Temps de lecture 8 minutesEn route pour la Russie #24 : Mbark Boussoufa en Russie, chronique d’une soledad

Notre dispositif Coupe du Monde est bien en place et comme chaque jeudi jusqu’à l’ouverture de la compétition, nous vous proposons un article qui fait le lien entre un pays qualifié pour la compétition et le pays organisateur. Ce jeudi, c’est le Maroc qui est à l’honneur et un joueur, Mbark Boussoufa, qui a bien connu la Russie, y passant 6 saisons, sans jamais réussir à y trouver véritablement ses marques.


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L’argent ne fait pas le bonheur, Mbark Boussoufa l’a appris à ses dépens lors son passage en Russie. Né à Amsterdam, révélé en Belgique, l’international marocain a évolué en Russie de 2011 à 2016, amassant une fortune, mais ne s’adaptant jamais au pays. Sa solitude s’illustre en 2015 par le documentaire hollandais, « Voetbalmiljonair uit Oost » (footballeur millionnaire de l’Est), le suivant entre la fin de sa période à l’Anzhi et ses débuts au Lokomotiv Moscou. Si sa carrière en club est en déclin depuis un certain temps, il reste néanmoins un pion important de la sélection marocaine et piaffe d’impatience de briller cet été sur les terrains de cette Russie qui lui a tant donné le spleen.

D’Amsterdam à la Russie

Le parcours de Mbark Boussoufa prend sa source à Amsterdam, avec un père originaire de la région de Guelmin, dans le sud-ouest du Maroc, qui s’exerça au métier de cuisinier en Espagne et en France avant de se fixer dans un quartier difficile de l’est de la capitale néerlandaise. Tout jeune, Boussoufa tape le cuir dans les clubs de son quartier et rejoint rapidement, à l’âge de 12 ans, les équipes de jeunes de l’Ajax. Cinq ans plus tard, il est repéré dans un tournoi de jeunes par Chelsea où il y passe trois ans. Cantonné à la réserve en Angleterre, il voit ses chances d’intégrer l’équipe première devenir pratiquement inexistantes avec l’arrivée à la tête du club de Roman Abramovitch qui injecte massivement des fonds dans le but de créer une équipe ultra compétitive. Le jeune marocain rejoint alors sagement La Gantoise et la D1 Belge, en septembre 2004, afin de pouvoir gagner du temps de jeu avec une équipe première. Sous la férule de Georges Leekens, le petit Boussoufa, et son mètre soixante-sept, s’impose directement dans l’équipe des Buffalos et, pour sa première saison, inscrit cinq buts et offre deux passes décisives.

La seconde saison à Gand est celle de la consécration. Il dispute 28 rencontres, inscrit 9 buts et adresse 16 passes décisives. C’est également durant cette période qu’il choisit d’opter pour la sélection du Maroc. Bilan qui lui permet de signer, en juin 2006, un contrat de quatre ans avec Anderlecht auréolé des titres de joueur professionnel de l’année et de jeune pro de l’année. Il s’agit incontestablement du transfert phare de l’été 2006. La Belgique du football est alors sous le charme du talentueux Boussoufa. Les deux parties semblent dès le départ faites pour s’entendre, le style technique du joueur promet de convenir parfaitement à l’exigeant public anderlechtois.

Durant cinq saisons, Boussoufa régale sur le terrain (48 buts et 70 passes décisives) et remporte deux championnats et une coupe de Belgique. Ses prestations ne laissent personne indifférent et il est cité à Hambourg, Aston Villa, Stuttgart… Arrivant en fin de contrat avec Anderlecht en 2012, le club lui propose une prolongation de quatre ans avec un salaire faramineux. Offre refusée poliment par le joueur qui entre alors en négociation avec le Terek Gozny et l’Anzhi Makhatchkala, deux clubs à la voilure financière largement hors de portée du club bruxellois. Alors que le deal semblait conclut avec Grozny, il signe à la dernière minute un contrat avec le voisin du Caucase de l’Anzhi, provoquant une colère noire du coté tchétchène et du Terek.

Boussoufa au pays des soviets

Le jeune attaquant est donc transféré pour huit millions d’euros à l’Anzhi Makhatchkala. Son recrutement s’inscrit dans le projet du nouveau propriétaire du club, le millionnaire Suleyman Kerimov qui cherche à doter le club d’une stature internationale en recrutant des joueurs comme Samuel Eto’o et Roberto Carlos et avec pour coacher ce beau monde le recrutement de Guus Hiddink peu après. Vont arriver par la suite le brésilien Willian, le Hongrois Balázs Dzsudzsák, Lacina Traoré ou encore de bons joueurs du championnat belge comme le défenseur brésilien Joao Carlos de Genk et Mehdi Carcela-Gonzalez du Standard de Liège, qui possède les nationalités belge, marocaine et espagnole et qui opte également pour la sélection du Maroc. Le programme semble donc alléchant. Le club finit cinquième puis troisième du championnat russe et atteint par deux fois les huitièmes de finale de la Ligue Europa écarté successivement par Newcastle et par l’AZ Alkmaar.

« On voulait voler en jet privé, on l’a fait… On rêvait de Las Vegas, on y est allés. »

Facebook officiel Mbark Boussoufa / Anzhi Makhatchkala

Vu le contexte d’instabilité de cette région du Caucase, les joueurs vivent et s’entraînent à Moscou, n’arrivant que la veille des matchs à Makhachkala où ils restent cloîtrés dans leur hôtel en attendant le match. C’est à cette époque qu’un documentaire lui est consacré, « Voetbalmiljonair uit Oost » (millionnaire footballeur à l’est) et donne un très léger aperçu de la vie du Bouss en Russie. Précisons-le directement, ce documentaire est de très mauvaise facture, complètement décousu, assez inintéressant et est à réserver principalement aux grands fans du joueur. Car finalement, ici, il n’y a que peu à dire. Nous y voyons un Boussoufa est adepte du combo claquette – chaussette, passant sa vie sur son smartphone et sur Skype à dialoguer avec sa famille restée à Amsterdam, ou en visite au Maroc dans le cadre de sa fondation pour aider la région d’origine de la famille. Mais c’est finalement un autre aspect de la personnalité et de sa vie russe qui nous intéresse ici. Celle de l’isolement, de l’attachement à une famille éloignée et d’un malaise que l’on sent présent dans la vie quotidienne du joueur au fil des minutes. Finalement, nous y voyons ici un portrait humain de ce qu’est Boussoufa en Russie, un portrait d’un homme se sentant seul. Très seul. Trop seul. Passant son temps avec son chauffeur et son frère, Moussi, qui lui sert, si l’on peut dire, d’homme à tout faire mais surtout, on l’imagine, d’un soutien psychologique important et d’un ancrage avec l’autre aspect de sa vie : sa famille. « On voulait voler en jet privé, on l’a fait… On rêvait de Las Vegas, on y est allés », dit ainsi Moussi, dans ce documentaire. Et puis ? L’ennui. Complètement blasé, Mbark Boussoufa semble mener une vie vide de sens en Russie, une vie où ses quelques excentricités semblent lui permettre d’exister humainement et socialement, comme cette fois où il fit venir son coiffeur personnel depuis Amsterdam.

S’il mène une vie personnelle monotone, le terrain lui permet tout de même de s’exprimer et montrer ce qu’il sait faire. Cependant,  en 2013, l’Anzhi commence à partir en complète déliquescence. Hiddink quitte rapidement le navire, les résultats ne sont pas conformes aux attentes et un conflit éclate entre Igor Denisov, indésirable au Zénit et fraîchement débarqué pour 13 millions quelques semaines avant, et Samuel Eto’o.  Des soucis de santé et la tournure décevante des événements convainquent Kerimov de stopper les frais. En conséquence, un exode massif se met en place. Willian et Eto’o rejoignent Chelsea, Carcela retourne au Standard, Oleg Shatov au Zenit, Igor Denisov au Dinamo Moscou, Lassana Diara part au Lokomotiv, en compagnie de Boussoufa, qui a finalement disputé 99 matchs et inscrit 17 buts pour l’Anzhi, qui est relégué en fin de saison et se retrouve sans le sou.


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Boussoufa semble complètement déconcerté par cette situation et l’incertitude sur la suite de sa carrière. Il signe au Lokomotiv et, lui qui ne respirait déjà pas la joie de vivre, devient quasiment cadavérique. Les mises au vert lui semblent insupportables tandis que son père indique que « cet entraîneur veut que les joueurs restent pendant trois jours au club. Il n’a plus 17 ans. L’Anzhi était un club musulman, mais le Lokomotiv ne l’est pas. Il n’y est pas accepté. » Un constat que son frère acquiesce, clamant que Mbark « est en dispute avec tout le monde. »

Arrivé avec Lassana Diara de l’Anzhi, le parcours des deux joueurs au Lokomotiv est une vraie purge. Le courant ne passe pas du tout avec l’entraîneur biélorusse Leonid Kuchuk et les deux joueurs sont envoyés dans le noyau B pour manque d’implication. L’absence de résultats permet à Boussoufa de réintégrer l’équipe, mais la situation ne s’améliore que temporairement. Avant la reprise de la saison suivante, Lassana Diarra et Boussoufa sèchent les entraînements et tentent de négocier une rupture de contrat avec la présidente Olga Smorodsakaia, mais se voient opposer une fin de non-recevoir. Diarra déclare avoir trouvé un accord pour rompre son contrat, le club dément, mais Diarra n’en fait qu’à sa tête et est finalement condamné par le TAS, en 2016, à une amende de dix millions d’euros. Boussoufa, lui, se montre plus sage, mais se trouve devant un dilemme : il lui est impossible de trouver un club lui offrant les mêmes conditions financières tandis que le Lokomotiv est devenu un purgatoire où il ne jouera quasiment plus. « Olga Smorodskaya … Comment dirais-je ? Elle était trop émotive.  Et elle prenait les décisions sur la base de ses émotions. Cela ne conduit pas toujours à un bon résultat. Les femmes sont plus émotives que les hommes, c’est normal. Je ne la connaissais pas si bien pour pouvoir la juger, mais le progrès actuel [du club] parle de lui-même. » disait-il en décembre dernier.

Retour en Belgique

Sur une voie de garage au Lokomotiv, c’est naturellement vers les deux clubs qui l’ont révélé que Boussoufa se tourne pour se sortir du bourbier russe. Alors qu’il est tout proche d’un retour à Anderlecht à l’été 2015, la transaction n’aboutit pas. Le président d’Anderlecht met en avant le mercantilisme du joueur. Ce à quoi le joueur répond en postant sur twitter une image « Lies, Lies, Lies, 24/7 » que l’on peut traduire par « des mensonges, toujours des mensonges. » Malheureusement pour lui, l’épisode refroidit le club et, quand il revient six mois plus tard proposer ses services à Anderlecht, reçoit une fin de non-recevoir. Gand saisit l’occasion tandis que le Lokomotiv, lui, continue à payer son salaire et ne réclame qu’une petite compensation financière, pressé de se débarrasser de son indésirable.

En Belgique, le transfert est loin de faire l’unanimité dans la presse sportive. Gand a changé de statut, fait maintenant partie du haut de tableau et vient de réaliser un très beau parcours en C1 sous l’égide d’Hein Vanhaezebrouck, l’entraîneur à succès des Buffalos. Problème, le jeu prôné par Vanhaezebrouk s’appuie sur un collectif bien huilé, pas vraiment le point fort de Boussoufa. L’accueil de Vanhaezebrouck est d’ailleurs particulièrement froid, ce dernier déclare au média belge La DH que « Le club a jugé qu’un joueur supplémentaire devait arriver. Je sais que ce joueur n’est pas prêt à jouer avec nous. Un choix a été décidé, vu ses états de service pour le club, de lui donner une nouvelle chance et de le sortir de l’oubli. […] Il doit prouver qu’il peut apporter quelque chose au groupe. On ne peut pas réaliser cela sur base d’un nom. Les prestations doivent suivre. Il a 31 ans. Normalement, on n’est pas encore usé. Nous allons tout lui offrir pour qu’il puisse retrouver la forme aussi vite que possible. Ce club est bien devenu champion sans Mbark Boussoufa. Nous voulons confirmer comme nous sommes occupés à le faire. Il faut attendre pour voir s’il atteint le niveau que La Gantoise requiert. Avec Boussoufa, Gand a terminé une fois 6e et une fois 4e. Je ne pense pas qu’aujourd’hui la direction et les supporters trouveraient cela suffisant. »

Après cet avertissement sans concession, le retour en Belgique se solde par un échec et, après six mois, devenu enfin libre de tout contrat, le joueur rejoint le club d’Al-Jazira. L’occasion de participer à la Coupe du monde des clubs 2017 ; où, après avoir sorti Auckland et Urawa, Al-Jazira s’incline (1-2) contre le Real Madrid. Il semble que cela ne soit de nouveau qu’un court intermède pour le Bouss qui aurait des envies de retour en Europe. Reste que Mbark Boussoufa a entre temps largement participé à la qualification du Maroc à la Coupe du Monde russe, épreuve à laquelle il n’était pas parvenu à se qualifier avec son pays jusque là, devant se contenter de participations à la CAN. Si le Maroc a hérité d’un groupe difficile avec l’Iran, l’Espagne et le Portugal, Boussoufa reste confiant, bien décidé à profiter de cette dernière opportunité. Plus surprenant, il déclarait récemment :

« J’ai vécu six années extraordinaires à Moscou. C’est une belle ville et une des plus grandes d’Europe. Le championnat russe est l’un des meilleurs. À l’époque, huit clubs se battaient pour le titre, avec de grands joueurs étrangers. J’ai beaucoup appris sur les plans personnel et professionnel. Le pays a beaucoup investi dans le football ces dernières années et a consenti de nombreux d’efforts pour développer ce sport. Personnellement, je suis content que cette Coupe du Monde se tienne en Russie pour soutenir le football russe. »

Sans rancune, le Bouss s’apprête à faire son retour en Russie porté par tout un pays. Loin, très loin, de sa solitude moscovite.

Viktor Lukovic

 

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