Le football dans les RSS : #69 le Turkménistan – Kurban Berdyev, le porte-étendard du football turkmène

Durant cette année précédant de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) Républiques socialistes soviétiques d’Union soviétique avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Nous finissons notre grande épopée avec le Turkménistan, dont nous vous parlons aujourd’hui de son plus grand représentant : Kurban Berdyev.

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Chaque année, le site fourfourtwo.com donne son top 50 des meilleurs entraîneurs du monde. En 2017, Antonio Conte remportait la palme devant Zinedine Zidane, Massimiliano Allegri et Diego Simeone. Loin derrière, entre Senol Gunes du Besiktas et Brendan Rodgers du Celtic, se trouvait un certain Kurban Berdyev, entraîneur du Rubin Kazan. « La capacité de Berdyev à transformer des joueurs ordinaires en artistes de classe est incroyable. Il est difficile de trouver un entraîneur avec un éclat tactique, mais le Turkmène de 64 ans semble faire partie de cette race-là. » écrivait alors le site. Qui est ce Kurban Bekievitch Berdyev qui fascine tant ? Qui est ce Turkmène au panthéon des meilleurs coachs du monde ?

Berdyev le footballeur

Kurban Berdyev est né à Achgabat le 25 août 1952. La capitale turkmène peine encore à se relever, quatre ans après l’un des plus terribles tremblements de terre de l’histoire. Le 5 octobre 1948, un tremblement de terre estimé à 7,3 sur l’échelle de Richter ravage les deux tiers de la ville faisant, selon les estimations, entre 100 000 et 176 000 victimes. « Je me souviens, raconte Berdyev, de période durant lesquelles les gens ne pouvaient même pas s’acheter du pain noir. Ma mère me réveillait à quatre heures du matin pour aller au magasin et faire la queue. »

Le jeune Kurban se lance dans le football à l’âge de sept ans dans l’école de football « Kolkhozchi », ancien nom du Kopetdag Achgabat. La carrière professionnelle de Berdyev se résume à trois clubs : le Kolkhozchi, club de ses débuts et dans lequel il reviendra deux fois le temps d’une saison, le Kaïrat Alma Ati, club kazakh avec lequel il joua 159 matchs, marqua 33 buts et remporta la Première Ligue d’URSS (deuxième division soviétique) en 1983, puis à Rostov, au SKA Rostov et au Rostlemach, l’ancêtre du FK Rostov actuel. « Intelligent, réfléchi et avec beaucoup d’esprit. Dommage qu’il ne court pas très vite » disaient les entraîneurs au début des années 80 en voyant le jeu de Berdyev. Dans ce football soviétique, le jeune homme joue tout de même une grande partie de sa carrière en Ligue supérieure d’URSS avec pas moins de 155 matchs pour 23 buts. Convenable, mais loin de son futur parcours d’entraîneur.

Berdyev joueur | sportobzor.ru

Berdyev l’entraineur

Pour Kurban Berdyev, sa carrière professionnelle s’arrête à l’âge de 33 ans malgré sa volonté de continuer à jouer. « Tu es trop vieux, laisse la place aux jeunes » lui dit-on. La suite est toute tracée. Il sera entraîneur. De son expérience de trois ans comme entraîneur du Khimik, à Taraz, au Kazakhstan, on peut y retenir l’histoire de la traditionnelle veste de Berdyev. « La veste, c’est une tradition, raconte-t-il. À domicile, je la porte, et à l’extérieur, je suis en survêtement. C’était déjà le cas à Taraz, où j’ai commencé à entraîner en 1986. Il se trouve qu’avant le match, j’ai brûlé ma veste en la repassant. J’ai dû y aller en survêtement. Et nous avons gagné. Ça a continué ainsi. Et aucune série de défaites ou autre chose ne me poussera à briser cette tradition. »

Par la suite, le Turkmène décide de voguer vers Moscou, lors d’un passage de 1989 à 1991 à l’école supérieure des entraîneurs, avant de retourner au Kazakhstan, dans son Kaïrat, d’abord en tant qu’assistant puis comme entraîneur principal durant la saison 1994/1995. Entre temps, il fait une pige au Gençlerbirliği Spor Kulübü d’Ankara avec lequel il montre sa détermination et un besoin d’estime de soi.

« On m’avait donné la tâche d’atteindre le top dix, explique Berdyev. Nous nous classions entre la quatrième et la sixième place, voire même la troisième un certain temps. La direction du club a alors commencé à avoir un appétit grandissant en demandant d’atteindre la Coupe d’Europe ! Je leur ai expliqué qu’au vu des possibilités du club, ce n’était pas réaliste. Un conflit s’est alors installé à ce sujet. Non pas avec le président du club, qui restait neutre, mais les personnes influentes autour du club. J’étais jeune à l’époque. Je me suis emporté, j’ai rassemblé mes affaires et je suis parti. »

Malgré cela, c’est en Turquie que se forme cette capacité à atteindre de grandes choses malgré le peu de moyens. Si le club turc n’était pas un géant du football turc, loin de là, Berdyev, l’entraîneur, a montré en quelques mois toutes ses capacités à fédérer un groupe et à l’emmener au plus haut. En 1998, il retourne à Achgabat entraîner le Nisa Achgabat et glane ses premiers titres en remportant le championnat turkmène 1999 et la Coupe du Turkménistan 1998. Un accomplissement hors de Russie pour cet homme que l’on considère, au regard de sa carrière de joueur et d’entraîneur, autant Russe que Turkmène. S’il confit qu’il a « grandi dans un village où vivaient des polygraphes russes, [qu’il a] été à l’école russe, diplômé à l’Université… [qu’il] aime la littérature russe, [qu’il a] toujours un livre avec [lui]. », le Turkménistan peut toujours compter sur lui pour le représenter dignement à l’étranger.

Berdyev, roi du Rubin Kazan !

La Russie est désormais son terrain de jeu. Après une année passée au Kristall Smolensk avec la double casquette de consultant pour la Sbornaya U17 dans le cadre du championnat d’Europe 2000 en Israël, Berdyev est nommé entraîneur du Rubin Kazan le 4 août 2001. Le club phare du Tatarstan est alors en deuxième division russe et, en cet été 2001, personne ne peut deviner que démarre la plus belle période de l’histoire du club sous la direction de cet entraîneur turkmène.

Douze années de fidélité permettent au Rubin Kazan de s’inscrire dans l’histoire du football russe, tant au niveau national, avec deux titres de champion de Russie en 2008 et 2009, une Coupe de Russie 2012 et deux Supercoupes de Russie 2010 et 2012, qu’au niveau européen avec des victoires de prestige contre le FC Barcelone, à Kazan, 2-1 lors de la Ligue des champions 2009/10, contre l’Inter 3-0, en Europa League 2012/13, et contre l’Atlético de Madrid, 2-0, la même année, en seizième de finale d’Europa League. Cette saison est d’ailleurs la plus belle puisque le club atteint les quarts de finale d’Europa League, battus seulement par le futur vainqueur de la compétition, Chelsea.

De là, il nous est aisé d’affirmer que Kurban Berdyev a su faire grandir ce club à un niveau que ne pouvaient espérer les dirigeants et les supporters. À son arrivée, Berdyev a tout de suite mis les choses au point en se préoccupant de tous les aspects du club, notamment vis-à-vis des infrastructures. En effet, en ce début des années 2000, le Rubin ne dispose d’aucun centre d’entrainement. Sa force de persuasion permet alors de développer un club et, à une plus large échelle, le football au Tatarstan.

« La principale chose pour moi, conte-t-il, ce sont les infrastructures de football que je veux créer au Tatarstan. […] Quand je suis arrivé au Rubin, j’ai tout de suite discuté de cette question des infrastructures. Je comprenais que, sans cela, je ne pouvais avoir de sérieux résultats. On m’a répondu « non ». Je suis alors retourné à Smolensk, il y avait, là-bas, un travail allant dans ce sens. Cependant, il y a eu une nouvelle rencontre avec les autorités tatares et ils ont accepté mes conditions. »

Si le centre d’entrainement est la priorité, ce n’est finalement que la première pierre d’un édifice nouveau, moderne, attrayant, touchant également le centre de formation. Ainsi, si Berdyev est certes entraîneur, il devient en un temps record un directeur général officieux mettant en place tout une vision de ce que doit être le futur Rubin Kazan. Ce club devient alors le sien, son objet, son enfant, celui qu’il veut façonner, polir, admirer et rendre admirable. Outre ce rôle de constructeur, Berdyev apporte également une discipline de fer, tant en dehors que sur le terrain. Aucun caprice n’est toléré au sein de l’effectif, laissant peu de place au superflu. La discipline est le fer-de-lance de son équipe et il n’est donc pas étonnant de voir une équipe de Berdyev plus solide que jamais sur le plan défensif. Les défenseurs centraux sont la clé d’un système basé sur une défense rugueuse et des relances rapides, les Cesar Navas et autre Gatzkan en sont la preuve.

En 2013 cependant, la machine s’enraye et Berdyev quitte le Rubin Kazan. Comme le déclare Mikhail Gershkovitch à ce moment « l’équipe jouait de belle manière jusqu’à ce que certaines personnes aient commencé à lui mettre des bâtons dans les roues et se battre pour avoir le pouvoir au club. […] C’est une décision stupide et non réfléchie. Pour le Rubin, c’est une grande perte. »Une perte qui a duré trois années, trois années durant lesquelles le Rubin se cantonne au milieu de tableau de la RPL. Mais l’appel du Tatarstan est trop fort et, en 2017, Berdyev fait son retour au pays.

Berdyev et la recette du succès

Malgré un indéfectible attachement au Rubin Kazan, Berdyev a dans son cœur un deuxième club, le FK Rostov. D’abord en tant que joueur, où il y a joué pendant une saison en 1980, avec un rôle de capitaine, puis en tant qu’entraîneur, fraîchement débarqué sur les bords du Don en 2013. La question se pose alors de savoir si Berdyev est capable de rééditer ses bons résultats avec un autre club. La réponse est pour le moins positive puisqu’en deux saisons et demie à la tête de l’équipe, le club connait une période dorée. Lors de la saison 2015/16, le FK Rostov parvient à accrocher une deuxième place en championnat en restant, jusque dans les dernières journées, dans la course au titre face au CSKA Moscou. Mais encore une fois, Berdyev s’illustre en Coupe d’Europe avec notamment une victoire historique face au Bayern Munich d’Ancelotti, trois buts à deux, lors de la phase de groupe de Ligue des Champions 2016/17. Un match d’anthologie qui reste l’un des plus beaux exploits du football russe en Coupe d’Europe.

« Berdyev champion », à Rostov | championat.com

Cette capacité à bien faire jouer ses équipes s’explique également par la présence à ses côtés d’un staff fidèle composé notamment de Vitaly Kafanov, Ivan Danilyants, Aleksander Matsiura, Yakub Urazsakhatov et de Vladimir Kulayev. D’origine turkmène (c’est le cas de Kafanov, Urazsakhatov et Matsiura qui sont tous les trois nés à Achgabat) ou ayant joué avec lui (c’est le cas de Danilyants, Kafanov), Berdyev a l’habitude de travailler avec ces hommes qui, par la force des choses, sont aussi la cause des excellents résultats du Turkmène au Rubin Kazan et à Rostov.

Cette réussite ne peut cependant pas se calquer avec tous les clubs de RPL. Lors de l’été 2016, l’entraîneur turkmène est en discussion avancée pour prendre les commandes du Spartak Moscou, faisant de la saga Berdyev le feuilleton de l’été. Mais le club au losange n’a pas la même structure que le Rubin ou le FK Rostov. Club au capital privé avec à sa tête des dirigeants qui n’auraient jamais laissé la totalité des clés du club au grand manitou turkmène, l’expérience aurait pu finir au fiasco.

Un homme de foi et de principes

La personnalité de Berdyev est sujette à discussion. L’homme est très rarement vu le sourire aux lèvres et donne ainsi l’impression d’un homme froid et distant. Mais ceux qui le connaissent tracent le portrait d’un homme attachant. Lui-même en est d’ailleurs conscient. « Beaucoup disent que je suis trop fermé. Oui, je suis de ceux qui ont deux-trois proches. Le reste, ce ne sont que des connaissances. Je ne peux pas être considéré comme un homme au contact facile. Ainsi, je préfère écouter plutôt que parler. »

Kurban Berdyev ne serait pas Berdyev sans une traditionnelle image bien à lui. Outre la tradition de la veste/survêtement et du port de la casquette, vous le verrez toujours avec le Coran et le talisman à la main. Lui, le fidèle croyant et pratiquant de la religion musulmane. « Mon grand-père était un musulman pieux qui priait même à l’époque soviétique. J’ai vu mon grand-père faire cinq fois la prière, et c’est resté gravé dans mon âme. Bien qu’à ce moment-là je jouais et je ne faisais pas la Salat, dans mon âme il y a toujours eu la foi. C’est seulement à 35 ans que je suis allé à la mosquée. Et alors, j’ai compris, j’ai senti que c’était en moi. Si les chrétiens font le signe de croix avant d’aller sur le terrain, ou si le musulman se tourne vers Allah, avec sincérité, c’est une chose. S’ils le font à cause de la tradition, parce que tout le monde le fait, c’est tout à fait différent. La superstition ou l’imitation de la tradition, je trouve cela inutile. L’homme ne peut pas vivre sans la foi. S’il croit en son pays, il fera tout pour lui. Et ce n’est pas nécessairement par le football. »

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Littéralement fou de football, incapable de prendre des congés durant l’année hormis lors du Nouvel An, Kurban Berdyev ne manque jamais la prière du vendredi. Peu importe où il se trouve, il se déplacera toujours à la mosquée du coin, tandis que le pèlerinage à La Mecque est pour lui une habitude qu’il essaie de réaliser chaque année. L’idée de croyance le guide dans les moindres recoins de sa vie, y compris dans le sens qu’à le football pour lui : « Le plus intéressant c’est que nous ne jouons pas seulement au football, nous donnons l’exemple aux autres. Il n’y a pas d’exagération. A l’époque soviétique, c’était comment ? On croyait aux gens du parti, aux idéaux de l’époque. Et en quoi croyons-nous aujourd’hui ? C’est difficile avec les idéaux de nos jours, n’est-ce pas ? Il y a des doutes pour que la jeunesse croit en masse en Dieu. Le sport donne un but qui peut être atteint et qui permet de se sentir fier de ce que vous êtes. Dans ce sens, toutes les équipes professionnelles en Russie sont occupées à un objectif en particulier : Nous formons les âmes des enfants. »

Dans un monde où les principes sont fréquemment mis au placard, la personnalité de Kurban Berdyev fascine et, même si ses méthodes paraissent dures, son travail à Kazan et à Rostov est salué par l’ensemble de la profession à travers le monde. L’entraîneur cultive ses mystères en Russie. Le chamane, comme on l’appelle, continue de guider avec son contingent d’adjudants turkmènes son Rubin adoré vers de futures victoires. Avec lui, le Turkménistan a un ambassadeur de choix.

Vincent Tanguy


Image à la une : Maksim Bogodvid / Sputnik via AFP Photos

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