Avril 2014. Plovdiv tremble en ce jour de derby. Le Lokomotiv reçoit le Botev dans son antre pour un match qui se transformera en guerre urbaine au bout de seulement quinze minutes de jeu. Jet de pétards, de pierres et de sièges sur les joueurs adverses, l’ambiance est électrique.

Pourtant, quatre millénaires auparavant, le calme régnait dans la somptueuse ville de la plaine de Thrace. Carrefour important de la Via Militaris sous l’empire Romain, Trimontium (le nom de la ville au cours de l’Antiquité) est une véritable pépite qui regorge de trésors antiques toujours présents en partie aujourd’hui. Théatre, odéon, thermes, mausolées… Plovdiv a surtout la particularité d’avoir connu différentes influences à travers le temps, que ce soit les slaves, les ottomans, les byzantins et l’époque communiste. Plovdiv a gardé des traces de chaque époque de sa riche histoire, ce qui lui vaut le titre de capitale européenne de la culture cette année.

Plusieurs milliers d’années après les Romains et les combats de gladiateurs, Plovdiv revit chaque année à au moins deux reprises un autre combat de soldats, vingt-deux hommes supportés par une horde d’hommes qui n’hésitent pas à en venir aux mains pour la gloire des couleurs et du blason !

Les forces en présence

Outre sa richesse culturelle, Plovdiv dispose d’un beau panorama footballistique : Botev, Lokomotiv, Maritsa, Spartak, le fan du ballon rond ne peut qu’apprécier. Il existe en réalité deux véritables derbys dans l’ancienne Trimontium : le « petit derby » opposant le Maritsa et le Spartak et le « grand derby » entre le Botev et le Lokomotiv. C’est ce dernier qui fait le plus vibrer les foules et qui fait surtout le plus parler.

D’un côté, nous retrouvons le Botev Plovdiv, le club historique du football bulgare (premier club national) qui porte le nom de Hristo Botev, un héros bulgare du dix-neuvième siècle. Club de la classe supérieure et moyenne, le Botev est surtout une équipe avec un gros palmarès avec deux titres de champion, trois coupes nationales et une Supercoupe de Bulgarie. En grosse difficulté financière dans les années 2000, le Botev est en train de renaître grâce à une reconstruction administrative qui permet aux canaris de reprendre goût à l’Europe avec des participations récentes aux tours qualificatifs de la Ligue Europa.


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De l’autre côté, nous retrouvons le Lokomotiv Plovdiv, le club des ouvriers de chemin de fer dans les années 40 qui est désormais l’un des clubs les plus populaires de Bulgarie. Malgré un seul titre de champion et quatre coupes, le Lokomotiv possède une fanbase très puissante avec une culture ultras et hools très développée. Les Lauta Hools, Gott mit uns, Nopoletani 1995 ainsi que les Lauta Youth font vibrer les tribunes du stade Lokomotiv et se caractérisent par des actions violentes, notamment au cours des derniers derbys. Malgré son statut de seconde équipe la plus ancienne de Plovdiv, le Lokomotiv est considéré comme le club le plus supporté et surtout le symbole de Plovdiv.


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La bataille de Plovdiv

Troisième ville du pays, Plovdiv dispose cependant d’un derby extrêmement chaud, parfois reconnu par certains comme étant le plus tendu du pays (même si cela se joue bien évidemment avec le derby de la capitale entre le CSKA et le Levski). Pourtant, ce derby n’a pas toujours été aussi chaud qu’aujourd’hui. En effet, lors des premiers matchs entre les deux équipes disputés dans les années 50, l’animosité entre les deux clubs était loin de ce qu’on peut avoir aujourd’hui. Le premier match officiel entre le Botev et le Lokomotiv remonte à 1951 avec une victoire des cheminots 3-1 sur leur terrain. En réalité, de nombreux matchs furent organisés auparavant mais de manière non-officielle. Depuis ce 1er avril 1951, 119 derbys ont été joués avec 45 victoires pour le Botev contre 42 pour le Lokomotiv et 32 matchs nuls. Mais à Plovdiv plus que tout ailleurs, le plus important n’est pas sur le terrain mais bel et bien en tribune.

Le Lokomotiv a toujours été une équipe extrêmement populaire dans la ville de Plovdiv. Que ce soit de ses origines ouvrières, le Loko doit sa popularité à son côté anti-système. En effet, le club des cheminots n’a jamais été soutenu par un gouvernement ou un régime en particulier. Tout le contraire du Botev qui fut créé comme un club de l’armée, supporté par le régime communiste de l’époque qui ne se gênait pas pour dissoudre certains clubs comme le Spartak Plovdiv afin de récupérer des joueurs.

Cette rivalité entre deux excellentes équipes du championnat bulgare augmente dans les années 60, quand Botev et Lokomotiv commencent à connaître les joies des matchs européens. Le Lokomotiv, sous l’impulsion de sa star Hristo Bonev, participe à sa première coupe d’Europe en 1963 et réalisera deux matchs nuls d’anthologie contre la Juventus de Turin qui aboutiront sur une défaite en match d’appui. Le Botev quand à lui joue régulièrement sur la scène continentale. Quart de finaliste de la coupe de l’UEFA en 1963, il remportera la coupe des Balkans en 1972.

Vous l’aurez compris, s’opposent alors deux excellentes équipes de la région balkanique. Une popularité en nette augmentation et un intérêt qui se développe autour des deux équipes, notamment lors des deux derbys annuels. Mais les premiers derbys sont décevants, en effet, les deux équipes sont à la peine et n’arrivent pas à gagner quand elles jouent à domicile! En effet, entre 1951 et 1977 le Botev ne s’imposera que quatre fois à la maison et le Lokomotiv six fois! Preuve que ce derby ne se joue pas encore dans les tribunes, mais bien sur le terrain … Il faut dire qu’à l’époque, la rivalité c’est plus avec Sofia la capitale. Il faut attendre la fin des années 80 et le début des années 90 pour voir un nouveau spectacle se dessiner, celui des supporters.

©LokomotivTribuna

Les confessions d’un fervent supporter du Lokomotiv Plvodiv

Dans les années 1990 le hooliganisme vit ses meilleures heures mais aussi les plus sombres et est en pleine expansion dans toute l’Europe. La Bulgarie voit le nombre de groupes hooligans se multiplier sur son territoire. Le Botev et le Lokomotiv sont bien évidemment de la partie avec de nombreux groupes qui se développent. Composés essentiellement de jeunes qui s’inspirent du modèle anglais, c’est le Lokomotiv qui semble le plus en avance avec notamment la création d’une amitié avec les ultras du Napoli. Une mentalité et une rivalité que nous explique un jeune hool du Lokomotiv.

« Cela fait 40 ans que je vais voir les derbys et il y a toujours eu des embrouilles. Nous avons eu de grandes batailles dans le passé. Tout le monde en Bulgarie qui connaît le milieu sait que c’est nous, les supporters du Lokomotiv, qui contrôlons les rues de Plovdiv et probablement en Bulgarie également.« 

« Nous avons eu des défaites dans la rue contre le Botev, mais nous gagnons généralement quasiment chaque combat, encore plus quand c’était firm contre firm. Depuis notre dernière victoire écrasante, ils refusent de nous affronter directement.« 

Ce qui se passe sur le terrain devient désormais secondaire, chaque derby est l’occasion d’en découdre avec son adversaire, chaque derby est l’occasion d’imposer sa loi et ses règles.

« Les firms c’est une chose importante dans le monde du football et de la rue, je fais parti du premier groupe casual en Bulgarie fondé en 1992, les Lauta Hools. Plusieurs mecs à l’origine de la création sont toujours présents et sont toujours actifs. Nous sommes fiers de nos origines, nous n’avons jamais demandé d’argent ou quoi que ce soit, pas comme certains groupes du Botev qui reçoivent de l’argent du président en échange de certaines faveurs.« 

Le derby de Plovdiv devient alors l’un des plus violents d’Europe et l’est toujours aujourd’hui, prétexte à un grand carnaval du hooliganisme dans les rues de Plovdiv.

« Ici, quand c’est le derby, ce n’est pas jour de derby mais semaine de derby. Une semaine entière d’excitation et de baston. C’est la chasse aux ennemis, nous organisons des actions et essayons d’être les meilleurs dans les tribunes avec des pyros, chants et bannières provocantes. »

La violence ne se retrouve plus qu’au stade entre supporters du Botev et du Lokomotiv. La rue devient un terrain de jeu, la forêt devient un ring de boxe, le supermarché un lieu de crainte pour le supporter lambda. Les agressions sont quotidiennes, il suffit de se rendre sur le site PlvodivDerby qui informe sur les actualités journalières de la rivalité de Plovdiv. Le stade est désormais fuit par les familles et les particuliers souhaitant assister à une rencontre de football.

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Les deux événements marquants de ces dernières années remontent à 2014 et à 2016. Le derby de 2014 fut à deux doigts de prendre une tournure tragique quand les supporters du Lokomotiv décident de balancer pierres et sièges sur les joueurs du Botev. Un défenseur du Botev s’en sort miraculeusement indemne et évite pétards et bombes agricoles pour rentrer aux vestiaires. Deux ans plus tard, alors que le Botev ne peut plus évoluer dans son stade alors en travaux, la fédération décide de délocaliser le derby à Burgas. La paisible ville balnéaire est complètement retournée par les supporters des deux équipes qui profitent de la belle vue sur la mer pour se castagner.

Face à des événements toujours de plus en plus violents, le gouvernement bulgare commence à prendre des mesures pour éviter des conséquences encore plus grave. Des lois « anti hooligans » voient le jour. Outre le fichage de certains supporters, l’obligation d’être visage découvert devrait bientôt être appliquée ainsi que des contrôles policiers encore plus renforcés. Les supporters doivent désormais se montrer prudent, il n’est pas rare de voir la police taper dans le tas sans se poser de question. Le derby de Plovdiv risque t-il donc de prendre un nouveau virage? En tout cas, pour le supporter du Lokomotiv, « la haine sera toujours là et nous essayerons toujours de les humilier et de les ridiculiser dans notre ville de Plovdiv« .

Antoine Jarrige

Tous propos recueillis par Antoine Jarrige pour Footballski

Image à la une : ©Sportal.bg

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