À quelques mois de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) Républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique, avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Cette semaine, nous parlons de la Moldavie. Épisode 45 : l’état du football en Moldavie depuis l’indépendance.
Le football souffre en Moldavie. Non pas d’un déficit de popularité, comme dans nombre de pays est-européens situés plus au nord, comme la Biélorussie ou les pays baltes que sont l’Estonie ou la Lituanie, mais bien d’un manque de moyens. Dans un pays longtemps – et toujours – considéré comme le plus pauvre d’Europe, déchiré entre Moldavie roumanophone et Transnistrie russophone, le football n’a pas les moyens de se développer.
Du Zimbru au Sheriff
Il est facile, à première vue, de résumer les 27 éditions de Divizia Națională disputées depuis 1992 en deux parties : l’avant et l’après Sheriff Tiraspol. Si elle est presque vraie, la vérité du football moldave est plus complexe tant le paysage footballistique a connu de modifications depuis l’indépendance du pays. Pour exemple, sept des douze clubs participant à l’édition inaugurale de 1992 sont aujourd’hui portés disparus.
Seul club moldave à avoir évolué en Ligue Supérieure d’URSS, dont il a notamment terminé à la sixième place en 1956 sous le doux nom de Burevestnik, le Zimbru Chișinău est à l’indépendance le club le plus puissant du pays, sans aucune contestation possible. C’est donc en toute logique que le club de la capitale domine les premières années de championnat. Non sans mal toutefois. Car, contrairement à ce qu’un froid palmarès laisse entendre, la domination n’est pas outrageuse. Dès l’édition inaugurale, ce n’est que sur tapis vert que le Zimbru est sacré champion. Ex-aequo en tête du classement, le club n’est devancé par le Tiligul-Tiras Tiraspol qu’à la différence de but. Un match en or est alors organisé pour départager les deux équipes, que le Tiligul refuse de jouer, laissant le titre à son adversaire. Nous sommes en pleine guerre de Transnistrie et le football passe au second plan.
Les années se suivent et se ressemblent. Porté par les historiques Alexandru Spiridon (lire ci-dessous), Sergei Cleșcenco, Alexandru Curteian, Radu Rebeja, Sergiu Epureanu ou encore Ion Testemițanu, le Zimbru devance d’un souffle son concurrent de Tiraspol pour remporter les cinq premières éditions du championnat de Moldavie nouvellement indépendante. Au total, le Zimbru remporte huit des neuf premières éditions de Divizia Națională. Malgré une saison pleine et 112 buts marqués en 30 journées – 3,7 buts par match en moyenne ! – les Galben-verzii (Vert et Jaune) sont devancés à la surprise générale par les voisins du Constructorul Chișinău, auteur d’une saison héroique en 1996-97, pour sa deuxième saison dans l’élite seulement. Une saison pour entrer dans l’histoire, comme étant le seul club à avoir privé le Zimbru du carton plein jusqu’à l’an 2000. A l’aube du nouveau siècle, le grand club de la capitale empoche son huitième titre national. Le dernier. Car dans l’ombre, un ogre prépare sa sortie. Un ogre venu de Transnistrie, la province séparatiste de l’est du pays : le Sheriff Tiraspol.
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Une étoile brille de mille feux dans la nuit d’une Transnistrie en friche. Ce halo lumineux au coeur de la grisaille de Tiraspol, c’est le complexe sportif Sheriff. Fondé en 1997, le Sheriff modifie profondément le paysage footballistique moldave à l’aube des années 2000. Promu en Divizia Națională dès sa première année d’existence, le nouveau club de Tiraspol déboule directement à la quatrième place du championnat en 1998-99. Il échoue ensuite à un petit point seulement du Zimbru Chișinău lorsque celui-ci s’offre son dernier titre national en 2000. La suite est connue : seize titres de champion de Moldavie et neuf coupes nationales. Une domination quasiment sans partage, le club n’ayant raté le titre qu’à deux reprises.
Roi de Transnistrie, le Sheriff est parvenu à ce niveau grâce à une force de frappe financière sans pareil. Alors que l’économie reste maussade dans le pays, et force ses principaux rivaux de Chișinău à se serrer la ceinture, voire à se battre pour simplement survivre, le Sheriff investit sans compter pendant des années. Des investissements permis par le champ d’action du groupe Sheriff, qui possède presque tout en Transnistrie : supermarchés, stations-service, chaîne de télé (TSV, la télé du libre choix), réseau de téléphonie (Interdnestrcom, ou IDC, sponsor maillot du club), et société de BTP, sa toute première activité, démarrée la même année que la fondation du club. L’immense complexe sportif du club, c’est cette firme qui l’a construite. Ainsi, l’araignée Sheriff joue en cercle fermé avec son argent, qu’elle dépense d’un côté pour le reprendre de l’autre. Tout en augmentant son potentiel grâce aux primes engrangées en coupes européennes et aux belles plus-values réalisées sur les ventes à l’étranger de ses meilleurs joueurs.
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Avec de telles installations, parmi lesquelles un stade de 13 000 places aux meilleures normes UEFA, le Sheriff possède les armes pour distancer ses rivaux de la capitale. A commencer par la possibilité d’accueillir les matchs de l’équipe nationale moldave. Le comble pour la vitrine de la Transnistrie séparatiste ! Un terrible aveu d’impuissance pour les dirigeants de la FMF et des clubs de Chișinău, où les joueurs ne sont pas toujours assurés d’avoir de l’eau chaude. Après avoir traîné ses guêtres à Tiraspol pendant quelques temps, l’équipe nationale (re)joue désormais dans la capitale Chișinău, au sein du stade du Zimbru.
Vainqueur de son premier titre en 2001 pour un petit point d’avance sur le Zimbru, le Sheriff Tiraspol voit rapidement l’écart se grandir entre lui et ses poursuivants. Les Jaune et Noir comptent ainsi régulièrement une quinzaine de points d’avance en tête du classement, et dépassent même la vingtaine en 2007 et 2009.
Plusieurs clubs ont tenté à tour de rôle de contrecarrer cette domination. Au début des années 2000, le Zimbru et le Nistru Otaci ont fait de la résistance, avant de lâcher prise. D’autres sont alors apparus. Tout d’abord le Dacia Chișinău, six fois dauphin du Sheriff, mais surtout premier club à en venir à bout, au terme d’une saison 2010-11 absolument parfaite. Le Sheriff est relégué à neuf points ! Quatre ans plus tard, c’est un autre nouveau venu qui réalise l’exploit à son tour. Créé en 2005, le Milsami Orhei l’emporte sur le fil dix ans plus tard, en terminant premier à égalité avec le Dacia et le Sheriff, mais en l’emportant au niveau des confrontations directes.
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D’autres auront eu moins de réussite. C’est le cas notamment du Veris Chișinău, qui termine troisième du championnat en 2014, avant de disparaître aussi subitement qu’il était arrivé l’année suivante, alors qu’il était en tête du championnat. Promis à un bel avenir en Divizia Națională, le FC Veris se retire du championnat en pleine saison, en signe de protestation contre l’arbitrage après une défaite 1-0 face au Sheriff en coupe. Une décision forte qui illustre également l’état du football en Moldavie. Entre roumanophones et Transnistriens, les soupçons sont constants. Autant la Moldavie que la province séparatiste véhiculent leur lot de scandales et controverses. Où l’arbitrage a souvent une place de choix. Ainsi, les matchs opposant le Sheriff aux autres clubs de la ville sont régulièrement sujets à controverse. Et pour cause, le Sheriff et le FC Tiraspol (successeur du Constructorul Chișinău après son déménagement dans « l’autre » capitale) seraient détenus par le même homme, Viktor Gușan. De même pour le Tiligul-Tiras Tiraspol, détenu par un certain Korzun, également associé de Gușan à la tête du Sheriff. Les deux petits clubs de Tiraspol, aujourd’hui disparus, ont ainsi librement accès aux terrains d’entraînement du complexe Sheriff pendant des années. Tout ceci sans qu’aucune enquête ni sanction ne soit lancée par la FMF, la fédération moldave. Entre présidents aux identités parfois floues, financements douteux et controverses permanentes, le football n’est pas dans la situation idéale pour se développer.
Une sélection souffre-douleur
Si les clubs moldaves, et notamment le Sheriff, réussissent donc de temps à autre à se montrer sur la scène continentale, c’est souvent grâce à l’apport de joueurs étrangers. De ces quelques petits exploits, la sélection ne profite ainsi que très peu, voire aucunement. 166e nation au classement FIFA, devant Porto-Rico, mais derrière le Népal, et d’autres nations telles que Tahiti, le Sud Soudan ou encore Vanuatu. La Moldavie, une équipe au fond du gouffre depuis toujours.
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L’histoire démarre pourtant de belle manière. Après deux années à disputer des matchs amicaux, la sélection moldave se déplace en septembre 1994 à Tbilissi pour son tout premier match officiel sous l’égide de l’UEFA : une rencontre face à la Géorgie dans le cadre des qualifications pour l’Euro 96. Et revient au pays avec une victoire 1-0 en poche ! Suivent deux autres victoires dans cette campagne, face à la Géorgie et au Pays de Galles à domicile. Deux équipes qui terminent les éliminatoires derrière le nouveau venu moldave.
Cette campagne de qualification pour l’Euro 96 est l’une des meilleures qu’ait connue la Moldavie. Trois victoires et une quatrième place du groupe 7. Par la suite, la sélection navigue dans les profondeurs des classements, oscillant entre dernière et avant-dernière place selon les campagnes éliminatoires. Il faut attendre le milieu des années 2000 pour voir enfin de nouveaux bons résultats. En 2003, la Moldavie bat l’Autriche et la Biélorussie. Lors des éliminatoires pour l’Euro 2008, la sélection réalise son meilleur parcours en se hissant de nouveau à la quatrième place de son groupe, mais avec trois victoires et trois matchs nuls. De quoi terminer notamment devant la Hongrie. Sous la houlette de l’idole de tout un peuple Igor Dobrovolski, la sélection connaît une période faste, qui la mène à son meilleur niveau au classement de la Fifa, avec une 37e place !
Las, cette bonne période n’est pas suivie d’effet. Deux ans plus tard, les éliminatoires pour le Mondial sud-africain sont un fiasco, avec dernière place du groupe, sans aucune victoire. Telle est l’histoire de la sélection moldave, une succession d’espoirs rapidement déçus par des campagnes cauchemardesques.
Après des résultats convenables lors des éliminatoires pour la Coupe du Monde 2014, la Moldavie aligne les défaites. Sa sélection n’a ainsi plus remporté le moindre match en compétition officielle depuis… 2013 ! Les 11 et 15 octobre de cette année, les Moldaves l’emportent 3-0 face à Saint-Marin avant de signer un incroyable 5-2 sur le terrain du Monténégro d’un Stevan Jovetić pourtant double buteur, mais déjà éliminé de la course à la coupe du monde brésilienne. Depuis, plus rien. Quatre longues années où les seules victoires interviennent lors de matchs amicaux disputés face à Saint-Marin ou Andorre. Pire, les Moldaves sont sur une série en cours de six matchs sans un seul but marqué. Même Igor Dobrovolski, de retour aux affaires, n’a pas réussi à redresser la barre.
Pour remédier à cette situation catastrophique, la FMF a mis les rênes de l’équipe nationale entre les mains d’un nouveau sélectionneur, Alexandru Spiridon. Un homme qui a longtemps côtoyé le très haut niveau, lui qui a passé douze ans dans l’ombre du grand Mircea Lucescu dont il a été l’assistant au Shakhtar Donetsk puis au Zenit Saint-Pétersbourg. Fort de cette expérience, Spiridon semble l’homme de la situation pour remettre la sélection sur les rails menant aux buts adverses, et pourquoi pas à la victoire. Il peut pour cela miser sur quelques individualités de qualité avec Artur Ioniță (Cagliari), Alexandru Epureanu (actuel leader de Superlig turque avec Başakşehir) ou encore les vétérans Alexandru Gațcan (Rostov) et Andrei Cojocari (Milsami Orhei). Des individualités néanmoins insuffisantes pour combler le manque de qualité de l’ensemble de l’effectif. Plus inquiétant encore, la jeune génération peine à se montrer convaincante. A l’exception de Vitalie Damașcan, aucun jeune joueur ne se montre pour le moment à même de prendre la place des titulaires pour certains vieillissants.
Les perspectives d’avenir sont ainsi bien sombres. Empêtré dans le manque de moyens, les luttes d’identités régionales et la corruption, le football moldave ne semble pas en mesure de connaître une quelconque progression dans un avenir proche, et encore moins de jouer une qualification pour une compétition internationale à moyen ou long terme. Retraité des terrains depuis 2006, Sergiu Cleșcenco reste aujourd’hui le meilleur buteur de la sélection avec onze unités. A l’image de ce « record » relativement modeste, la Moldavie est à sa place, au fin fond du football européen.
Pierre-Julien Pera
Image à la une : © oasteafiara.net