Il était venu pour un essai de deux semaines au Panionios. Au final, il sera resté dix ans en Grèce, à une époque – le début des années 2000 – où peu de joueurs de l’Hexagone se risquaient à aller au pays de Karagounis et cie. Alain Raguel, formé au LOSC, nous raconte longuement son expérience grecque. Après la première partie, que vous pouvez retrouver ici, la seconde aborde le président Beos, le titre de 2004, ou encore les difficultés des joueurs grecs à percer à l’étranger.
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Après l’Atromitos, tu signes à l’Iraklis. C’était pour continuer un peu ton tour du pays, en allant cette fois à Thessalonique ?
Exactement. En fait, je pars de l’Atromitos où il me restait un an de contrat. Étant donné que j’avais toujours cette douleur au genou qui m’empêchait de jouer et de rivaliser avec les autres, le président en a eu marre, ce qui est tout à fait logique. On s’est séparé en bons termes, et là je me retrouve encore une fois au chômage. Je me dis que je vais rentrer en France, mais j’ai quand même pas mal d’opportunités en Grèce, avec des clubs qui continuent à me vouloir. Là, je retrouve mon ancien président du Panionios, Achilleos Beos, qui est parti à l’Iraklis et qui veut me voir revenir, me redonner une chance. Il veut m’aider, tout simplement, parce que c’est quelqu’un qui a beaucoup de coeur. Quelqu’un d’exceptionnel avec qui je n’aurais fait tout ce que j’ai fait en Grèce sans l’avoir connu. Il me fait signer là-bas, pendant un an, mais ça se passe super mal. Toujours ce problème au genou, qui commence à se régler, mais ça reste compliqué. Et puis après, je suis tombé sur un entraîneur qui était juste catastrophique au niveau du relationnel. Au départ c’était un entraîneur yougoslave (NDLR : le Serbe Ivan Jovanovic), qui était très bien et qui me faisait jouer. Mais un Espagnol (NDLR : Ángel Pedraza) qui est arrivé, parce qu’on n’avait pas de bons résultats. Lui, il est venu avec beaucoup de Brésiliens et d’Espagnols. À partir de là, j’ai compris que je n’allais plus jamais jouer, et que ça ne servait à rien de rester. Ce n’était pas sérieux, on n’était pas payé, tout était compliqué. Une mauvaise expérience. Mais bon, mauvaise expérience aussi parce que j’avais toujours ce problème de genou, et que je n’ai pas pu donner la pleine mesure de mon talent. Je n’en veux à personne. C’est tout à fait logique : tu emploies des gens pour venir jouer, et il est blessé, il a du mal à se soigner. Il n’y a aucun souci. Ceci dit, je n’ai pas senti beaucoup de professionnalisme dans ce club.
Quel a été ton ressenti sur Thessalonique, par rapport à Athènes ?
C’est une très belle ville, avec beaucoup de belles personnes. Je me suis éclaté, j’étais vraiment très bien là-bas. Les gens sont adorables, mais très passionnés. Encore plus qu’à Athènes.
Tu évoques le fait qu’ils soient « passionnés ». Est-ce qu’on ressent plus les rivalités locales qu’à Athènes ?
À l’Olympiakos, les supporters sont très fanatiques. Mais, comment expliquer ça…. Le PAOK reste un gros club à Thessalonique. Tandis que l’Olympiakos, c’est connu dans le monde entier. Ce sont des fervents supporters, avec beaucoup de fanatiques, mais le PAOK reste un club un peu plus petit. Le stade est moins grand, ils sont moins connus. C’est un club super important là-bas, en Grèce, on s’entend bien. Mais l’Olympiakos est un degré au-dessus. C’est le PSG en France. Le PAOK, c’est Marseille. On a deux identités où il y a autant de supporters, mais Marseille reste le club où les supporters sont très fanatiques par rapport à Paris. C’est exactement pareil là-bas. Les personnes qui habitent à Thessalonique, on les sent beaucoup plus « chaudes » que les gens d’Athènes.
À ce moment-là, on a l’impression que le championnat est beaucoup plus serré que maintenant. En 2007-2008, c’est notamment l’année où Rivaldo est à l’AEK et où le titre se joue sur trois points retirés sur la fin de saison. Quel est ton regard là-dessus ?
Je te rejoins carrément. J’ai senti cette évolution. Quand je suis arrivé en Grèce, il y avait que quatre clubs qui étaient vraiment intéressants : Olympiakos, Panathinaïkos, AEK et le PAOK. Tu savais que le championnat allait se jouer là. Bon, c’est toujours le cas maintenant, mais il y avait une classe au-dessus. Nous, on savait que quand on affrontait ces équipes-là, on jouait le match pour essayer de ne pas le perdre. Plus les années ont avancé, et plus les autres clubs se sont structurés. Ils ont réussi à faire venir d’autres joueurs, des jeunes ont commencé à émerger parce qu’ils ont fait de plus en plus confiance à leur formation. Et on a senti que les écarts étaient en train de se resserrer. Pas autant qu’on le voudrait, mais on voyait que derrière le PAOK qui avait un peu baissé le pied, on sentait que l’Atromitos, le Panionios étaient là. Le Panionios a mis en place un centre de formation, pareil pour l’Atromitos. Ils se sont mis à ramener des joueurs et les payer régulièrement tous les mois. On a vu arriver Recoba, ce n’est pas n’importe qui. L’AEK fait venir Rivaldo. Le niveau est en train de se niveler, et tout le monde peut battre tout le monde. D’ailleurs, on va faire nul à l’Olympiakos (1-1) avec l’Atromitos. On gagne 3-0 sur la pelouse du PAOK. Des choses qu’on ne voyait pas avant. Surtout, ce qui était super intéressant, c’est que quand je suis arrivé, on avait des équipes de Première Division en Grèce qui avaient le niveau CFA. Tandis que quand je suis parti, les équipes les plus faibles étaient plutôt équivalentes aux premiers rôles de National. Le niveau avait vraiment évolué. Et par la suite, il s’est avéré que beaucoup de joueurs sont partis vers le championnat grec, comme Djibril Cissé, des joueurs de renom. Beaucoup ont atterri là-bas pour finir leur carrière.
En partant au début des années 2000 en Grèce, tu te considères comme l’un des pionniers à avoir tenté l’aventure ? À un moment où, comme tu l’as dit, ce n’était pas si structuré. C’était un petit risque…
Bah, en même temps, je n’avais pas trop le choix (rires). J’avais 7 mois de chômage, donc c’était ça ou je trouvais un club amateur en France, voire en National sans avoir aucune garanti. Après, oui, je pense que j’ai été l’un des pionniers dans les petits clubs. Et j’insiste là-dessus. Dans les gros clubs, il y avait déjà Karembeu par exemple. Après, on a eu Didier Domi (NDLR : à l’Olympiakos). Eux, c’étaient dans les grosses équipes. Moi, je suis arrivé dans un petit club, en arrivant d’une équipe – le LOSC – qui était connue. Je pense que ça a aidé. Surtout, j’ai donné une bonne image du football français. C’était vachement important parce que derrière, il y a quand même pas mal de jeunes Français qui ont tenté leur chance, en réussissant ou pas. Au moins, je pense avoir laissé une très très bonne image, et ça a permis à d’autres clubs grecs de tenter l’aventure, même avec des joueurs de seconde zone, comme je pouvais l’être quand je suis arrivé.
Pour revenir à ta carrière, tu files à Volos après l’Iraklis, encore pour suivre le président Beos. C’est vraiment quelqu’un d’important pour toi ?
C’est exactement ça. Il veut faire une grosse équipe à Volos, et il compte encore sur moi. Il sait qu’à l’Iraklis ça s’est mal passé à cause de cette blessure, mais du club aussi, un peu. Il me dit que pour le niveau D2, en connaissant le mien, ça va aller. Mais pareil : toujours ce problème de genou récurrent. Je fais quelques matchs avec eux, mais ce n’est pas satisfaisant. Moi, ça commence à prendre la tête. À la trêve, je vais le voir et je lui dis qu’il vaut mieux arrêter là. Que ce n’est pas la peine que je continue à prendre de la thune pour rien, je ne peux pas. Je n’y arrive pas, j’ai trop mal au genou. Ça va un moment, après je me blesse derrière la cuisse, puis là. Que des blessures à répétition. J’ai été le voir, parce que c’est quelqu’un qui m’a toujours aidé. J’ai été sincère, et il a apprécié. On s’est séparés d’un commun accord, et je suis rentré en France.
Ce président a une réputation un peu sulfureuse, que ce soit en Grèce ou en dehors. Quel est ton avis là-dessus ?
C’est clair, et c’est vrai. Il a une notoriété qui est très délicate là-bas en Grèce. Avec moi, il a toujours été réglo. Il m’a toujours aidé. Je me souviens d’un truc. À Pâques, qui est une fête très sacrée pour eux, je me souviens que j’étais seul parce que je n’étais pas rentré chez moi. Il m’avait appelé pour m’inviter dans sa famille. J’y suis allé avec un autre joueur. Beos, c’est ça. Maintenant, c’est quelqu’un avec qui, s’il voit que tu te donnes à fond, tu ne seras jamais déçu. Il va toujours faire en sorte que tout se passe bien. Après, oui, je sais très bien aussi que ce n’est pas la personne avec qui tout le monde peut avoir des garanties, ça c’est clair. Mais je n’ai rien à lui reprocher. Au contraire : c’est une personne à qui je dois énormément, même dans ma vie d’aujourd’hui. On a eu des discussions.
En Grèce, on a l’impression que le président est une personne avec laquelle si tu ne t’entends pas, ton expérience sera désastreuse. Par rapport à la France, où le président a un rôle moins important…
Comment expliquer… La gestion d’un club en Grèce, à l’époque où j’y étais – parce que je pense que certains se sont bien structurés -, tu avais un budget qui, je pense, était fait sur 7 ou 8 mois. Le reste du temps, ils étaient en train de chercher de la thune pour savoir comment payer les joueurs. Les présidents prennent une place importante parce qu’ils investissent aussi de leur propre poche. Ils se disent : « Attends, je mets ma thune, si toi tu n’as pas envie de courir, je ne vais pas te garder. » Ce sont toutes ces choses-là qu’ils doivent gérer au quotidien. Et ils ont une place importante parce qu’ils aiment bien se montrer, aussi. C’est aussi leur caractère. C’est eux qui ont fait l’équipe, pris les joueurs. Tu n’es pas président si on ne te connaît pas. Ce n’est pas comme en Angleterre où on ne voit jamais personne. Là-bas, tu vois plus les présidents que les joueurs.
Il y a pas mal de joueurs qui viennent en Grèce, notamment des Français, qui finissent par avoir de mauvaises expériences avec des présidents très charismatiques. Il faut être fort mentalement, ne pas se laisser « bouffer » ?
C’est exactement ça. Et comme tu l’as dit tout à l’heure : on ne connait pas ce genre de choses en France. Ça n’existe pas. Nous, quand on n’est pas d’accord, on va voir le président, on trouve un accord. Ou alors, tu sais que tu as un contrat, et voilà. Mais là-bas, les contrats, ils s’en moquent. Ils n’en ont rien à faire. À partir du moment où ils ne veulent plus de toi, contrat ou pas contrat, ce n’est pas leur problème. Ils vont te mettre de côté, et tu ne vas pas jouer. Et comme toi tu as envie de le faire, soit tu décides de casser ton contrat à l’amiable – mais en général tu es perdant, parce qu’ils ne vont pratiquement rien te donner -, soit tu restes là, mais tu es perdant, car tu ne vas pas jouer. Ils peuvent te dire, par exemple : « Demain, tu dois venir courir au stade à 6h du matin. Si tu n’y es pas, c’est une faute professionnelle. » Il vaut mieux avoir de bonnes relations avec ton président. Moi, c’est pour ça que je n’ai eu aucun problème : quand ça n’allait pas, je suis parti voir les gens, j’ai cassé mon contrat, j’ai pris ce que je devais prendre et je suis parti en bons termes. C’est leur façon de faire, tu ne pourras pas changer les choses. Tu n’es pas chez toi, tu t’adaptes dans le pays dans lequel tu viens. Je ne vais jamais cracher sur ce pays-là vu tout ce qu’il m’a donné. Ce pays m’a formé. Il m’a fait devenir un homme. Avec toutes les galères, mais aussi toutes les joies que j’ai pu avoir là-bas. Sans la Grèce, je n’aurais fait la carrière que j’ai faite.
Plus largement, concernant le championnat grec, il y a tout cet aspect corruption/matchs truqués dont on parle beaucoup en France. Tu as passé beaucoup d’années là-bas, c’est quoi ton avis sur ça ? Tu dirais que c’est plutôt du fantasme, ou tu as vécu des expériences « étranges » ?
À l’époque, je sais que les grosses équipes étaient assez avantagées, surtout l’Olympiakos. Moi j’ai vu des choses sur le terrain… C’était flagrant. Même si l’Olympiakos a toujours été meilleur que nous, c’était flagrant. Des fautes non sifflées, des penaltys pires qu’imaginaires, des fautes de main pour défendre devant l’arbitre qui ne siffle pas. Après, moi j’ai entendu des joueurs en parler, en disant « oui, écoute, on m’a dit de lever le pied. » Mais je ne l’ai jamais vécu. Je n’ai jamais vécu de corruption devant moi ou quoi que ce soit lors d’un match. Ou alors je ne l’ai pas compris, parce que je ne parlais pas très bien le grec à la base. En France, je n’en avais jamais entendu parler. Donc quand je suis arrivé, je n’ai jamais pensé à tout ça. Je venais, je jouais, et je ne me préoccupais pas de ça. Mais oui, je pense que les arbitres ont beaucoup influencé l’arbitrage envers les grosses cylindrées.
Tu dis que la Grèce est un pays qui t’a « formé ». Si tu devais tirer un bilan, il ne serait que positif ?Ouais carrément, que du positif. Je me suis marié à une Grecque, déjà, qui est venue me rejoindre ici en France. Ça fait huit ans qu’on est ensemble, et on s’est marié il y a deux ans. Ensuite, j’ai connu des choses extraordinaires. Quand vous voyez un supporter de Panionios qui s’est tatoué mon nom sur son bras, vous vous dites : « Ah ouais, je suis quelqu’un d’aussi important que ça pour les gens ? » Ça ne m’était jamais arrivé… Quand j’ai l’opportunité de jouer au marquage individuel de Ronaldinho, bah je ne l’aurais jamais vécu en France. Grâce au football grec, j’ai quand même eu deux Ballons d’Or au marquage : Ronaldinho donc, et Rivaldo. J’ai joué contre Batistuta, Olisadebe. J’ai fait partie d’un groupe de Ligue des Champions, même si je n’ai fait que deux matchs de championnat et une préparation. Ils m’ont permis de réaliser mon rêve qui a toujours été d’être footballeur professionnel à part entière. Même si je l’avais déjà fait en France, mais j’étais parti dans des conditions tellement compliquées… Je n’avais pas de club, on m’avait déjà oublié. Si c’était à refaire, je repars tout de suite sans problème. J’ai joué dix ans là-bas. J’ai appris l’anglais, le grec. J’ai développé des relations avec des mecs extraordinaires. La première année à Panionios, il y avait 11 nationalités. Ce sont des choses que l’on n’oublie pas. J’ai joué avec des Uruguayens, des Mexicains, des Brésiliens, des Bulgares, des Hongrois, des Yougoslaves. Je peux, aujourd’hui, voyager dans tous ces pays-là, parce que j’ai gardé contact avec toutes ces personnes. C’est au-delà de la carrière : pour moi, c’est ce qui reste le plus fort.
Tu évoquais Olisadebe et Rivaldo : quels seraient les joueurs qui t’ont le plus marqué en Superleague ?
(Il réfléchit). Olisadebe, j’ai joué avec lui. Mais bon, il s’était fait opérer par le même chirurgien que moi, donc sa carrière s’est terminée par la suite. Au départ, c’était quelqu’un de très très bon. Il y avait Tsartas, un gaucher de l’AEK. Kolkka, un ailier gauche finlandais au Pana. Bon, Rivaldo, forcément. Malgré ses 35 ans, c’était vraiment exceptionnel. Un pied gauche… Je n’ai jamais vu ça. Djordjevic, un mec de l’Olympiakos. Et Giovani aussi que j’ai trouvé très bon aussi. Puis, il y avait un jeune que j’ai vu grandir, qui a joué son premier match contre moi avec l’Olympiakos : Mitroglou, qui m’avait impressionné dans la couverture de balle. Il n’avait que 17 ans à l’époque il me semble, mais c’était déjà un monstre. Il y a eu pas mal de joueurs. Okkas, après. Ce sont plus vraiment des joueurs grecs dont on n’entendait pas vraiment parler sur la scène européenne, mais qui auraient pu jouer dans n’importe quel club en France. Mais bon, les mecs avaient choisi de rester là-bas, parce que c’étaient des stars, qu’ils étaient bien payés. À l’époque, ils ne s’expatriaient pas trop les Grecs. Les meilleurs Grecs jouaient dans leur championnat La preuve : quand ils ont gagné l’Euro, plus de la moitié de l’effectif était encore au pays, preuve que le championnat était en train de s’améliorer. C’est juste après qu’il y a eu une explosion, et que les gens ont commencé à s’intéresser au football grec.
Ce sacre à l’Euro, justement, comment tu l’as vécu ? Tu étais en Grèce ?
Je suis arrivé à la préparation. C’était exceptionnel, parce qu’il y avait des drapeaux partout. Je n’étais pas là le jour de la finale, j’étais encore en France, mais je suis arrivé trois jours après. La pression n’était toujours pas retombée. J’ai senti une grosse confiance de tout le monde. De toute façon, ça ne leur était jamais arrivé. D’un seul coup, une reconnaissance comme ça… Les Grecs sont déjà très fanatiques, mais là, tu sentais une grosse fierté de tout le peuple. C’est ce qui m’a marqué : une fierté, même chez des gens qui ne connaissaient rien au football.
Tu es resté 10 ans en Grèce. J’imagine que tu as pu percevoir la dégradation de la situation économique du pays. C’est quelque chose qui touche ?
Écoute, quand je suis parti ça allait. Comme ma femme est Grecque, je retourne souvent là-bas, et oui je le vois aujourd’hui. C’est vrai que c’est triste, parce que la ville dans laquelle habite ma femme, on voit tous les magasins qui ont fermé. Mais je crois qu’une crise comme ils la vivent actuellement, il n’y a que les Grecs qui peuvent résister à ça. Parce qu’ils ont une force de caractère qui dépasse beaucoup de choses. En France, c’est impossible qu’on résiste. Du jour au lendemain, tout leur est tombé sur la figure. Les gens qui avaient des crédits ne pouvaient plus rembourser, et son obligé de tout fermer. C’est vraiment très dur. Et pour avoir connu ce peuple qui sortait tout le temps, faisait la fête, c’est vrai qu’on sent… Bon, ils n’arrêtent pas de le faire, parce qu’ils sont comme ça. Ils sont nés comme ça, et vont mourir comme ça. Mais il y a beaucoup plus de retenue qu’avant. C’est un peuple très fort, et j’ai énormément de respect pour ces gens-là.
Pour en revenir à ce problème d’exportation des joueurs grecs, on sent qu’il y a pas mal de talent dans ce championnat, mais qu’il peine à aller au-delà des frontières. Pourquoi ?
C’est mal développé. À l’époque, les jeunes joueurs grecs qui avaient du talent étaient coincés par le club. Ils leur donnaient un salaire de misère pendant 5 ans, tout en les empêchant de partir pour qu’ils jouent vraiment pour le club et pour pouvoir les vendre plus tard. Ces derniers temps, je ne sais pas trop comment ça se passe parce que j’ai un peu zappé par rapport à ça. Mais je pense que ça doit toujours se passer de la sorte. Maintenant, le gros souci avec les Grecs, c’est de savoir combien d’entre eux qui se sont expatriés ont vraiment réussi ? Très peu. Il est là le problème. En France, ils ont essayé après l’Euro. Il y a au moins 5 ou 6 joueurs grecs qui sont arrivés. Même Basinas est parti jouer à Arles-Avignon, avec Charisteas. Il y en a un qui a joué à Monaco pendant quelque temps, et je l’ai vu commencer au Panionios. (Il cherche son nom).
Andreas Zikos ?
Non, non, c’est le seul qui a vraiment réussi en France.
Tzavellas ?
Oui voilà c’est ça. Lui, je l’ai vu commencer. Il était encore étudiant quand il était au Panionios. Il avait 16 ans, et s’entraînait avec nous. Il a réussi en Allemagne, mais en France, je pense que c’est plus difficile. En Allemagne, les Grecs réussissent beaucoup mieux. Parce qu’il y a une grosse communauté grecque là-bas. Je pense que la mentalité n’est pas la même. C’est compliqué pour un Grec de réussir en France. Mais je pense que ça va venir.
Sinon, tu suis encore le Panionios maintenant ? Ils font du bon boulot, en étant qualifiés pour les playoffs une deuxième année de suite. Tu évoques Tzavellas, aussi : c’est le club où l’on voit beaucoup de jeunes émerger…
Quand je suis parti, ils ont joué l’Europa League l’année d’après contre Sochaux, il me semble. Et ils n’ont pas arrêté de se structurer. Ce qui a aidé, c’est qu’il y a un autre président qui est arrivé, un armateur qui avait grandi dans un autre pays d’Europe, et il a mis un peu d’argent dans le club. Par la suite, ils ont créé un centre de formation en dehors d’Athènes, où les joueurs allaient s’entraîner. Ils sont passés d’un milieu professionnel-amateur à un milieu carrément professionnel. Forcément, derrière, les résultats ont suivi. Et ça ne m’étonne pas du tout. La dernière fois que j’y suis allé – ça remonte à quelques années – j’ai senti, déjà, un changement radical. Radical quand tu rentres dans le club. Les vestiaires avaient changé. Tout a changé. De toute façon, ils sont obligés de passer par là s’ils veulent continuer à vivre, et à attirer d’autres joueurs. Le fait que Recoba soit venu au club a énormément changé l’image du Panionios en Europe, et même en Grèce.
Si tu avais une anecdote, un moment fou à faire ressortir de ces dix années en Grèce, ce serait quoi ?
Je pense que c’est mon but contre Nordjaelland. Celui qui nous avait qualifiés pour affronter le Barça. J’ai fait le plus beau match de ma vie, une rencontre que je n’oublierai jamais. J’ai couru tout le match, et à la fin je marque le but. À la fin, j’ai revu toutes les galères que j’avais eues après ma période de chômage, ou quand j’étais à Lille et qu’on ne me faisait plus trop confiance. Pendant 5 minutes, je suis resté dans le vestiaire où tout le monde priait. J’étais le seul Français, donc je ne pouvais le partager avec personne. Je vivais avec eux, mais j’aurais bien voulu avoir quelqu’un qui parle français pour qu’on échange. J’ai repensé à ma famille qui était loin de moi. J’étais super fier, super content d’être dans ce pays-là. Ce sont des moments inoubliables : quand j’aurais des enfants, je pourrais leur raconter ça, parce que c’est quelque chose que je n’avais jamais ressenti avant.
Une dernière anecdote. On affronte l’Olympiakos chez eux. On perd 1 ou 2-0, mais je fais un super match. À la fin, je serre la main de Christian Karembeu, qui me dit : « Tu n’as rien à faire dans cette équipe-là. ». Là, tu te dis : « Ah ouais… ». Un champion du monde qui a joué au Real Madrid et qui te dit ça, alors qu’on ne s’était pas parlé du match. Moi je le connaissais, mais je ne pensais pas qu’il me connaissait. Ce sont des mots que je n’oublierai jamais.
Pour terminer, parlons de ton après carrière. J’ai cru voir que tu avais ouvert un bar sur Lille. Et que tu avais passé tes diplômes de coach. Ça en est où?
Quand je suis revenu, je voulais être journaliste sportif, ou commenter des matchs, des trucs comme ça. Ou être interprète, mais on m’a dit qu’il fallait avoir le Bac. Donc 6 mois après, je me suis remis aux études. J’ai passé un bac littéraire, que j’ai eu. J’ai passé un diplôme de management sportif, puis mes diplômes d’entraîneur en même temps. Je voulais ouvrir un bar de sport, comme ça se faisait en Grèce. J’en ai ouvert un, mais ça n’a pas fonctionné. Ça a duré un an, et je l’ai revendu. Depuis 8 ans, je suis entraîneur et responsable de la préformation dans un club amateur. J’ai passé mon BEF en France, et j’ai continué avec un diplôme de formateur en Belgique, qui me permet d’être responsable d’un centre de formation de club pro dans toute l’Europe, sauf en France, où il n’est pas reconnu. Là, cette année, je suis aussi entraîneur de l’équipe réserve.
Être entraîneur, en Grèce, c’est assez spécial. Tu as pu le voir en étant joueur. Ça te tenterait ?
Moi, mon ambition est de transmettre. Pas d’avoir un jour une équipe première, mais de transmettre aux jeunes. J’ai plein d’opportunités pour retourner en Grèce en tant qu’entraîneur, pas en Superleague, mais avec mon diplôme je peux exercer en Deuxième Division. Mais je sais que c’est trop aléatoire. Il y a trop de risques : ma femme a un travail ici, je ne vais pas partir à l’aventure comme ça. Maintenant, si un club pro me dit « on te signe 5 ou 6 ans et tu remets tout un programme de formation chez les jeunes de 13 à 20 ans », là ce serait autre chose.
Martial Debeaux
Image à la une : © AFP PHOTO / CESAR RANGEL