Le 27 février 2016, soit deux ans jour pour jour, Nicolas Diguiny était en plein cœur de sa deuxième saison à Panthrakikos, modeste club de Superleague où il n’était que très rarement payé. Maintenant, il est titulaire indiscutable à l’Atromitos, parti pour se qualifier pour l’Europe. À 29 ans, en fin de contrat en juin, il réalise l’une de ses exercices les plus aboutis. L’occasion d’aller (re)prendre de ses nouvelles.
Lors de la dernière interview, tu étais alors à Panthrakikos, déjà en Superleague. Comment as-tu atterri à l’Atromitos ?
Ils étaient simplement intéressés par moi, et ils ont voulu me proposer un contrat. Quelque chose de très classique, en somme. Pas mal de clubs grecs étaient sur les rangs, mais je pense que pour moi, l’Atromitos était le meilleur projet.
Qu’est-ce qui a motivé ton choix ?
Déjà, c’était un des meilleurs clubs. Ensuite, l’Atromitos est situé à Athènes, et c’est quelque chose d’important en Grèce par rapport à l’exposition, sachant que c’est une équipe qui peut jouer l’Europe. Donc il y avait plusieurs facteurs comme ça qui ont fait que j’ai fait mon choix dans ce sens. Il y avait également une bonne réputation au niveau des paiements, et forcément, ça rentre dans les décisions.
Au niveau des salaires, justement, as-tu fait une croix sur ce que te devais Panthrakikos ?
On a fait une croix dessus depuis qu’ils ont liquidé le club et que le président a disparu. Il n’y avait rien au nom de personne. Aucun joueur n’a récupéré l’argent et on s’est assis dessus.
Tu évoquais le fait que rester en Grèce n’était pas forcément une priorité pour toi. Qu’est-ce qui t’as fait changer d’avis ?
Le fait que ce soit une équipe qui venait de jouer l’Europe et qui était sûre financièrement m’a fait rester. Il y avait plusieurs autres formations, mais elles auraient été risquées financièrement. Le projet sportif s’est allié avec la sécurité financière : il n’y avait plus de problème pour rester en Grèce.
Quand tu es arrivé, tu as découvert un club bien plus structuré ?
Oui, évidemment, ça n’avait rien à voir. C’est un club professionnel, avec de bonnes installations. Il y a des objectifs, de l’ambition. Panthrakikos, c’était un club qui était là, et qui était géré… pas d’une façon amateure, mais presque.
Tu démarres la saison 2016-2017 titulaire, tu joues 70 minutes, et après, tu te blesses. Que s’est-il passé ?
J’avais déjà mal pendant tout le mois d’août, et sans trouver la solution, on a forcé pour voir si cela passait. Ce n’est pas passé. J’ai traîné ça – une pubalgie qu’ils ont mal diagnostiqué à chaque fois – jusqu’à me faire opérer en janvier.
Comment as-tu vécu ces longs mois loin des terrains, au moment même où tu avais franchi un palier sportif ?
J’étais frustré, et en même temps, c’était très dur mentalement, parce que ce n’est pas comme si je savais ce que j’avais. Ce n’était pas clair : personne ne me disait ce dont je souffrais réellement. Je savais que j’avais mal, que je ne pouvais pas jouer. Je leur disais que j’avais une pubalgie, ils me disaient que non, que ce n’était pas ça. Ils m’ont fait faire une arthroscopie de la hanche, et j’ai perdu du temps. Je suis revenu, mais j’avais encore mal. C’était difficile, parce que j’avais envie de passer une étape, montrer ce que je pouvais faire dans un meilleur club. Mais ce n’était pas possible.
Le fait d’être à Athènes, ça peut aussi aider à atténuer un peu ces difficultés, non ?
C’était un peu plus facile au niveau de la vie en dehors. Ça permettait de ne pas penser qu’à ça. Dans mon ancien club, au fin fond de la Grèce, tu n’as rien d’autre à faire que penser au foot et quand tu ne joues pas, c’est compliqué. Athènes, c’est une ville où il y a des occupations. On va dire que c’est la belle vie, donc cela permet de relativiser un peu. Mais ça restait très dur : moi, je suis là pour le football, pas pour autre chose.
Le 27 février 2017, tu effectues ton retour officiel en Superleague, et tu marques juste après ton entrée en jeu, contre Veria. Les problèmes étaient enfin derrière toi ?
Oui, complètement. De toute manière, à partir du moment où je me suis fait opérer et qu’on avait vraiment diagnostiqué le problème, j’avais déjà laissé tout ça derrière moi. Je me concentrais juste sur ma reprise pour revenir le plus tôt possible. Forcément, quand j’ai marqué, ça m’a fait du bien. Le fait de le faire lors de mon retour, sur le premier match, ça a fait un déclic mentalement, parce que j’avais encore des douleurs à ce moment là. Ça permet de passer au-dessus de tout ça, et de voir le côté positif.
La pubalgie, c’est la pire des blessures pour un footballeur ?
Non, je ne pense pas de nos jours. Peut-être avant, il y a 10 ou 20 ans. Juste, le problème, c’est de savoir si la pubalgie est réellement ton problème, déjà. Ici, ça a été le gros problème. Ensuite, on essaie souvent de passer cette blessure sans se faire opérer. Moi j’ai forcé, insisté sur les gainages. Pendant un, deux ou trois mois, tu tentes de passer outre l’opération, et c’est ce qui fait perdre du temps.
Mais en soi, quand tu te fais opérer, c’est assez rapide derrière : tu reprends l’entraînement en un mois. Il y a quelques petites douleurs qui restent, et il faut faire attention pour la suite, mais c’est assez rapide. Je pense que c’est beaucoup plus simple qu’un croisé, par exemple. Je préfère largement avoir une pubalgie de nos jours qu’un ligament ou me casser une jambe.
D’un point de vue collectif, votre saison de l’an dernier a été un peu en-dessous des attentes. Comment l’expliques-tu ?
C’est difficile, parce que je n’étais pas sur le terrain. J’ai joué seulement les dix derniers matchs, dont six comme titulaire. D’un point de vue interne, il y avait de la qualité dans l’effectif quand même, mais beaucoup moins que cette année. Peut-être une moins bonne osmose, aussi. C’est un tout.
Il y avait aussi l’instabilité au niveau des coachs, non ?
Ça, c’est la Grèce. Si les résultats ne suivent pas, le coach change facilement. Mais je pense qu’avec un bon groupe, qui s’entend bien et qui est de qualité, même si l’entraîneur part, les objectifs auraient été remplis quand même. Il manquait plusieurs choses, mais je ne saurais pas te dire lesquelles dans le détail.
Tu as également pu découvrir Ricardo Sa Pinto, désormais du côté du Standard de Liège, en Belgique. Ce caractère explosif, il l’avait déjà à l’Atromitos ?
Oui, il a été comme ça tout au long de sa carrière, et je ne pense qu’il ait changé en venant chez nous. Après, c’est son caractère : c’est un gars qui a du tempérament. Avec nous, il n’y a pas eu de gros problèmes. Chaque coach a sa personnalité. Il est connu et réputé pour cela, et les gens en parlent, parce que c’est un peu différent, mais il n’a rien d’incroyable.
Il y avait aussi Alexandros Katranis, qui était parti à Saint-Étienne, où il ne joue presque jamais. Que penses-tu de son évolution ?
Pas grand-chose. Katranis avait fait très peu de matchs ici, et je pense que Saint-Étienne le suivait en équipe nationale, avec les jeunes. C’est un jeune qui avait très peu d’expérience au niveau professionnel, il n’avait dû faire que 15 matchs, à peine. Notre arrière gauche, Bíttolo, était parti à la trêve et il a eu le champ libre pour jouer. Après, il a fait de bonnes performances mais il manquait d’expérience. Donc ce n’est pas étonnant qu’il ne joue pas en Ligue 1, parce que ça n’a rien à voir avec la Superleague. Mais il lui faut du temps pour progresser sur pas mal de niveaux. Il en a les moyens. Mais le saut de 14 matchs en D1 grecque, dans un groupe de milieu de tableau, et jouer directement à Saint-Étienne, je pense qu’il y a un très gros écart. Il doit passer par des étapes avant de s’imposer là-bas.
Pour en revenir à l’Atromitos, qu’est ce qui a changé cet été ? La qualité du groupe, dont tu parlais ?
Je ne sais pas. J’ai dit que, peut-être, c’était la qualité, ou l’osmose, mais il y a pas mal de choses. Après, le groupe a totalement changé, avec une quinzaine de nouveaux joueurs. Donc pour répondre à la question, ce serait tout. Quasiment tout a changé par rapport à l’année dernière. On est reparti à zéro, et le début a été un peu moyen, avant que ça ne se passe bien. Il y a une très bonne entente au sein de l’équipe, une bonne atmosphère, et ça joue aussi. Il y a eu un bon recrutement. Mais on ne peut pas dire que ce soit précisément à cause de, ou grâce à ça. Le football, c’est compliqué…
Damar Canadi, votre entraîneur autrichien, n’est pas très connu. Que peux-tu nous dire sur son style de management ou ses idées tactiques ?
Comme tous les entraîneurs qu’on a eus, chacun a sa personnalité. Il est assez normal, sans être excentrique ou quoi que ce soit. Il a sa façon de faire, sa logique. Je pense que c’est surtout une bonne personne, et, en dehors du foot, c’est un homme bien. Ça se ressent dans sa manière d’aider le groupe, et peut-être que ça aide.
Tu pointais le mercato estival : pas mal de joueurs sont arrivés en prêt des gros clubs. On sent que ça vous aide pour ce petit saut qualitatif que tu évoquais.
Oui, mais que les joueurs soient prêtés ou pas, ça ne change pas grand-chose, parce qu’ils jouent avec nous. Mais comme tu le dis, je pense qu’on a fait un bon recrutement cette année, et de bons joueurs sont arrivés pour apporter de la qualité, que ce soit ceux qui sont prêtés, mais aussi ceux qui ont signé.
Il y notamment Amr Warda, prêté par le PAOK, et qui semble aussi talentueux qu’imprévisible…
C’est un joueur qui a beaucoup de talent et de possibilités, mais après, il faut qu’il sache se canaliser, rester concentré. Il est encore jeune. Il a beaucoup de qualités individuelles, et quand il arrive à les mettre au service du collectif, c’est très intéressant pour le groupe. Quand il arrive à rester concentré dans ses matchs, c’est un élément qui a beaucoup de potentiel. Mais je ne suis ni coach, ni recruteur pour pouvoir juger plus que ça. C’est mon coéquipier, on se bat ensemble tous les jours pour le même objectif et je suis content de l’avoir dans l’équipe, parce qu’il nous apporte beaucoup.
D’un point de vue personnel, tu es titulaire et décisif : est-ce que tu vis la saison la plus épanouissante de ta carrière ?
(Il réfléchit). Je ne sais pas, c’est difficile à dire. Moi, je prends les choses par rapport à cette saison, simplement. Je me sens bien, je joue, je suis titulaire, et l’équipe tourne bien. Je suis décisif, j’ai de bonnes stats, donc tout va bien. C’est vrai que c’est une de mes meilleures saisons, mais en même temps, je suis dans l’un de mes meilleurs clubs d’un point de vue place dans le championnat. Peut-être que si j’avais joué dans un club comme Reims, en Ligue 2, j’aurais pu faire une saison comme ça, mais je jouais le maintien à Vannes, donc c’est un peu différent, parce que tu défends tout le temps, tu attaques moins.
Là, c’est une équipe qui joue plutôt le haut de tableau, donc c’est beaucoup plus simple d’avoir des statistiques que quand j’étais à Panthrakikos, par exemple. J’ai fait aussi de bonnes saisons à Panthrakikos, mais maintenant, c’est un peu plus simple pour moi, parce qu’on a un peu moins de défendre, et on attaque un peu plus. Il y a plus de qualité autour.
Tu avais fait mention, dans la première interview, de tous les sacrifices que tu avais fait lors de ton arrivée en Grèce. Ça a payé ?
Ça avait déjà payé au moment où j’ai signé à l’Atromitos. Mais je savais que ce n’était pas fini, parce que j’avais envie d’avoir encore plus, si on peut dire ainsi. Ça a payé, et je travaille encore pour que ça continue de payer, parce que je ne compte pas m’arrêter là.
Vous êtes quatrièmes, avec une belle avance sur le cinquième : comment vois-tu la fin de saison ?
Comme tu le dis, on a pas mal d’avance donc si on est sérieux, et qu’on continue de travailler de la même façon, je pense que ça pourra peut-être le faire pour accrocher une place européenne. Il faut juste qu’on reste concentré : il n’y a pas de raison qu’on ne se qualifie pas. C’est ce qui nous anime depuis le début, depuis la préparation. L’objectif, c’était d’aller en Europe. On en parlait entre nous, ou avec le coach. Forcément, c’est ce qui nous anime au quotidien. Mais pas seulement maintenant.
Tu es en fin de contrat en juin, à 29 ans. Comment analyses-tu la situation : tu as envie d’une belle prolongation, ou tu te dis que c’est une fenêtre de tir qui s’offre face à toi ?
Pour l’instant, je n’y pense pas trop. En effet, deux choses sont envisageables : peut-être une belle prolongation, ou une belle opportunité ailleurs. Mais il reste encore huit matchs (sept, après celui terminé hier sur un score nul 1-1 face à l’AEK), et on n’est qu’en février, donc il y a encore beaucoup à faire et de quoi accomplir d’autres choses. Il faut rester concentré, et on verra bien ce qui se passera d’ici deux mois.
Tu en es à ta quatrième saison en Grèce. Est-ce que tu as pris goût à l’étranger, ou est-ce que la France te manque ?
L’étranger, si j’y suis resté, c’est que j’y ai pris goût. Par rapport à ma propre carrière, la France ne me manque pas. Le National, la Ligue 2, ça ne me manque pas par rapport à ce que je fais en Grèce en ce moment. Et par rapport à l’année prochaine, je n’ai pas d’objectif particulier, que ce soit rester en Grèce ou aller dans tel ou tel pays. Dans le football, on sait très bien qu’en une semaine, on peut changer d’endroit. On a l’habitude d’être dans cette situation, et on sait qu’il ne faut pas trop y réfléchir tant que ce n’est pas encore l’heure.
Du côté de la vie hors-football, tu es pleinement intégré au pays, maintenant, non ?
Oui, après quatre ans, quand même (rires). Forcément, je me suis intégré assez rapidement, de toute façon. Déjà la dernière, fois, je te disais que j’étais pleinement adapté, et que la vie ici me plaisait. Je me sens bien, la vie à Athènes est plaisante, donc il n’y a pas de souci à ce niveau-là.
Pour évoquer le championnat, on a l’impression que ce sera l’année où l’Olympiakos ne sera pas champion. Comment juges-tu cette édition 2017-2018 de Superleague ?
Quand tu vois ça de l’intérieur de la Grèce, il y a pas mal de raisons, mais je n’ai pas envie de toutes les évoquer. Mais d’un point de vue qualitatif, l’AEK et le PAOK en ont au moins autant que l’Olympiakos, donc c’est sûr que c’est un championnat qui s’est plus équilibré au niveau du haut de tableau. Cela fait des années que le PAOK met beaucoup d’argent pour essayer de gagner de la championnat, donc c’est normal qu’ils s’améliorent. L’AEK est redevenu une équipe de tête, et ils ont des objectifs. Il y a trois ans, quand ils sont remontés de D2, ce n’était pas encore ce qui était affiché. Maintenant, on sent que c’est beaucoup plus clair, et l’effectif est beaucoup plus large que les années précédentes.
À l’Olympiakos, je pense qu’ils ont raté leur recrutement sur pas mal de points, donc ça ne m’étonne pas. Après, tu ne peux pas tout le temps être premier, ou trouver les façons de l’être. Parfois, ça ne marche pas. Ça fait partie du football.
Par rapport à ton arrivée en Grèce, est-ce que tu as pu voir certaines évolutions dans le championnat, qu’elles soient positives ou négatives ?
Oui, il y a un peu plus de compétition en haut, parce que cette année, le problème est que le Panathinaïkos a, pour plusieurs raisons, totalement raté sa saison. Ça a enlevé un peu de concurrence. Par rapport aux autres années, la Superleague se joue entre trois équipes, et bientôt presque deux, alors qu’avant, c’était quasiment réglé à ce moment de l’année.
Sur cette fin de saison, et pour la suite, que peut-on te souhaiter ?
Collectivement, de finir la saison comme on est en train de la faire, c’est à dire à une place européenne. Si on peut être troisième, pourquoi pas ne pas s’en priver. Sinon, personnellement, de continuer sur ma lancée et à être décisif.
Martial Debeaux
Image à la une : THOMAS BREGARDIS / AFP