C’est une petite rengaine monotone, un leitmotiv insistant, un refrain entêtant qui parcourt chaque saison la Pologne du football. Si chaque année civile possède ses quatre saisons, chaque saison de football polonais engendre son lot de tristes déconvenues pour les clubs historiques du pays. Dernièrement le Górnik Zabrze a su se relever, le Polonia Bytom a malheureusement quasiment disparu, le Wisła Kraków est lui un véritable miraculé. Autant de cas et même plus encore qui montrent la naturelle capacité des clubs polonais à s’autodétruire.
Alors que dire de la descente aux enfers d’un club vainqueur de quatorze titres de champions et de trois coupes de Pologne ? Que dire de la chute abyssale d’un grand club polonais ayant il y a quatre ans encore participé à la Coupe d’Europe et qui se retrouve aujourd’hui aux portes de la relégation en quatrième division ? Un grand club quelque peu suranné, en témoigne son vieux stade municipal et son mythique chronomètre OMEGA trônant fièrement depuis 1939 en face de la tribune principale. Horloge ayant compté les heures fastes comme les moments sombres du football à Chorzów.
Un club polonais ou allemand ? Silésien avant tout
De sa création le 20 avril 1920 dans les salons du Miejski Dom Kultury jusqu’à aujourd’hui le Ruch Chorzów est un témoin historique majeur de l’Histoire de Pologne et plus particulièrement de cette région minière à l’Histoire singulière, la Silésie. Une histoire de football en filigrane avec pour arrière-plan les longues et hautes cheminées de la Bismarckhütte. Une histoire toute singulière qui emmènera le club au sommet du football polonais avant de rentrer petit à petit dans le rang, comme le miroir du passé autrefois glorieux de cette région fertile.
Lorsque le club est créé il porte déjà un nom Polonais, celui de KS Ruch Bismarkhuta. Si la majorité de la Silésie est alors encore rattachée à l’Allemagne après la fin de la première guerre mondiale et le Traité de Versailles, les fondateurs du club sont de fervents patriotes silésiens attachés à une Silésie polonaise et non allemande. D’ailleurs, suite au plébiscite de Haute-Silésie en 1922, puis la troisième et dernière insurrection de la région qui s’ensuit, Königshütte redevient Chorzów et la ville se retrouve finalement rattachée à la Pologne. Ville qui avait pourtant plébiscité à une large majorité son maintien dans la zone allemande.
Obligé alors de rejoindre le nouveau système de ligue polonaise qui se met en place en Silésie, le club va donc changer de nom et fusionner avec un autre club de la ville pour devenir le KS Ruch (BBC) Wielkie Hajduki. Ses couleurs bleues et blanches, couleurs de la Haute Silésie polonaise (en opposition au noir et jaune de l’Oberschlessien allemande) et son logo comme bouclier où s’inscrivent les initiales du club font encore référence à la protection de cette identité silésienne et polonaise.
Une identité qui fait d’ailleurs toujours parler et débattre dans les travées ou même sur le terrain aujourd’hui. Il y a quelques années, les discussions s’étaient cristallisées autour d’un drapeau que l’on pouvait apercevoir parfois au stade où il était écrit en lettres gothiques blanches sur fond noir OBERSCHLESSIEN. Drapeau qui va finalement être interdit par la fédération polonaise de football. Il est d’ailleurs plus que certain qu’une partie des partisans du club a une attirance pour l’Allemagne et son histoire en Silésie. À Chorzów, les chants s’époumonent en silésien. Une appétence régionale considérée parfois comme non polonaise, ce qui avait d’ailleurs créé quelques remous aux ultras du Ruch dans leur relation avec leurs homologues du Widzew Łódź. Histoire allemande et polonaise, histoire silésienne, le Ruch ne déroge pas à la règle.
Nous reviendrons sur la riche partie sportive de l’entre deux guerres du club bientôt, mais il est important de comprendre ce contexte dans l’histoire du club et de la région. Et plus encore lorsque l’Allemagne nazie va envahir la Pologne en septembre 1939. Toute la Pologne est occupée puis divisée et la région fait partie intégrante du Troisième Reich. Le Ruch Chorzów va alors être utilisé par le régime nazi et sa propagande et le club va être « dépolonisé ».
Tout d’abord les Nazis vont redonner le nom allemand au club. C’est donc le Bismarckhütter Ballspiel Club qui renaît et qui se transformera en Bismarckhütter Sport Vereingung 1899 eV (BSV 1899). Les trophées du club vont être spoliés et toute trace de son histoire polonaise peu à peu effacées.
Contrairement à la majorité du territoire polonais occupé où le football est interdit pour les Polonais, en Haute Silésie il est autorisé mais très strictement encadré. Cela s’expliquant par la germanité historique de la région. Beaucoup d’ex-joueurs du KS Ruch Wielkie Hajduki vont, au début, continuer à jouer sous les nouvelles couleurs – nazies – du club. Les stars Teodor Peterek, Gerard Wodarz ou Ernest Wilimowski continuent de fouler les pelouses avant d’être appelés pour servir dans la Wehrmacht.
Les silésiens étant considérés comme Allemands ils se doivent de faire leur service et d’aider à l’effort de guerre. Certains choisissent l’exil, certains sont exécutés, d’autres sont intégrés de force à des unités militaires et se battront avec plus ou moins de zèle à travers l’Europe pour sauver leur peau, comme nous vous le racontions il y a quelque temps à travers l’incroyable histoire d’Ernest Wilimowski.
Ernest Wilimowski, de meilleur joueur du monde à renégat
Mais beaucoup d’entre eux ne reviendront jamais en Pologne et s’installeront en France, en Angleterre, en Allemagne pour beaucoup. Une Pologne qui suite à la défaite des Nazis ne laisse que très peu de place, si ce n’est dans les salles d’interrogatoires, aux traîtres et particulièrement aux Silésiens, qui de part leur ascendance germanique sont suspects en premier chef de collaboration. La fin de la Seconde Guerre Mondiale sonne le glas de la Silésie allemande et la région est repolonisée, le Bismarckhütter Sport Vereingung 1899 eV est dissout et son chapitre allemand historiquement refermé.
Avec l’arrivée des Soviétiques c’est une nouvelle ère qui commence pour le Ruch Chorzów qui sera encore obligé de changer de nom pour faire « plus socialiste » dans une Pologne regardant vers l’Est et maintenant sous influence de Moscou. Le club devient alors en 1949 l‘Unia Chorzów, un nouveau nom qu’il gardera jusqu’en 1955 avant de redevenir ce Ruch qui nous intéresse aujourd’hui, ce grand club aux quatorze titres de champion.
L’âge d’or des Niebiescy et sa trinité glorieuse
L’Histoire du football polonais est faite de règnes plus ou moins longs. Règnes footballistiques des grands clubs comme le Wisła Kraków, le Legia Warszawa, le Górnik Zabrze et donc le Ruch Chorzów. Le premier règne du HKS se déroule dans l’entre-deux guerres. Un période nouvelle, riche et prospère durant laquelle le club va ravir pas moins de cinq titres de champions entre 1933 et 1938.
Après avoir commencé tranquillement et monté les échelons dans cette Pologne du football qui se professionnalise dans les années 20, le club va conquérir la première division polonaise après seulement treize ans d’existence. Un premier titre remporté face au KS Cracovia qui va aiguiser l’appétit du géant en devenir. Devenu vitrine de la Haute Silésie, grâce à l’aide et au sponsoring des aciéries de la Huta Batory (Bismarckhütte en allemand) le club va voir grand, très grand.
Avec premièrement, un nouveau stade flambant neuf, le même que celui que vous pouvez contempler aujourd’hui. Stade inauguré le 29 septembre 1935 face au Warta Poznan. Mais aussi grâce à un transfert retentissant, celui de la star de Katowice, un certain Ernest Wilimowski.
Ce transfert scellera le début de l’hégémonie du KS Ruch Wielkie Hajduki et le début de l’histoire de la trinité royale de Chorzów, trois rois formant le trio offensif le plus prolifique de l’Histoire du football polonais: Wilimowski, Wodarz et Peterek. À eux seuls ils marqueront la bagatelle de 322 buts entre 1933 et 1938 sous les couleurs du club de Silésie. De quoi laisser rêveur même de nos jours.
Trois joueurs, trois champions et trois caractères différents : Wilimowski l’esthète flambeur, Peterek le carriériste et Wodarz le travailleur. Une complémentarité qui va permettre au Niebiescy de remporter quatre nouveaux titres de champion en cinq ans. Un exploit phénoménal pour l’époque et encore plus lorsqu’on l’on apprend que le club n’avait pas de coach une bonne partie de la saison lors de son titre en 1934 ou que la PZPN jalouse du succès du club de Haute Silésie tentera de disqualifier Wilimowski lors de la saison 1936 pour une sombre affaire d’alcoolisme.
Gerard Cieślik, légende et cœur Ruch vif
Mais cet âge d’or est finalement stoppé net par la Seconde Guerre Mondiale. On ne reverra plus les trois rois ensemble. L’un jouera pour l’Allemagne Nazie, un autre sera capturé et retournera au pays après avoir été longuement interrogé par le NKVD polonais, et le dernier rejoindra les forces polonaises libres à Londres et s’entrainera au foot avec les pilotes de la RAF avant de revenir un peu plus tard.
Après la guerre, sous le nom d’Unia Chorzów le club va se reconstruire et finalement conquérir trois nouveaux titre de champions consécutifs en 1951, 1952 et 1953 auxquels il faut ajouter une Coupe de Pologne. Les trois rois ne sont plus mais un nouvel empereur reprend alors leur trône vacant. Gerard Cieślik est un attaquant racé. Ses cheveux gominés, ses allures de gendre idéal et de footballeur d’exception en font un digne héritier de ses ainés.
Détenteur du record du nombre de buts sous les couleurs du club il dépasse Peterek et Wilimowski avec 177 buts et se pose donc seul la couronne sur son crâne luisant. Cieślik est un enfant du pays, un môme du Hajduki Wielkie, un gavroche né à quelque pas du premier terrain du Ruch sur la Ulica Kaliny. Dès sa jeunesse il ne jure, ne vit que pour ce club auquel il restera attaché tout au long de sa vie.
Il est le Ruch Chorzów dans sa complexité, dans sa flamboyance passée, dans son histoire, dans sa chair et dans son âme. D’apprenti boulanger aux jeunesses hitlériennes, des camps de travail soviétiques aux victoires célébrées avec la foule enthousiaste, des heures de travail dans l’aciérie les lendemains de match malgré son statut de star aux Jeux Olympiques en Finlande, Gerard Cieślik est ce puzzle, cet empereur, cet attaquant agile et racé dont tout le monde vous parlera si un jour vous faites le détour par celle qu’on appelait Wielkie Hajduki.
Dans l’ombre de Zabrze et le miracle de 1960
Après ces années fastes, les Niebiescy vont connaître une période plus difficile s’expliquant très simplement. Le club ne peut pas proposer des salaires attractifs comme c’est le cas des clubs miniers. Les salariés des aciéries sont bien moins payés que les mineurs et les clubs étant sponsorisés/détenus par les plus gros employeurs de leur ville, le Ruch perd en attractivité pour les footballeurs. Et ceci coïncide avec l’éveil d’un autre géant de Silésie, le Górnik Zabrze. Le club voisin rafle tout sur son passage entre la fin des années 50 et le début des années 70 ne laissant que quelques miettes ici et là à ses concurrents.
La première miette pour le Ruch est un véritable miracle. En 1960, avec un effectif réduit à quatorze joueurs dont onze natifs de Chorzów, le club va à la surprise général mater le Legia Warszawa et le Górnik Zabrze pour remporter son neuvième titre de champion. Eugeniusz Faber, un jeune attaquant qui sera dans le futur bien connu du côté de Lens fait d’ailleurs ses débuts lors de cette saison célébrant les quarante ans du club auréolé de gloire par ce nouveau trophée.
Après ce titre inattendu c’est le retour à la réalité. Le club connaît ce qui sera son quotidien une cinquantaine d’année plus tard. Le Górnik devient le club le plus populaire de la région, le Ruch a des difficultés financières et il commence à regarder le bas du classement avec plus d’insistance que le haut. Une situation qui va durer une dizaine d’années jusqu’à l’arrivée de Teodor « Teo » Wieczorek. Lui l’ami de Gerard Cieślik qu’il avait rencontré dans un camp de travail aux portes de Berlin devient l’entraineur des Niebescy en 1966.
Les Trójkolorowi de Zabrze sortent d’une série de cinq titres consécutifs, emmené par le génie de Włodzimierz Lubański. Mais à une journée de la fin, Zabrze, le Legia et le Ruch se tiennent en seulement trois points. Le nom du champion se décidera alors le dimanche 23 juin 1968. 80 000 supporters prennent place à Chorzów pour ce match faiseur de roi entre les locaux et leur ennemi du Górnik.
Le club vainqueur de ce duel sera champion, en cas de match nul ça sera au Legia de remporter la mise. Et dans une ambiance indescriptible, chauffés à blanc par huit ans d’attente, les supporters des Niebescy vont assister à un récital de Faber, auteur d’un doublé propulsant le club vers le titre. Une victoire comme une revanche des dernières années passées dans l’ombre de ce gênant voisin, nouveau venu dans la cour des grands ou plutôt dans la cour du seul grand de l’époque, le Ruch Chorzów.
Derniers titres et l’Europe comme théâtre des rêves
Malgré quatre nouveaux titres pour compléter sa belle collection en 1974, 1975, 1979 et 1989 auxquels il faut ajouter une Coupe de Pologne en 1975, le club perd petit à petit de son influence, de son prestige et de sa reconnaissance nationale. Supplanté par le Górnik, puis le Legia et enfin le Wisła, Chorzów rentre petit à petit dans le rang. Un retour à la normalité perceptible après le dernier titre. Le club ne jouant plus que sur quelques coups d’éclats pour continuer de faire parler de lui.
Car si sur le plan national le Ruch Chorzów a rempli pendant près de soixante ans sa belle et grande vitrine à trophée, c’est aussi l’Europe qui construit la légende du club silésien et ajoute au panache de son histoire à défaut de remplir les lignes de son palmarès. Et lorsqu’on parle d’Europe, de Coupe d’Europe et de Ruch Chorzów, la rencontre qui vient en premier à l’esprit est sans aucun doute le quart de finale monumental de Coupe des clubs champions européens face à Saint-Étienne en 1975. Une double confrontation qui fut l’année dernière l’occasion d’un long format que vous pouvez retrouver ci-dessous
Quand les Polonais de Chorzow débarquaient à Geoffroy Guichard
On pense aussi à un autre quart de final, en Coupe UEFA cette fois-ci. Un an plus tôt face au Feyenoord Rotterdam. Après un beau parcours en ayant écarté coup sur coup le Carl Zeiss Jena puis le Honved, les Polonais gardent leur chance de qualification pour la demi-finale en concédant le nul à la dernière minute à domicile grâce à Maszczyk. Au retour, aux Pays-Bas, malgré un but rapide de Joachim Marx (lui aussi bien connu des Lensois) les Hollandais vont égaliser en seconde mi-temps avant de porter l’estocade à deux reprises lors des prolongations.
Le Ruch Chorzów restera jusqu’en 2014 un acteur régulier des campagnes européennes et de leurs tours préliminaires avec plus ou moins de succès. Avec comme petites gourmandises une sympathique finale de Coupe Intertoto face à Bologne en 1998 ou un cocasse premier tour de Coupe UEFA face à l’Inter Milan en 2000. Un Inter avec Seedorf, Blanc, Recoba, Şükür, Vampeta et Di Biagio sur le terrain.
Les années 2000 vont finir d’entériner le déclin du club et même s’il est présent ici et là parfois sur la scène européenne ou sur le podium du championnat polonais, il n’est plus ce géant d’acier aux quatorze titres de champions, deux Coupes de Pologne et deux Supercoupes. Les soucis financiers s’accroissent et les années de mauvaises gestions vont commencer. Et c’est en 2014 avec la défaite en prolongation au troisième tour qualificatif face au Metalist Kharkiv que le Ruch Chorzów semble adresser son au revoir douloureux à l’Europe du football.
À Gdynia, main du diable et début de la descente aux enfers
Nous sommes le 27 Mai 2017, il fait beau et chaud sur Gdynia, c’est la pénultième journée du championnat qui se joue sur les bords de la Batlique. L’Arka et le Ruch s’affronte dans un match crucial pour les Silésiens. En grande difficulté ils doivent impérativement ramener trois points de leur voyage dans le nord de la Pologne pour espérer se maintenir en Ekstraklasa. Plombés par des finances exsangues et les combines fiscales de Paterman et ses prédécesseurs, les Niebescy ont commencé le championnat avec une déduction de quatre points, ce qui explique en partie leur situation comptable compliquée.
Tout commence étonnamment bien pour le Ruch avec un but rapide de Kamil Mazek sur un contre rondement mené par Niezgoda qui redonne sourire et espoir aux supporters présents devant leur télévision ce jour-là. Un sourire de courte durée. À la 23ème minute comme le signe divin d’un destin fatal, un fait de jeu va précipiter la chute des Bleu et Blanc. Socha sur le côté droit adresse un centre au deuxième poteau pour Formella qui remet pour Siemaszko devant la ligne de but. L’attaquant de l’Arka va convertir alors l’offrande de manière suspecte. Une main flagrante.
Un but de la main qui pourrait en rappeler un autre bien plus célèbre. L’arbitre ne bronche pas, le VAR n’est pas encore implanté en Pologne et le but est bel et bien validé. Main de Dieu pour certains, main du diable pour les supporters et le banc du Ruch furieux. C’est le début de la fin pour le club silésien lésé. Cette main va signer le début de la rapide, très rapide descente aux enfers du club.
Le match se fini sur le score de un partout. Le Ruch Chorzów est alors condamné, relégué en seconde division. Malgré les protestations, les recours, rien y fait. Le club évoluera donc en I.Liga lors de la saison 2017/18, laissé de côté par les autorités et un peu par la Pologne du football.
On ne gère pas un club comme une chaine de bistrots
En seconde division, c’est un calvaire qui se poursuit. Ses meilleurs joueurs partis pour d’autres horizons plus heureux, le club est encore une fois pénalisé pour sa gestion calamiteuse. Une déduction de cinq points, encore une, avant le début du championnat, des résultats terribles dans une ligue difficile et concurrentielle et comme un coup de grâce une deuxième déduction de six points lors de l’hiver réduite à « seulement » un point après régularisation de quelques traites. Mais peu importe, le Ruch passera l’intégralité de la saison à la dernière place du classement et concèdera des revers humiliants face au Miedz Legnica (6-1), au Wigry Suwalki (6-0) ou au Pogon Siedlce (6-0). La pire saison de l’histoire du club.
La chute se poursuit alors, comme une longue agonie sans fin. Paterman, le tout puissant président, bistrotier devenu businessman-gérant des prestigieux Café Chopin à travers la Pologne s’en va comme une ombre quitte la scène du crime. Il serait en effet malhonnête de remettre toute la responsabilité des maux du club sur ce personnage de roman noir mais sa présidence bien que plombée par les dettes des dirigeants précédents aura été certainement elle aussi l’une des pires de l’histoire du club.
Des combines plus ou moins légales pour payer ou ne pas payer ses joueurs, des sommes sonnantes et trébuchantes provenant des transferts directement versées sur les comptes des actionnaires, des déclarations à l’emporte pièce, une vision du football inexistante, des idées de grandeurs sans lendemain tout ceci aura aidé le géant à creuser encore un peu plus sa tombe.
Lui, l’enfant de Chorzów, élevé dans cet agglomérat de petites maisons du quartier populaire de Batory. Lui, le supporter inconditionnel de ce club qu’il avait déjà aidé par le passé, l’aura mené à son affaissement. Il aimait dire qu’un club avant d’être une entreprise était une communauté de personnes réunies par la même passion. Il semble que les faits tordent parfois la vérité des mots. Les présidents passent mais les supporters restent eux, désemparés et en colère mais toujours prêts à se battre pour leur club et ce même en troisième division. Une troisième division que le club n’avait pas connu depuis sa création.
La saison 2018/19 commence donc sans Paterman, dans un échelon inférieur mais toujours dans ce vieux stade bariolé de blanc et de bleu. Sous le chronomètre OMEGA les chants s’élèvent, comme des milliers de sirènes dans cet océan de médiocrité.
Un moral miné, une histoire dilapidée
Si le Ruch Chorzów reste un club très suivi en Silésie, comme nous avons pu le voir les années de mauvaises gestions ont grandement affecté l’image et la notoriété du club. Un club qui possède certainement les plus fervents supporters de la scène footballistique et ultra. Si fervents que dans le passé le Ruch était aussi respecté pour ses supporters qui n’hésitaient pas à défendre leur club à poings nus sur le terrain ou dans les sous-bois.
Le groupe des Psycho Fans qui même en troisième division est encore de tous les déplacements, et propose à domicile comme à l’extérieur un soutient sans faille est la marque de fabrique de cette abnégation silésienne, de ce supportérisme coûte que coûte et en toute circonstance. Mais ce soutien inconditionnel commence lui aussi à s’effriter et se lézarder peu à peu, lassitude compréhensible d’une relation devenue quasi unidirectionnelle.
Cette histoire d’amour entre un peuple, une ville et son club est donc de plus en plus compliquée. Malgré le départ de l’affable Janusz Paterman et ses méthodes brumeuses, la nouvelle direction du club semble avoir comme les précédentes du mal à assumer le poids de l’Histoire et des dettes du Ruch. Les fonds de la municipalité qui détient quasiment 40 % des Niebiescy se font attendre, ce qui entraine des délais de paiements des salaires, mauvaise habitude très polonaise. Le nouveau président n’est autre que l’ancien vice-président Jan Chrapek mais c’est un entrepreneur bien connu à Chorzów et Katowice qui revenu parmi les siens tire maintenant les ficelles.
Zdzisław Bik est un nom et un prénom qui ne vous disent certainement rien mais cet homme à la moustache Szarmachienne est le président de la compagnie Fasing S.A, leader mondial des chaines de tractions en acier et des équipements miniers. Silésie oblige, le minerai reste une trame présente dans le milieu du football de la région. Il reprend donc place au conseil de supervision du Ruch Chorzów et en devient même président le 16 juillet 2018. En businessman avisé, il va procéder à des changements drastiques pour tenter de redresser les finances du club.
Un avenir enchaîné …
Pas moins de 25 départs, majoritairement de joueurs en fin de contrat durant le mercato estival puis une petite dizaine supplémentaire lors du mercato hivernal. Dont notamment le très jeune et talentueux Mateusz Bogusz vendu à Leeds ou le travailleur et apprécié Maciej Urbanczyk parti (gratuitement) pour le Stal Mielec. L’argent doit rentrer de nouveau, les créances doivent être soldées dans les cinq ans, quitte à mettre le club sportivement en difficulté par la perte de jeunes joueurs majeurs. C’est le début de la politique de Bik, vendre pour alléger les charges et tenter de récupérer quelques zlotys ici et là.
Une politique critiquée par les supporters, voyant leur meilleurs joueurs quitter le navire un à un depuis près de quatre saisons. La deuxième phase du plan de Zdzisław Bik est simple: trouver de nouveaux investisseurs solides car la ville veut vite se débarrasser de ce club autrefois gloire municipale et régionale et depuis devenu fardeau. Le businessman fait alors jouer ses réseaux miniers à l’étranger et c’est du côté de l’Ukraine qu’il va poser ses chaines. En particulièrement en allant démarcher le Dynamo Kiev pour que le club polonais en devienne un club satellite. Il reviendra en Pologne avec une fin de non recevoir et un avenir encore plus flou pour le club.
Si la saison n’est pas achevée, le club aura pourtant vécu une véritable course d’obstacles, tous plus insurmontables les uns que les autres. Si en coulisse les heures sont graves, sur le terrain c’est la même angoisse qui transparait dans les pieds des joueurs, derniers rescapés n’écopant même plus un navire à la dérive. Même le match célébrant les 99 ans du club face au ROW Rybnik le 20 avril dernier n’avait pas la saveur festive qu’un tel évènement devrait apporter. Aujourd’hui avant dernier, relégable à deux journées de la fin il faudrait un incroyable miracle pour que le Ruch Chorzów se maintienne. Et pour l’instant force est de constater que dans l’histoire contemporaine du club les miracles sont aussi rare que les victoires.
Un centenaire au purgatoire?
C’est donc dans un silence pesant, dans un vacarme sourd que le Ruch Chorzów va probablement descendre en quatrième division après une saison compliquée commencée avec 6 points de pénalité. Encore une fois relégué bon dernier avant même le début du championnat. Triste situation d’un club où le simple fait de jouer, de supporter est devenu un combat permanent. Un combat certainement perdu d’avance au vu de la situation financière et de la mauvaise gouvernance du club, mais avant tout un combat tronqué, à armes inégales. Il est un vieux monsieur de presque cent ans, courbé et prêt à tomber, portant sa gloire en bandoulière et n’ayant plus que ses beaux souvenirs pour simple compagnon.
Mais où sont donc les voix dans les médias, à la fédération, dans les cercles footballistiques pour s’indigner de voir un grand club polonais couler ainsi? Ce club qui a fait rêver tant de pères et de grand-pères hier, ce club possédant l’un des plus grands palmarès de l’Histoire du football polonais. Ce club ayant tenu tête à Saint-Étienne avant de rendre glorieusement les armes un soir de mars 1975 sous la neige et dans le froid de Geoffroy Guichard ? Ce club étendard d’une région chahutée, déchirée. Ce club à l’identité si singulière, si polonaise.
Serce ustało pierś już lodowata, ścięły się usta i oczy zawarły; Na świecie jeszcze, lecz już nie dla świata. Cóż to za człowiek – Umarły
Le cœur déjà froid, les lèvres fermées et les yeux clos; encore présent dans ce monde mais plus pour le monde. L’homme – mort – Adam Mickiewicz
C’est un joyau de la couronne que l’on perd dans l’indifférence, c’est un monument qui s’en va dans les abysses, loin de nos yeux rêveurs. C’est une part du football polonais qui s’égare et qu’on ne reverra peut-être plus pendant longtemps, relégué au ban de celui-ci. En Pologne, les descentes sont souvent rapides et effroyables et les retours compliqués voire même impossibles. Tant de clubs redevenus poussière de par l’inaction de beaucoup et la vanité de leurs dirigeants.
Oublier le Ruch Chorzów c’est oublier qui nous sommes et qui nous fûmes. Le laisser périr c’est laisser un membre de sa famille à l’orée de ses cents ans partir sans même se retourner, sans même verser une larme contenue au coin de notre œil embrumé. C’est voir une grande et belle bâtisse s’effriter années après années sans que personne n’y prenne gare, sans que cela ne choc ou n’interpelle.
Sto lat (Cent ans) dit-on en polonais pour souhaiter un anniversaire, espérons que l’on pourra encore le célébrer l’année prochaine du côté de Chorzów. Espérons que les temps heureux reviendront et que loin du tumulte, ce grand club se reconstruise pour retrouver un jour son prestige. Espérons à défaut d’en être sûr, espérons le pour encore cent nouvelles années.
Mathieu Pecquenard
Excellent article bravo! Merci beaucoup et continuez comme ça la team footballski je me régale à chaque publication !
Excellent article bravo! Merci beaucoup et continuez comme ça la team footballski je me régale à chaque publication !
Excellent article. On lit ces lignes tel un roman d’aventure. Bravo