Après Fyodor Cherenkov, nous allons aujourd’hui vous parler d’une autre légende du Spartak. Si on vous dit Fair-play ? Jeux olympiques de Melbourne ? Championnat d’Europe de 1960 ? Vous me répondrez invariablement Igor Netto.
Nous sommes au Chili en 1962 pour la Coupe du Monde. Au cours de la phase éliminatoire, l’Union Soviétique se présente face à l’Uruguay après avoir battu la Yougoslavie 2-0 et fait match nul 4-4 contre la Colombie. Ils n’ont besoin que d’un point pour passer au tour suivant. Les deux équipes sont dos à dos 1-1 lorsque Igor Chislenko semble donner l’avantage à son équipe. Mais Igor Netto n’est pas de cet avis. Il s’en va voir Chislenko pour lui demander la confirmation que le but qu’il vient de marquer n’est pas valable. En effet, le ballon est entré par un trou à l’extérieur du filet. Soutenu par les Uruguayens qui crient à l’erreur, Igor Netto, capitaine de la sélection soviétique, fait signe à l’arbitre que le but doit être refusé. Celui-ci le remercie et invalide le but. En toute fin de match, Valentin Ivanov marquera le but valable de la victoire pour les Soviétiques, récompensant ainsi l’esprit sportif de la sélection soviétique. Dans son livre, Igor Netto raconte :
« Nous n’étions pas habitué aux trucages. Peu importe que ce soit difficile, et ce le fut jusqu’à la fin du match, il fallait gagner sans compter sur l’erreur d’arbitrage. J’ai au final ressenti un sentiment de soulagement. »
Igor Netto, c’est ça ! Une légende vivante en Union Soviétique, un caractère timide et calme qui cacha au plus profond de lui-même des secrets difficiles à dévoiler à son époque. Un visage et un comportement dignes d’un capitaine sur le rectangle vert mais un personnage discret, peu enclin aux sorties hors du terrain. Un homme aux deux visages qui fascina toute une génération.
Le football ou le hockey
Igor naît le 9 Janvier 1930 à Moscou d’une famille venant d’Estonie mais dont le nom Netto est lui d’origine italienne (Son arrière-arrière grand père s’est installé au XVIIIème siècle en Estonie pour travailler comme jardinier). Son père intégra, lors de la première Guerre Mondiale, les régiments de tirailleurs lettons qui se battirent au côté des russes. Lors de la Révolution en 1917, ils soutinrent les Bolcheviks qui, durant les vingt années suivantes et à l’aide du NKVD, les réprimèrent en masse. Par un heureux hasard, le père d’Igor ne fut jamais inquiété par la répression contrairement à ses amis.
Dès son enfance, Igor montra un intérêt certain pour le football, passant des heures dans la cour à jouer au ballon. Il intégra jusqu’à l’âge de 19 ans l’équipe du stade des « jeunes pionniers ». Il pratiquait intensivement, en parallèle, le hockey sur glace. En 1949, le Spartak, qui connaissait un renouvellement de génération, recruta donc le jeune Igor. On le plaça au poste de milieu gauche avec le numéro 6 dans le dos, poste et numéro qu’il gardera tout au long de sa carrière. La section hockey du Spartak lui proposa aussi une place. Il accepta et participa à quelques matchs du Championnat national de hockey mais il se retrouva vite dans l’obligation de faire un choix entre ses deux passions. Suite à un match de hockey où il fut particulièrement malmené par ses adversaires, il décida de s’éloigner du hockey pour se concentrer uniquement sur le football.
Une carrière légendaire au Spartak
L’ascension de l’Oie (son surnom en raison du chuintement de sa voix et de son long cou) au sein du Spartak fut immédiate. La précision de ses passes dans le jeu court s’alliait parfaitement avec le style de jeu du Spartak. Le joueur soviétique et partenaire à l’époque d’Igor Netto, Aleksei Paramonov raconte:
« J’avais cinq ans de plus qu’Igor, mais ce qui m’a frappé, c’est que ce jeune joueur, sans aucune pression ni demande de qui que ce soit, restait après chaque séance d’entraînement sur le terrain pour parfaire sa technique. Il jonglait avec le ballon, frappait au but, s’efforçait d’améliorer son accélération… Ce genre de travail permanent lui a permis de devenir l’un des meilleurs joueurs de football du pays ».
Hormis sa technicité, Igor Netto avait une lecture exceptionnelle du jeu et chacune de ses passes étaient un danger pour l’adversaire. Il ne croyait pas au jeu long et poussait ses coéquipiers à pratiquer un jeu de possession. De plus, il pouvait frapper de loin, ajoutant s’il le voulait de l’effet au ballon. En résumé, Igor Netto sur un terrain de football, avec un ballon au pied, c’était la plaie pour les adversaires mais un immense plaisir pour les spectateurs. C’est ce type de joueur qui a permis d’insuffler en Union Soviétique la passion du football, à l’époque où ce sport n’en était encore qu’à ses débuts, tant au niveau des infrastructures qu’au niveau de la qualité de jeu.
Le Spartak ne put très vite plus se passer de lui. Durant la saison 1949, il intégra l’équipe première pour ne plus la quitter. De 1949 à 1966, soit dix-huit saisons au Spartak (record du club), il y joua 368 matchs et marqua 36 buts. Il remporta cinq fois le Championnat d’URSS (1952, 1953, 1956, 1958, 1962), leva trois fois la Coupe d’Union Soviétique (1950, 1958, 1963) et fut quatorze fois de 1950 à 1963 parmi le classement des meilleurs joueurs d’Union Soviétique (dont treize fois meilleur milieu gauche d’URSS). Il restera fidèle au Spartak toute sa vie faisant de lui l’une des idoles des supporters encore aujourd’hui.
Une figure emblématique de la sélection soviétique
Les statistiques montrent sans conteste l’aura d’Igor Netto sur le Spartak d’un point de vue national. Mais Igor Netto a aussi construit sa légende sur le plan international. Il intègre la première sélection nationale soviétique en 1952. En effet, avant cette date, l’Union Soviétique, pour des raisons politiques et idéologiques, ne participait à aucune compétition internationale (Jeux Olympiques, Coupe du Monde…). Sa première participation aux Jeux Olympiques a lieu en 1952 à Helsinki. Sa première sélection se termine sur une victoire contre la Bulgarie en tour préliminaire en 1952 (2-1). De 1952 à 1965, il comptera 54 capes, 4 buts et sera 52 fois capitaine de la sélection. Il sera avec Lev Yashin, l’un des grands artisans de la victoire de l’Union Soviétique lors des Jeux Olympiques de Melbourne en 1956 et de la victoire lors du premier Championnat d’Europe de l’histoire en France en 1960. Il disputera deux Coupes du Monde (1958, 1962) et écrira une partie de sa légende lors de ce fameux match contre l’Uruguay en 1962 que nous vous avons compté.
Comment ne pas imaginer l’image de héros national qu’a pu avoir Netto en Union Soviétique. Les gens n’avaient que le nom de Netto dans la bouche, la télévision encensait sans cesse ce joueur qui emmena le club soviétique le plus populaire et la sélection nationale au sommet. Son tempérament de leader, remplaçant l’entraineur sur le terrain, dictant le jeu de l’équipe, contribua à forger une équipe compétitive tant nationalement qu’hors des frontières soviétiques.
Qui mieux que Nikolay Starostin, fondateur du Spartak, peut résumer l’influence de Netto sur ses partenaires ? «L’autorité qu’avait Igor sur les autres joueurs était grande, et ce n’est pas par hasard que, malgré son jeune âge, les joueurs le choisirent comme capitaine du Spartak, bien qu’il y avait parmi les candidats des joueurs plus expérimentés et plus éminents. Et bientôt, Netto devint encore capitaine de l’équipe nationale. Et ce n’est pas étonnant que ce soit lors de son capitanat en sélection que l’URSS a réalisé ses deux plus grands succès:devenir champion olympique et détenteur de la Coupe d’Europe». Voici d’ailleurs une vidéo où Nikolay Petrovich Starostin rend hommage au joueur, à l’occasion de la nouvelle année.
https://www.youtube.com/watch?v=Bzy_F1HlO8s
L’exigence qu’il avait pour lui-même rejaillissait sur ses partenaires pouvant être parfois colérique sur le terrain. Nikita Simonian, son partenaire au Spartak, se souvient de la finale de la Coupe d’URSS en 1958. Le Spartak affrontait le Torpedo Moscou: « Lors de la première période, je n’ai pas réussi à marquer malgré de nombreuses occasions. À la mi-temps, Igor Netto m’écrasa de ses insultes, me reprochant de ne pas avoir concrétisé les occasions. Je lui ai répondu: « Je ne l’ai pas fait exprès ! » Il me déclara que ça ne suffisait pas. J’ai finalement marqué le but de la victoire dans le temps additionnel 1-0. J’ai déclaré à Netto: « Pourquoi tu as fait du bruit, la victoire est à nous ». Et fidèle à lui-même il m’a répondu: ‘ »On s’est angoissés trente minutes de plus et tu te réjouis ! »»
Des secrets lourds à porter
Expressif sur le terrain, il l’était beaucoup moins à l’extérieur. Les nombreux témoignages rapportent un homme très discret, peu enclin à s’exprimer en public ou à participer à des soirées. Personne, ni même ses proches, ne savait ce qu’il ressentait au plus profond de lui. Par exemple, suite à la victoire aux Jeux Olympiques de Melbourne en 1956, les Soviétiques rentrèrent par bateau jusqu’à Vladivostok puis traversèrent le pays en train, acclamés à chaque gare par une foule immense. Sur le chemin du retour, Igor Netto apprit la mort de son père. Il resta tout le long du voyage dans ses pensées.
Ses secrets l’amenèrent durant sa carrière à faire des choix difficiles à imaginer pour le commun des hommes : Igor Netto avait un frère ainé, Lev Netto, qui n’embrassa pas la carrière de sportif. Il s’engagea dans l’Armée Rouge pendant la Seconde Guerre Mondiale mais fut fait prisonnier par les allemands en février 1944. Libéré par les américains, il rentra au pays. En 1948, il fut accusé d’espionnage au profit des américains et fut condamné à 25 ans de Goulag et déporté au camp de Norilsk sur la péninsule de Taïmyr, au-delà du cercle polaire. Il y resta jusqu’en 1956 et fut réhabilité en 1958.
Lorsque Igor dut remplir son enquête pour pouvoir sortir du pays et participer aux Jeux Olympiques d’Helsinki en 1952, il fut dans l’obligation de faire l’un des choix les plus difficiles de sa vie : il déclara qu’il n’avait plus de nouvelles de son frère depuis la fin de la guerre. À chaque enquête, ce fut le même déchirement. Ces évènements devaient évidemment avoir un impact sur son caractère.
Dans sa vie personnelle, c’était le même constat. A l’âge de 30 ans, il rencontra une jeune fille de 18 ans, étudiante au théâtre, Olga Yakovleva. Leur mariage fut célébré le 9 janvier 1960 sans l’accord de sa mère qui ne prit pas part à la cérémonie. Beaucoup de personnes remarquèrent le peu d’intérêt d’Olga Yakovleva pour le foot. Elle assista rarement aux matchs d’Igor, préférant se concentrer sur sa carrière d’actrice. Sa rencontre avec le réalisateur Anatoli Efrosom va la propulser au rang de star, puisqu’elle jouera dans la plupart de ses films. Ils vécurent ensemble 27 ans avant qu’elle ne demande le divorce. Malgré cette séparation, ils continuèrent à vivre ensemble sans que personne ne sache ni n’écrive sur leur divorce. Cela n’empêcha pas Igor de l’aimer jusqu’à la fin de sa vie.
A partir de 1963, il commença à décliner. Il passa le flambeau de capitaine en sélection nationale à Valentin Ivanov. Sa carrière de joueur prit fin en 1966 à l’âge de 36 ans. Il connut ensuite quelques mois de dépression, quittant rarement son appartement, avant de se décider à revenir au Spartak pour entraîner les jeunes. Par la suite, Igor Netto est devenu le premier entraîneur soviétique évoluant à l’étranger, en l’occurrence au club chypriote de l’Omonia Nicosie en 1967, puis l’équipe nationale iranienne en 1970, le club grec de Panionios en 1977 et le club du Neftchi Bakou en 1979. Mais il ne connut pas le succès en tant qu’entraineur. Il revint au sein du Spartak pendant les dix années suivantes entraîner les jeunes à l’Académie du club. Il forma bon nombre de joueurs qui devinrent célèbres ensuite. Les dernières années de sa vie furent difficiles. Il contracta la maladie d’Alzheimer et perdit progressivement la mémoire. Il passa les trois dernières années de sa vie au côté de son frère, comme un symbole après une vie de séparation forcée. Igor Netto s’éteignit à Moscou le 30 mars 1999.
Vincent Tanguy
Pingback: Anatoli Ilyin, un buteur en or - Footballski - Le football de l'est
Pingback: Euro 2016 : 1960, l'URSS sur le toit de l'Europe - Footballski - Le football de l'est