« Un voyage commence toujours par un premier pas. » Être invité par des amis amateurs de football à Moscou pour le week-end de Pâques était déjà une excellente première raison pour faire ma demande de visa. La perspective de voir un match de l’équipe de France quelques jours plus tôt dans le nouveau stade de Saint-Pétersbourg en était une deuxième.
De la Coupe du Monde qui se déroulera en Russie en juin prochain au final on aura entendu parler des stades, pas tous finis et au coût exorbitant pour certains (dont ce fameux stade de Saint-Pétersbourg). On aura également surtout entendu parler ces derniers temps des remous diplomatiques entre l’Angleterre et la Russie, des inquiétudes concernant la sécurité, de la difficulté d’obtenir des billets pour les matchs. Mais sur place qu’en est-il vraiment ?
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Avec ce match contre l’Equipe de France, la Russie clôturait un cycle de rencontres de prestige (contre le Brésil, l’Espagne, l’Argentine entre autres) qui avait des allures de grande retraite pour les coéquipiers d’Igor Akinfeev, à la différence que Vladimir Poutine ne devrait pas incendier Moscou en cas de catastrophe en juin prochain. Alors à quoi peuvent s’attendre les supporters se rendant en Russie, et surtout qu’attendent les Russes de cet événement mondial ? À un peu plus de deux mois du coup d’envoi de la Coupe du Monde, ce dernier match offrait ainsi la possibilité de prendre l’air du temps, à travers quelques notes de printemps sur impressions d’hiver.
Grand bleu sur Saint-Pétersbourg
Ce mardi 27 mars commençait de la meilleure des manières. Le temps grisâtre et le vent maritime qui recouvrait l’ancienne Leningrad depuis quelques jours se sont levés et laissent la place à un magnifique ciel bleu d’hiver. Un temps qui n’empêchait pourtant pas les amateurs de football de pratiquer leur passion le dimanche précédent. Des températures négatives et un terrain couvert de neige, au fond, quoi de mieux pour taper un foot entre potes dans un parc ?
Mais, fin du mois de mars oblige, qui dit ciel bleu dit également température polaire à prévoir, avec un petit -11° au thermomètre au lever du lit. Qu’importe, Saint-Pétersbourg offre ce matin son plus beau visage, les monuments aux tons pastel, l’église Saint-Sauveur sur le Sang Versé, les canaux et la Neva gelés, tout cela prend une autre dimension, comme vue à travers une boule de cristal. Mais assez de rêveries il est déjà temps de rejoindre mes deux amis russes venus spécialement de Moscou pour le match. Le temps d’avaler quelques pelmenis, il est temps de se mettre en route pour le stade, et pour se réchauffer quoi de mieux qu’une petite marche le long de la Neva ? Une marche qui se prolongera pour aller saluer l’ancien stade Petrovski, avant de se rendre compte que l’heure défilant il valait mieux prendre le métro pour les deux stations restantes pour arriver au nouveau stade, situé sur une île au Nord Ouest de la ville.
Nous voici donc arrivés en face du stade, sa silhouette de soucoupe volante se dessinant déjà au bout de la très longue allée qui y mène, à travers les arbres du parc Primorsky. Le mètre de neige sur les pelouses autour de nous, le ciel bleu et les 3 centimètres de verglas qui recouvre le chemin déjà arpenté par des milliers de supporters rend le trajet – qui prend tout de même 20 bonnes minutes à pied – particulièrement agréable. L’ambiance est très bon enfant, détendue, et la sono délivre la discographie intégrale de Shakira. Arrivé au stade et à ma surprise le contrôle de sécurité est plutôt rapide. On vérifie juste que mon téléphone est bien un vrai et qu’il est allumé et pour le reste on ne me demande même pas mon passeport. C’est ici qu’il me faut malheureusement quitter mes camarades, installées dans un autre secteur de la tribune. Il reste encore 20 minutes avant le coup d’envoi, il est alors grand temps d’explorer ce vaisseau d’acier et de béton de l’intérieur.
Recueillement et long silence
Première bonne surprise, la coursive d’où l’on peut accéder aux gradins est chauffée, et résonne des discussions pétersbourgeoises de ceux qui ont eu la bonne idée de venir en avance au stade, partager un thé ou une Baltika avant le match, le tout installé sur des…barils de pétrole siglés Gazprom, le sponsor omniprésent ici. À peine le temps de sortir un billet de 100 roubles pour un thé que l’heure du coup d’envoi s’approche dangereusement. Installé au dernier rang de la tribune latérale la vue plongeante est spectaculaire, mais permet de constater que quelque chose cloche dans les tribunes. À 5 minutes à peine du coup d’envoi il ne doit pas y avoir plus de 5000 personnes éparpillées sur les sièges bleus. Une fois les musiques commerciales terminées, et juste avant l’entrée des joueurs et les hymnes, c’est un silence pesant qui règne dans la forteresse bleue du Zenit, impression encore renforcée par le toit fermé et le chauffage qui plonge le public dans une véritable léthargie. Pour peu j’aurais envie de mettre mon téléphone sur silencieux pour ne pas déranger la séance. Un moment de silence encore plus solennel, après des hymnes parfaitement respectés, avec une minute en hommage aux victimes du terrible incendie dans un centre commercial de la ville de Kemerovo en Sibérie qui s’est produit quelques jours plus tôt.
Enfin le match peut commencer, sous les encouragements d’abord timides puis un peu plus pressants du public russe, qui doit malheureusement se contenter de scander « Rossiya, Rossiya ». Il faut dire que le spectacle n’est pas vraiment au rendez-vous sur ce début de match. L’intensité de la part des deux équipes se trouve au point mort, et le trio d’attaque français, sensé dynamiter la vieillissante défense russe a beaucoup de mal à se trouver au milieu du système à trois défenseurs. Il faut alors attendre la 14e minute pour voir une première occasion franche de la Sbornaya, par l’entremise de Dzagoev qui délivre un centre en retrait pour Smolov dont la reprise à ras de terre est bien détournée par Lloris. Mais la domination penche plutôt du côté français, avec une reprise de Mbappé consécutive à une frappe ratée de Martial, le tout bien repoussé par Lunev, le gardien du Zenit Saint-Pétersbourg qui avait donc le droit d’évoluer à la maison. Peu avant la mi-temps, les offensives françaises se voient finalement concrétisées grâce à une belle passe en profondeur de Pogba, qui prend de vitesse Granat et permet à Mbappé d’ajuster Lunev après une merveille de crochet. Un spectacle qu’aura probablement manqué la moitié du public, qui commence à enfin doucement remplir le stade aux alentours de la 30e minute, la faute à des contrôles de sécurité qui se seront complètement laissés submerger à l’approche du coup d’envoi.
Cris et châtiments
C’est déjà la mi-temps et l’occasion de profiter des dernières heures du jour pour savourer la vue sur Saint-Pétersbourg depuis la coursive supérieure où se trouvent à intervalle régulier des buvettes qui proposent boissons et quelques snacks à des prix et pour une qualité très correcte. L’occasion également de finir mon café en profitant des derniers rayons de soleil qui teintent le toit de couleurs roses pales du plus bel effet, avant que Paul Pogba, d’un maître coup-franc ne vienne réveiller le public russe, qui applaudit de façon très fair-play le geste du milieu français.
Résignés sur le niveau de leur équipe, les supporters de la Sbornaya se muent progressivement en spectateurs, profitant des entrées successives des stars françaises pour faire chauffer leur smartphone. Griezman en particulier a droit une véritable ovation lors de son entrée en jeu. Son visage placardé dans tout Saint-Pétersbourg à côté d’Igor Akinfeev annonçait d’ailleurs l’accueil qui allait lui être réservé. À peine entrée c’est d’ailleurs lui qui se charge de tirer un coup franc aux abords de la surface russe, le moment que choisissent tous les fans pour immortaliser ce moment, produisant une nuée de petites lucioles avec leurs flashs à travers tout le stade. Olivier Giroud lors de son entrée, Pogba et Mbappé à leur sortie bénéficieront du même traitement du public. Une attitude malheureusement gâchée je l’apprendrai le lendemain par les cris racistes de quelques spectateurs au bord du terrain à l’encontre d’Ousmane Dembélé. Cruel décalage entre ce qui sera retenu par la suite dans les médias français et l’attitude générale du public russe, très enthousiaste et respectueuse dans l’ensemble par rapport à une équipe considérée comme une des favorites du prochain mondial.
Le but de Smolov à la 68e permet enfin au public d’exulter pour un instant, laissant libre cours au speaker du stade de faire ovationner FedoRRRRRRRR Smolov. Enfin Kylian Mbappé clôturera la partie après un joli slalom dans la défense russe avec force passements de jambes avant de laisser Lunev sur les genoux. 3-1 score logique et spectacle plutôt plaisant au final, avec un public qui aura quasiment rempli tout le stade au bout d’une heure de jeu enfin. Un public qui sort finalement résigné de ce stade, heureux d’avoir vu au moins un but de Smolov et quelques actions de classe de Mbappé et Pogba. Pour le reste il est déjà acquis que sortir des poules lors de cette coupe du monde serait une belle performance.
C’est là le goût d’amertume qui me reste de ce match. Le manque de confiance du public russe envers son équipe, public qui semble-t-il rencontre beaucoup de difficultés à accéder à la catégorie de billets qui lui est réservé (parmi tous mes contacts russes aucun n’a réussi à avoir encore une place par ce biais, ni ne connait un russe qui a réussi…), laisse entrevoir une forme de désintérêt pour l’événement de juin prochain, d’autant plus si la Russie ne sort pas des poules. Le tout conjugué à la difficulté d’entrer en contact avec des Russes sans parler la langue risque bien de créer quelques frustrations chez les fans venus du monde entier. Si cette barrière m’a semblé si importante à Saint-Pétersbourg puis à Moscou, comment peut-il en être autrement à Saransk, à Nijni-Novgorod ou à Volgograd ? S’il ne devait y avoir aucun problème de sécurité, le vrai risque de cet événement réside plutôt dans le fait que la « grande fête du football » devrait se concentrer avant tout dans les fans-zones, le reste de la population russe continuant à vaquer tranquillement à ses occupations en se tenant au courant des résultats par internet.
Les notes Footballski :
Standing du stade (4/5) :
Connu pour être le stade le plus cher du monde (plus d’un milliard d’euros) le stade en impose de par sa position, au bord du golfe de Finlande et la disposition des gradins qui offre une vue plongeante sur le terrain. Le toit rétractable est un élément qui donne au stade son standing, mais on a du coup parfois l’impression de se retrouver dans une salle de handball plus que dans un stade quand le public est aussi calme que ce soir-là.
Disponibilité des billets (5/5)
Billets mis en vente deux mois avant le match, accessibles sur internet sans aucun problème, réservés en deux clics (et un peu de Google translate).
Tarifs (4/5)
1200 roubles (17€) pour une place en tribune latérale, et des prix d’entrée à 600 et 900 roubles en virage (8/12€). Des prix tout à fait raisonnables pour un match international de ce standing.
Ambiance (3/5)
Difficile de se prononcer sur ce point étant donné que le stade est resté à moitié rempli une bonne moitié du match, la faute je l’apprendrai le lendemain à des contrôles de sécurité qui se sont totalement engorgés à un moment et ont mis une éternité à se résorber. Le tout conjugué à un public très familial, peu habitué il me semble à animer des tribunes de stade font que l’ambiance est restée assez morne, avant de se réchauffer en seconde mi-temps. Les quelques « Rossiya Rossiya » qui raisonnaient lorsque le stade était plein me font penser qu’un match du Zenit doit être bien plus intéressant.
Risques (5/5)
Un déploiement de policiers assez peu impressionnant, mais échelonné tout le long du parcours jusqu’au stade. Si à un moment vous pensiez y trouver du laxisme, les quelques camions antiémeutes stationnés et les portiques détecteurs de métaux vous font rappeler que vous êtes bien en Russie.
Accessibilité et transports (2/5)
En soi le stade est plutôt bien connecté (si tant est que vous aimez bien marcher). La station de métro qui vous emmène en dix minutes au centre de Saint-Pétersbourg se trouve à l’entrée du parc et vous n’avez plus qu’à marcher tout droit pour arriver au stade. Les choses se compliquent au retour, les autorités ayant décidé de fermer la station pour éviter la cohue…Vous voilà à marcher 15 minutes de plus pour récupérer une navette de bus avec quelques milliers de personnes autour de vous, le tout en essayant de ne pas se faire écraser par lesdites navettes. Navette qui vous emmène vers une autre station de métro, forcément engorgée elle aussi avec les flots de spectateurs qui arrivent en flux continu…Au final 2h pour rentrer au centre de Saint-Pétersbourg en ayant enchaîné 30 minutes de marche + navette + bus local.
Conseil à ceux qui viendraient donc pour la Coupe du monde : venez en avance au stade, profitez du parc, des bords de la Neva et ne prévoyez rien d’urgent après le match, d’autant qu’à cette période (Saint-Pétersbourg étant située tellement au Nord en latitude) la nuit semble ne jamais tomber.
Boissons (4/5)
Un très bon point, étant donné que pour ce type de match on pourrait s’attendre à ce qu’un paquet de chips et un coca vous coûtent aussi cher que le billet. Eh bien non : 200 roubles (moins de 3€) le hot-dog, hamburger ou « french-roll » (sorte de croisement incestueux entre le hot-dog et la galette saucisse), 100 roubles le café ou thé (1,4€), même pour les standards russes on est sur des prix relativement corrects.
Quartier environnant (4/5)
L’immense par Primorski vous accueille dès la sortie du métro et jusqu’au stade, un cadre qui pourrait être plus désagréable. Un parc d’attractions, un mini-zoo et quelques « plages » au bord de l’eau sont présents. Pour le reste, vous êtes à quelques stations de métro du centre (lorsque celles-ci sont ouvertes…)
Pour aller plus loin : Tous nos articles sur le Mondial 2018
Antoine Gautier
Photo de couverture : © Footballski