Avant une double rencontre européenne face à l’OGC Nice dans le cadre de cette merveilleuse compétition qu’est la Ligue Europa, nous vous proposons une semaine spéciale sur le Lokomotiv Moscou. Troisième numéro avec le portrait de Yuri Syomin, légende du Lokomotiv.
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Le nom de Yuri Syomin, pratiquement inconnu en France, évoque immanquablement le Lokomotiv Moscou dans l’inconscient de tous les supporters russes. Il faut dire que l’entraîneur au bonnet rouge a passé près de 21 saisons sur le banc du club des Chemins de fer russes (RJD), auxquelles il faut ajouter une saison en tant que président. Cette relation unique, débutée alors que l’Union soviétique périclitait, a permis au Loko d’engranger ses plus beaux trophées sur la scène nationale et de vivre quelques belles épopées européennes. Une idylle qui n’a pas été sans orages, puisque Syomin a quitté quatre fois son club de cœur, dans des circonstances parfois rocambolesques. On vous raconte tout par le menu.
Un joueur ballotté aux quatre coins de l’Union
Qui se souvient aujourd’hui que la carrière de Yuri Syomin, né en 1947 à Orenbourg, a débuté au Spartak Orel en 1964 ? Ce petit club de Russie centrale évolue alors en Classe B du championnat soviétique (3e échelon). L’histoire aurait pu commencer par un beau symbole, car deux ans auparavant, l’équipe s’appelait encore « Lokomotiv » et était placée sous l’égide de l’association des chemins de fer. Hélas, ce sont bien les recruteurs du Spartak Moscou qui ont remarqué le jeune Syomin et qui l’ont fait monter à la capitale. En 1966, le jeune Yuri devient le premier buteur en coupe d’Europe de l’histoire du club grâce à son doublé contre l’OFK Belgrade au premier tour de la Coupe des coupes.
Déçu de son temps de jeu chez les Rouge et Blanc, Syomin obtient son transfert au Dinamo Moscou en 1968. Sous les couleurs du ministère de l’Intérieur, il gagne son premier trophée, la coupe d’URSS 1970, et croise un certain Lev Yachine, qui officie alors dans les cages. Suite à un conflit avec le légendaire coach Konstantin Beskov, il est envoyé au Kaïrat Alma-Aty. Les choses ne se passent pas non plus très bien au Kazakhstan, ce qui lui vaut un transfert au Tchkalovets Novossibirsk.
C’est le Lokomotiv Moscou qui sort Syomin de son purgatoire en 1975, faisant fi de la réputation de joueur au sale caractère qui poursuit l’ancien dynamovets. À l’époque, les cheminots viennent juste de remonter en Ligue supérieure, l’élite du championnat soviétique, et ont besoin de joueurs expérimentés pour accrocher le maintien. Sous les couleurs du Loko, Syomin retrouve son niveau du Dynamo et permet à sa nouvelle équipe de se maintenir et même d’obtenir une belle 6e place à l’issue de la saison 1977. Dans le onze moscovite, on trouve également un certain Valeri Gazzaïev, futur entraîneur emblématique du CSKA, qui deviendra l’un des principaux adversaires du Lokomotiv de Syomin au début des années 2000.
La carrière de joueur de Syomin s’achève au Kuban Krasnodar, qu’il accompagne dans sa montée en Ligue supérieure. C’est aussi à Krasnodar qu’il fait ses premiers pas d’entraîneur fin 1982, sans parvenir à éviter la relégation.
Première pige au Lokomotiv
Encore une fois, l’échec est synonyme d’exil pour Syomin, qui prend la direction du Tadjikistan, où un poste d’entraîneur l’attend au Pamir Douchanbé. De 1983 à 1985, les performances du club d’Asie centrale s’améliorent sensiblement en Première Ligue, au point d’en faire un sérieux prétendant pour la montée en Ligue supérieure. Les bons résultats du Pamir attirent l’attention d’un autre pensionnaire du deuxième échelon, le Lokomotiv, qui rappelle Syomin à Moscou sur ordre du ministre des Voies de communication, Nikolaï Konarev.
Un choix gagnant, puisque Syomin parvient à faire remonter le Lokomotiv en Ligue supérieure en 1987, après sept ans d’absence au plus haut niveau. La saison suivante reste la meilleure du premier passage de Syomin au Lokomotiv, avec une 7e place au classement final. En 1989, les cheminots redescendent, puis reprennent une nouvelle fois l’ascenseur en 1990, avec en bonus une finale de Coupe d’URSS perdue contre le Dynamo Kiev. En 1991, pour la dernière saison du Loko dans l’élite du championnat d’URSS, c’est l’adjoint de Syomin, Valeri Filatov, qui prend les rênes de l’équipe. L’entraîneur principal, lui, a accepté l’offre de la sélection olympique de Nouvelle-Zélande, qui lui permet de quitter une Union soviétique en plein chaos.
Le retour du fils prodigue
Les aventures néo-zélandaises ne durent pas bien longtemps : Syomin est de retour à Moscou dès 1992 pour le début du premier championnat de Russie. Filatov, lui, a été promu président du club. Le tandem se démène pour assurer la survie de leur structure dans cette période troublée de l’histoire du football russe. Peu à peu, un collectif prend forme. Le déclic intervient en 1996, quand le Loko remporte la Coupe de Russie au terme d’une finale épique contre le grand Spartak Moscou d’Oleg Romantsev. Après 39 ans de disette, les cheminots peuvent enfin ajouter un trophée à leur vitrine. Le Lokomotiv de ces années-là n’est pas une équipe d’artistes. Syomin s’attache avant tout à bâtir une défense rigoureuse et stable. Le jeune entraîneur met l’accent sur l’esprit d’équipe et sur la bonne entente entre les joueurs, et le Loko gagne peu à peu une réputation de club « familial ».
Tout change à la fin des années 1990, avec le recrutement de Dmitri Loskov. L’espoir du SKA Rostov est le maître à jouer qui manquait à Syomin pour faire progresser son équipe. L’adaptation du jeune prodige est difficile, mais finit par porter ses fruits. Au début des années 2000, c’est un collectif métamorphosé qui part à l’assaut des premières places. Un premier titre récompense les nouvelles ambitions offensives des cheminots en 2002, à l’issue d’un match en or contre le CSKA remporté 1-0. Sur la scène européenne, le Loko parvient à se hisser deux fois de suite en demi-finale de la Coupe des coupes en 1998 et 1999.
Le chef-d’œuvre du technicien russe reste bien entendu la saison 2004, où son équipe remporte le titre une nouvelle fois et parvient en huitième de finale de la Ligue des champions, où elle chute contre les futurs finalistes monégasques. En phase de poule, les cheminots avaient signé une victoire retentissante contre l’Inter 3-0. Contrairement à ses collègues Romantsev ou Gazzaïev, Syomin ne se distingue pas vraiment par une discipline de fer. De sales caractères notoires comme Ovtchinnikov et Evseïev ont écrit les belles pages du Loko, alors que la loi rigide d’autres clubs ne leur convenait pas. En ce sens, Syomin est peut-être le premier entraîneur véritablement post-soviétique en Russie, celui qui a laissé les joueurs s’exprimer dans le vestiaire.
La traversée du désert
Et puis un jour, la famille rouge et verte se disloque. Le président Filatov et Syomin entrent en conflit à cause d’une proposition de la Fédération russe, qui veut voir l’entraîneur des cheminots sur le banc de la sélection. L’offre est trop tentante pour être refusée : Syomin prend la tête de la Russie et démissionne du Lokomotiv.
À partir de là, tout va de mal en pis pour Syomin et pour le Lokomotiv. La sbornaïa ne parvient pas à se qualifier pour le mondial allemand, et son sélectionneur doit trouver un nouveau point de chute au Dinamo Moscou, où règne alors l’anarchie la plus totale. Dès 2007, Syomin effectue son deuxième retour au Loko, au poste de président cette fois. Le triumvirat contre nature formé par Syomin, Lipatov (conseil de direction) et Bychovets (entraîneur) aboutit à l’une des pires saisons de l’histoire récente des Rouge et Vert. Tandis que Syomin, démissionnaire, part se refaire une santé en Ukraine, au Dynamo Kiev, le Lokomotiv enchaîne les entraîneurs sans aucune logique.
En 2009, Syomin revient une nouvelle fois vers son club de cœur, sans grand succès là encore. À l’issue d’un conflit avec la nouvelle présidente Olga Smorodskaïa, il est démis de ses fonctions à l’automne 2010. Suit une longue errance à travers l’ex-URSS : on le retrouve à Kiev, à Qabala, à Saransk, à Makhatchkala. La retraite semble inéluctable.
Nouvelle direction, nouveau retour
Tout change à l’été 2016 : Ilia Gerkous devient président du club sous l’impulsion d’Oleg Beloziorov, le nouveau patron des Chemins de fer russes. Syomin est rappelé en urgence pour prendre la tête de l’équipe, à laquelle il redonne son âpreté des années 1990. Les résultats en championnat sont médiocres, mais une victoire en Coupe lui achète du temps auprès de la direction. Le jeu pratiqué n’est pas fameux, engoncé dans un 5-3-2 défensif venu d’un autre âge, indigne en tout cas de l’Italie de Conte dont il semble s’inspirer.
La saison 2017-2018 s’engage sous de tout autres auspices. Miranchuk se révèle définitivement au poste de meneur, Manuel Fernandes s’affirme en patron et Kvirkvelia parvient à faire oublier la longue absence de Ćorluka. Syomin n’a rien perdu de sa capacité à dévoiler les talents et à faire travailler les rebelles pour l’équipe. Sous ses ordres, Ignatyev au poste d’arrière latéral et Farfán à celui d’avant-centre retrouvent une seconde jeunesse. Même la tête à claques de football russe, Igor Denisov, trouve sa place dans ce collectif bien huilé. Contre les gros, le Lokomotiv version 2017 est redoutable en contre-attaque : le Zenit, défait 3-0 chez lui, peut en témoigner. Quand il s’agit de se frotter aux outsiders, en revanche, les cheminots sont moins flamboyants, mais la réussite est pour l’instant toujours au rendez-vous en fin de match.
Comme en 2002, Syomin a réussi à insuffler un sentiment de solidarité à ses joueurs, qui font la course en tête aux deux tiers du championnat et sont toujours en course en Ligue Europa. Des performances inespérées quoiqu’il advienne par la suite. Une fois de plus, les cheminots peuvent remercier leur coach au bonnet rouge.
Adrien Morvan
Image à la une : © Ramil Sitdikov / Sputnik via AFP Photos