Le 11 juillet 1960, le vol de la compagnie Aeroflot se pose sur le tarmac de l’aéroport Vnukovo à Moscou avec à son bord une sélection au septième ciel. L’URSS vient de remporter le premier Championnat d’Europe des Nations de l’histoire après une victoire 2-1 contre la Yougoslavie. 103 000 Soviétiques attendent les héros au Stade Central Lénine. La fête sera grandiose, comme on sait si bien les organiser en Union Soviétique. Emmené par le « quatuor brillant » Igor Netto, Lev Yashin, Valentin Ivanov et Viktor Ponedelnik, la sélection soviétique remporte le seul tournoi majeur de son histoire. Une épopée qui aurait pu inspirer des Russes et Ukrainiens insipides lors de l’Euro 2016.
La naissance d’une équipe…
Comme dans tout totalitarisme, le sport est au premier plan. Montrer aux autres que la patrie est supérieure et surtout prouver à son peuple que ses athlètes sont les meilleurs. L’Union des Républiques Socialistes Soviétiques n’échappe pas à cette règle générale. Tous les sports sont touchés, y compris le football. Notre histoire commence quatre ans avant ce succès, en 1956 bien loin du contient européen, en Océanie. Décembre 1956 à Melbourne, la sélection de football soviétique débarque aux Jeux Olympiques australiens avec des ambitions de médaille malgré le fait que les Rouges ont toujours eu du mal dans les grandes compétitions. Dans un tableau plutôt ouvert et à sa portée, l’URSS élimine l’Allemagne puis l’Indonésie, la Bulgarie et finit par remporter la grande finale contre la Yougoslavie après un match mémorable qui se termine par trois buts marqués dans les prolongations. Médaille d’or en poche, les Soviétiques retournent à Moscou. Une équipe voit le jour, pour le plus grand plaisir de Nikolaï Boulganine, le dirigeant de l’époque.
… Malgré les coups durs
Après l’échec du Mondial 1958 en Suède avec une élimination en quart de finale contre le pays organisateur, les Soviétiques rentrent totalement désemparés à la maison. Outre la défaite inattendue contre les Suédois, le « Pelé soviétique » Eduard Streltsov est arrêté par le KGB et est conduit au Goulag dans l’archipel de Vyatlag. La raison de l’arrestation du brillant joueur du Torpedo Moscou ? Le viol (qui n’a jamais eu lieu) de la sœur d’un colonel de l’armée. La perte de l’un des meilleurs joueurs de l’effectif soviétique va affecter le moral de chacun.
Deux ans plus tard est organisé en France le premier Championnat d’Europe des Nations en l’honneur d’Henri Delaunay, Français à l’origine de cette compétition et décédé quelques années auparavant. Disputé sous forme de matchs aller-retour jusqu’aux quarts de finale, les demies et la finale se disputant à Marseille et Paris, le championnat va être source de nombreuses tensions politiques en pleine guerre froide. 17 équipes seulement participent au tournoi, de grandes équipes comme la RFA, l’Angleterre et l’Italie boycottant l’Euro, ce qui ne manque pas d’enlever un peu de piment à la compétition.
Les 18 à la conquête du trophée Henri Delaunay
Gardiens de but: Vladimir Belyaev (Dinamo Moscou) – Lev Yashin (Dinamo Moscou)
Défenseurs: Vladimir Kesarev (Dinamo Moscou) – Anatoli Maslenkin (Spartak Moscou) – Boris Kuznetsov (Dinamo Moscou) – Givi Chokheli (Dinamo Tbilissi) – Anatoli Krutikov (Spartak Moscou)
Milieux: Yuri Voinov (Dynamo Kiev) – Viktor Tsarev (Dinamo Moscou) – Slava Metreveli (Dinamo Tbilissi) – Igor Netto (Spartak Moscou)
Attaquants: Valentin Ivanov (Torpedo Moscou) – Nikita Simonyan (Spartak Moscou) – Alekper Mamedov (Neftyanik Bakou) – Anatoli Ilyin (Spartak Moscou) – Viktor Ponedelnik (SKA Rostov na Donu) – Valentin Bubukin (Lokomotiv Moscou) – Mikhail Meskhi (Dinamo Tbilissi)
En route pour Paris
Dispensé de tour préliminaire du fait de sa médaille d’or aux derniers Jeux Olympiques, l’URSS se retrouve face à face à la Hongrie, qui n’est plus que l’ombre d’elle-même après la fuite de sa star Ferenc Puskas vers l’Espagne. Au Stade Central Lénine devant plus de 100 000 spectateurs, les Rouges se surpassent et dominent facilement les Hongrois sur le score de 3-1. Sans Lev Yashin laissé au repos, la porte est ouverte pour Vladimir Belyaev le remplaçant du futur ballon d’or en club et en sélection, qui fête sa première sélection devant un public moscovite chaud bouillant! Le match retour au Nepstadion de Budapest un an plus tard (!) n’est pas une promenade de santé pour les Soviétiques mais grâce à un but du milieu de terrain du Dynamo Kiev, Yuri Voynov, l’URSS l’emporte 1-0 et se qualifie sans trembler.
Dernier match avant une possible qualification pour la phase finale de l’Euro en France, l’Espagne. Poussé par un Di Stefano en feu, les Espagnols ont été impressionnant contre la Pologne et se placent en tant que favoris contre l’URSS. Malheureusement pour le football, la politique reprend le dessus. Les Espagnols n’atteindront jamais Moscou. A vrai dire, ils ne décolleront jamais de Madrid. Le dictateur d’extrême-droite Francisco Franco refuse que les Espagnols se déplacent en URSS suite au soutien apporté par les Soviétiques à la Seconde République espagnole lors de la Guerre civile entre 1936 et 1939. L’URSS est ainsi déclarée vainqueur par forfait et se qualifie pour l’Euro en ayant joué seulement deux petits matchs.
Juillet 1960, la sélection soviétique s’envole vers la France avec des ambitions de titre. Logeant à Paris dans un hôtel spécialement réservé par le Politburo lui-même, les Rouges n’en sortent que pour s’entraîner sur un terrain adjacent. Le premier adversaire sur la route des compagnons de Lev Yashin est la Tchécoslovaquie, à Marseille. Une heure et demie auparavant, la Yougoslavie a disposé du pays hôte, la France, dans un match épique se terminant sur un score de 5-4 avec notamment un doublé du joueur du Dinamo Zagreb Drazan Jerkovic ! On aurait donc peut être un remake de la finale des J.O de Melbourne à Paris… La création du Championnat d’Europe des Nations engendre la naissance d’un nouveau style footballistique basé sur la défense et le physique, un style que l’URSS manie à la perfection. La sélection tchécoslovaque possède de nombreux joueurs de qualité avec Ladislav Novak, le joueur de l’ATK Prague, Jan Popluhar, avec son crâne qui rendrait jaloux Christophe Jallet, mais surtout Josef Masopust, la grande star du Dukla Prague. Dans un match fermé, il faut attendre la 24ème minute pour voir le premier tir intéressant de la part des Soviétiques. L’URSS jouant sans Nikita Simonyan, l’attaquant du Spartak Moscou, qui a pris sa retraite juste avant la compétition, ouvre le score sur sa deuxième occasion. Viktor Ponedelnik délivre une merveille de passe en profondeur pour Valentin Ivanov qui ouvre son compteur de but. L’attaquant du Torpedo Moscou que l’on retrouve une nouvelle fois juste après la pause. Après s’être défait de deux adversaires et résisté à un tacle assassin, Ivanov conclut tranquillement en remportant son face-à-face contre Viliam Schrojf. Pour conclure ce récital, Viktor Ponedelnik récupère une frappe contrée de Valentin Bubukin et triple la mise. Symbole de la mauvaise soirée Tchécoslovaque, Josef Vojta, impressionné par Lev Yashin ne cadre même pas son penalty à la 67ème minute. Tranquille vainqueur 3-0, l’URSS se place comme grandissime favori pour la finale au Parc des Princes.
Cet Euro 1960 est une grande victoire pour les régimes communistes d’Europe de l’Est. Victorieuse 2-0 de la France dans la petite finale, la Tchécoslovaquie complète un podium 100% communiste. Place désormais à la grande finale entre l’URSS et la Yougoslavie, disputée devant 18 000 curieux qui se sont amassés dans le stade parisien. Dans une rencontre très fermée et rugueuse, ce sont les Yougoslaves qui ouvrent le score juste avant la pause. Intéressant techniquement et en parfaite continuité du match contre la France, Drazen Jerkovic centre sur la tête de Milan Galic le joueur du Partizan Belgrade, qui prend le dessus sur Igor Netto et reprend victorieusement la balle de la tête. Record du monde pour Galic qui marque dans un dixième match international consécutif. A la mi-temps les Soviétiques sont menés. Les têtes sont basses et le sacre semble désormais bien loin. Mais remotivés par l’entraîneur Gavril Kachalin, les Rouges vont repartir de pied ferme. Sous l’impulsion du trentenaire Lev Yashin qui stoppe de multiples coup-francs tirés par Kostic, les Soviétiques bouleversent totalement leur style de jeu en se ruant vers l’attaque. De son côté le portier yougoslave n’est pas en verve et repousse une frappe lointaine de Bubukin dans les pieds de Metreveli, qui égalise à la 49ème minute. Trois minutes avant la fin du temps réglementaire, Ivanov croît donner l’avantage aux siens mais Jerkovic sauve son camp sur la ligne et offre une prolongation. Sept minutes avant le terrible tirage au sort, un joueur va se transformer en sauveur pour l’URSS. Premier joueur de deuxième division sélectionné sous les couleurs soviétiques alors qu’il évolue à Rostov-sur-le-Don, Viktor Ponedelnik donne l’avantage à son équipe. Un avantage décisif. Il déclarera plus tard: « il y a des matchs et des buts qui sont vraiment spéciaux, un fait qui peut changer la carrière d’un joueur. » Et il ne croît pas si bien dire, lui qui est aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs attaquants soviétiques de tout les temps. Le coup de sifflet final retentit de la bouche de l’arbitre anglais Arthur Edward Ellis et offre le premier Championnat d’Europe des Nations à l’URSS. Pas de festivités en France pour les joueurs qui prennent directement l’avion direction « la Mère Patrie. » Reçus comme des héros à Moscou, ils sont célébrés comme ils le méritent au Stade Central Lénine, le lieu même du début de la plus belle épopée du football soviétique.
Antoine Jarrige
Bon article mais pas de tirs aux buts à l’époque, du moins ça me semblerait étrange vu que la sélection soviétique perdit en demi finale de l’Euro 1968 face à l’Italie au tirage au sort