riga, Spartak Vilnius, Belarus Minsk, Neftyanik Bakou, Spartak Erevan, Avangard Kharkov et Admiralteets Leningrad. Seuls les champions des Républiques d’Ukraine, de Géorgie, de Moldavie, du Tadjikistan, du Turkménistan et du Kirghizistan ne sont pas admis dans ce championnat dans lequel le nombre d’équipe a presque doublé par rapport à l’année précédente.

Montée en Classe A peu méritée

L’occasion de voir les « célèbres maîtres de la balle de cuir » est enfin apparue pour de nombreux habitants des républiques de l’Union, qui n’avaient jusqu’alors pas pu voir de matchs de Classe A. A ce moment là, le football était alors devenu très populaire en URSS. Trois ans auparavant, l’équipe nationale de football nationale était devenue championne olympique. En 1960, elle était également devenue la première détentrice de l’Euro. Le vacarme procuré par cette excitation générale est bien arrivé jusqu’au sud du Kazakhstan, où l’on attend avec une grande excitation la nouvelle saison.

Pourtant, le Kairat ne méritait pas plus que ça une telle promotion. Quatre ans auparavant, le club entamait tout juste une renaissance sous l’égide du leader de la République, Dinmukhamed Kunayev. Le changement de nom en Kairat (Puissance) est acté en 1956 lors d’une session plénière du Conseil des Ministres qui avait aussi le choix entre les noms Yeginshi (Cultivateur), Onim (Récolte), Altyn Dan (Grain d’Or) ou Dala Burkiti (Aigle des Steppes). Pyotr Zenkin est nommé coach et sous sa direction, l’équipe passe quatre années moyennes en Classe B. C’est ainsi que lors de la saison 1959, le Kairat joue en sixième zone de Classe B (cette dernière étant composée de sept zones d’environ une demi-douzaine d’équipes chacune). Dans cette zone six, les Jaune et Noir affrontent toutes les équipes d’Asie Centrale et plusieurs équipes de l’Oural. Pas flamboyants, les Kazakhs se font surtout remarquer pour leur manque de régularité, jonglant entre des bons matchs et des échecs retentissants (défaite 0-2 contre les Tadjiks de l’Ashgabat Kolkhozchiyon au stade central d’Almaty après cinq victoires d’affilée, puis contre le Metallurg Nizhny Tagil, 0-4).

Une avant-saison mouvementée

Malgré des résultats moyens au deuxième échelon, les habitués du Stade Central en Classe B se montrent plutôt confiants pour les grands débuts en Classe A. Ils ont d’ailleurs leurs joueurs favoris. Leonid Ostrushko, auteur du but vainqueur lors du grand match contre le Pakhtakor Tashkent (1-0) mais aussi le rapide ailier gauche Oleg Maltsev, aussi virevoltant au football de haut niveau qu’au hockey dans le cadre de l’Alma-Ata SKIF, jouant aussi en Classe A. Dans les derniers matchs de la saison 1959, les supporters s’enthousiasmaient aussi sur la progression d’un jeune attaquant, Vladimir Ivanuchkin. Mais bien sûr, les lacunes sont bien présentes à l’aube de la saison. Le gardien de but principal Alexei Trufanov est en instance de départ, alors que la défense ne se sent pas sereine avec le départ à la retraite de l’expérimenté Boris Erkovich qui tenait une baraque déjà tangente en Classe B.

Les matchs amicaux à l’automne 1959 ne rassurent personne. Le match contre le CSK Moscou tourne même au cauchemar. La défense craque et le score est rude : 0-5. Mécontent, le leader de la République ordonne le changement d’entraîneur. Le peu connu Nikolaï Glebov arrive donc à la tête de l’équipe, ce qui s’avérera être la meilleure idée possible. Cet ancien employé de la fédération d’URSS va prouver sa compétence tout au long de son expérience au Kairat Alma-Ata. Avec lui, une dizaine de joueurs arrive dans la foulée. Et lors du dernier match de pré-saison à la fin du mois de mars 1960, le Kairat engrange une confiance bienvenue en battant son éternel rival, le Pakhtakor Tachkent, sur un score de 4- 1. La ligne d’attaque, notamment, fait très forte impression ce jour là.

Mais les difficultés vont vite arriver pour le petit club d’Alma-Ata. Entre ce dernier match amical contre Tachkent et le premier match officiel en Classe A, disputé le 10 avril au Stade Central d’Almaty, le Kairat subit une perte autant imprévue que douloureuse. Tout d’abord, l’ailier Vladimir Ivanushkin, qui montait en puissance, se casse la jambe à l’entraînement. Mais pire, l’attaquant Stadnik, dépositaire du jeu offensif du Kairat, se fait la malle. Pour aller où ? Bien entendu, chez les fourbes voisins de Tachkent ! Après la lourde défaite lors du match amical, les dirigeants de Pakhtakor ont tout essayé pour subtiliser le jeune attaquant du Kairat Alma-Ata. Et leurs actions n’ont pas vraiment été appréciées de l’autre côté de la frontière. Notamment en apprenant que, sans le moindre scrupule, les dirigeants du club ouzbek ont agi par l’intermédiaire de la mère du joueur, promettant un pont d’or pour son fils. Le but du Pakhtakor était de former une paire d’attaque de rêve en associant Stadnik à Gennady Krasnitsky. Et les montants ont bien fait vriller la tête du jeune joueur qui atterrit à Tashkent, juste avant le début de saison, laissant le Kairat sans aucune solution de secours.

A la veille de son premier match au plus haut échelon soviétique, le Kairat Alma-Ata est dans une position peu enviable : la ligne d’attaque est décimée et la défense n’inspire absolument pas confiance. Et puis, la météo… Comme cela arrive souvent à Alma-Ata, la neige est tombée dru jusqu’à atteindre 1,5-2 mètres de haut. Et pourtant, le 10 avril à 16h00, lorsque les joueurs du Kairat jouent leur premier match en classe A contre l’Admiralteets Leningrad, le stade Central est totalement rempli. Le pire est évité, les deux équipes prennent peu de risques sous la neige et le score se finit à 0-0. Les deux matchs suivants à Alma-Ata contre les deux grands de Moscou (CSK et Spartak) se soldent par deux défaites à domicile 0-2 et 0-1. Le premier but intervient seulement le 8 Mai à Moscou, lors d’une défaite 2-1 contre le Lokomotiv.

La pénurie de buts pèse sur le moral de toute l’équipe et donne du grain à moudre aux journalistes de l’époque. Lors du match contre le CSKA, le Kairat aurait pu ouvrir son compteur de but lorsqu’un pénalty a été accordé par l’arbitre. Mais Herman Neverov l’a tiré bien maladroitement et la série noire s’est poursuivie.  Le lendemain, le journal sportif central de l’Union, Sovietski sport, ne met pas seulement en avant ce raté mais sort également un verset en honneur à l’auteur du pénalty raté :

« Пробил пенальти, как из пушки,

Но не было на пушке мушки.

И мяч со скоростью снаряда

Достиг пятнадцатого ряда. »

(J’ai frappé une pénalité, comme un canon,

Mais il n’y avait pas de mouche sur le pistolet.

Et la balle avec la vitesse du projectile

Atteint la quinzième rangée.)

Après avoir joué quelques autres matchs sans saveur, Neverov demande à partir. Le gardien Sergei Shershevsky ne fait pas mieux. Ayant commencé comme gardien principal, Shershevsky n’a pas été à la hauteur et perd sa place au profit d’un futur héros, Vladimir Lisitsyn. Après avoir quitté le Kairat en pleine saison, le gardien joue trois ans pour le deuxième club kazakh le plus important de l’époque, le Shakhter Karaganda. Les premiers matchs du Kairat en Classe A sont déjà marqués par des joueurs qui se révèlent tandis que d’autres flanchent et partent sans avoir laissé leur trace. Ces derniers pourront s’en mordre les doigts plus tard en voyant l’histoire du club qui leur a donné une chance.

Les premiers succès du Kairat Alma-Ata

Après le match contre le Lokomotiv, le Kairat Alma-Ata se déplace en Biélorussie pour affronter un Belarus ancré depuis les années 40 dans la Classe A avec succès, comme en témoigne la troisième place de 1954. Sans compter que l’équipe s’est renforcée avec la venue de joueurs moscovites avant la saison. Conforme aux prévisions, les Biélorusses avaient signé une belle série de succès avant ce match bien déséquilibré.

Pour les supporters Kazakhs, impossible de savoir ce qui se trame à Minsk. La télévision est uniquement locale et les reportages radio sur le Kairat ne sont pas complets, loin sans faut. C’est ainsi que les habitants d’Alma Ata apprennent souvent les résultats des matchs de leur équipe quelques jours plus tard. Mais ce jour là, les spectateurs de l’orchestre philharmonique de la ville ont eu vent de la nouvelle plus tôt que les autres : « Camarades ! A Minsk, Kairat a remporté sa première victoire sur le score de 2-0 ! ». Effectivement c’est bien ainsi que le match s’est terminé, sur un doublé de Timur Segizbayev, 19 ans. Enfin, la première victoire du Kairat Alma-Ata en Classe A est venue, chez un adversaire bien plus fort. Le début du succès.

Ayant renforcé sa défense au cours de la saison, les Jaune et Noir deviennent plus solides, bien aidés aussi par les performances du gardien Vladimir Lisitsyn. Pour sa première saison en Classe A, le Kairat réussit à prendre la 9e place sur 11 dans le groupe B. La formule pour la phase suivante tient du génie des fonctionnaires de la Fédération. Ces derniers ont divisé les 22 équipes des groupes A et B dans : une poule pour le titre disputée avec 6 équipes, une poule pour les places 7 à 12, une poule pour les places 13 à 18 et une poule pour la relégation. Le Kairat est reversé dans l’avant-dernière citée avec son meilleur ennemi, le Pakhtakor Tashkent. Malgré la dernière place de la poule équivalente donc à la 18e place finale du championnat pour ceux qui ont suivi, le Kairat Alma-Atavient d’écrire la première grande page de son histoire. D’autres suivront pour la plus grande fierté de tous les fans de football au Kazakhstan. La puissance est en marche…

Damien F.


Image à la une : sportsffa.kz