A moins d’un an de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Nous poursuivons en ce début d’année avec la septième : la Lituanie. Episode #34: Romualdas Marcinkus.
Traversant une Europe déchirée par la guerre après avoir été star du football et héros de l’aviation, la vie et le destin de Romualdas Marcinkus sont tout bonnement stupéfiants. L’occupation de la Lituanie par l’URSS provoqua la négation de son histoire dans son propre pays et il a fallu attendre le retour de l’indépendance pour que son nom réapparaisse et que son peuple prenne – enfin! – connaissance de ses exploits. L’effacement de son nom des mémoires fait que beaucoup d’éléments de sa vie restent aujourd’hui encore inconnus. Retour sur un parcours hors du commun.
Star du football
Romualdas Marcinkus naît le 22 juillet 1907 à Jurbakas à proximité de l’actuelle frontière avec la Pologne. Son père est policier et sa mère, Honorata Kroaze-Marcinkiene, aurait des origines françaises. Kroaze serait une lituanisation de Courvoisier, du nom d’un soldat de Napoléon qui aurait épousé une Lituanienne.
Romualdas est passionné de sport et plus particulièrement de football qu’il pratique au sein de l’équipe de Jurbakas. A 17 ans, il part étudier à Kaunas, la capitale de la Lituanie amputée de Vilnius, dans le but d’intégrer l’armée lituanienne et plus particulièrement l’aviation, qui est alors en plein développement. Toujours passionné de football, Romualdas évolue tout d’abord au Kauno Sporto Klubas puis au LFLS Kaunas (Union de l’éducation physique lituanienne), où il devient directement champion de Lituanie. Le LFLS Kaunas domine largement le petit championnat lituanien et le football est alors le sport le plus populaire à Kaunas avant d’être surpassé par le basket. Marcinkus évolue de 1927 à 1938 au LFLS Kaunas (excepté une infidélité d’un an au Kovas Kaunas en 1936). Il devient également un cadre et capitaine de l’équipe nationale, affichant un total de 41 sélections et deux buts pour son pays. En 1932, il devient même entraîneur-joueur de la sélection qui faisait auparavant appel à des sélectionneurs autrichiens ou hongrois. Cette expérience ne dure qu’un an mais il reprend ce rôle en 1938, le temps de deux défaites contre la Lettonie et la Hongrie.
La Lituanie a l’occasion de tenter de se qualifier pour la première fois pour la Coupe du Monde en 1934. Au départ, la FIFA propose de former un groupe éliminatoire comprenant la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie, la Pologne et le Danemark. Cependant, suite à la prise de Vilnius en 1920, la Lituanie et la Pologne n’entretiennent plus de relation diplomatique. Il est donc décidé que la Lituanie jouerait contre la Suède et l’Estonie. Le premier match éliminatoire de l’équipe nationale se déroule ainsi le 29 juin 1933 à Kaunas devant 6 000 spectateurs. Marcinkus est capitaine. La Suède est néanmoins la plus forte et s’impose 0-2. Ces mêmes Suédois ayant déjà battu l’Estonie, il est décidé de ne pas jouer le match Lituanie-Estonie. Il faut ainsi attendre encore quatre ans à Marcinkus pour honorer son second rendez-vous avec la Coupe du Monde. A Riga en 1937, le toujours capitaine ne peut empêcher une nouvelle défaite 4-2 (il est absent du match retour qui voit la Lettonie s’imposer 1-5 à Kaunas). Son aventure avec l’équipe nationale prend fin avec une défaite contre l’Estonie en juin 1938, à l’occasion d’un match au cours duquel il n’endosse que la casquette d’entraîneur. Considéré comme un des meilleurs joueurs lituaniens de l’époque, Marcinkus écrit des articles à propos du football et devient une célébrité locale. Son palmarès compte trois titres de champion de Lituanie et deux Coupes de la Baltique.
Militaire, aviateur et héros de guerre
Parallèlement au football, Romualdas Marcinkus poursuit son instruction militaire, grimpe les échelons et devient pilote. En 1933, il épouse Aleksandra Lingyte, qui est également une célébrité sportive, mais dans le basket. Il ne cesse de s’instruire, devient parachutiste instructeur et participe à des shows aériens. Son expertise en aviation est reconnue et lui vaut d’être invité à un vol transeuropéen d’une durée de 25 jours et visitant douze capitales à bord d’un ANBO 41, un avion de construction lituanienne. Il est accueilli avec ses quatre copilotes par Mussolini. Le retour au pays est triomphal mais marque paradoxalement le début du déclin pour Marcinkus. Le sport semble plus l’intéresser que la vie militaire, il accumule des dettes et ses blessures mettent fin à sa carrière de footballeur. Dépressif, il est écarté du corps actif de l’armée. La déflagration planétaire de la Seconde Guerre mondiale va lui permettre de redonner un sens à sa vie.
Le 30 novembre 1939, débute la Guerre d’Hiver. L’URSS entame une invasion massive de la Finlande peu après l’échec de négociations visant à créer une zone tampon pour protéger la ville de Leningrad d’une attaque venue d’Allemagne. Selon les clauses secrètes du pacte germano-soviétique, la Finlande fait en effet partie de la sphère d’influence soviétique. Contre toute attente, l’invasion est un désastre militaire pour l’Armée Rouge. Les carences militaires d’une armée décapitée par les purges de Moscou s’étale au grand jour face à une courageuse Finlande. Au niveau international, l’effet sur l’image de l’URSS, déjà écornée par le coup de couteau porté dans le dos de la Pologne, est désastreux. La petite Finlande s’attire, elle, la sympathie et une reconnaissance internationale. De nombreux volontaires viennent lui prêter main forte, comme le futur acteur Christopher Lee mais aussi Romualdas Marcinkus, qui se joint aux Finlandais comme nombre de ses concitoyens, et ce même si la Lituanie affiche une stricte neutralité durant le conflit. Il semble cependant que notre homme soit arrivé trop tard pour participer aux combats. Le Traité de Moscou, signé le 12 mars 1940, met un terme aux hostilités. Marcinkus rejoint alors la France pour s’engager dans l’Armée de l’Air, son rôle durant le conflit franco-allemand restant inconnu. Il est démobilisé le 12 août 1940. Durant cette période, les 15 et 16 juin 1940, 500 000 soldats soviétiques franchissent les frontières des pays Baltes et mettent fin à l’indépendance des trois nations.
Marcinkus rejoint Liverpool en octobre 1940 et devient un pilote de la RAF le 24 décembre 1940. Il est obligé de se rajeunir de trois ans pour pouvoir incorporer l’armée britannique. Durant sa période de formation, il démontre son habileté et est transféré au No. 1 Squadron de la RAF, engagé dans des missions de combats de nuit particulièrement dangereuses. L’ancien joueur croit encore au retour de l’indépendance de la Lituanie et échafaude des plans pour sauver son pays qui est – hélas! – déjà condamné.
Le 11 février 1942 les Allemands débutent l’opération « Cerberus » qui consiste au repli en Mer du Nord de deux croiseurs de bataille, le Scharnhorst et le Gneisenau et du croiseur lourd Prinz Eugen, qui sont alors basés dans le port de Brest, en passant par le chemin le plus court, la Manche, pour rejoindre le nord de l’Allemagne et le port de Wilhelmshaven. Pris de surprise et gênés par le brouillard, les batteries côtières britanniques tirent à l’aveuglette. Tardivement prévenue, la RAF engage 650 avions et en perd 42. L’avion de Marcinkus est abattu en attaquant le Scharnhorst. Il est sauvé des eaux par les Allemands.
Prisonnier de guerre
Devenu prisonnier, Marcinkus est envoyé au Stalag Luft III, situé prés de Zagan, en Pologne. Ne restant jamais inactif, il est associé à un événement popularisé par le cinéma via le célèbre film « La grande évasion » avec Steve McQueen et Charles Branson (de son vrai nom Charles Dennis Buchinsky, version américanisée de Karolis Dionyzas Bučinskis, fils d‘un émigré de la région d‘Alytus). Autour d’un groupe de prisonniers baptisé « comité X » commandé par le pilote britannique Roger Bushell, un plan d’évasion de grande envergure est mis en place. Dans la nuit du 24 au 25 mars 1944, 200 prisonniers parviennent à prendre la fuite via un tunnel creusé à une vitesse record à partir d’un baraquement pour déboucher dans une forêt. Marcinkus apporte une aide précieuse à la mise en place de l’évasion. Ses qualités, comme la connaissance des langues, dont l’allemand, sont jugées précieuses. Il compile notamment de précieuses informations sur les chemins de fer allemands qui doivent être utilisés par les fugitifs, participe à l’élaboration de faux documents et parvient à soutirer aux Allemands des informations pouvant s’avérer utiles.
Marcinkus est l’un des premier à s’échapper. Il doit, avec trois compagnons, se faire passer pour un groupe de travailleurs lituaniens retournant au pays. Le but est de prendre un train jusqu’à Danzig (Gdansk) pour ensuite gagner la Suède, neutre lors du conflit. Malheureusement, les fugitifs sont repris à Schneidemühl le 26 mars. Marcinkus est remis à la Gestapo de Danzig et exécuté comme cinquante autres fugitifs sur ordre direct d’Hitler pour sanctionner l’humiliation subie par les Nazis. En 1947, 18 des auteurs de ces exécutions sont jugés à Hambourg. Treize d’entre eux sont condamnés à mort.
Sous l’emprise soviétique, la Lituanie ignore plusieurs décennies durant le parcours de Romualdas Marcinkus. Sa mémoire survit néanmoins au sein de la diaspora, et il faut attendre le rétablissement de l’indépendance du pays pour que l’ensemble de ses compatriotes puissent avoir accès à son histoire. Les Britanniques honorent sa mémoire à Vilnius en 2001, sa famille recevant la Croix de Guerre pendant qu’un escadron de jets Harriers traverse le ciel lituanien. Sous le titre « Le Capitaine ouragan, » un livre et un reportage viennent le consacrer en 2004 au panthéon des héros lituaniens.
Viktor Lukovic
Image à la Une © yrasalis.lt