L’objectif numéro un de notre visite en Macédoine était probablement du côté de Strumica. Cette petite ville tranquille, non loin des frontières bulgare et grecque a eu le bonheur d’enfanter des héros. Comme Baba Vanga, la célèbre voyante qui avait prédit il y a bien longtemps la chute de l’URSS, le désastre de Tchernobyl, la date du décès de Staline, la victoire de Topalov au tournoi mondial d’échecs, la montée d’une organisation islamiste fondamentaliste ou encore l’élection d’un président afro-américain. En revanche, la voyante de Strumica s’était trompée sur sa prédiction pour la Coupe du Monde 1994 en annonçant que la finale se serait jouée entre deux pays commençant par la lettre B (ce qui n’est pas passé loin puisque l’Italie a éliminé de justesse la Bulgarie en demi-finales pour affronter le Brésil en finale). Les défenseurs de Baba accusent d’ailleurs l’arbitre d’avoir faussé la prédiction en n’accordant pas un penalty à la Bulgarie…

Mais le héros de Strumica qui nous intéresse aujourd’hui ne fait pas de voyance, quoi qu’étant visionnaire en un sens. Son nom ? Goran Pandev. Vainqueur de la Ligue des Champions en 2010, l’attaquant vedette de l’équipe nationale n’a pas oublié l’endroit où il a grandi. En témoigne la création de son propre club, l’Akademija Pandev, sur les terres l’ayant enfanté. Comme nous l’avons vu la veille lors de son match contre Shkupi, le club vient tout juste de monter en première division pour la première fois de son histoire. Cette réussite a attisé la curiosité de Footballski, parti à la rencontre des acteurs de ce projet qui pourrait bien créer un renouveau pour le football macédonien.


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La Ligue des Champions 2010, fer de lance du projet Akademija Pandev

Après Tetovo et Cair, nous quittons la communauté albanaise de Macédoine. Dès huit heures, nous montons dans le bus en direction de Strumica pour trois heures de trajet à travers les belles plaines et collines macédoniennes. A peine sortis du bus, nous nous dirigeons vers le stade, lieu de rendez-vous convenu avec Jugoslav Trencovski, coordinateur de l’Akademija Pandev. Pour y arriver, nous traversons un beau parc, sublimé par le ciel bleu et la chaleur. On se dit à ce moment-là qu’on ne détesterait pas vivre à Strumica, illuminé par 230 jours de soleil par an, si loin de Paris et de son triste été hivernal. La jeunesse locale, se retrouvant dehors pour prendre du bon temps, ne fait que renforcer cette impression. Mais aujourd’hui, comme la veille et l’avant-veille, pas le temps de se reposer. La visite de la ville phare de l’est macédonien attendra. A pas pressés, nous nous rapprochons des quelques boutiques collées au stade jusqu’à l’arrivée au fameux Golden Hall, une salle de mariage assez grandiose. Avis aux personnes romantiques et de bon goût qui auraient envie de se marier près de la Pandev Academy. Signe ou non pour le futur, c’est devant ce bâtiment que Jugoslav et Georgi viennent nous accueillir.

Nous prenons confortablement place à la terrasse du café du club. Les deux hommes nous expliquent alors la fondation du club, directement liée à la victoire de la Ligue des Champions 2010, lorsque Pandev jouait sous les ordres de Mourinho à l’Inter Milan. Sous le coup de l’émotion après ce Graal couronnant une formidable carrière, Goran fait partager à ses proches sa volonté d’aider les jeunes Macédoniens à accomplir leur rêve, comme celui qu’il vient de vivre. Ni une ni deux, l’Akademija Pandev est lancée avec 70 enfants. Le projet se met en place et rencontre une belle popularité chez les enfants venant surtout de la région de Strumica. Mais en 2013, la fédération impose à l’académie d’avoir une équipe senior si elle veut jouer en première division Junior. La jeune équipe étant très talentueuse, le choix est rapide. Plutôt que de freiner le projet, la fédération aura eu le mérite de le booster. L’équipe senior de la Pandev Academy débute donc en quatrième division macédonienne. Une nouvelle page de l’histoire est lancée.

Le centre de formation sera au niveau des meilleures formations européennes | © Footballski

Aujourd’hui, le projet initialement conçu pour aider les enfants de Strumica à réaliser leurs rêves de footballeurs a pris une nouvelle envergure. De 70, on est passé à 300 enfants recrutés dans toute la Macédoine. Un centre de formation dont le coût total est évalué à cinq millions d’euros et financé intégralement par Pandev va voir le jour l’été prochain, comportant 45 chambres, une salle de musculation, des bains froids et chauds, un hôtel, un restaurant, une salle de soins et une vue panoramique sur un terrain hybride dédié à l’entraînement. Excusez du peu ! Les quatre catégories d’âge jouant au niveau national (U15 à U18), celles jouant au niveau régional (U13, U14) et locales (U6 à U12) sont gérées par des éducateurs et des coachs ayant des licences UEFA. Quatorze matchs ont lieu dans le week-end, comme un club européen chevronné. Et cela profite bien entendu à l’ensemble du football macédonien puisque quinze des jeunes de l’Akademija Pandev jouent aussi dans les équipes nationales de jeunes du pays.

Financement et politiques locales

Mais une question nous brûle les lèvres. Comment l’Akademija Pandev compte-elle être rentable sans sponsor et sans aides municipales ni étatiques ? A cette question, nos interlocuteurs insistent sur les indemnités de transfert. Goran Pandev ayant un réseau en Italie, quelques rejetons de l’académie sont déjà partis jouer dans la botte. L’ailier gauche Trapanovski est lui parti au Slavia Prague moyennant 100 000 €. Sachant que le club n’a jamais joué dans l’élite macédonienne, l’avenir semble prometteur. Le but avoué n’est donc pas de garder les talents à tout prix mais bien de les aider à grandir et à s’épanouir par la suite dans un plus grand club. Moyennant quoi, l’argent des transferts continuera à entretenir les frais de l’académie et du club, Goran Pandev n’étant pas destiné à être mécène toute sa vie. Les sponsors, eux, ne devraient pas tarder à arriver, d’autant plus que le nouveau premier ministre macédonien vient de Strumica, un atout non négligeable pour le club.

Un caillou est tout de même venu se coincer dans les rouages de l’Akademija Pandev. L’actuel joueur du Genoa voulait dès le départ racheter le club historique de la ville, où il avait débuté. Seulement, les négociations avec la mairie n’ont pas pris la tournure espérée. Car le FK Belacica, fondé en 1922 et riche d’une grande histoire, existe toujours aujourd’hui, en troisième division. La municipalité l’aide avec des subventions et le club concentre quelques sponsors. Pandev voulait garder le nom de Belacica mais n’a jamais obtenu gain de cause, « pour divergences politiques. » Ce qui pose un problème majeur car, pour entretenir un business modèle vertueux, il faudrait qu’il n’y ait qu’une seule équipe à Strumica, petite ville sans grandes ressources, vivant majoritairement de l’agriculture. Il va de soi pour tout le monde (sauf la mairie) qu’il n’y a pas la place pour deux clubs, voire trois avec le voisin Horizont Turnovo. Depuis le refus de la mairie, les dirigeants de l’Akademija Pandev n’ont pas perdu espoir et essayent encore de provoquer une fusion. Mais les entraves étant de nature politique, personne ne sait quand une solution pourra être trouvée.

© Footballski
Le stade de Strumica accueille régulièrement des matchs de clubs macédoniens en Coupe d’Europe, voire l’équipe nationale quand elle souhaite s’éloigner des turbulences de Skopje. | © Footballski

Le maire était pourtant aux premières loges pour voir l’éclosion de l’Akademija : lorsque celle-ci a été créée, tous les meilleurs jeunes de Belacica sont partis chez le nouveau venu. Un nouveau venu pas le bienvenu chez lui puisque l’Akademija Pandev a été contrainte de s’entraîner et de jouer à Turnovo jusqu’ici, le loyer du stade central de Strumica étant trop élevé. Ce qui explique la modeste affluence de 1000 spectateurs l’an dernier dans le stade de Turnovo, plus prompt à supporter l’Horizont, deuxième du championnat 2013-2014. Une hausse de l’affluence est attendue cette année, sans qu’elle soit foudroyante. Mais Jugoslav Trencovski nous le confirme : les habitants de Strumica ne sont pas insensibles au projet, loin de là.

La veille, lorsque nous avions assisté au premier match de l’Akademija Pandev dans l’élite, contre Shkupi, un détail nous avait marqué : la présence de GPS sur les joueurs, calculant leurs données comme pour les plus grands clubs européens. Pas vraiment habitué à voir ce genre de technologie lors de nos excursions footballistiques en Europe de l’Est, nous avons voulu en savoir plus avec les dirigeants de l’Akademija. Ces derniers nous ouvrent le coffre contenant le précieux matériel. Il se trouve que seules trois autres équipes dans les Balkans possèdent cette technologie : l’Olympiakos, l’Anorthosis Famagouste et le Dinamo Zagreb. Pour ses protégés, Goran Pandev n’a pas investi dans n’importe quoi puisque ces GPS sont équipés d’une technologie de pointe. Jugoslav nous demande alors quel joueur nous a intéressé lors du match contre Shkupi. Une minute après, nous avions accès à toutes les informations et à l’analyse des performances du numéro 10 qui avait attiré notre attention. Comme pour le centre de formation multifonctionnel ou le terrain hybride, Pandev a voulu le meilleur. Un privilège rare en Macédoine pour des enfants qui ne partent ainsi pas sur le même pied d’égalité que d’autres ailleurs dans le monde.

Un projet enchanteur

Nous terminons cette enrichissante discussion sur les problèmes politiques du pays et de Strumica, coincé entre ses envahissants voisins grecs et bulgares qui revendiquent l’identité slavo-macédonienne. La minorité albanaise, très peu présente dans ce coin de Macédoine (0,01% à Strumica) est moins un problème qu’ailleurs. Mais les tensions ethniques sont dans toutes les têtes. « De toute façon, il n’y a pas d’autre choix que de vivre avec, » nous confie notre hôte un brin fataliste. Après nous avoir accordé cette interview, terminée sur des discussions au sujet des problèmes politiques du pays, Jugoslav et Georgi nous proposent une visite du centre de formation de l’Akademija Pandev, qui va sortir de terre dans un an. Et force est de constater que les travaux ont bien avancé. Les fondations et le béton sont posés, les ouvriers sont affairés. En Europe de l’Est, nous sommes habitués aux projets grandiloquents qui ne voient jamais le jour mais ici, nous n’avons pas l’ombre d’un doute. Les Macédoniens travaillent vite et bien.

Le « City-break à Strumica » bientôt en top suggestion sur Tripadvisor ? | © Footballski

Émerveillés par ces infrastructures sortant de nulle part et donnant sur les montagnes, nous continuons la visite au bureau du club, où nous rencontrons le président, qui a également été le premier entraîneur de Goran. Après de courtes mais très agréables amabilités avec la capitaine de l’équipe féminine qui joue en première division, nous visitons les locaux de Belacica et constatons la forte poigne du président, un ancien champion de kick-boxing. Vu les échanges amicaux de Georgi et Jugoslav avec le président de Belacica, la cohabitation entre les deux clubs se passe très bien. Après avoir jeté un œil sur les travaux du stade, qui a accueilli dans la foulée le match Macédoine – Albanie dans le cadre des qualifications à la Coupe du Monde 2018, notre visite se termine. Georgi nous emmène au restaurant du club, où il nous conseille d’admirer les charmes de Strumica possédant « les plus belles femmes du pays. » A souligner d’ailleurs selon notre hôte, il y aurait dans cet endroit tranquille et paisible trois femmes pour un homme.

Après un verre au Café 19, dont le propriétaire n’est autre que Goran lui-même, nous reprenons notre route vers Skopje. Nous jetons un dernier coup d’œil aux projecteurs du stade. Ceux-ci illumineront bientôt les exploits d’un club calibré pour occuper le haut de tableau du championnat macédonien d’ici deux ou trois ans. On a hâte d’y revenir !

Damien F.


Image à la Une : © Footballski

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