Dans l’histoire du football, les ports de commerce ont joué un grand rôle dans l’expansion du football à travers le monde. En effet, c’est par la mer que les anglais ont pu répandre le football et c’est dans les ports que les autochtones ont pu apprécier pour la première fois les plaisirs de jouer avec un ballon rond. En Russie, le foot a pénétré le pays par les ports de Saint Pétersbourg, alors capitale de l’empire tsariste, par Riga ou encore Odessa, et se répandre par la suite à travers l’empire via les industries développées par les britanniques.
En Bulgarie le constat est le même. Le foot a tout d’abord eu comme première capitale la pittoresque ville côtière de Varna sur les bords de la mer noire. En 1894, 10 moniteurs suisses sont arrivés en Bulgarie à l’invitation du ministre de l’Éducation de l’époque, Georgi Zhivkov, afin d’introduire et de développer le sport dans son ensemble dans le nouvel État bulgare. Le 14 mai, au lycée masculin de Varna, un athlète suisse et professeur de sport du nom de Georges de Regibus a montré pour la première fois comment jongler avec un ballon. Les jeunes qui ont assisté à cette manifestation ont adoré et ont commencé à jouer au football dans la ville. Par la suite, c’est un autre athlète suisse et professeur de sport, Charles Champaud, qui apporta le foot à Sofia. Ce dernier représenta d’ailleurs la Bulgarie aux jeux Olympiques d’été de 1896 à Athènes. Ces deux personnages sont considérés comme les précurseurs du football en Bulgarie.
De Saint Augustin à Sportclub
Une autre ville va rapidement tomber sous le charme du ballon rond, c’est Plovdiv. La seconde ville du pays va devenir très vite une place forte du foot bulgare. Comme à Sofia où les collèges ont eu une grande importance dans l’évolution du foot, c’est le collège français Saint Augustin de Plovdiv qui contribua à la popularisation des premiers sports de masse dans la ville. On rapporte que c’est en 1896 que le « kick-Top »,autrement dit le football, se joue pour la première fois grâce à l’initiative d’un professeur, Hristo Vitanov.
Mais la diaspora grecque de Plovdiv s’adjuge la paternité du football dans la cité historique. Elle rapporte que c’est l’école Zariphios (Ζαρίφειος Σχολή Φιλιππουπόλεως) qui, en 1895 a accueilli l’éducateur et scientifique Grigor Vernardakis (Γρηγόριος Ν. Βερναρδάκης) et qui apporta la méthodologie occidentale sportive centrée sur le jeu de balle. Le grand athlète Apostolos Nikolaidis (1896-1980), né à Plovdiv, sera diplômé à l’école Zariphios et deviendra plus tard dirigeant emblématique du Panathinaikos. Le football se développa donc à travers les différentes diasporas qui composèrent Plovdiv à l’époque
Mais c’est au collège Saint Augustin qu’entre 1906 et 1907, la première équipe de football fut fondée. En 1910-1912, de nombreux clubs de football locaux sont apparus sur la scène, mais leur vie fut relativement courte. À cette époque, un groupe de jeunes de l’école secondaire masculine française décidèrent de fonder leur propre club de football dans le quartier de Kamenitza. Ainsi, au début de mars 1912, la première association sportive Hristo Botev voyait le jour. Le Botev Plovdiv était né.
Dix ans plus tard, un autre club voit le jour en 1922, grâce à la fusion de plusieurs entités sportives du IVe arrondissement de Plovdiv, quartier nouvellement construit et abritant une population cosmopolite avec notamment une importante communauté arménienne. C’était alors le plus grand quartier catholique de la ville. Sans le savoir, le club sportif Karadzha va devenir de nombreuses années plus tard sous le nom de Lokomotiv,le deuxième club principal de la ville. L’histoire de ce club est une succession de fusions et de transformations qui se sont produites en lien direct avec les évolutions des politiques sportives de la Bulgarie, notamment à partir de la fin de la Seconde guerre mondiale et la mise en place du modèle soviétique. L’histoire du Lokomotiv Plovdiv nous plonge à travers des chamboulements de clubs aux origines totalement différentes, faisant abstraction de toutes les considérations des supporteurs.
Sportclub Plovdiv ou les origines du Lokomotiv
Au printemps 1922, le Karadzha voit donc le jour. Ce regroupement de clubs permet aux joueurs des différentes entités sportives du district de pouvoir participer au Championnat de Plovdiv. Deux ans plus tard en 1924, c’est un autre club qui est créé dans le même arrondissement de Plovdiv et qui prend le nom d’Athletic. En 1926, ces deux clubs décident de s’unir pour créer un unique club dans le IVe arrondissement, le Sport club Plovdiv. Le 26 juillet 1926, une réunion se tient pour unir officiellement les deux clubs. Le rouge, le noir et le blanc sont alors choisis pour les couleurs du club.
Dès le début, le club commença avec l’ambition d’être une structure sportive majeure de la ville en se calquant sur le modèle d’Europe occidentale. Les dirigeants, tous originaires du Botev, ont alors attiré les meilleurs joueurs dans leur équipe. Le club se cantonna à participer aux compétitions régionales, la Bulgarie ne créant un championnat national qu’à partir de 1937. Le terrible tremblement de terre d’avril 1928, qui toucha tout le sud de la Bulgarie, incita le club à faire don de leur terrain de jeu aux sans-abris qui purent reconstruire à l’emplacement des logements. Cependant, malgré l’insistance du club auprès des autorités, Sportclub se retrouva sans terrain durant des décennies. Malgré cela, le club termina en tête de la deuxième division régionale en 1933 et fut sacré champion de Plovdiv pour la première fois en 1936.
Le club intégra l’élite nationale en 1938 et connut son heure de gloire en atteignant en 1938 la division nationale de football, incluant les 10 équipes les plus fortes du pays. Là, il rivalisa pendant deux ans avec les clubs de la capitale jusqu’au début de la deuxième guerre mondiale. L’entraîneur de l’équipe à cette époque était le Hongrois Laszlo Klein. A ce moment, Sportclub était un club influent tant à Plovdiv que sur la scène nationale bulgare avec une large communauté de fidèles supporters.
Hormis Sportclub et le Botev Plovdiv, un autre club est présent depuis le milieu des années 30 en ville, c’est le club des cheminots de Plovdiv. Fondé le 13 juin 1935 dans le cadre d’une campagne visant à créer à travers tout le pays des clubs de sport en lien avec la Société nationale des chemins de fer, le ZSK Plovdiv (Zheleznicharski Sporten Klub Plovdivou – Club de sport des cheminots de Plovdiv) suit la mouvance des organisations sportives syndicales qui fleurissent à travers le pays. Le club est officiellement enregistré en 1936. Cette date aura de l’importance plus tard.
Côté foot, les performances ne sont pas vraiment au rendez-vous face aux deux poids lourds de la ville que sont Sportclub et le Botev Plovdiv. Malgré tout, le ZSK Plovdiv a contribué à développer les infrastructures sportives dans la région de Plovdiv grâce à leur appui financier provenant de l’entreprise nationale des chemins de fer. Mais l’année 1944 va changer le cours des choses.
Le Lokomotiv Plovdiv, véritable « transformer » du football
Sous l’autorité du tsar Boris III, la Bulgarie va passer la Seconde guerre mondiale du côté des forces de l’Axe. A partir de l’année 1943, les Alliés vont lourdement bombarder la Bulgarie. Malgré une position de neutralité vis-à-vis de l’Union Soviétique tout au long du conflit, l’URSS déclare la guerre à la Bulgarie le 5 septembre 1944. Une insurrection menée par la coalition du Front de la Patrie (communistes bulgares et Zveno) renverse le gouvernement et instaure un régime favorable à l’URSS. La Bulgarie devient donc une démocratie populaire qui s’inspire largement du système soviétique à travers sa constitution. Le système soviétique se retrouve ainsi dans toutes les sphères de la société et le sport n’est pas une exception à la règle.
Dans le foot, cela passe par une réorganisation complète du système des clubs. L’objectif est d’avoir un club de sport par région. Mais pour rendre efficace le financement, seuls certains clubs sont autorisés à exercer. Apparaît donc une série de fusions de clubs et de changements de noms, se souciant peu des fans qui voient pour certains leur club disparaître, sans discussion préalable ça va sans dire.
Dans le cas du Sportclub Plovdiv, la réorganisation va entrainer, dès 1945, l’incorporation de clubs de la communauté arménienne que sont Shantou Erevan et d’un club à majorité catholique, le Parchevich. Le club est ainsi renommé S.P.-45(Sportclub Parchevich -1945) avant de devenir l’année suivante le Slavia Plovdiv (les termes Sport et Club faisaient trop « Europe de l’Ouest »). En 1947, rebelote, avec l’incorporation d’un club de travailleurs – Petar Chengelov– modifiant de nouveau le nom en Slavia-Chengelov.
Malgré tous ces changements, le club a réussi à garder ses couleurs – le rouge, le noir et le blanc – et son emblème d’origine. L’équipe a été grandement modifiée mais le nombre de supporteurs s’est alors agrandi.
En août 1949, le Comité central du parti communiste bulgare annonce une autre vague de « réorganisation » des clubs sportifs bulgares. Cette décision abolit le principe territorial de la formation des clubs (ce principe sera rétabli au printemps 1957). Ainsi, les divers syndicats ou agences furent regroupés en plusieurs grandes sociétés, les fameuses Sociétés Sportives Volontaires (DSO). Ces structures regroupaient, à la mode soviétique, une multitude de pratiques sportives et liaient le club à un corps de travail bien spécifique (la Police, l’Armée, les chemins de fer…). La seule réalité identitaire des personnes en Union soviétique était celle de leur appartenance à une classe. Il ne devait exister ni identité nationale (estonienne, ukrainienne, lituanienne…), ni religieuse. De cette manière, chaque club, qui pouvait représenter le travailleur, fut assigné à un syndicat.
C’est dans ces circonstances qu’en octobre 1949, le Slavia-Chengelov (ex Sportclub) s’est uni à un autre club, le Lokomotiv. Ce dernier n’est autre que le ZSK Plovdiv, notre club de cheminots qui, comme l’ensemble des autres structures de l’Union soviétique liées aux chemins de fer, s’est renommé Lokomotiv(Lokomotiv Sofia, Lokomotiv Moscou, Locomotiv Leipzig…). Bien que le Slavia-Chengelov possédait alors la plus grosse communauté de supporters du pays et se trouvait, contrairement au Lokomotiv, en première division, la réorganisation par société sportive va vite trancher sur l’identité du nouveau club.
La société se nomme d’abord, le 5 octobre 1949, DSO Energiya, puis le 8 octobre 1949 DSO Torpedo. Il faudra attendre 1951 pour voir enfin apparaitre le nom actuel, la DSO Lokomotiv Plovdiv. Pour récapituler, l’équipe qui en 1949 jouait en première division sous le nom de Slavia Plovdiv a joué en 1950 sous le nom de Torpedo Plovdiv et, à partir de 1951, sous le nom de Lokomotiv Plovdiv. Une belle salade bulgare…
Ce dernier naming s’est imposé malgré une légère résistance des supporteurs. À Plovdiv, lors de la réunion constitutive de la Société, un groupe de supporteurs a d’ailleurs pris la parole (le compte rendu de la réunion a été préservé) et ont remémoré les succès remportés par le Slavia Plovdiv. Ils ont alors suggéré que la société du 4ème arrondissement soit nommée Slavia ZSK. Cependant, la question du nom était déjà décidée depuis longtemps. Le transport ferroviaire ayant été « transféré » pour être « géré » dans le 4ème arrondissement, la Société Sportive du 4ème arrondissement a reçu le nom de DSO Lokomotiv Plovdiv.
Le problème du statut des joueurs n’a pas posé de problème. Puisqu’il faut être cheminot pour être membre de la Société Lokomotiv, tout le monde s’est fait employer dans les chemins de fer. A l’époque, la reconversion était rapide…
D’un point de vue des résultats, le Lokomotiv jouissait des performances passées de Sportclub et par la suite du Slavia Plovdiv. Il fut ainsi considéré à ce moment là comme un club influent du championnat national, atteignant au minimum chaque année les quarts de finale du championnat et de la Coupe.
En 1955, le Lokomotiv Plovdiv voit partir de nombreux joueurs clés et finit par quitter l’élite. Le Loko passera cinq années en deuxième division jusqu’à leur remontée durant la saison 1961-62. Durant cette période, le retour à une organisation géographique des clubs verra leur nom se faire ôter les initiales DSO et se nommer finalement Lokomotiv Plovdiv.
Le Lokomotiv est en définitif la réunion de deux clubs aux origines totalement différentes ! L’une est géographique, l’autre est professionnelle. Chaque branche a apporté en définitif sa contribution à la nouvelle structure, le Slavia ses supporters, ses couleurs, ses joueurs, son staff – et le Lokomotiv son soutien financier de taille et son stade Lokomotiv-Spartak considéré comme le plus moderne de l’époque avec une affluence d’environ 10 000 spectateurs en moyenne. Mais en définitif, l’histoire n’a retenu que le Lokomotiv Plovdiv et a totalement oublié l’origine du club, à savoir Sportclub.
Le problème de l’anniversaire !
A partir de 1951, le Lokomotiv Plovdiv vit une histoire faite de hauts et de bas (le club connait d’autres descentes lors de la saison 1979-80 ou celle de 1998-99). Mais heureusement pour les supporters, le nom du club ne connait plus de modifications majeures. Seules les initiales précédant le Lokomotiv montrant des changements de statut évoluent. L’emblème quant à lui est plusieurs fois modifié à travers l’histoire.
La modification apportée en 1970 est par contre surprenante. L’emblème se voit affublé de l’année 1936, date de la fondation du club. Or, si vous avez tout suivi, rien de significatif ne s’est produit en 1936. Les documents conservés sont catégoriques ! SportClub a été fondé en 1926 et ZSK a vu le jour en 1935. Alors d’où sort cette date d’anniversaire ? Et bien vous le croirez ou non, mais l’année 1936 est apparue bien plus tard comme date « anniversaire » du Lokomotiv Plovdiv, en 1966 plus exactement. Jusque-là, absolument aucun anniversaire n’a été célébré. De plus, jusqu’en 1966, aucun document historique ne mentionnait la naissance de Lokomotiv Plovdiv en 1936. Cette date fait référence à l’enregistrement officiel du ZSK à la Fédération.
Bien que cette situation soit totalement dénuée de sens, elle est encore plus absurde lorsqu’en 1966, le club a officiellement proclamé le 30e anniversaire du club. Malgré les remarques de la presse affirmant que le Lokomotiv Plovdiv était le successeur du Sportclub fondé en 1926, on célébra donc le 30e anniversaire d’un club qui en avait véritablement 40…
Le Lokomotiv Plovdiv a longtemps tenté d’omettre l’origine exacte du club. Difficile d’avouer que le Slavia Plovdiv, plus grand club de la ville et un des plus grands de Bulgarie en 1949, avait été à l’époque intégré au ZSK Plovdiv, plus petit club de la ville. En 1986, pour les 50 ans « officiels » du club, le Lokomotiv a même omis les résultats acquis durant la période 1945-49 du Slavia Plovdiv !
Ce que l’on connait de l’histoire du club jusqu’en 1957 est basée sur un travail de recherche et de mémoire réalisé par des passionnés du club tels que Vladimir Vladimirov et Angel Angelov qui travaillaient aux archives de la bibliothèque nationale et qui trouvèrent les origines du club. Boris Belkov ancien joueur du Sportclub publia en 1996, pour les 70 ans du club, un livre destiné à rétablir la réalité longtemps cachée par les officiels. A la fin des années 80, certains sympathisants du Lokomotiv se sont heurtés, eux, à la censure pour avoir osé parler des exploits du SportClub. Il a donc fallu la fin du régime communiste en 1989 et le combat de fans pour pouvoir réintégrer à sa juste place le Sportclub dans l’histoire du Lokomotiv Plovdiv. Il faudra attendre finalement 2011 pour voir l’année 1926 s’inscrire sur l’emblème du Lokomotiv Plovdiv. Une éternité.
Vincent Tanguy
Source principale : loko-pd.com
Image à la une : © novsport.com
Article très instructif et bien documenté. Merci Vincent! Amitiés d’Alger, d’un Nahdiste (supporter du NA Hussein Dey)