A moins d’un an de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Nous poursuivons en ce début d’année avec la septième : la Lituanie. Episode 35: Le football depuis l’indépendance


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Le championnat lituanien reprend vie en 1990 après quasiment un demi-siècle d’occupation soviétique. Les clubs qui ont disputé les championnats d’avant-guerre à partir de 1922 ont été liquidés soit par les nazis, comme le KSS Klaipeda en 1940, d’autres comme le Kovas Kaunas, le LFLS Kaunas ont été liquidés en 1945 lors du retour des Soviétiques. Autre changement, et il est de taille, le pouvoir soviétique a rétrocédé à la Lituanie sa capitale historique, Vilnius et donné ainsi involontairement au pays son meilleur club, le Zalgiris Vilnius. Cependant, entre problèmes économiques, désertion des stades par les spectateurs, scandales et amateurisme, les difficultés sont énormes pour le football lituanien qui est relégué dans l’ombre du basket – qui est et restera toujours le sport roi en Lituanie.

Genèse

Le championnat se forme en additionnant le Zalgiris Vilnius qui joue le top 5 en URSS, deux clubs évoluant dans les divisions nationales inférieures, l’Atlantas Klaipeda et l’Inkaras Kaunas et des équipes disputant le championnat de la république soviétique de Lituanie. L’équipe souffrant le plus est bien entendu le Zalgiris Vilnius qui passe des confrontations contre les cadors du championnat soviétique à des quasi-terrains vagues devant 100 spectateurs. Les meilleurs éléments vont donc vite partir monnayer leur talent à l’étranger. Le club se basera essentiellement sur son centre de formation performant pour renouveler son équipe, faute d’argent, de médiatisation et de perspective dans un championnat à l’image du pays où tout est à reconstruire après le cauchemar soviétique.

Sportivement entre 1990 et 1999 le Sirijus Klaipeda, Zalgiris Vilnius, Ekranas Panevezys, ROMAR Mazeikiai, Inkaras Kaunas, Kareda Siauliai et FBK Kaunas se succèdent pour cueillir les lauriers de champions. FBK Kaunas remporte ensuite tout les titres jusqu’en 2007 (exception faite de 2005 où Ekranas s’impose). Ekranas rafle tout entre 2008 et 2012, Zalgiris tout depuis 2013, avant que Suduva ne vienne à la surprise générale remporter le titre cette saison. Une constante, en dehors de Suduva et Zalgiris plus aucun des anciens champions n’existe aujourd’hui et encore, Zalgiris revient de l’enfer.

Les débuts

Organisé sous la forme d’un championnat se déroulant sous la forme d’une coupe, le Sirijus Klaipeda devient à la surprise générale le premier champion lituanien en 1990. Le Zalgiris rétablit la logique pendant deux saisons avant de pratiquement finir second chaque année pendant dix ans ! Romar Mazeikiai,Inkaras Kaunas, Kareda Siauliai dament le pion au club de Vilnius, mais ce sont des géants aux pieds d’argiles dont la gloire est éphémère. Illustrons cette réalité par le cas du Romar Mazeikiai , fondé en 1947 et portant le nom d’Atmosfera Mazeikiai, le club est renommé en 1992 ROMAR Mazeikiai, ROMAR venant du nom de Romas Marcinkeviciaus investisseur principal du club. Le club se renforce fortement (Tomas Kancelskis, Saulius Mikalajunas, Vidas Dancenkas, RaimondasZutautas) et créée un intérêt incroyable à Mazeikiai (un Romar – Zalgiris rassemble 10.000 spectateurs en 93), mais également en déplacement où le club qui reçoit est assuré de faire la meilleure assistance de la saison. Cependant, Romas Marcinkevicius est un personnage trouble, qui a fait fortune à la chute de l’URSS, entretenant des liens avec la mafia locale. Au bout de trois ans, il quitte la Lituanie pour partir s’installer aux USA et abandonne le club qui doit repartir en D4.

Sirijus Klaipeda disparait lui en 1996 et est intégré à l’Atlantas Klaipeda. Inkaras Kaunas survivra jusqu’en 2003 et le Kareda Siauliai est déplacé à Kaunas en 2000 et disparait en 2003. Faute d’argent, les clubs sont bien souvent le jouet d’un nouveau riche qui au bout d’un moment lassé le jette à la poubelle. L’instabilité est totale et seul le Zalgiris Vilnius se montre stable, mais sa situation ne cesse de se dégrader à l’image de son stade qui tombe littéralement en ruine. Les disparitions de ces différents rivaux ne lui permettront pas de retrouver le succès, le FBK Kaunas devenant pour un bon bout de temps le leader quasiment incontesté du championnat.

Les années FBK Kaunas (1999-2007)

Évoluant sous le nom de Banga Kaunas à l’époque soviétique, le club change de nom en 1993 pour devenir le Kauno Futbolo Beisbolo Klubas. Ce changement de nom correspond au début du sponsoring par l’ Ūkio bankas et de son sulfureux propriétaire Vladimir Romanov.

Vladimir Romanov est né en Russie et suit son père militaire en Lituanie. Suite au décès de son père à l’âge de 16 ans, il apprend rapidement à gagner de l’argent et lors de l’indépendance retrouvée du pays fonde la première banque privée de Lituanie : Ūkio bankas. Il diversifie ses investissements (aluminium, télévision, immobilier, textile…) et étend son empire en Russie, Ukraine, Belarus, Serbie, Bosnie. Romanov devient rapidement multimillionnaire. Il prend donc contrôle du club de Kaunas sans vraiment y investir beaucoup au début, mais à partir de 1999 le club accumule les titres en recrutant les meilleurs joueurs lituaniens. Les joueurs étrangers sont  alors rarissimes dans le championnat lituanien. Si le club règne quasiment sans partage sur le championnat local, il ne brille pas sur la scène européenne.

En 2005, le FBK à néanmoins l’honneur de mener à Kaunas  via Giedrius Barevicius contre Liverpool pendant six minutes avant que Djibril Cissé, Jamie Carragher et Steven Gerrard ne viennent glacer l’assistance. À partir de 2006 le club commence à recruter des étrangers et de plus en  plus au fil des années. En 2008 le club recrute l’entraineur portugais José Couceiro, coup de génie ! Après avoir logiquement corrigé Santa Coloma, Kaunas doit affronter les Glasgow Rangers. Personne ne mise un litas sur les hommes de Couceiro…À Glasgow, FBK parvient à obtenir un match nul et vierge  déjà miraculeux, mais le meilleur est encore à venir. Au retour, Kevin Thompson ouvre le score pour les visiteurs à la 33e. Les Écossais pensent avoir fait le plus dur, mais vont tomber de haut. Nerijus  Radzius expédie un coup franc magistral dans la lucarne d’Allan McGregor juste avant la pause, et Linas Pilibaitis est à la réception d’un corner de Rafael Ledesma pour expédier d’une tête rageuse le ballon au fond des filets écossais ! Signe que les temps ont changé 7 joueurs étrangers figurent sur la feuille de match pour Kaunas en ce soir du 5 aout 2008. Le club se met alors à rêver de Champions League, mais Aalborg vient briser le rêve. Reversé en Europa League, ce sera la Sampdoria d’Antonio Cassano qui vient mettre un terme au rêve européen. José Couceiro jouit alors d’une énorme popularité et se voit nommer entraineur de l’équipe nationale lituanienne, il passera ensuite entre autres par Gaziantepspor, le Sporting Portugal, Lokomotiv Moscou…

Paradoxalement, cette belle campagne européenne est le chant du cygne pour le FBK Kaunas. Le club ne finit que deuxième du championnat local, distancé largement par Ekranas Panevezys. En conflit perpétuel avec la fédération, Romanov décide de faire descendre le club en D3 ! Il oblige, et ceci dans le but de saborder complètement le championnat, Atlantas Klaipeda qui ne survit que grâce aux joueurs prêtés par Kaunas à faire de même. Le club remonte en deux ans en D1 en remportant 46 de ses 47 matchs de championnats disputés durant cette période. Mais alors que Romanov pense pouvoir revenir en Dieu tout puissant, la réalité va commencer à rattraper l’homme tout puissant de Kaunas. Les problèmes arrivant il délaisse le club qui disparait et sera refondé de façon éphémère par ses ultras.

Outre son empire économique, Romanov s’est créé un empire sportif. En 2005 il prend possession du club écossais de Heart of Midlothian (à qui le FBK prête des joueurs tels Roman Bednář, Edgaras Jankauskas, Bruno Aguiar, Andrius Velička, Nerijus Barasa ou encore Marius Žaliūkas). Par la suite ce sera le club biélorusse du MTZ-Ripo Minsk rebaptisé Partizan Minsk et en 2009 le club de basket du Zalgiris Kaunas, club numéro un du sport numéro un en Lituanie. Plus rien ne semble pouvoir arrêter l’homme qui compte même se présenter à l’élection présidentielle, mais la commission électorale lui refusera l’accès au scrutin, n’étant pas né en Lituanie. Tout s’écroulera avec l’effondrement de la Ūkio Bankas. La vérité apparait au grand jour, les clubs que possède Romanov sont criblés de dettes et Romanov s’enfuit (probablement en Russie) pour échapper à son arrestation. Il est actuellement toujours recherché…

Le championnat perd donc une force vive et les choses ne s’arrangent pas, un autre leader doit mettre la clef sous le paillasson peu après, car quasi au même moment le Zalgiris Vilnius s’effondre. Son propriétaire Vadim Kastujev est arrêté à Moscou et le club tombe en faillite. Il est sauvé par ses supporters qui créent un nouveau club pour repartir en D2. Dans le même temps, l’exotique FC Vinius est relégué.  Son propriétaire, Algimantas Breikštas qui a fait fortune dans l’industrie laitière, décide de faire du business dans le football en allant acheter de jeunes Brésiliens inconnus dans le projet de les revendre avec une plus-value. Il se rend lui-même au Brésil visionner des tournois de jeunes et trouvera un certain Paulinho (2006-2007 à Vilnius et aujourd’hui star à Barcelone ou encore Rodnei qui évoluera ensuite à Kaiserslautern, RB Salzbourg ou Munich 1860. Cependant, ramener de très très jeunes Brésiliens dans un championnat physique n’est pas une réussite et les problèmes financiers vont arriver entrainant la relégation du club et sa disparition.

Le championnat lituanien est alors complètement décapité. L’instabilité règne en maitre. Durant cette période, l’anglais Adebayo Akinfenwa débarque à l’Atlantas Klaipeda en 2001. Surnommé « « The Beast » pour son physique impressionnant, son retour  dans la presse occidentale sur cette période de sa vie des années plus tard et la sortie de son livre sobrement intitulé « The Beast » sera surtout marqué par les remarques sur le racisme des supporters à son égard.

Ekranas (2008-2012)

Profitant de cette situation Ekranas Panevezys devient le nouveau monstre du championnat. D’autant plus que rapidement son opposant principal le FK Vetra fait lui aussi faillite. Fondé en 1996, le FK Vetra Rudiskes gravit rapidement les échelons du football lituanien. Son propriétaire Romas Stasauskas, basé initialement dans la petite ville de Rudiskes (15 au sud de Trakai), lui permet d’accèder à la première division en 2003 et déménage à Vilnius. Le club prend possession du stade Lokomotyvas qu’il reconstruit et renomme Vetra tout simplement. Il attire des joueurs lituaniens confirmés comme Aidas Preikšaitis, Darvydas Šernas, Donatas Vencevičius ou Algis Jankauskas. Cependant, en 2009, Romas Stašauskas fait face à des difficultés financières et cède le club à de nébuleux investisseurs russes qui ne payent plus rien et le club disparait à son tour.

Profitant de la faiblesse d’un championnat qui doit sans cesse faire monter des équipes de D2 pour combler les trous, c’est presque avec joie qu’Ekranas voit le nouveau Zalgiris revenir en D1 pour pimenter un peu un championnat bien insipide. Atlantas Klaipeda remonte lui aussi de l’enfer et Suduva est l’équipe stable. Ce sont ces équipes qui vont animer cette période, avec Ekranas qui finit toujours premier à la fin. Cependant, des problèmes financiers vont commencer à être évoqués et à partir de 2013 Ekranas n’a plus les moyens de lutter pour le titre et au bout de deux ans est déclaré en faillite. Les supporters ont recréé un club actuellement en D2.

Zalgiris Vilnius (2013-2016)

Ekranas disparu, la voie royale semble tracée pour Zalgiris. Cependant, un autre club revit également : l’Atlantas Klaipeda. Le russe Konstantin Sarsania prend en main la gestion du club (voir notre portrait). Atlantas se renforce avec des Lituaniens chevronnés et tient tête à Zalgiris jusqu’à la dernière journée, mais un nul inexplicable contre la modeste équipe de Banga Gargzdai offre le titre à Zalgiris. Zalgiris par la suite reste constant, engrange les titres et acquiert les meilleurs joueurs lituaniens en ajoutant des étrangers d’un niveau supérieur à la norme lituanienne. Atlantas ne parviendra par la suite plus à tenir la cadence. Le club investit dans des jeunes lituaniens et russes (Gertmonas, Panyukov, Maksimov …) qui sont vendus à des moments pas toujours opportuns pour assurer une continuité sportive.

Une nouvelle force apparait également, le FK Trakai promu en 2014, également détenu par un riche investisseur. Faute de stade conforme le club émigre à Vilnius pour jouer devant 200-300 spectateurs…Affichant un effectif de qualité, mais souvent limité en quantité le club est actuellement un pilier du championnat lituanien avec l’ambition de jouer l’Europe chaque année, mais se baser sur un mécène unique a déjà souvent mené au désastre comme nous l’avons vu. Suduva club assez stable et ne faisant pas de folie vient compléter le tableau des prétendants. Néanmoins ni Trakai, ni Atlantas, ni Suduva ne sont en mesure d’empêcher le Zalgiris Vilnius d’aligner quatre titres consécutifs.

Suduva 2017

Le scénario semblait écrit à l’avance et conforme aux saisons précédentes : Žalgiris champion sans souci, une bataille Atlantas, Sūduva, Trakai pour l’Europe et une lutte pour la survie pour les autres.


Lire aussi : Suduva, l’histoire en marche (retour sur le parcours des lituaniens en Ligue Europa cet été)


Et c’est effectivement ce qui se passe jusqu’à l’été et les joutes européennes où, dans le sillage des beaux parcours de Sūduva et Trakai, on assiste à une redistribution complète des cartes. Žalgiris sans âme et méconnaissable s’effondre complètement et se fait dépasser par Sūduva , qui démontre lors de leurs deux confrontations directes qu’elle est bien l’équipe la plus forte et remporte méritoirement le championnat. Atlantas perd son mentor, Konstantin Sarsania qui part au Zenit (et décède malheureusement de façon impromptue quelque temps après…) Utenis annonce dès la clôture de la saison  2017 son retrait de l’élite lituanienne, pas assez rémunératrice. L’inconnue est pour l’instant totale pour le nom du remplaçant, Žalgiris Kaunas à nouveau ? Le Vytis Vilnius (D2) aurait montré son intérêt, à suivre donc… Ce serait la seconde fois d’affilée que le Zalgiris Kaunas serait relégué et ne descendrait pas, un peu comme un symbole des problèmes d’un championnat en quête perpétuelle de stabilité.


Viktor Lukovic

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