« Football, ombre et lumières. » Quand l’écrivain Eduardo Galeano décide de rendre hommage au football dans son livre, véritable dictionnaire amoureux du jeu, quoi de plus naturel pour lui que de faire coexister les deux dimensions qui donnent à ce sport toute sa dramaturgie. Pour que la lumière soit sur quelques joueurs et quelques clubs, combien d’autres doivent savoir se contenter de l’ombre tout en cherchant à tendre vers la lumière ?

Certains clubs portent pourtant parfois en eux tout une riche histoire, ou en tout cas permettent de remettre en lumière des événements oubliés. C’est le cas du Makedonija Gjorce Petrov, un des plus anciens clubs de Macédoine, qui rien qu’à travers ses noms successifs nous en dit beaucoup de l’Histoire du pays.

Un général français et des limonades yougoslaves

C’est en 1932 à Skopje, ou plutôt dans la municipalité de Hanrievo, qu’est créé la première version du club tel qu’on le connait. Nommé HASK (Hanrievski Amaterski Sportski Klub), le nouveau club rend d’ailleurs involontairement hommage à la France car Hanrievo est un hommage au général français Paul-Prosper Henrÿs, commandant de l’armée française d’Orient ayant défait la Bulgarie, permettant à la Macédoine de garantir son indépendance.

Renommé par la suite Rudar, puis Lokomotiv ou encore Industrialec, le club se fixe une première identité en adoptant le doux nom de Jugokokta au début de l’année 1970. Une marque de soda d’origine slovène créée en 1953 pour reproduire un substitut au Coca-Cola américain. A base « d’orge, de vitamine C, de sucre caramélisé et divers extraits d’herbes » selon le site officiel de la compagnie, elle est devenue depuis un produit iconique de l’ex-Yougoslavie, proposant diverses boissons rafraîchissantes. L’entreprise est d’ailleurs toujours en pleine santé sous le nom Cockta et surfe sur une identité rétro et vintage, se positionnant comme « la boisson des jeunes d’aujourd’hui et d’hier. »

« Ton Cockta c’est ton truc »
© Cockta.eu

Pour l’anecdote, Cockta fut une des premières marque à s’associer aux événements sportifs dans un but marketing, la boisson ayant été lancée pour la première fois en 1953 comme sponsor lors d’un concours de saut à ski à Planica (Slovénie). Prend ça Red Bull ! Ce partenariat en fait probablement un des cas les plus anciens de « naming » sportif au sens actuel du terme – avec le NK Mercator en Slovénie dans les années 1970, nommé d’après une enseigne de supermarchés yougoslaves.

Attention ! L’abus de
© Cockta peut vous donner envie de courir à poil sur le terrain de la Telekom Arena un jour de finale de Coupe de Macédoine.

Un leader révolutionnaire et l’indépendance

Néanmoins on parle à l’époque d’un club encore peu structuré, qui ne navigue pas plus haut que le quatrième échelon régional. Dans les années 60, le club et la ville investissent pour construire un nouveau stade municipal, l’ancien ayant été rasé après le séisme de 1963. Une nouvelle enceinte qui rapidement surnommée « Cockta Stadium. » Entre temps, la municipalité d’Hanrievo – renommée Vovche Pampurce, puis Zhostovo sous l’occupation bulgare lors de la Seconde Guerre mondiale – a acquis son nom définitif en 1945 à la Libération. Il s’agit d’un nouvel hommage à une personnalité du début du siècle, en la personne de Gjorce Petrov.

© Makedonija GjP

Né à Prilep en 1865, sous le règne de l’Empire Ottoman, Gjorce Petrov est un instituteur et révolutionnaire officiant dans toute la Macédoine, une région alors sous domination de la Sublime Porte, au crépuscule de son existence. Alors que tous les Balkans commencent à s’organiser pour se libérer de la domination ottomane, la Macédoine reste une région à l’identité incertaine, fortement revendiquée par la Bulgarie qui y voit un des foyers de la religion orthodoxe et de la culture bulgare.

Petrov est un des leaders de l’Organisation Révolutionnaire Intérieure de Macédoine (VMRO) avec un certain Gotsé Deltchev notamment (auquel les supporters du Vardar Skopje rendent occasionnellement hommage), organisant des actions de guérilla visant à déstabiliser l’empire ottoman et permettre la libération de cette région de Macédoine. Une opération qui résulte notamment en 1903 par l’insurrection d’Ilinden, première grande révolte des peuples bulgare et macédonien et événement historique aujourd’hui considéré comme fondateur de la conscience nationale macédonienne.

Lorsque ce quartier de Skopje est donc renommé en l’honneur de Gjorce Petrov en 1945, c’est un symbole fort de l’identité macédonienne qui est associé à ce coin de Yougoslavie. Et c’est également un symbole lorsque le club de Jugokokta, nos amateurs de soda à la groseille, reprend le nom de Makedonija Gjorce Petrov en 1989, juste avant la disparition de la Yougoslavie et l’indépendance réelle de la République de Macédoine en 1992.

Pour la chaleur de l’été 1998

Sous ce nouveau nom, le Makedonija « GjP » connait une ascension fulgurante au tournant des années 1990. Promu en troisième division yougoslave en 1991, il fait partie des clubs constituant le nouveau championnat macédonien lors de l’indépendance.

Après un rapide passage d’une saison en deuxième division, le club accroche son meilleur résultat en 1998 avec une troisième place, décrochant au passage sa place pour la défunte mais délirante Coupe Intertoto. Contre toute attente, les Macédoniens se défont au premier tour de l’Olimpija Ljubljana et s’offrent une double confrontation face au Sporting Club de Bastia.

Le 4 juillet 1998, c’est peu dire que les Corses avancent vers l’inconnu sur la pelouse municipale du Stade Gjorce Petrov, une poignée de jours après leur retour de vacances. En ce 4 juillet 1998, la France vient de se qualifier aux tirs au but pour les demi-finales de Coupe du Monde, et l’Allemagne allait être sortie par de surprenants Croates. Les Corses se seraient-ils attardés à regarder ces matchs depuis leur hôtel de Skopje ? Toujours est-il que rapidement, on comprend que ce match joué dans une torpeur estivale a tout du piège.

Dans une équipe composée des espoirs Franck Jurietti, tout juste débarqué de Gueugnon, Pierre-Yves André ou encore François Modesto, qui joue là son premier match européen et un de ses premiers matchs professionnels, encadrés par Ali Boumnijel, c’est Naumovski qui ouvre le score en première période. Le « FC Skopje » comme l’appelle le commentateur de France 3 Corse dans un document exceptionnel fleurant bon les VHS et les matchs d’Intertoto du mois de juillet, s’impose donc sur la plus petite des marges face aux hommes d’Henry Kasperszcak. Au match retour cependant, disputé la veille de la finale France-Brésil, les Bastiais font respecter leur statut et s’imposent nettement (7-0).

On n’oublie jamais sa première fois

En 2001 la marque Cockta, l’ancien sponsor du club, introduit un nouveau slogan « On n’oublie jamais sa première fois » qui colle assez bien avec ce que vit alors le club. Après ces quelques minutes européennes face à Bastia, le club sombre dans les divisions inférieures à l’entrée des années 2000. Ils remontent finalement en 2005, le temps d’accrocher une deuxième place au classement, ainsi qu’une Coupe de Macédoine.

La consécration intervient en 2009, lorsque le Makedonija GjP remporte son premier et unique titre de champion de Macédoine. Malheureusement pour lui, la joie est de courte durée puisque la saison suivante le club boycotte plusieurs matchs de championnat pour protester contre la reconduite à la tête de la fédération macédonienne du président Haralampie Hadzi-Risteski, en bisbille avec le gouvernement.

Spécialiste du football macédonien, le compte Twitter @MacedonianFooty nous donne quelques éclaircissements sur cette affaire et ses conséquences :

Globalement ils considéraient que la ligue et les gens à sa tête étaient corrompus. Dans leur mouvement [de boycott] ils pensaient mobiliser un maximum de clubs, mais finalement seul le club de Sloga [FC Shkupi] les a suivis. Ces deux clubs ont donc été exclu car ils ont refusé de jouer deux matchs consécutifs. A la suite de cela, ils ont été exclus du championnat et rétrogradés.

Espérant mobiliser tous les clubs du championnat dans son sillage, le Makedonija GjP voit ses efforts rester vains, et seul le Sloga Jugomagnat (aujourd’hui FC Shkupi) lui emboîte donc le pas. De ce fait la fédération exclut d’office le club, qui se voit relégué en troisième division.

Contraint de changer une nouvelle fois de statut, le club fusionne avec le MFK Treska, un village près de Skopje, dont il prend le nom afin de disputer le championnat de troisième division. Après avoir fait plusieurs fois l’ascenseur entre première et deuxième division, le Makedonija remporte finalement une dernière fois le titre en deuxième division en 2018, et se retrouve cette année en finale de la Coupe de Macédoine. Une finale où il doit affronter un autre club au destin particulier, l’Akademija Pandev. Un club que nous avons eu l’occasion de découvrir lors de l’un de nos derniers Footballskitrips.


Lire aussi : A la découverte de l’Akademija Pandev


Après avoir exploré le passé, et pour conclure sur le présent du club de Gjorce Petrov, @MacedonianFooty nous donne un éclairage sur l’actualité du club :

Je le décrirai finalement comme un club professionnel « lambda ». Sa particularité, et cela depuis des années, est de révéler des joueurs brésiliens venus un peu de nulle part, de divisions inférieures brésiliennes ou portugaises.

Lambda peut être, mais portant en lui une riche histoire. Depuis sa création, le Makedonija GjP a été un club portant un nom en hommage à un militaire français, une marque de boisson yougoslave iconique puis un leader politique du début du XXe siècle.

Aujourd’hui, la finale de Coupe de Macédoine a ainsi lieu entre le club le plus récent de Macédoine et un autre ayant traversé toutes les époques. Entre Gjorce Petrov et Goran Pandev, ce sont également deux des principales figures du pays qui s’affrontent, indirectement. Qui, du leader politique ou du footballeur, aura le plus œuvré pour la reconnaissance de la Macédoine ? Réponse à partir de 18h30.

Antoine Gautier

*Note aux lecteurs : la rédaction n’a reçu aucune commission ni rétribution de quelque sorte que ce soit de la part de l’entreprise Cockta pour la réalisation de ce papier, et n’a d’ailleurs aucune idée du goût que peut avoir ce soda.

3 Comments

  1. Anonyme 22 mai 2019 at 15 h 39 min

    Superbe article, merci beaucoup !

    Reply
  2. Anonyme 11 juin 2019 at 14 h 02 min

    Merci beaucoup de reconnaître la Macédoine par son vrai nom ! Un plaisir de vous avoir lu, vous avez gagné un nouveau lecteur.

    Reply
  3. Anonyme 2 mai 2020 at 9 h 59 min

    Bonjour,

    Etant Macédonienne de France, je vous remercie d’avoir posté cet article qui me permet aujourd’hui d’en apprendre un peu plus sur ma culture d’origine. Et merci également de parler de la Macédoine avec son vrai nom, identité qui suscite toujours des débats au sein des Balkans !!!

    Reply

Leave A Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.