Natif de la capitale, Mamary Traoré a effectué toute sa formation dans l’Hérault, à Montpellier. International malien, avec lequel il a pris part à la CAN 2004, le défenseur a surtout connu les joies de la deuxième division grecque dans le milieu des années 2000. Entre retards de salaire, amateurisme, expériences de vie et entrepreneuriat, il raconte une carrière riche en expériences.

Comment en es-tu venu au football ? C’était quelque chose de naturel pour toi ?

Naturel, oui. Depuis mon plus jeune âge, j’ai joué au football, parce que c’était le sport le plus facile à pratiquer. J’étais un vrai passionné de foot, quoi. On jouait en bas de chez nous, au quartier, avec les grands. C’était le sport national.

Tu es natif de la région parisienne, mais formé à Montpellier. Comment es-tu arrivé là-bas ?

J’ai commencé à jouer à l’Entente Sannois-Saint-Gratien, dès l’âge de 10 ou 11 ans. J’y suis resté quelques années, jusqu’en minimes. Après, j’ai été du côté de Saint-Leu-la-Forêt, et de là, je partis faire des détections à Sedan. J’y suis resté deux ans, et Montpellier est venu me recruter lors d’une coupe nationale avec la région Champagne-Ardenne à Vichy.

Quels souvenirs gardes-tu de ton passage à Montpellier ?

De très bons souvenirs, avec des gens qui venaient de partout. Mais surtout, une bonne formation au niveau école de foot, comparé à moi qui arrivais de Sedan, un club de D2 qui venait de descendre en National. Ce n’était pas les mêmes structures, on n’était pas aussi nombreux, et au niveau des équipements, c’était un petit peu difficile. À Montpellier, j’étais dans les meilleures conditions pour pouvoir apprendre à jouer au football.

La belle époque des équipes de jeunes.  

Quels étaient les joueurs marquants avec toi à cette époque ?

Je dirais Ahmed Madouni, Rémy Vercoutre, Habib Bamogo, Fodé Mansaré, Éric Gueï, ou encore Nabilaye Koité, qui est un ami de cette génération, mais qui s’était blessé. Il était prometteur, mais il n’a pas eu de chance. Il y avait pas mal de monde. À l’école de foot, quand j’y étais, la personne qui était vraiment au top à Montpellier, c’était Ibrahima Bakayoko.

Tu évoluais déjà en défense centrale à ce moment-là ?

Quand je suis arrivé en provenance de Sedan, j’étais milieu défensif. De là, Mama Ouattara, et Fleury Di Nallo, les entraîneurs, m’ont essayé au poste de défenseur. Et j’y suis resté.

De Montpellier, tu mets le cap vers le Portugal, à Naval 1º de Maio. Comment, et pourquoi ?

C’est toujours la difficulté au centre de formation. Un écolier révise, apprends ses leçons, et quand il va à son examen, s’il a bien fait son travail, il le réussit. Mais au foot, cela se passe autrement : tu peux être bon, mais ne pas signer pro. Je me suis retrouvé avec Nabil Baha, qui était de ma génération, en fin de saison, et le club me dit, après quatre ou cinq saisons, qu’ils ne renouvellent pas mon contrat. Là, je rencontre un agent qui nous facilite une opportunité au Portugal, à Naval. Et c’est comme ça que j’ai signé mon premier contrat professionnel, en D2 portugaise.

Ne pas rester à Montpellier fut un gros regret pour toi ?

Il y avait la solution de persister, et croire encore au rêve professionnel, ou la solution de jouer avec les clubs locaux, sur lesquels on est souvent orienté. C’est à dire les équipes de DH, qui ont la liste des joueurs qui ne signent pas pro. Mais avec Nabil, on avait mis une croix sur ces options. On avait privilégié le contrat professionnel. On a rencontré un agent qui avait des connexions au Portugal, et cela nous a permis d’y signer trois ans.

Mamary Traoré, avec le joli maillot rouge et blanc de l’Ethnikos Asteras.

Comment c’était, le Portugal ?

(Il souffle). On arrive de Montpellier, club de D1 en France. Au centre de formation, on était habitué à certaines choses, à un certain cadre. On arrive au Portugal dans une équipe avec des étrangers, on est pro, mais ce n’était pas comme on le voyait. Il y avait des retards de paiement, certaines choses propres à ce pays, cette division ou à ce club. Des difficultés que l’on retrouvait sur le terrain, et on était toujours obligé de faire intervenir l’agent, que ce soit par rapport au financier ou autre. Ce n’était pas évident, et en plus, je me blesse avant de me faire opérer. Mais dans tout ça, on en tire quand même une expérience positive.

Le fait que tu aies été blessé explique ton temps de jeu réduit ?

Je ne dirais pas que c’est la blessure, mais, à cette époque-là, les choix de l’entraîneur. C’est pour ça que ne je n’ai pas beaucoup joué, et après, je me suis retrouvé carrément en différent avec le club. Quand j’étais blessé, ils en ont profité pour me dire qu’ils ne comptaient plus sur moi. Ils m’ont mis un peu la pression pour que je résilie mon contrat et que je n’en demande pas l’intégralité.

Du coup, quand l’offre de Grenoble s’est présentée, tu n’as pas hésité ?

J’avais résilié mon contrat avec Naval, et je n’avais donc plus de club. En parallèle, j’étais en rééducation, au Cap d’Agde, où je m’entraînais. Mon agent avait mis en place une structure avec des kinés, et j’allais quand même en équipe du Mali, parce que j’avais un match de programmé à la fin de la rééducation. À l’époque, Sochaux était intéressé, et je suis allé faire un essai là-bas, mais ça n’a pas été concluant. De là, mon agent m’a orienté vers Grenoble, qui avait un projet pour monter en première division et qui avait fait une grosse équipe. J’ai plus ou moins clôturé leur recrutement. Il n’y avait pratiquement que des gros noms, que ce soit Agboh, Jay, Dalmat, et moi, j’arrivais de deuxième division portugaise : je n’étais pas comme eux. Ils avaient tous, plus ou moins, une expérience en première division.

Qu’est-ce que tu en gardes de ce passage ?

Quel souvenir j’en garde ? Certains choix. J’étais jeune, et quand j’ai commencé à jouer, il y a l’équipe nationale qui s’est présentée. Il y avait un choix à faire, et j’ai fait celui d’aller en sélection. À mon retour, j’étais dans l’équipe réserve. Ça s’est passé comme ça, mais je ne regrette rien. C’est normal de vouloir jouer pour son pays, le représenter lors d’une Coupe d’Afrique. Ce sont des choses qui font rêver. L’opportunité s’est présentée, et voilà.

En D2 grecque, le Franco-Malien a à peu près tout connu. Le bon, et le moins bon.

Tu évoques cette CAN 2004. Ce fut une expérience unique, non ?

Très belle expérience, avec les joueurs, l’ambiance. C’était aussi un moment très particulier, parce que je me suis retrouvé avec Nabil Baha, avec qui je n’avais pas été gardé à Montpellier, en demi-finale, lui avec le Maroc, moi avec le Mali. Il y avait aussi ce côté-là de retrouver un ami avec lequel j’ai partagé des difficultés. On a fait la demi-finale l’un contre l’autre, et il l’a gagnée 4-0. Il y avait aussi tous les joueurs que j’ai eu la chance de côtoyer, comme Kanouté, Seydou Keita, Mahamadou Diarra, ces grandes stars du football africain. Ce ne sont que de bons souvenirs.

À l’été 2005, tu signes à Proodeftiki, en D2 grecque. Tu as saisi une opportunité ?

Je pense que tu connais la personne qui a fait la transition : Alain Raguel, qui jouait au Panathinaïkos. On avait un ami en commun, et de là, il m’a proposé, parce que c’est quelqu’un de vraiment hospitalier. J’étais sans club, et il m’a soumis l’idée de venir en Grèce. Je suis parti là-bas, puisqu’il m’avait mis en contact avec certaines personnes, et j’ai effectué des essais. Dans un premier temps, à Kallithea, ça a été concluant, mais on n’a pas pu trouver de terrain d’entente. De là, on m’a redirigé vers un autre club, à Proodeftiki, en deuxième division, à Athènes.

On a discuté avec Alain Raguel, ancien joueur du Panionios et du Panathinaïkos – Partie 1

On a discuté avec Alain Raguel, ancien joueur du Panionios et du Panathinaïkos – Partie 2

Comment c’était, que ce soit sur le terrain ou en dehors, par rapport à tout ce que tu avais connu ?

Comment je pourrais dire ça ? D’un côté, je dirais que la personne qui arrive à jouer au football en deuxième division en Grèce pourra s’en sortir partout. Quand je dis ça, c’est qu’il n’aura pas de difficulté à s’adapter au championnat anglais, espagnol, ou quoi que ce soit. Les conditions à Proodeftiki étaient vraiment loin de l’image que je me faisais du professionnalisme. Il y avait certaines choses qui étaient vraiment propres au pays. Après, on est là et on s’adapte, on n’a pas trop le choix. Il y avait aussi, parfois, certains problèmes de règlement de salaire. J’ai joué un an là-bas, et à la fin, j’ai terminé en procès le club pour cause d’impayés.

Il y avait Amadou Sanokho, franco-malien lui aussi, dans l’effectif cette année-là. Avoir un compatriote à ses côtés, ça aide ?

Il m’a rejoint à Proodeftiki, vu que je le connaissais bien. C’était une très belle expérience avec lui. Moi, je me suis encore blessé là-bas, et du coup, tu te retrouves dans un contexte où tu fais partie des gens qu’on ne va pas payer en premier. Là-bas, quand tu es sur le terrain et que tu es bon, on te paye. Sinon, tu n’es pas dans les onze et c’est comme ça que cela se passe (rires). Avec Amadou, on s’est adapté, et on a passé une très bonne année ensemble. Il est ensuite parti à Atromitos, et moi, à Kallithea.

« Le premier mot que j’ai appris en grec, c’est αύριο, qui veut dire demain. Quand est-ce qu’on vous paie ? Demain. Quand est-ce qu’il y a ceci ? Demain. Tout le temps, c’est demain. Mais ce demain, il peut prendre trois jours, une semaine, un mois. »

Ce transfert à Kallithea, qui ne s’était pas fait l’année d’avant, s’est donc fait sur celle d’après.

Ils avaient pour objectif de remonter en première division. À ce moment-là, tout se passe bien. Je me retrouve avec Kanfory Sylla, un international guinéen, Alain Béhi, qui a joué à Châteauroux. On avait une belle équipe, avec d’autres joueurs du championnat grec aussi. (Il marque une pause) Juste après avoir signé, j’ai une proposition d’un club anglais. Mais c’était trop tard. Je commence la saison comme ça, et au mois de décembre, le contexte m’avait fatigué. Ma femme était enceinte, et je suis parti pendant la trêve en remettant mes affaires. Je leur ai dit que je rentrais à Paris. Il me restait un an et demi de contrat. J’ai effectué six mois, mais pour que je sois libre, ils m’ont dit qu’il fallait payer une certaine somme. Je suis rentré auprès de ma famille, et, pendant un an et demi, je suis resté sous contrat avec Kallithea sans pouvoir jouer au foot. Donc ça m’a fait un break.

Désormais, Mamary Traoré a basculé dans l’après-carrière, et rangé ses crampons pour entreprendre.

Qu’est-ce qui t’avait lassé à cette époque ?

L’amateurisme. Le premier mot que j’ai appris en grec, c’est αύριο, qui veut dire demain. Quand est-ce qu’on vous paie ? Demain. Quand est-ce qu’il y a ceci ? Demain. Tout le temps, c’est demain. Mais ce demain, il peut prendre trois jours, une semaine, un mois (rires). Ou bien, on va venir te dire qu’on te paiera après les matchs. Si on perdait, le lundi, on n’avait pas affaire au président ni au directeur sportif. Ni à personne. Nous, on avait grandi en centre de formation, avec un statut d’aspirant et en étant payé tous les mois sans courir après notre argent, parce que c’est notre métier. Parce que derrière, on a des enfants, et il faut avoir de quoi nourrir sa famille. Et Mamary Traoré qui joue à Kallithea ou Proodeftiki, il ne gagne pas 120.000€ par mois.

C’est ça aussi la réalité. La personne qui gagne cette somme, si elle est juste dans sa façon de dépenser l’argent, elle peut tenir un moment. Mais quand vous avez des petits salaires, 5 ou 6.000€, ce n’est pas pareil. Et parfois, ça peut aller plus bas. Il n’y pas que des salaires à la Messi ou Ronaldo dans le football. On oublie de dire que dans ces clubs ou ces pays, quelqu’un qui ne reçoit pas son dû pendant un mois ou deux, c’est comparable à un travailleur au SMIC qui n’est pas payé. S’il a des engagements dans des appartements ou quoi que ce soit, ce n’est pas évident.

J’ai été formé à un certain football, et quand je suis arrivé… C’était vraiment différent, par exemple l’état d’esprit. Avant ça, j’avais connu Proodeftiki, où je n’avais pas été payé pendant six ou sept mois, et j’avais le procès. Je me réengage avec un club, on me dit que ça sera mieux, mais c’était à peu près similaire, juste un peu mieux.

En Grèce, on a l’impression que le président a un pouvoir absolu sur le joueur, qui est soumis à sa bonne volonté…

Exactement. Lors d’un entraînement, deux joueurs peuvent, comme partout dans le football, avoir une friction après un tacle. Pour moi, ça ne paraissait pas justifiable. Pourquoi tu irais t’embrouiller avec ton collègue de terrain parce qu’il t’a fait un tacle mal placé ? Mais à ton président, qui ne te paie pas depuis six mois, tu ne dis rien ? Je n’arrivais pas à comprendre. Ça m’arrivait de ne pas aller aux entraînements pendant deux ou trois jours. Ou alors, je m’habillais, j’y allais, mais je leur disais que je n’allais pas m’entraîner. Tout ça pour pouvoir avoir mon dû.

De Montpellier à Athènes, en passant par Naval, Mamary Traoré a vu du pays.

Il ne faut pas se laisser manger mentalement, en fait ?

On est un peu obligé de faire des choses… On me disait : « Ok Mamary, on va te donner une partie, mais il faut que tu viennes au match, sinon tout le monde va faire comme toi, et ce n’est pas bon. » Ou alors : « Tu n’es pas payé ? Ah, mais tu es blessé, donc on ne t’en donne qu’une partie. »

Comment étaient les rapports entre les étrangers et les Grecs dans l’effectif avec ces problèmes-là ?

Le Grec, lui, va peut-être plus patienter par rapport à ça, parce qu’il a grandi dans ce genre de contexte. Ils sont dans leur pays, et ils vont avoir plus de patience. Mais d’un autre côté, le club sait que les étrangers manquent de patience par rapport à ça. Ce qui veut dire que, parfois, ils vont privilégier les étrangers par rapport aux Grecs. Ils vont avoir une politique différente pour les deux, à part si le meilleur buteur de l’équipe est Grec, mais ils peuvent aussi glisser de l’argent à un étranger sans qu’ils le disent aux autres.

Entre 2007-2009, ta fiche indique que tu étais à l’AS Bamako. Pourquoi ce choix ?

Je crois que c’est une erreur qui a été commise sur ma fiche Wikipédia. J’étais encore sous contrat avec Kallithea, mais je ne pouvais plus jouer au football, seulement avec mes amis. Ça m’a permis de revenir à la réalité, en travaillant comme tout le monde. J’ai pu voir qu’il y avait quelque chose après le football, et des gens qui se lèvent tôt. Moi qui était habitué à quatre heures d’entraînement, deux le matin et deux l’après-midi, je me suis aperçu que des gens travaillaient huit heures toute une journée, pour gagner 1.200€. À cette époque-là, mon frère avait une pizzeria, donc je lui donnais un coup de main. Ça m’a permis de travailler, de redescendre voir ce qu’il se faisait dans la vie de tous les jours et de tout le monde, et aussi de préparer l’après-football sans le savoir.

Quand l’Ethnikos Asteras t’a contacté, avant la saison 2009-2010, tu as réfléchi avant d’y aller ?

L’agent qui m’a contacté était le même que j’avais à Kallithea. Et il savait pourquoi j’étais parti. En me contactant, il m’a garanti que l’Ethnikos Asteras n’allait pas faire la même chose, et que j’allais avoir mes sous. De là, je suis allé à Athènes, on a discuté avec le club, et voilà. Je me suis dit que je pouvais, pourquoi pas, repartir à l’aventure, remettre les crampons à 28-29 ans.

Tu fais une première saison à 30 matchs : ça se passait mieux qu’à Kallithea du coup ?

En ayant vécu comme une personne lambda, c’est à dire se lever le matin et aller travailler pour mon frère, lui donner un coup de main, ça m’a fait relativiser des choses. Le fait de jouer au foot, ce n’était plus un plaisir. Je ne pouvais plus avoir de pression : je prenais les choses avec du recul. Je le voyais comme un travail que je devais faire, mais plus au même titre qu’avant, où il fallait absolument que tu atteignes un certain niveau. J’étais dans la compétition personnelle avec moi même, je ne regardais plus ce qu’étaient devenus les autres. Je me disais : « Mamary, tu viens de Paris, tu as vu comment les gens travaillent dur, et ces gens se plaignent. Tu as peut-être une chance de jouer au football. Prends ce que tu as prendre en tant que joueur de foot : fais ce que tu as à faire. » L’état d’esprit n’était plus le même.

Sur ces deux saisons, tu enchaînes les matchs : tu avais la sensation d’être devenu l’un des piliers du club ?

Pilier, oui. Il y avait aussi Éric Gueï, Luwamo Garcia, un Marseillais qui s’appelait Franceschi (Jean-Baptiste, de son prénom). Et les Grecs, parce qu’il faut dire ce qu’il est : il y avait une très bonne atmosphère. Contrairement à mes deux clubs précédents, le président tenait ses promesses. Il payait les joueurs. Il était sincère avec nous, donc on pouvait patienter une semaine, un mois. Mais on sentait que ça allait dans le sens des joueurs.

Jouer en D2 grecque, le meilleur moyen pour renforcer les liens d’amitié.

Comment était votre relation entre francophones ? Tu as gardé contact avec ces joueurs ?

Avec Éric, je suis toujours en contact. Franceschi, lui, est à Marseille, mais on est aussi en relation, et il doit bientôt venir à Paris. Même si on ne s’appelle pas toujours, ce sont des gens que j’ai toujours dans mes contacts. Il y avait vraiment un très bon feeling, que ce soit sur ou en dehors du terrain. On se voyait aux entraînements, aux matchs, et après, on allait manger ensemble. On partageait tout.

Tu as apprécié tes moments à Athènes ?

On peut avoir des problèmes sur le terrain, des retards de paiement, mais sur le cadre et le mode de vie, il n’y a rien à dire. Il y a la plage, tout ça. Les Grecs sont cools, zens. Dès qu’ils ont terminé le travail, ils passent la journée au café. Moi, j’aime bien sortir, manger, me retrouver avec des amis que j’ai pu rencontrer là-bas, que ce soit des Français, des Africains et même des Grecs. Donc de ce côté-là, c’était parfait.

Sur votre deuxième saison, beaucoup d’équipes de la division ont été sanctionnées pour matchs truqués, ou impayés, ce qui a un peu faussé la donne. Comment l’as-tu vécu ?

Dans l’équipe où j’étais, il y avait eu une transition de président, et on était revenu aux clubs où j’étais avant. Avec des impayés, et on sait très bien que certains matchs, à cette époque-là, étaient truqués ou je ne sais quoi. C’est un autre monde. Un football auquel on n’est pas préparé. On est préparé, au centre de formation, à gagner des matchs et ne pas lâcher l’affaire en donnant le meilleur de soi. Mais on ne peut pas aller dans des trucs qui sont contre-productifs. On ne peut pas aller en marche arrière. Je ne vais pas trop rentrer dans les détails, mais voilà quoi. De toute manière, je pense que vous êtes très bien placé pour savoir comment est le championnat là-bas, à cette époque surtout. Et c’est pour ça qu’il y a eu beaucoup de sanctions.

Ensuite, tu mets le cap sur l’AEL Kalloni : un vrai changement, à la fois en termes de niveau et de ville.

Après les deux ans à l’Asteras et les problèmes que j’avais eux, notamment concernant le maintien sur la dernière année, ainsi qu’un petit différent avec le président, toujours par rapport à une histoire d’argent. J’en ai perdu pas mal dans cette histoire. De là, je prends la décision de partir en vacances, après avoir fait une bonne saison, sans m’occuper de savoir où j’allais signer. Je me disais que si un club était intéressé, il m’appellerait à Paris et je viendrais. Et pour vous dire comme ça se passait bien à l’Ethnikos Asteras, que ce soit entre étrangers ou avec les Grecs, notre capitaine, qui s’appelait Michalis Kripintiris, était à Kalloni. Il m’a contacté pour me dire que le club était intéressé, et je lui ai donc demandé des informations sur l’équipe. Il m’a expliqué que le président était dans le pétrole en Arabie, et qu’il avait pas mal d’argent, tout en ayant un projet pour monter en première division. De là, c’était reparti ! J’ai signé à Kalloni, où j’ai été très bien reçu sur cette très belle île. Le mode de vie, il n’y avait rien à dire.

Vous terminez 6e de D2, et échouez en playoffs, lors de la première saison. C’est un de tes regrets de ne pas être monté ?

C’est vrai que c’était un regret. On avait tout fait pour pouvoir passer ce cap. Mais, malheureusement… On s’est retrouvé à repartir l’année d’après pour essayer de monter.

Sur la deuxième saison, si j’en crois les statistiques, tu n’as joué qu’une fois. Pourquoi ?

Lors de la première saison, j’avais subi une opération. Mais lors de la deuxième, il y a eu un changement d’entraîneur. Je me retrouve comme au Portugal, à ne plus être dans les plans. Je passe de titulaire à ne même plus faire partie du groupe, à rester à la maison parce qu’il n’y a pas d’équipe réserve. Tous les week-ends à regarder les autres. Comment je l’ai vécu ? Pas trop mal non plus, parce que c’était un choix de l’entraîneur. Je n’ai manqué de respect à personne, en continuant à m’entraîner et à travailler. J’accepte les choix, quels qu’ils soient. Le président me convoque pour me demander ce qu’il se passe, et je lui ai dit que je respectais les choix du coach. J’encourageais les coéquipiers à gagner les matchs, en mode positif.

Je décide, au lieu de commencer directement à entreprendre, d’aller travailler dans une usine, histoire de voir ce que je vaux et ce que j’ai dans le ventre. C’est la vraie vie. Je me retrouve confronté à des choses auxquelles je n’étais pas habitué. Ce n’est pas le même monde.

C’était ton dernier club en Grèce : quel regard portes-tu sur toutes ces années passées en Grèce ?

Si j’avais un bilan à faire, je retiendrais deux clubs. Kalloni, premièrement par rapport à son président et au fait que j’ai vraiment joué, en me sentant vraiment bien sans les problèmes propres à la Grèce. Malgré tout ce qui peut être dit sur ce championnat-là, il y avait des gens qui essayaient de faire des choses. Le président de Kalloni, et celui de l’Ethnikos Asteras sur la première année ont essayé de bien faire les choses. Je retiens aussi que les footballeurs grecs sont vraiment forts. Même si le niveau comparé à celui de la France ou des autres championnats n’est pas le même, ils sont courageux. Un joueur de DH ou de National en France peut se plaindre d’un terrain, de conditions d’entraînement, parce qu’il n’a pas vu la Grèce. C’est pour ça que je leur tire mon chapeau, à tous ces joueurs grecs qui jouent dans ces championnats. Pas ceux qui sont à l’Olympiakos ou au Panathinaïkos, mais à tout ceux qui jouent avec tous ces problèmes et qui arrivent à faire une carrière avec des terrains pas aux normes, des difficultés d’entraînement.

Est-ce que tu retournes régulièrement en Grèce ?

J’ai des contacts avec les anciens joueurs de mon équipe. Il y a un joueur brésilien, Luciano, un ancien de l’Olympiakos et qui était mon entraîneur à Kalloni, avec qui je suis encore en contact. On compte se rendre à Athènes, peut être pas cette année, mais celle d’après, pour voir les gens là-bas. Kalloni m’avait proposé d’être éducateur pour les jeunes, mais je n’ai pas accepté.

En sélection du Mali, Mamary Traoré a notamment côtoyé Brahim Thiam, l’actuel consultant Bein Sport.

Concernant ton passage à l’après-carrière, comment cela s’est fait ? Tu avais un peu prévu la chose ?

Je suis rentré de Grèce, et je me retrouve à Paris. De là, je décide d’aller vivre en Angleterre, à Birmingham. Et je décide, au lieu de commencer directement à entreprendre, d’aller travailler dans une usine, histoire de voir ce que je vaux et ce que j’ai dans le ventre. C’est la vraie vie. Je me retrouve confronté à des choses auxquelles je n’étais pas habitué. Ce n’est pas le même monde. J’ai arrêté l’école très jeune. Je n’ai pas forcément besoin d’argent, mais je me suis dit que j’allais voir. J’ai passé un entretien dans une usine où j’ai travaillé six mois. Je suis resté un an en Angleterre, et pendant les six premiers mois, je n’ai pas travaillé. J’ai de la famille là-bas, aussi. Cela m’a permis de comprendre le mode de vie de quelqu’un de lambda. De savoir si ça pouvait me plaire ou non de travailler pour quelqu’un. La conception des choses, la rigueur d’arriver tous les jours à la même heure, le travail qu’on te demande. Physiquement, tu es fatigué : ce n’est plus un match de foot d’une heure et demie, mais pendant huit heures, tu envoies. On arrive à un stade où on doit se surpasser, parce qu’on est habitué à avoir un certain statut.

Tu évoquais l’argent. Par rapport à la Grèce, tu as perdu pas mal de salaires que tu ne reverras jamais ?

J’ai perdu pas mal de sous en Grèce, et c’est de l’argent que je ne reverrai jamais, je le sais très bien. Quand je dis que je n’ai pas forcément besoin d’argent, ça veut dire que je n’étais pas dans le besoin, mais c’était plutôt une expérience comme une autre. Une étape de ma vie qui m’a permis d’entreprendre ce que j’entreprends aujourd’hui. De savoir si je suis capable d’être soumis à quelqu’un pendant huit heures.

J’ai cru voir que tu étais dans les produits cosmétiques maintenant. Comment cela s’est fait ?

Ce qu’il s’est passé, avec mon cousin, on a eu une idée. On voulait apporter une solution à un problème. On pensait à un sac qui fait siège en même temps, pour que les personnes puissent s’asseoir partout. Par exemple, quand on va faire un pique-nique, on met une nappe par terre, mais au bout de dix ou quinze minutes, on est assis inconfortablement. Donc on est parti dans cette idée, et on a réalisé un prototype. De là, on nous a dit d’aller voir un avocat pour voir si l’idée était déposable. On l’a fait, et l’avocat nous a informés que nous avons obtenu un modèle déposé et un brevet sur ce produit-là. On l’a déposé sur l’Europe.

En parallèle, j’ai décidé de mettre en place une marque cosmétique. Pendant que le projet avançait, avec des hauts et des bas, je me suis dit que j’allais lancer cette marque pour répondre à un certain besoin d’une communauté. Voilà comment j’en suis arrivé là. Pour moi, c’était important d’entreprendre. Avec l’expérience que j’avais eue, j’avais déjà donné un coup de main à mon frère. Et j’avais déjà cette expérience en Angleterre. Je savais que je ne pouvais pas travailler pour quelqu’un. J’étais habitué à cette liberté, parce que dans le football, on est libre : on a deux heures d’entraînement le matin, et deux autres l’après-midi. Je ne me voyais pas dans un schéma avec un travail de huit heures.

Une dernière question : si tu avais une seule anecdote à faire ressortir de tout ce que tu as vécu en Grèce, ce serait laquelle ?

Je ne dirais pas le nom du club. Mais j’arrive à la mi-temps d’un match, et je décide de prendre ma douche. J’enlève mes affaires, mes chaussures et mes chaussettes. Pourquoi ? Parce que je n’ai pas appris à faire semblant de perdre. De là, toute l’équipe me met la pression, en me disant que si je ne revenais pas sur le terrain, tout le monde allait dire que c’était truqué.

Martial Debeaux


Toutes les images sont issues de la collection privée de Mamary Traoré

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