Nous aimons souvent nous plaindre de ce fameux « Mille-feuille français », ce bazar administratif qu’est parfois la France. Des services empilés sur d’autres services, des compétences nationales adossées à des compétences territoriales, des listes d’organismes à n’en plus finir. Bien, oubliez tout ça et laissez-vous guider dans les arcanes de l’État soviétique. Footballski est allé pour vous regarder sous les jupes de l’URSS -ou sous le manteau de Staline, je ne sais plus- et plus précisément du côté du sport.
Un système de gouvernance sportive unique au monde où les coachs et les joueurs rendaient directement des comptes aux généraux de l’Armée et autres commissaires politiques. Le Spartak, le CSKA, le Lokomotiv, ça vous dit quelque chose ? Sachez que ces noms n’ont pas été choisis au hasard. Imaginez le podium de notre chère Ligue 1 composé de la SNCF Marseille, DGSE Paris ou encore l’EDF Bordeaux. Une fascinante et complexe organisation qui accouchait de clubs de football plus ou moins connus, créés ou aménagés dans le but premier de rentre plus beaux, plus fort et plus rayonnants les enfants de la Mère Patrie.
À travers cette série d’articles, vous plongerez dans les méandres du dispositif soviétique. Une immersion pour y découvrir ou redécouvrir des clubs aussi bien quasi anonymes que mondialement connus, mais aussi, et surtout, pour mettre en lumière les personnes qui ont fait et façonné le sport et sa pratique en Union soviétique. Des personnes parfois extraordinaires, parfois détestables, œuvrant sur un terrain, sur un banc de touche, dans un bureau, dans une usine et parfois même sur des champs de batailles. Prenez un café et suivez le guide pour ce premier épisode consacré à l’Armée.
Pour ne pas vous perdre il vous faudra penser de manière assez large. Par exemple, lorsque l’on vous parle du CSKA, ne butez pas sur le club de foot du CSKA Moscou, mais tentez de vous représenter tous les sports imaginables à cette époque ainsi que toutes les villes qui ont compté un jour un club CSKA dans leur agglomération. Évidemment, nous nous en tiendrons globalement aux faits concernant les clubs de football, tout le monde n’aime pas forcément l’équitation et le water-polo. Ne perdez pas non plus de vue qu’un nombre important de clubs ne faisaient pas partie du pouvoir central soviétique, mais n’étaient que le prolongement local du communisme. Par exemple, le Dinamo Zagreb, en Yougoslavie. La Yougoslavie n’étant pas une république soviétique, mais simplement un État communiste bâti sur le même moule. On ne s’attardera donc ici que sur les clubs exclusivement issus de l’URSS.
Totalitaire vous avez dit ?
Au-delà du parti unique qui caractérise l’Union soviétique, son système politique se veut totalitaire. C’est-à-dire qui tend à la totalité. Un système qui confisque et contrôle la totalité des activités de la société. En l’occurrence le sport, et le football ici présent. Nos recherches se sont heurtées au nombre important de services étatiques créés puis réformés à plusieurs reprises pour certains, mais aussi, et surtout, au flou qui entoure les liens de subordination entre ces mêmes services. Difficile de dire précisément qui avait autorité sur qui, quand l’on sait qu’un simple décret « d’humeur » émanant du Parti communiste pouvait faire et défaire des carrières, des histoires et même des vies.
Cette lutte sportive sur les terrains n’est que la partie visible de l’iceberg, où des bras de fer politiques féroces font rage en coulisses. Les arcanes de la politique soviétique sont sans pitié et les perdants n’héritent pas d’un parachute doré et d’une Dacha pour leurs vieux jours, mais plutôt d’un numéro de matricule au Goulag, si ce n’est une balle dans la tête.
Des suites de la révolution bolchévique, le nouveau pouvoir central va entamer une réorganisation totale de l’État avec la confiscation des biens personnels aux « bourgeois ». La quasi-totalité des installations sportives du pays sont nationalisées. Stades, terrains, gymnases, salles de sports, tout est alors absorbé par le pouvoir central afin d’être modernisé et mis à disposition des sportifs du pays dans l’idée de bâtir une nouvelle nation plus forte, composée de citoyens physiquement et mentalement aptes à la défendre.
Les Sociétés Sportives Volontaires
Le système de Sport et d’Éducation sportive de l’URSS repose sur une structure divisée en plusieurs branches appelées des Sociétés Sportives Volontaires ou DSO pour Dobrobolvolnye Sportivye Obshestva (Добровольные спортивные общества). Vous l’avez deviné, chaque société sportive est régentée par une branche de la société soviétique, un « commissariat au peuple » comme les industries métallurgiques, l’Armée ou bien encore l’enseignement supérieur. Un nombre assez important de ces sociétés voient le jour durant le siècle dernier, mais toutes n’ont pas la même importance au sein du système politique soviétique. Il convient ici de distinguer trois niveaux de sociétés :
- Le premier est le socle du système avec les DSO de l’Armée, de la Police politique (services de renseignements) et de l’Armée de l’Air qui bénéficient d’une certaine indépendance vis-à-vis de l’Armée régulière obtenue après la Seconde Guerre mondiale.
- Vient ensuite le second niveau avec des services tels que la distribution de l’eau, les chemins de fer, l’armement, l’enseignement et bien d’autres encore.
- Enfin, le troisième niveau inclut les DSO dites « Républicaines », c’est-à-dire propres à certaines républiques qui composent l’URSS. Les sociétés républicaines sont reconnaissables par leurs noms à consonances locales, généralement exprimés aussi bien en Russe que dans la langue du pays concerné. Exemple avec le Žalgiris, en Lituanie, nommé ainsi en l’honneur de la Bataille de Žalgiris en 1410.
Le nombre de ces clubs répartis à travers tout le territoire et toutes ces branches de l’État a rendu nos recherches extrêmement longues et fastidieuses. Bons nombres de clubs ont changé de nom à plusieurs reprises, certains n’ont jamais compté d’équipe de foot, d’autres n’ont vécu que quelques années. Heureusement, Footballski est là pour démêler ce sac de nœuds et vous faire découvrir ou redécouvrir des clubs méconnus de l’histoire soviétique.
On commence donc cette plongée dans l’appareil politico-sportif de l’URSS par le haut de la pyramide, avec ce qui fut la base de cette organisation et qui constitue le premier des trois piliers de la plus haute strate de l’organigramme : l’Armée. Cette société sportive volontaire changea de nom à plusieurs reprises durant son existence, du début du 20e siècle jusqu’aux années soixante avec l’adoption du nom CSKA que tout le monde connait aujourd’hui. Mais tout d’abord, revenons un peu en arrière.
Les amateurs de ski
Novembre 1917, les révolutionnaires bolchéviques s’emparent du Palais d’Hiver à Saint Petersbourg. La version communiste de la Prise de la Bastille entérine la prise de pouvoir des rouges en Russie. Le Tsar Nicolas II ayant abdiqué quelques mois plus tôt, l’Empire russe est en ruine après plusieurs années de guerres, civiles et militaires. Lénine et sa bande vont entamer dans les années qui suivent une refonte totale des institutions du pays qui aboutit à la proclamation de l’URSS en 1922. L’armée impériale devient officiellement l’Armée rouge.
Afin de garantir la bonne forme des troupes de cette toute nouvelle armée, l’administration centrale en charge de l’entrainement des armées va mettre en place un vaste programme sportif qui va se traduire par la création en 1923 d’une société sportive sous la coupe du Ministère de la Défense. En réalité, cette branche n’est pas bâtie à partir de rien – contrairement à d’autres -, mais voit le jour sur la base de l’OLLS, Obshchestvo Lyubiteley Lygnoho Sporta (Общество Любителей Лыжного Спорта), en Français la Société des Amateurs de Ski.
Malgré la référence au ski dans le nom, l’OLLS regroupait à l’époque aussi bien des boxeurs, des haltérophiles et des footballeurs. L’équipe de foot évoluait alors au sein du championnat moscovite de football, sans grand succès. L’OLLS avait établi ses installations dans le Parc Sokolniki de Moscou. Ce sont donc ces mêmes installations sportives (pistes d’athlétisme, gymnases, terrains de foot, etc.) qui sont nationalisées par un décret gouvernemental. L’OLLS se transforme alors en l’OPPV (Опытно-показательную площадку всеобуча). Une fois la transformation achevée, vous l’avez compris, il ne s’agit plus de skier gaiement entre amis dans les parcs moscovites, mais bien d’entraîner de jeunes et beaux officiers. L’éducation physique est rendue obligatoire dans toutes les écoles et des soldats athlètes affluent de toute l’URSS pour rejoindre le QG du Parc Sokolniki.
Les soviétiques vont alors nommer à la tête de l’organisation un athlète hors norme, en la personne de Brodislav Vernikovskiy venu de Sibérie. Champion régional de football, de lancer de poids, de disque et de javelot. Au-delà de ses qualités de sportif, Vernikovskiy est l’un des pionniers du développement du sport en Russie. C’est dans sa ville d’origine de Tomsk qu’il va véritablement organiser la pratique du sport avec la création de championnats locaux compétitifs.
Ses qualités de gestionnaire vont lui permettre de réellement mettre en avant la pratique du sport dans sa région. En 1917, il organise une rencontre de football entre son équipe de Tomsk et des prisonniers de guerre austro-hongrois.
L’évènement est une réussite auprès du public et des médias, un exploit à cette époque et dans une région éloignée des grandes villes. Vernikovskiy va même réussir à rentabiliser les compétitions qu’il organise par le biais des médias, de la vente de billets et des riches personnalités locales qu’il invite. Les fonds récoltés vont aux plus démunis et aux anciens combattants.
Athlète victorieux et réputé, gestionnaire et visionnaire, Vernikovskiy est l’homme de la situation pour Moscou qui le nomme à la tête de l’OPPV qui se transformera en CDKA (Центральный дом Красной армии), la Maison Centrale de l’Armée rouge. Véritable père fondateur du CSKA actuel, Vernikovskiy va finalement quitter l’organisation après plus de 10 années à sa tête. En 1941, il se porte volontaire pour rejoindre le front. Plusieurs fois blessé, il est démobilisé à la fin de la Seconde Guerre mondiale avec le grade de Major.
Lire aussi : Retour sur le premier championnat d’URSS, aux origines du football soviétique
Les sportifs dans la guerre
Devenue CDKA, la société sportive de l’Armée rouge a évidemment son rôle à jouer durant la Seconde Guerre mondiale. Une guerre inévitable malgré le pacte germano-soviétique signait avec Adolf Hitler. L’URSS s’y préparait, elle y est. Les compétitions sportives sont quelque peu mises en suspens durant le conflit, les sportifs sont alors appelés à servir. Ceux d’entre eux qui ne vont pas directement sur le front servent de base arrière au pays et forment les nouvelles recrues. En 1939, l’URSS et la Finlande sont alors en guerre.
Lors de la bataille de Suomussalmi, les forces armées Soviétiques connaissent une cuisante défaite où 45 000 soldats de l’Armée rouge sont taillés en pièces par 11 000 soldats finlandais à ski. Moscou va alors mesurer l’importance de la guerre à ski sur des terrains dépourvus de routes. Onze bataillons de skieurs sont alors mobilisés et déployés durant la guerre, d’où l’importance des athlètes formés par le CDKA depuis de nombreuses années. Les meilleurs sportifs de tout sport sont mobilisés dans ces bataillons qui se révèlent ô combien décisifs durant la guerre.
L’URSS essuie de très lourdes pertes dans ses rangs, bon nombre d’athlètes connus perdent la vie durant le conflit mondial. Une fois la paix signée, les survivants se voient médaillés et offrir des postes intéressants, souvent à la tête des équipes sportives.
Lire aussi : Le football en Union soviétique durant la Seconde Guerre mondiale
Dans la cour des grands
La vie reprend son cours au début des années cinquante et les athlètes de l’Armée vont peu à peu se préparer pour leur première participation aux Jeux Olympiques (1952). Une participation qui est pourtant mal partie en raison des voix qui s’élèvent au Comité international olympique contre l’entrée de l’Union soviétique au sein de l’organisation. En raison, évidemment, ce même système politico-sportif où s’exerce un contrôle total de l’État sur les sportifs. Les sociétés du CDKA (Armée) et du Dinamo (Services de renseignements) inquiètent particulièrement le CIO, en raison de leurs finalités, contraire à l’éthique des J.O. Être le meilleur sportif pour être le meilleur des agents secrets, c’est un peu cela, quand même. Mais après tout, certains des athlètes antiques grecs n’étaient-ils pas des soldats ? Après quelques débuts de tensions entre le CIO et le Comité russe, les instances dirigeantes autorisent finalement l’URSS à participer aux J.O.
Le club de foot de Moscou rafle quelques titres durant cette période avant d’être dissout pendant un temps après une défaite de l’équipe olympique aux J.O. d’Helsinki en 1952 face aux Yougoslaves. Pour le grand patron, les internationaux du CDKA sont responsables de cette débâcle nationale. C’est d’une main ferme que Staline, par l’intermédiaire du Comité des Sports, émet l’ordre N°793 qui entérine la dissolution de l’équipe de foot du CDKA Moscou avant de voir sa réhabilitation après sa mort. Beaucoup y voient une manœuvre politique de la part du chef des services secrets, le redoutable Lavrenti Beria, qui se débarrasse un temps de son plus grand rival, laissant ainsi la porte ouverte à son Dinamo Moscou chéri.
Dans la dernière année de la guerre, l’État soviétique crée la petite sœur du CDKA, la société sportive VVS (Военно-Воздушные Силы), Voyenno-Vozdushnye Sily, l’Air Force militaire. Une branche qui connait quelques succès, notamment en Hockey sur glace ainsi que six années en première division de foot, dirigée notamment par Vasily Staline, le fils de Joseph Staline. Après la mort de ce dernier, la société sportive VVS est dissoute et intégrée au CDKA. Les hangars près de l’aéroport de Moscou deviennent des salles de sport ou des piscines à disposition des athlètes de l’Armée rouge.
Glorieux CSKA
L’année 1960 marque un tournant symbolique pour la branche armée qui adopte le nom de CSKA. La lettre C est en réalité attribuée aux villes de Moscou et de Kiev, signifiant « Central ». Les autres héritent du simple nom de SKA. Autre réforme, la société sportive, jusqu’alors réservée aux officiers, s’ouvre finalement à tous les rangs de l’Armée.
Les athlètes de l’Armée rouge sont alors au summum de leur carrière. Les CSKA et SKA sont les plus gros pourvoyeurs d’internationaux et d’athlètes olympiques de l’URSS. Représentant 40 sports, le CSKA est une des entités les plus victorieuses et les plus titrées de l’histoire soviétique.
Toutes les branches du CSKA travaillent ensemble à la réussite collective de leurs projets. Le meilleur hockeyeur du monde, Viacheslav Fetisov (CSKA Moscou 1976-1989), expliquait ainsi comment ses entraîneurs de l’époque travaillaient avec les danseuses du Bolchoï pour la coordination des mouvements, avec les artistes du cirque pour renforcer l’adresse des hockeyeurs ainsi que les champions d’échecs pour la stratégie et la concentration mentale.
Les plus grands noms de l’histoire de la société sportive CSKA sont aujourd’hui honorés dans ce que les Russes appellent l’Allée des gloires sportives, inaugurée en avril 1983. Une sorte de Hall of Fame en plein air où l’on peut admirer les bustes des gloires passées de l’armée. Au fil des ans, le nombre de bustes est passé de 15 à 34. À chaque intronisation est plantée une graine dans le jardin, qui va ensuite pousser au fil du temps, symbolisant l’intemporalité de ces héros du monde du sport, mais aussi du monde militaire.
Le revers de la médaille
Ce système, aussi victorieux qu’il fut, a ses inconvenants pour les sportifs, et pas des moindres. Derrière ces éclatants succès sportifs se cachent des méthodes peu glorieuses, une machination savamment orchestrait par le Parti communiste, avec la complicité éternelle du KGB. Après la Seconde Guerre mondiale, il apparaît clair qu’un conflit idéologique se trame entre les USA et l’URSS. Pour les Soviétiques, il ne s’agit plus seulement de former des soldats, mais de les exhiber à la face du monde afin de prouver la supériorité du système et du mode de vie Soviet. Et pour cela, rien de mieux que les compétitions internationales. Les clubs de l’Armée rouge se voient s’offrir quelques passes d’armes mémorables dans de nombreux sports face aux « ennemis » capitalistes. Ces joutes internationales offrent une opportunité quasi inespérée pour le commun des Homo-Sovieticus, à savoir voyager. Mais seulement sous bonne garde.
Outre les officiels de l’armée qui voyagent avec les staffs, l’on peut retrouver à chaque déplacement des agents du KGB. Nounou, coach de vie, policier, voilà un beau mélange de leurs prérogatives sur les sportifs. Tandis que les passeports sont confisqués durant le voyage par ces mêmes chaperons. Pour ces athlètes, l’Ouest est une sorte de supermarché géant. Un Nouveau Monde s’offre à eux, un monde qui ne connait pas la pénurie de nourriture, de vêtements et où les bâtiments ne tombent pas en ruines. Toutes sorties en dehors des hôtels sont accompagnées par des agents des renseignements ; toute velléité de passer à l’Ouest est tuée dans l’œuf et sévèrement punis. Les sportifs un peu trop envieux du mode vie européen ou américain voient leur carrière mise au placard (même les meilleurs d’entre eux) et leur vie parfois menaçait.
L’impossibilité de rejoindre des clubs et des championnats au-delà du rideau de fer devient un réel problème à mesure que ces sportifs se montrent au monde. Il faut attendre 1988 pour voir le premier footballeur soviétique officiellement transféré dans un club de l’Ouest. Vagiz Khidiyatullin (ex CSKA & Spartak Moscou) est ainsi le premier à franchir le rideau de fer avec son transfert au Toulouse Football Club. D’autres choisissent la fuite pure et simple, notamment les célèbres hockeyeurs du CSKA Moscou Aleksandr Mogilny et Sergeï Fedorov. Le premier est exfiltré par des représentants des Buffalo Sabres (NHL) lors des championnats du monde à Stockholm en 1989 tandis que le second s’échappe de son hôtel lors d’un tournoi amical à Portland. On imagine encore Staline se retourner dans sa tombe.
Lire aussi : En Russie, le Hockey fait de l’ombre au Football
Après avoir retenu de force nombre d’entre eux, l’URSS finit par céder. L’économie soviétique à bout de souffle pousse le régime à réduire drastiquement les subventions allouées au sport. Des transferts vers l’Ouest apparaissent alors comme inévitables. Deux modèles de vie et de pensée vont une nouvelle fois s’entrechoquer. Les sportifs à l’Ouest jouent pour l’argent, pour des voitures et des maisons, les officiels Soviétiques sont formels là-dessus. De l’autre côté du mur, les sportifs soviétiques jouent pour leur Patrie. Le capitalisme pénètre alors les rangs des sociétés sportives soviétiques. Certains se voient accorder des contrats mirobolants à l’étranger, d’autres se font exploiter en Europe par des clubs peu scrupuleux au regard des salaires touchés en URSS.
L’autre point noir du système soviétique est évidemment le contrôle total du pouvoir sur ses athlètes. Des athlètes cantonnaient dans des camps militaro-sportifs d’où ils ne peuvent sortir que très rarement, parfois moins d’un mois par an. Une discipline de fer et une obligation de résultat pour faire briller l’URSS sur la scène internationale. Des coaches et des dirigeants proches du pouvoir qui ne sont parfois jamais inquiétés des résultats de leurs formations, à l’inverse de certains malheureux sportifs qui finissent, eux, disgraciés par le Parti.
Un pas vers l’Ouest
La chute officielle de l’URSS en décembre 1991 change forcément la donne pour un certain nombre de clubs qui voient leur pouvoir transféré dans les mains de leurs toutes nouvelles armées nationales. Au-delà de l’administratif, c’est les mentalités qui changent (pas toutes) à la chute de l’URSS ; la fin du communisme au sein du bloc de l’Est mettant fin à quasiment cinquante ans de guerre froide. Les armées des pays satellites de la Russie héritent de leurs clubs SKA (ou CSKA) respectifs, tandis que la Russie fait un pas en avant historique avec l’adhésion du CSKA, en 1992, au CISM, le Conseil International du Sport militaire. Fondé en 1948 par un résistant français, Henri Debrus,« L’amitié par le sport », telle est la devise du CISM, est créé à l’origine pour maintenir la paix et l’entente cordiale entre les différentes armées du monde. Une adhésion évidemment inenvisageable pour la branche armée de l’Union soviétique durant toutes ces années de guerre froide. Trois ans plus tard, en 1995, à Rome, la Russie participe aux premiers jeux mondiaux militaires d’été. Des jeux couronnés de succès, et c’est peu dire, avec une première place du classement des médailles avec 127 décorations contre 51 pour le second pays, l’Italie. De quoi peut-être justifier l’obsession du sport au sein de l’Union soviétique.
En 2016, la Russie organise avec le concours du CISM un championnat mondial de parachutisme regroupant 38 pays et 350 parachutistes militaires. On ne manque évidemment pas d’afficher en grand le logo du CSKA qui fait toujours la fierté du pays.
Les années 2000 marquent le retrait progressif de l’État russe du management des CSKA. De nos jours, la mainmise du Ministère de la Défense n’est évidemment plus ce qu’elle était par le passé. La tendance est à la privatisation des clubs, mis entre les mains de différents oligarques, mais jamais très loin du pouvoir en place. En novembre 2011, la société CSKA obtient le titre officiel d’Institution Fédérale Autonome du Ministère de la Défense. Une relative autonomie vis-à-vis du pouvoir central, puisqu’en 2014, le ministre de la Défense, Sergeï Choïgu, nomme à la tête de la société CSKA le colonel Mikhail Nikolaevich Baryshev.
A noter que dans sa relative prise de distance avec le Ministère de la Défense, la société CSKA reçoit désormais des subventions de l’État russe uniquement pour les compétitions militaires. Le reste étant confié aux mécènes privés.
La suite de l’article est dédié aux équipes à proprement parlé.
CSKA Kiev
Le club du CSKA Kiev est à l’origine destiné aux officiers de l’Armée rouge de la capitale ukrainienne. Une capitale qui se trouve être la ville Kharkov, et non Kiev. C’est donc à Kharkov qu’est né le club, en 1934, où il n’y reste qu’une année ; 1934 marquant le transfert du pouvoir à Kiev. Le club des officiers est logiquement compris dans les bagages de ce déménagement.
Le CSKA Kiev ne brille guère au plus haut niveau durant la période soviétique, avec comme point d’orgue une demi-finale de coupe en 1952. Les seuls succès du club ne sont acquis que dans des ligues régionales tandis que la saison 81-82 marque la dernière épopée du CSKA en première division soviétique.
L’indépendance de l’Ukraine ne change pas grand-chose pour le club qui ne fait pas mieux qu’une 4e place en première division ukrainienne (96-97) suite à sa fusion avec le CSKA Borysfen-Boryspil. L’armée ukrainienne finit par vendre le club en 2001, pour être repris par la municipalité de Kiev qui le transforme en l’actuel Arsenal Kiev. Les supporters, quant à eux, ne se peuvent se résoudre à voir leur club devenir l’Arsenal Kiev et reforment le club en 2013 sur les bases du club amateur Atlant Kiev. Le CSKA (ou plutôt son fantôme) vie aujourd’hui dans les bas-fonds du foot amateur de la ville et n’a plus rien à voir avec l’Armée et le gouvernement actuel. Les ultras du CSKA continuent, encore aujourd’hui, d’arborer leurs couleurs historiques lors des rassemblements de supporters en Ukraine.
Lire aussi : FootballskiTrip Ukraine: Arsenal Kiev, le petit qui veut rebondir
SKA Riga
Le club letton du SKA Riga possède une histoire particulière du fait qu’il n’a pas été créé par les Soviétiques, mais bien absorbé après l’annexion de la Lettonie par l’URSS en 1940. Après avoir combattu les Allemands durant la Première Guerre mondiale, la Lettonie obtient son indépendance, avant de se retrouver inclue dans le pacte germano-soviétique signé entre Staline et Hitler en août 1939. L’URSS envahit donc la Lettonie l’année suivante. Le 21 juillet 1940, la République socialiste soviétique de Lettonie est proclamée par le Parti communiste et est rattachée à l’URSS.
Mais c’est bien en 1923 que voit le jour le club de l’ASK Riga. Une fierté de l’armée lettone qui remporte plusieurs succès dans les ligues régionales avant d’intégrer, en 1928, la Virsliga, le premier championnat national du pays. Le club de l’armée lettone est couronné en 1932, 1942 et 1943 devant son éternel rival, l’Olimpija Liepāja. Des suites de la guerre et de son annexion à l’URSS, le club est renommé AVN Riga, puis SKA en 1958. L’équipe fait alors partie de la longue liste des clubs de l’Armée rouge et se voit intégrer des soldats venus de toute l’URSS. Malgré tout, le club ne connait jamais l’élite soviétique, les meilleurs joueurs préférant jouer pour le club voisin du Daugava Riga qui, lui, accède à la première division. À noter que le club a eu l’occasion de former le gardien Valentin Ivakin, futur international soviétique après son transfert au Spartak Moscou à la fin des années 50. Le club finit par disparaître en partie en 1970 tandis que la section football est supprimée, la section basket, Lettonie oblige, elle, perdure jusqu’en 2009, glane plusieurs titres et remporte même par trois fois la prestigieuse Euroleague.
SKA Lvov
Le club du SKA Lvov, le club des officiers de l’Armée rouge, va longtemps vivre dans l’ombre de l’autre club de la ville, le Spartak Lvov. Leur grand rival est finalement dissout en 1950 et va véritablement libérer le SKA qui va gravir les échelons régionaux avant d’accéder à la deuxième division soviétique en 1953. Par la suite, le club décline petit à petit avant que ne soit actée sa fusion avec l’autre club de la ville, le Karpaty. Les deux clubs forment alors le très original… SKA Karpaty. La fusion ne change rien dans le déclin du club qui va finalement disparaître. Le Karpaty, de son côté, eut l’occasion de reprendre son indépendance à la fin des années 90 pour devenir le club que l’on connait actuellement. Peu de succès sont à mettre au crédit du SKA Lvov, si ce n’est la formation de Vasyli Turyanshik, futur cadre du Dynamo Kiev de 1959 à 1969.
SKA Odessa
La ville Ukrainienne d’Odessa s’est dotée d’un club de l’Armée en 1944 sous la direction de l’administration du district local. Le club réservé alors aux officiers est créé sous le nom d’ODO Odessa pour Okruzhnoy Dom Offitserov (Окружной Дом Офицеров), le Club Régional des Officiers. Après plusieurs succès dans la ligue régionale locale, le club adopte finalement le nom commun de SKA Odessa en 1960 avant d’accéder, en 1965, à la première division soviétique. Odessa termine la saison à la dernière place du classement pour sa première saison parmi l’élite, mais est sauvé de la relégation par le passage de 19 à 17 clubs cette année-là. Même résultat la saison suivante, avec cette fois-ci une relégation en Classe B (seconde division). À noter que dans les années 70, le SKA Odessa représentait aussi la ville voisine de Tiraspol, en Moldavie. En effet, cette partie de la République socialiste soviétique de Moldavie dépendait administrativement, à cette époque, du district militaire d’Odessa.
Après la chute de l’Union soviétique, les crédits d’état sont coupés et le club vendu par l’Armée devient simplement le SK Odessa. Le club navigue entre la seconde et la troisième division ukrainienne avant d’être racheté par le Chernomorets Odessa qui va fusionner l’équipe avec son équipe réserve, marquant ainsi la fin du club.
Lire aussi : Où sont aujourd’hui les équipes ayant joué en Ligue Supérieure d’URSS ?
En 2011, un nouveau club est créé à Odessa. Les dirigeants essaient, en vain, de le nommer SKA dans un élan de nostalgie soviétique, mais la ligue ukrainienne refuse le nom, arguant l’impossibilité du club de se réclamer de l’héritage du SKA Odessa. L’équipe n’évoluera alors que dans les divisions amateurs avant de disparaître par manque de moyens, seulement deux ans après sa création.
CSKA Moscou
Comme vu précédemment, le CSKA Moscou est le décèdent direct de l’OLLS, club privé multisport basé dans le parc Sokolniki de Moscou. Un club qui est aujourd’hui mondialement connu par ses succès dans divers sports, aussi bien pendant la période soviétique qu’actuellement. Le football a connu ses heures de gloire durant la période post guerre mondiale avec cinq titres en six ans, de 1946 à 1951, avant de voir son avancée brisée par la folie des dirigeants soviétiques et sa dissolution en 1952. Le club moscovite referme la page URSS en 1992 avec un dernier titre, portant son palmarès à sept championnats, laissant devant lui le Dinamo Moscou (11 titres), le Spartak Moscou (12 titres) et le Dynamo Kiev (13 titres). La Coupe de l’UEFA 2005 est à mettre au crédit des « Krasno-sinie », en plus des six titres de champion de Russie. Vous l’aurez compris, le club moscovite a été et est toujours l’entité phare de cette branche armée.
SKA Energiya Khabarovsk
Créé en 1946, le club de la ville Russe de Khabarovsk est né de l’initiative du Major Alexeï Khmelnitsky et du célèbre Maréchal ukrainien Rodion Malinovski. L’équipe de football du SKA Energiya Khabarovsk ne connait aucun succès durant son existence – qui perdure encore aujourd’hui amputée du nom Energiya – à l’inverse de son fondateur.
En effet, Rodion Iakovlevitch Malinovski, originaire d’Odessa, s’illustre durant la Première Guerre mondiale en s’engageant illégalement dans l’Armée impériale russe, alors âgé seulement de 15 ans. Un an plus tard, il est décoré de la Croix de Saint-George et promu caporal à 16 ans, après avoir repoussé une unité allemande aux commandes de sa mitrailleuse. En 1916, son unité déployée à l’Ouest est entièrement mise aux arrêts pour « agitation bolchévique ». Malinovski est emprisonné en France puis déporté en Algérie. En échange d’une remise de peine, il accepte, comme bon nombre de ses camarades, de servir dans l’Armée française d’Afrique au sein de la première Division marocaine. Il retourne par la suite combattre les Allemands jusqu’à la fin de la guerre avant d’être renvoyé en Russie au sein de l’Armée rouge afin d’écraser les Armées blanches en Sibérie. Diplômé de l’académie militaire de Moscou, il rejoint l’État-major sous le commandement d’une autre légende militaire soviétique, le Maréchal Semion Timochenko.
Après avoir combattu aux côtés des républicains en Espagne, Malinovski est promu au grade de Major-Général et prend le commandement d’une unité au sein de la 9e Armée basée dans le District militaire d’Odessa. Un district militaire étendu jusqu’à la Moldavie, comme nous l’avons vu précédemment. Une région menacée par le dictateur Roumain Ion Antonescu, allié d’Hitler. Son Armée est repoussée jusque dans le Donbass avant qu’il se joigne à Timochenko pour une contre-offensive sur Kharkov. Les pertes sont alors lourdes pour l’Armée rouge et cette défaite va attirer l’œil du NKVD qui l’accuse d’intelligence avec l’ennemi ainsi que de velléités impérialistes, en cause notamment son séjour en France durant la Grande Guerre. Staline va alors demander à Nikita Khrouchtchev de surveiller Malinovski, tous deux affectés à la défense de Stalingrad. Les deux hommes vont se lier d’amitié et empêcher l’encerclement de la ville par les troupes allemandes. Les éloges de Khrouchtchev à son égard et ses prouesses militaires lui valent de nombreuses décorations ainsi que des promotions en cascades.
En 1944, il libère le sud de l’Ukraine et contraint la Roumanie à abdiquer. Malinovski continue son avancée fulgurante en libérant Budapest, Vienne, Bratislava puis Brno où il fait la jonction avec l’Armée américaine. Décoré de la plus haute distinction militaire, l’Ordre de la Victoire, il est envoyé à l’autre bout du territoire, en Mandchourie, région occupée par les Japonais.
Après la guerre, il est nommé commandant du District militaire du Transbaïkal-Amour et chargé d’équiper et de former les armées chinoises et nord-coréennes. Il entre ensuite au Comité central du Parti communiste avec, à la clé, le poste de commandant en chef des forces terrestres soviétiques ainsi que le poste de premier adjoint du ministre de la Défense, le Maréchal Joukov. Dans les années soixante, il est l’un des plus fervents partisans de l’indépendance de l’Armée vis-à-vis du Parti communiste.
Il rend l’âme an 1968, laissant derrière lui une collection impressionnante de distinctions militaires. Le Maréchal Malinovski n’a jamais était un sportif d’exception, ni même un coach de renom, mais bien un stratège militaire hors pair. C’est aussi ça, l’histoire des CSKA.
SKA Rostov
Du côté du sud de la Russie, le SKA Rostov, fondé en 1937 sous l’égide du District militaire du Caucase, a écrit son histoire principalement durant les années soixante après une montée en première division en 1959. La meilleure performance du club reste une seconde place en 1966 derrière le Dynamo Kiev. Le club entame ensuite une lente descente aux enfers, alternant les relégations et les montées pour échouer au quatrième échelon en 1990. Fait marquant tout de même de l’histoire du SKA Rostov : une Coupe d’URSS remportée en 1981 alors que le club termina à l’avant-dernière place du championnat, synonyme de relégation.
Malgré des résultats mitigés, le club place régulièrement des joueurs au sein de la sélection nationale, et notamment Viktor Ponedelnikle, héros de la finale de l’Euro 60. Buteur plutôt efficace en sélection avec 20 réalisations en 29 matchs, se classant sixième meilleur buteur de l’histoire de la sélection soviétique, Ponedelnik voua une fidélité sans faille à son club et à sa région natale, comme nombre de ses camarades du SKA ayant repoussé les offres de clubs plus huppés. L’avant-centre de Rostov du malheureusement mettre un terme à sa carrière de manière prématurée pour raisons de santé, avec notamment une appendicite mal soignée. La situation du SKA Rostov ne s’est guère améliorée depuis la chute de l’URSS, le club évoluant actuellement en troisième division.
Et les autres…
Parmi les clubs mineurs de l’Armée, l’on retrouve aussi le SKA Minsk qui n’a jamais connu le haut niveau à part au handball avec actuellement 11 titres de champion de Biélorussie, raflant même cinq coupes d’Europe entre 1983 et 1990. Même destin pour le SKA Novosibirsk qui ne connut pas mieux que les huitièmes de finale de Coupe d’URSS dans les années soixante. On peut aussi signaler l’éphémère existence du SKA Kuybyshev (1989-1993), ancien nom donné à la ville Russe de Samara. Et, pour finir, le SKA Saint Petersbourg, anciennement Petrograd et Leningrad. Fondé en 1922, il accueillait les officiers de l’Armée, mais aussi de la Marine, sous la coupe du District militaire de Petrograd. Si l’époque soviétique n’a rien donné pour ce club avec deux neuvièmes places en deuxième division (1962 et 1963) comme meilleur résultat, l’époque russe n’a guère été plus prolifique. Empêtrée en quatrième division, l’équipe de football est dissoute en 2002. Cependant, si vous êtes amateur de hockey sur glace, votre nez a sans doute tiqué. En effet, la section hockey, apparue en 1946, s’est s’installée durablement en première division soviétique avant de devenir un monstre au sein de la fameuse KHL.
Ainsi se referme la première page de notre série sur l’organisation du sport en Union soviétique, et comme disait Joseph Staline «Dans l’Armée rouge, il faut bien plus de courage pour battre en retraite que pour avancer.» Alors, restez dans le coin, la suite arrive prochainement.
Rémy Garrel
Image à la une : © AFP PHOTO / STF
Pingback: #3 Sport & société en URSS – Les services secrets - Footballski - Le football de l'est