En Hongrie, un football très politique

Ce samedi, l’Équipe de France affronte la Hongrie, à Budapest, dans un stade rempli de près de 40 000 supporters. Seul pays organisateur de l’Euro à disposer d’une jauge pleine dans ses stages, la Hongrie montre, une nouvelle fois, que son football est aussi politique. Avec lui, une ombre : celle du Premier ministre Viktor Orbán. L’occasion, pour nous, de vous contextualiser certaines informations importantes autour de la Hongrie et de vous rediriger vers de saines lectures préalablement publiées sur Fooballski.fr.

De la Hongrie …

Né en 1963, Viktor Orbán n’a jamais connu les Aranycsapat et est réduit à grandir avec l’image de cette équipe ayant unifié un pays. Ce lien avec le sport roi se trouve naturellement dans la trajectoire personnelle de ce Premier Minsitre passé par les équipes de jeune de Videoton et joueur semi-professionnel, en quatrième division, à Felcsút, là où il a grandi. Autre symbole, l‘un de ses premiers voyages à l’étranger, lors de son premier mandat, en 1998, a été la Coupe du Monde en France. Un football guidant une partie de la vie de l’homme Orbán, et parfait outil d’un projet politique : celui d’unir un pays sous une seule et unique bannière par le football tout en lui conférant son lustre d’antan.

Tant de changements qui, surtout, témoigne d’une politique nationale mais aussi d’ambitions sportives et politiques dépassant les frontières, qui reviennent à celles d’un pré-Traité du Trianon et calquent ses perspectives sur les minorités magyares. 

A Budapest, le Stade Ferenc Puskas, nouveau nom donné au Stade du Peuple, a été rasé et laisse désormais place à un nouveau stade flambant neuf. Cette folie n’est pas nouvelle : pas moins de 25 stades sont sortis de terre ces dernières années. L’un des exemples les plus marquants se trouve à Felcsút, bourgade de 1 800 âmes, lieu d’enfance du Premier Ministre, et désormais terre d’accueil de la Pancho Arena et de ses 34 000 places.

Inaugurée six mois après le décès de l’illustre joueur hongrois, en 2007, cette académie Puskas est un luxueux complexe de 10 terrains tous affiliés au centre de formation du club local. Construit pour la coquette somme de 12,5 millions d’euros, le lieu se veut être la nouvelle vitrine de l’Histoire du football hongrois : musée et bibliothèque font le lien avec les succès passés, tandis que le stade, lui, illustre la place centrale que doit être le football dans la vie du village. Promue en Première division en 2013, l’ombre d’Orbán sur le championnat national n’est guère nouvelle : 11 des 12 clubs du championnat sont gérés par des proches. Pêle-mêle : Tamás Deutsch, président du MTK Budapest, fondateur du Fidesz, membre du parlement européen et ex-ministre des sports ; Gábor Kubatov, du Ferencváros TC, est, lui, membre du parlement sous l’étiquette Fidesz, tandis qu’András Tállai, du Mezőkövesdi SE, est également membre du Fidesz et Secrétaire d’Etat.

Dans une enquête publiée par Atlatszo, l’objectif affiché était de disposer de 32 stades de football rénovés d’ici l’année 2020, pour un coût estimé d’environ 215 milliards de Florin, soit 709 millions d’euros pour le contribuable hongrois. Toujours dans cette enquête parue en 2016, Atlatszo stipulait que l’essentiel des fonds liés à ce projet est allé à des maîtres d’ouvrage proches du gouvernement et du parti majoritaire, le Fidesz. A Felcsút, le contrat a été attribué à une entreprise de Lőrinc Mészáros, maire du village et ami d’enfance de Viktor Orbán.

Surtout, les entreprises nationales sont incitées à aider le développement du sport hongrois. En cela, ces dernières bénéficient d’avantages fiscaux tandis que le sponsoring est poussé à l’extrême avec certains clubs locaux. L’un des derniers exemples en date est celui du Videoton FC, désormais connu sous MOL Fehérvár Football Club, du nom de la compagnie pétrolière et gazière hongroise privée. Un partenariat ayant permis au club de s’offrir un joueur de renom pour le championnat : Nemanja Nikolić.


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… à ses minorités

Cette politique pro-football ne se limite pas aux frontières du pays. La politique pro-passeports magyars portée par le gouvernement depuis des années se traduit également par sa présence dans les pays limitrophes, que cela soit en Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Serbie, Croatie ou Ukraine. Plus généralement, tous ces investissements à l’étranger passent par le Bethlen Gábor Alapkezelő (BGA), une fondation publique promouvant la culture magyare à l’étranger et dotée de fonds gouvernementaux conséquents. Si, par exemple, une famille hors Hongrie inscrit ses enfants à des cours de langue magyare, celle-ci peut recevoir une allocation de soixante euros par mois.

De fait, les près de 2,2 millions de magyars de l’étranger sont de possibles électeurs importants pour Orbán autant que pour des partis politiques axés sur ces minorités – comme l’Alliance des Magyars de Voïvodine d’István Pásztor, alliée du gouvernement de Vucić.

En Roumanie, il faut se diriger en Transylvanie pour découvrir ces réalités :

En 2013, Zoltán Szondy, président du FK Csíkszereda, veut implanter un centre de formation afin de soutenir l’équipe première en s’inspirant de l’Athletic Bilbao. Le club instaure une règle : 80% des joueurs des équipes du FK Csíkszereda doivent être locaux. Néanmoins, selon Zoltán Szondy, constituer une telle équipe n’est pas tâche facile ; les enfants les plus talentueux de la région poursuivant leur carrière au sein de l’Académie Puskás, académie partenaire du club grâce à … la loterie nationale hongroise. Notons également la présence d’un second club en pays sicule avec le Sepsi OSK, appartenant à 51% à une compagnie hongroise détenue par Károly Varga … le président de l’académie de Felcsút.

En Slovaquie, c’est le club DAC Dunajská Streda qui concentre toutes les attentions.


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Racheté en 2014 par Oszkár Világi, un ami d’Orban, et directeur général de Slovnaft, entité de raffinerie en Slovaquie faisant partie du groupe MOL, le DAC est aujourd’hui l’une valeurs sûres de la première division slovaque. Surtout, le club cristallise les tensions entre les deux pays : l’hymne national hongrois a été joué avant les matchs du DAC, et ce jusqu’à ce que le parlement slovaque se saisisse de la question et l’interdise en 2019. Symbole de cette intégration hongroise en Slovaquie, le nouveau stade du club a servi, en 2019, à collecter des signatures pour la création d’un nouveau parti politique hongrois en Slovaquie.

Plus encore, la fille d’Oszkár Világi est en charge du centre de formation du DAC Dunajská Streda ; complexe ayant ouvert en 2018 et coûté 14 millions d’euros (les Slovaques ont contribué à hauteur de 500 000 euros, le club a mis 3 millions d’euros, ainsi que 3 millions de prêts et, enfin, 6,5 millions par la fédération hongroise). Des subventions hongroises toujours présentes puisque 6 millions d’euros ont été perçus par le centre de formation en trois années. pleut encore des subventions hongroises pour le centre de formation, plus de 6 millions en trois ans.

Même stratégie en Slovénie où 10,4 millions ont été investis pour le centre de formation du NK Nafta 1903, alors en seconde division. Symbole de ces logiques politiques : en 2020, 60% des fonds alloués à la communauté magyare slovène étaient dédiés au club situé à Lendava.

La situation en Serbie est similaire. En 2018, Orban était présent pour l’ouverture de la Délvidék Sport Akadémia ( Délvidék signifie Voïvodine en magyar), à Bačka Topola. L’académie a été financée à hauteur de 9,5 millions d’euros par le BGA. Mais alors, pourquoi Bačka Topola ? Eh bien, Viktor Orbán serait en bons termes avec János Zsemberi, millionnaire local ayant racheté le club local. Celui-ci est désormais l’un des mieux gérés du pays ; ce qui lui a permis d’attirer l’ancien sélectionneur serbe, Mladen Krtajić, à l’hiver dernier, à la suite du décès de l’historique Zoltán Szabó. Sponsor maillot, MOL n’est bien évidemment jamais bien loin de ce football des minorités hongroises. De même, l’entente serbo-hongroise se retrouve également à travers l’international serbe Emil Rockov, transféré en 2020 à Fehérvár et, déjà, citoyen hongrois. Enfin, en 2018, la banque nationale OTP, sponsor de l’équipe nationale hongroise, rachetait les actifs de la Société Générale en Serbie, soulignant l’intérêt hongrois soutenu pour son voisinage. 

En Croatie, il faut se concentrer sur le club d’Osijek pour voir ces investissements hongrois. L’achat du club date de février 2016 : en plus de sauver le club d’une banqueroute certaine, Ivan Meštrović souhaitait créer un centre de formation.


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La connexion hongroise est alors assurée par László Szíjj, partenaire de Lőrinc Mészáros, maire de Felcsút. Ici, le projet est quelque peu différent puisque le club n’est pas situé dans une minorité territoriale magyare. Il était évoqué, un temps, la possibilité pour Lőrinc Mészáros de construire une centrale électrique, à côté d’Osijek, avec l’aide des fonds de BGA. Sans autres certitudes actuelles.

Terminons ce tour d’horizon des investissements du football hongrois par l’Ukraine et plus spécifiquement à Mukachevo, où l’on retrouve une école liée à Istvan Crou, homme d’affaires originaire de Budapest, et Rèvèsz Attila, directeur sportif du Kisvárda FC, en première division hongroise.

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Nous le voyons à travers ces différents exemples et articles publiés : la formation est l’axe primordial du développement du football hongrois. Soutenir l’apprentissage de langue autant que du football permet au pays d’entretenir un lien avec un vivier de potentiels talents qui, tous, sont placés sous l’œil avisé de l’Académie Puskas. Tous ces clubs participent à la OTP Bank Cup, une compétition liant les minorités et destinées aux centres de formation. En cela, loin d’être anodins, ces investissements permettent l’élaboration d’un réseau de clubs et de centres de formation renouant symboliquement, et politiquement, avec l’idée d’une « Grande Hongrie ». L’opportunité de retrouver, évidemment, le dessein nationaliste du Premier ministre hongrois.

De l’Euro 2016 à l’Euro 2020, cette politique se concrétise également sur les terrains. Elle permet à la Hongrie d’être présente sur la carte internationale des grands événements en accueillant la Super Coupe d’Europe en 2020 ou, plus récemment, en accueillant des matchs de Ligue des Champions, cette année, entre Manchester City et Mönchengladbach puis entre Liverpool et Leipzig. À travers le football, le gouvernement magyar utilise des ressorts connus comme le nationalisme, la fierté ou l’orgueil national. Cette propagande est double : d’une part, elle permet à Orban de se construire et consolider une base de supporters et, d’autre part, de surfer sur la nostalgie du football hongrois des années 50 afin de faire revivre cet élan de fierté hongroise. En attendant de retrouver, un jour, ce beau jeu sur les terrains sportifs … et politiques.


Lazar Van Parijs

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