Souvent présenté comme le premier entraîneur de Ngolo Kanté lorsque ce dernier était licencié à la JS Suresnes, Piotr Wojtyna est le responsable de la formation du club francilien. Né à Sarok, en Pologne, l’éducateur est arrivé en France il y a une trentaine d’années. Mi-décembre, il était à Brest pour accompagner quelques-uns de ses protégés à l’essai au Stade Brestois, club partenaire de la JSS. L’occasion de discuter en longueur de choses et d’autres. Avec le football polonais en toile de fond.


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On m’a rapporté aussi qu’il y avait peut-être un problème de mentalité en Pologne, comme quoi les joueurs n’étaient pas assez gagnants.

Je vous ai raconté l’anecdote par rapport à notre match amical gagné face au Korona Kielce. C’est un match que je ne devais jamais gagner. Mais mes joueurs ont été combatifs. L’intensité avec laquelle on s’entraîne, c’est le jour et la nuit par rapport au club où il y a mon fils, un club qui a des moyens, qui paye des joueurs. Certains joueurs gagnent probablement quelques milliers d’euros par mois. Quand j’ai vu l’intensité de leur entraînement, je me suis dit que c’était une blague. En U18, à mon entraînement, il y a plus d’intensité que chez eux.

C’est ça le problème. Je suis allé voir un match de U18 National en Pologne, entre le Legia et le Hutnik Krakow. Le Legia a gagné 4-0. Le club du Hutnik en a pris quatre et ils n’ont peut-être pas fait cinq fautes dans le match. Et j’ai vu leur entraînement, les mecs ne se touchent pas. Ils font des passes, ils échangent, des contrôles, c’est beau ! Mais sauf que le foot, ce n’est pas seulement ça. Il faut être technique, mais il faut aussi aller au contact. C’est ça qui m’a choqué quand je suis arrivé en France en tant que joueur. L’intensité. Lors de mon premier match, en 1989, on m’a cassé la cheville, j’ai été absent deux mois. Avec le premier salaire que j’ai touché, je suis allé acheter des protège-tibias [rires]. A l’époque, on pouvait jouer sans ces outils. J’ai pris les plus chers. 

Pourtant, quand un joueur quitte la France et signe en Angleterre ou en Allemagne, il précise souvent que les entraînements sont beaucoup plus intenses dans ces pays.

Oui mais ils ne vont pas en Pologne. Je suppose qu’en Angleterre, c’est encore un autre monde. C’est clair et net. C’est aussi la mentalité des joueurs. Ce qui serait un challenge pour moi en Pologne si je devais y entraîner, c’est de changer cette mentalité. J’ai vécu ça, les mecs qui se cachent durant les stages un peu plus durs, qui disent non quand ils doivent courir deux tours de terrain. Certains ne travaillent pas, ils n’ont pas cette culture du travail pour aller chercher le résultat. 

Là, je fais une généralisation mais je ne vois pas tous les joueurs. Je suppose qu’il y a des mecs qui travaillent et je ne veux surtout pas dire que les Polonais ne travaillent pas, au contraire. Il y a un potentiel intéressant à développer. On peut faire quelque chose. C’est pour ça que pour moi ça pourrait être intéressant.

Justement, est-ce que vous pensez que dans les prochaines années, on pourrait voir une Pologne un peu plus présente sur la scène européenne ? La sélection est déjà forte avec, on va dire, une trentaine de joueurs de haut-niveau mais la question se pose surtout sur le niveau du championnat.

Je pense que tant qu’il n’y aura pas au moins trois clubs forts, avec des propriétaires qui mettent de l’argent… s’il n’y en a qu’un, ce n’est pas assez si on prend l’exemple de pays comme le Portugal, les Pays-Bas ou même la Belgique qui sont régulièrement qualifiés en Coupe d’Europe. Et là, actuellement, en Pologne, il n’y en a même pas une. Même le Legia n’est pas sûr de dominer. 

Le Lech est sur le bon chemin, au moins dans leur politique cohérente. Ils ont dit qu’ils allaient mettre le paquet sur la formation. Apparemment, le Legia a compris qu’il fallait le faire aussi, tout comme le Pogon Szczecin. Il n’y a pas de mystère. La solution, c’est de former de très bons jeunes polonais, ce n’est pas acheter des étrangers. Je n’ai rien contre les étrangers, au contraire. C’est aussi très riche de faire venir un étranger, mais il faut qu’il apporte quelque chose. Si tu achètes n’importe qui, ce n’est pas la peine.

Il y a deux cas de figure pour un étranger. Soit c’est un très jeune, il a 20 ans avec un potentiel et la Pologne peut lui offrir cette chance de se développer en tant que joueur de foot. Il reste trois ans en Pologne, tu le vends quand il a 23 ans et tout le monde est content. Soit tu prends un type qui a 32 ans avec une carte de visite, un ancien international qui a encore envie. Un profil à la Danijel Ljuboja qui avait signé au Legia. Tout le monde parle toujours de lui là-bas. Pour ce genre de mecs, d’accord. Mais prendre des joueurs anonymes qui ont 27-28 ans qui sont des bons joueurs mais qui ne font pas de différence… il y en a un paquet comme ça.

La clé, c’est la formation. Aujourd’hui, certains clubs polonais ont plus de moyens que certains clubs français au niveau des infrastructures. Je pense notamment au Lech. Mais ce n’est pas facile. Ce n’est pas facile. Je le dis encore une fois mais il n’y a pas cette culture des dirigeants. Les entraîneurs vont vers le XXIe siècle, c’est-à-dire qu’ils sont ouverts, ils cherchent, ils veulent apprendre. Ils sont vraiment pas mal, je trouve. 

Les joueurs sont eux aussi de mieux en mieux, ils commencent à comprendre que si tu veux faire la fête, boire de l’alcool, tu n’iras pas loin. Dans les années 90, l’alcoolisme dans le football polonais était un fléau et ce qui me rend triste, c’est que des anciens footballeurs écrivent des livres en se vantant de sauter par la fenêtre pendant les stages avec l’équipe nationale la veille de jouer un match international. Personnellement, j’aurais honte de dire ça. Il vaut mieux ne pas savoir ce qu’il s’est passé. C’est honteux. Tu représentes ton pays, moi je m’en cacherais. Et des internationaux disaient ça dans des interviews. Je n’arrive pas à comprendre ça, et ça s’est passé plusieurs fois avec des livres sur des scandales. Malheureusement, le problème de l’alcool dans le football polonais est grave et ça a tué la carrière de beaucoup de très très bons joueurs.


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Je pense tout de suite à Dawid Janczyk…

Oui, Dawid Janczyk, tout à fait. D’ailleurs, son premier club, le Sandecja Nowy Sącz est très proche de chez moi, environ 30 kilomètres. Il est ensuite allé au Legia et a fait la Coupe du Monde U20 où il était avec Krychowiak et Szczesny, et où il a même marqué je crois. Il a été vendu pour cinq millions d’euros au CSKA Moscou, ce qui était un montant important pour l’époque. C’est un malheur. Tous les deux, trois mois, on entend qu’il est dans un club amateur différent à chaque fois. C’est un homme malade. Il y a énormément d’exemples de ce style dans le football polonais et c’est malheureux. J’ai vu ça au quotidien quand j’étais joueur. Des arbitres, des dirigeants, des joueurs ivres…

© Jordan Berndt pour leballonmag.pl
Pour revenir à des choses un peu plus gaies, nous parlions tout à l’heure des joueurs étrangers. Dans quelle catégorie vous mettriez Igor Angulo ? Parce que finalement, c’est ni un ancien avec un gros CV, ni un jeune joueur à potentiel.

Tout à fait. Je ne l’ai pas vu jouer mais j’en ai entendu beaucoup de bien, il a marqué beaucoup de buts. 

Il y a deux saisons, lorsque le Górnik Zabrze remontait, il était un des hommes forts avec Wieteska en défense, Kadzior sur un côté, Kurzawa et Zurkowski également…

C’est un bon joueur, sans aucun doute. Ce n’est pas parce qu’il était en troisième division en Espagne. Sur ce cas-là, je pense qu’il est justifié qu’il soit là, dans ce contexte. Le type marque 20 à 30 buts par saison, on ne va pas dire qu’il ne faut pas le prendre. Mais il n’y a pas que ça. Les jeunes peuvent apprendre à côté de lui. 

Mais le problème qui touche plusieurs clubs polonais, dont le Górnik, est le suivant. Je vais vous raconter une anecdote. Je connais le fils d’un ami qui jouait en équipe B au Górnik Zabrze. Un jeune joueur qui a fini par faire quelques entraînements avec les pros. Lui, comme certains autres de ces coéquipiers, n’ont pas été prolongés et le Górnik a pris à leurs places des étrangers qui ne jouent pas ! Et c’est terrible parce que je connais ce joueur, il a un potentiel. C’est un intellectuel et c’est ça qui est intéressant. Ils l’ont pris pour faire quelques entraînements avec les professionnels, donc pourquoi ne pas le garder encore deux ou trois ans ? Alors je me demande s’il n’y a pas autre chose que le football qui est pris en considération dans ces cas-là. 

Ce joueur a retrouvé un club depuis ?

Oui, il est parti en quatrième division mais qu’est ce qu’il s’y passe ? Il fait ses études mais l’entraîneur a dit : « On s’entraîne à 11h« . Il avait un régime spécial quand il était au Górnik mais il n’était pas prévu qu’il parte. Tout ça pour dire que le football polonais n’est pas patient, que ce soit les dirigeants ou les entraîneurs. Il n’y a pas de politique à moyen ou long terme, ce qui est lié finalement avec la patience. 

Mais je ne comprends pas, moi. A la place de ces clubs, je ferais comme le Lech au niveau de la formation. C’est le chemin le plus logique et fiable parce que vous avez ces joueurs pendant quatre à cinq ans, vous les élevez, vous savez ce que vous voulez et ce que vous attendez d’eux. Quand vous faites venir un étranger qui est moyen, déjà ce n’est pas sûr qu’il sera bon, il ne connait pas la langue. Un bon étranger ou un jeune étranger qu’on a le temps de former. Mais chacun décide de son côté.

Le Legia a déclaré qu’il voulait partir sur le modèle Ajax avec sa nouvelle académie qui va être quelque chose de très bon. C’est très bien, c’est le chemin. C’est mieux d’investir là-dessus que quand ils ont fait venir des jeunes chers qui jouaient avec la réserve.

On parlait tout à l’heure de Wieteska, qu’ils ont lâché au Górnik avant de le racheter un an plus tard pour beaucoup plus cher. Deux questions pour finir. Quels sont les meilleurs jeunes polonais à l’heure actuelle selon vous ?

Je citerais Sebastian Szymanski. Un ailier rapide, bagarreur, centreur. Le choix de carrière est un peu étonnant mais c’est sûrement lié à ses agents, il n’y a pas de mystère. Et puis peut-être un manque de contact avec les clubs étrangers de l’ouest. Visiblement, les Polonais n’ont pas assez de poids sur les bons clubs en France par exemple. Mais c’est sûr que quand on fait un comparatif avec la France, c’est difficile de trouver un joueur qui m’impressionne. Ce sont des bons joueurs mais ça ne va pas plus loin que ça. 

Quand on voit les performances de Bednarek qui est encore un jeune joueur, je suis désolé mais ce n’est pas encore ça. Je le regarde régulièrement avec Southampton, il est quand même pas mal impliqué dans les buts qu’ils prennent. C’est un très bon joueur car il est en Premier League et il joue, mais ce n’est pas un joueur sur lequel on peut s’extasier. Ce n’est pas comme Varane à son âge par exemple. Ceci dit, c’est un joueur qui a gagné sa place dans un club de Premier League donc ça se respecte.

Personnellement, j’aime beaucoup Zielinski. Je sais qu’il n’a pas beaucoup la côte en Pologne et c’est paradoxal parce que c’est le football. L’important, c’est le contexte. Zielinski, tu le mets dans des équipes qui jouent et même à Naples. Il a toujours fait des bonnes choses, surtout avec Sarri. Mais pour sortir des jeunes joueurs polonais qui soient aujourd’hui dans le top 20 européen à l’heure actuelle, c’est compliqué car il n’y en a pas. Il y a de bons jeunes footballeurs mais Szymanski par exemple n’est pas à ce niveau bien qu’il ait été sélectionné avec les A et fait de bonnes choses ! Il va encore se développer.

J’adorais Kapustka. Je le trouvais très intéressant. Pendant l’EURO en France, je me disais que ça faisait longtemps que je n’avais pas vu un Polonais aussi créatif, aussi relax avec le ballon, agréable à voir jouer. J’aime ce profil de joueurs mais ils ne sont pas faits pour le football polonais. Quand je jouais, je ne dis pas que j’avais le style de Kapustka mais j’aimais ce style de jeu. Je jouais en passes courtes, à deux, à trois, on développait le jeu, dribbler, feinter. Ça, c’est Kapustka. Je pense qu’il a fait un très mauvais choix en allant en Angleterre, c’était plus un joueur pour aller en Espagne même dans un club faible ou une bonne deuxième division. Mais pas en Angleterre, surtout dans le club champion en titre. J’espère qu’il va revenir en forme.


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On ne pouvait pas faire une interview sur le football polonais sans dire un petit mot sur Robert Lewandowski.

C’est le plus grand joueur de l’Histoire du football polonais dans le sens où il y avait de très bons joueurs et de très grands joueurs mais lui, il est dans le football moderne. Aujourd’hui, c’est très difficile avec la pression, l’argent. C’est quelqu’un qui fait une grande carrière et je regrette qu’il y ait encore des Polonais dont certains médias, réseaux, qui continuent de le critiquer. Personne n’a le droit de le critiquer. Il a le droit d’être mauvais à partir de maintenant, tous les jours. Tout ce qu’il a fait pour l’équipe de Pologne, c’est énorme. Qui est plus régulier que lui ? En plus, c’est un joueur qui continue de progresser parce que c’est du sérieux. Ce que j’adore chez lui, c’est son professionnalisme. C’est un gars humble mais ambitieux toujours. 

Le modèle Lewandowski, c’est l’antithèse du modèle du joueur polonais des années 90. Il y a toujours un énorme potentiel dans tous les domaines dans la nation polonaise. En volley, on est champion du Monde. Il y a, dans l’Histoire de la Pologne, des artistes, des peintres, des musiciens. Les Polonais sont capables de le faire. Mais au football, dans les années 90, début des années 2000, on parlait tout le temps du passé. On nous parle des Jeux Olympiques de Barcelone qu’on a perdu 3-2 contre l’Espagne de Guardiola. Quand vous prenez les joueurs de cette équipe-là, ils étaient tous talentueux mais ils n’ont rien fait en équipe nationale. C’était une catastrophe, les pires années. 

Aujourd’hui, un joueur comme Lewandowski, rien que pour son approche et son investissement. Il est très performant dans une équipe polonaise. S’il n’était pas là, je ne sais pas si on se serait qualifié pour une phase finale de grande compétition parce que j’ai vu des matchs où il sauvait l’équipe au dernier moment. 

Pour terminer, comment faire pour garder les jeunes Polonais avant qu’ils ne partent à l’étranger ? Parfois, ils sont même mineurs mais quittent le pays…

Le départ des jeunes Polonais vers l’étranger ne date pas d’hier. Après 1989, il y avait pas mal de joueurs qui partaient à l’étranger sauf qu’ils n’arrivaient pas à percer. Le seul qui a réussi à le faire, c’est Krychowiak, qui est parti très jeune à Bordeaux. J’étais un grand fan de lui et je m’étonnais de ne pas le voir appelé en équipe nationale. 

Désormais, on est sur le marché libre. Tu es libre, tu as un cerveau, tu sais ce que tu veux, tu fais. Il faut que les choix soient intelligents mais il faut faire du cas par cas. Si le joueur est prêt, mûr, intelligent et qu’il a les moyens footballistiques, qu’il parte. Mais la concurrence est énorme. Le football français des jeunes par exemple, c’est hallucinant. Chaque année. Ça ne s’arrête pas. Le renouvellement est constant. Il y a une telle concurrence qu’il est difficile de dire quoi que ce soit. Il faut le faire intelligemment en prenant les pours et les contres.

Kapustka est parti trop tôt, il aurait fallu qu’il reste un an ou deux avant de faire un choix. Quand il y a une compétition comme un EURO ou une Coupe du Monde, que vous êtes bons et que vous êtes jeunes, bien entendu il y a beaucoup de monde qui vous veut. Janczyk n’avait pas la tête, ça s’est mal terminé. Dans le football actuel, il y a beaucoup d’argent et beaucoup de conseillers qui ne sont pas toujours de bons conseils. C’est malheureux. 

Lewandowski a fait un très bon choix quand il est parti, comme Zielinski, Szczesny. Ils sont partis très jeunes et ils avaient un profil intellectuel qui était fait pour partir. Il faut être fort dans la tête. J’avais 23 ans quand je suis parti de Pologne, j’étais assez jeune, sans connaître la langue. J’avais 100 francs dans la poche et je devais commencer ma vie tout seul. Je n’ai pas eu peur, jamais. Pour moi, c’était excitant, comme une aventure. 


© Jordan Berndt pour leballonmag.pl

Tous propos recueillis par Quentin Guéguen pour Footballski.

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