La récréation Euro 2016 est finie, place aux choses sérieuses, soit l’Europa League. Et pour commencer ce premier tour préliminaire, un alléchant choc entre Cukaricki et Ordabasy Shymkent. C’est ce dernier club qui va nous intéresser aujourd’hui, grâce notamment à leur entraîneur, nom mythique du football kazakh. Parmi les douzaines de coachs de Premier League, Bakhtiar Baiseitov est le plus respecté. Il est également incontournable du football à Shymkent, à tel point que personne ne peut mieux représenter le club que lui.

Bienvenue dans le sud du Kazakhstan, véritable oasis de villes anciennes, parsemées de lieux sacrés, de légendes et d’énigmes. Parmi elles, Shymkent, troisième ville du Kazakhstan et sorte de Glasgow aux influences ouzbèkes. Vu par les étrangers comme un foyer de la petite corruption et de la criminalité mineure, elle regorge pourtant de gens toujours intéressants à rencontrer : courtois, engagés, civiques, gentils et chaleureux. Même si parfois les traditions restent fortes et spéciales à l’œil étranger. C’est ici, dans la « ville verte » (signification de Shymkent en kazakh), que Bakhtiar Daniyarovich Baiseitov a été contaminé par le football. Sur les terrains vagues où il a grandi, jouxtant le désert et les plantations de tomates, melons et pastèques, Bakhtiar jouait avec son ballon du matin au soir. Au grand dam de son oncle Shukur, directeur de l’école locale, qui voulait le voir scientifique ou, dans le pire des cas, enseignant. Devant la passion dévorante de son neveu qu’il éduquait, il se résolut à prendre une mesure radicale : couper le ballon avec une hache. En vain. Les rêves de Bakhtiyar ne se brisent pas.

Du Metallurg au Meliorator Shymkent

Pourtant, peu croyaient en lui. Durant toute sa scolarité, Bakhtiar a connu les quolibets de ses camarades qui se moquaient de lui lorsqu’il déclarait qu’un jour, il ferait les beaux jours du géant de football local, le Kairat Almaty. Probablement à raison, puisque avant ses 19 ans et son inscription à la Faculté des Sports de Shymkent, il n’avait jamais vu de vrai terrain de football. Et d’autant plus qu’il ne révéla pas de grandes aptitudes dans un premier temps. Il faut dire que le parquet en bois du gymnase de la fac n’était pour lui pas la meilleure façon de s’exprimer, loin des terrains vagues désertiques où il avait l’habitude de pousser la balle. En revanche, une fois sur un vrai terrain, Bakhtiar était transformé. Sa vision du jeu et sa capacité à marquer des buts dans les matchs cruciaux en faisaient un élément important de l’équipe. Et son talent a fini par être reconnu. Le club de jeunes de sa ville, Shymkent, l’a enrôlé. Ce fut une bonne idée, au vu des statistiques du jeune homme qui marquait des buts quasiment chaque match. Récompense suprême, la grande équipe senior de la ville, le Metallurg Shymkent, l’invita à venir renforcer son équipe.

Ce Metallurg, ancêtre de notre contemporain Ordabasy, a longtemps figuré dans les divisions inférieures en URSS. Il était parmi les meilleurs de sa zone en classe B (troisième niveau d’URSS) puis a continué au gré des nouvelles formules inventées par la créative équipe politique sportive de l’époque. Certes, Shymkent n’a pas joué à un niveau assez haut pour avoir accès à une reconnaissance permettant d’attirer des joueurs ou de garder les meilleurs jeunes. Cependant le club a formé de nombreux joueurs de notoriété continentale qui ont joué chez les voisins du Kairat Almaty ou du Pakhtakor Tashkent, et même au Spartak Moscou et dans les équipes juniors et seniors de l’URSS. Bakhtiar Baiseitov, de son côté, se contentait très bien de ce niveau et poursuivit tranquillement sa carrière dans le club de sa ville.

Jusqu’à ce qu’une idée, qui s’avérera par la suite brillante, jaillissent du cerveau de notre héros : créer une équipe où il pourrait jouer et entraîner. Bien aidé par Manap Utebayev, le directeur du Collège Technique de Fabrication de Techniques Hydrologiques (la précision semblait importante), son idée se mit à exécution. C’est ainsi qu’a été créé le club « Meliorator », remplaçant par l’occasion le Metallurg. La détermination de Baiseitov, qui venait de finir sa carrière de joueur à 33 ans, lui permit d’apprendre les bases du coaching et de les mettre en pratique. Alors en charge de Meliorator, il fit monter l’équipe et remporta le championnat soviétique kazakh en 1980. Non content de ce succès, il réalisa outre l’exploit de remporter trois championnats consécutifs de 1985 à 1987 (zone 8 de la deuxième ligue d’URSS). Et en 1989, la consécration. Bakhtiar Daniyarovich réalisa son rêve, celui d’épouser la tunique du Kairat Almaty, qu’il mena trois ans plus tard au titre de champion de la nouvelle ligue indépendante (1992). Cette même année pendant laquelle il dirigea l’équipe nationale vers le titre de champion d’Asie centrale.

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© fcordabasy.kz

Records, chapelet et poings

Bakhtiar Baiseitov est entré dans l’histoire du football national grâce à plusieurs accomplissements marquants. A tel point que personne ne risque de le détrôner. Tout d’abord, outre le fait qu’il fut le premier entraîneur-chef de l’équipe nationale, Baiseitov n’a jamais perdu un match en deux ans (1992-1994) à la tête de l’équipe. Il a même remporté la première Coupe d’Asie Centrale à Douchanbé, au Tadjikistan. Un exploit, car depuis le Kazakhstan n’a plus gagné aucun trophée, à l’exception bien plus tard de l’Alma-TV Cup (organisé à Shymkent). Mieux, lors d’un tournoi international en Corée, il marqua de son empreinte le match contre la Libye entraînée par Mario Zagallo. En ce jour d’été 1992, il y a déjà plus de deux décennies – à laquelle la moustache a survécu -, Baiseitov se fit rentrer lui même en jeu à la 60ème minute à la place d’Askar Abildayev. Après 18 minutes, c’est lui qui marqua le seul but du match ! A cette époque, Baiseitov était âgé de près de 40 ans. Grâce à ce fait de gloire, il est entré dans le panthéon du football kazakh pour être le seul entraîneur de la sélection à jouer pour elle et à marquer.

Après avoir remporté la Coupe d’Asie centrale, il décida de se concentrer sur son travail dans « Kairat » qui profitait de son statut de club glorieux d’URSS pour posséder tous les joueurs de l’équipe nationale. Résultat, Baiseitov gagna le premier championnat et la première coupe d’indépendance du pays. Cependant, les mauvaises langues affirmèrent que Baiseitov n’avait qu’une fonction d’accompagnant, l’ensemble de l’organisation tactique reposant sur les épaules de son adjoint, un certain Kurban Berdyev… qu’il se vante d’avoir lancé : « Personnellement, je ne suis pas surpris qu’il soit monté si haut. Il jouait très intelligemment et l’entraîneur est le même. Quand j’ai commencé ma carrière d’entraîneur, je l’ai appelé de Taraz. Je lui ai dit : « Kurban, sois prêt ! On va aller à Kairat ensemble ! ». Il doutait et ne répondait pas. Ensuite, il a admis qu’il n’avait pas assez d’argent pour la route. Je lui ai dit d’en emprunter et d’aller à la gare puis de prendre un taxi. Et que je lui payerai tout ça. Pendant deux ans, il a vécu avec ma femme et moi. Il est resté comme un ami et un frère. Ses amis sont venus chez nous, sa famille aussi. Je l’ai aidé à acheter son appartement à Taraz. D’ailleurs, vous savez qui lui a appris à porter le chapelet ? Moi ! Je crois que notre Créateur voit tout ce qui se passe sur la terre. Je marchais depuis longtemps avec un chapelet. Je lui ai fait lire le Coran. Maintenant toute la Russie, toute l’Europe sait qu’il est un homme profondément religieux. Mais plus tôt, il ne l’était pas. Je l’ai conduit à la mosquée, lui ai expliqué … » Amen.

Une amitié qu’il n’aura pas connu avec le fabuleux président de la fédération de l’époque, Kuralbek Ordabayev. Lequel, avec son règne étouffant, créait de fortes dissensions internes et était farouchement accusé de corruption. Alors entraîneur de la sélection et du Kairat, Baiseitov n’a pas supporté que le très influent président mette des bâtons dans les roues de son équipe. Après un match du Kairat qu’il a jugé biaisé par les arbitres, Baiseitov a débarqué en rafale dans le bureau d’Ordabayev pour le frapper.

Malgré cette riche histoire footballistique, Baiseitov donne parfois l’impression que pour lui, le coaching est un passe-temps. Alors que certains sont prêts à tout pour saisir une chance, même dans les divisions inférieures, Bakhtiyar Daniyarovich s’octroie de longues vacances. Ainsi, après l’échec du championnat 1993, lorsque le Kairat s’est classé seulement à la onzième place, Baiseitov s’est éloigné du coaching pendant 10 ans. Avant donc de revenir à l’été 2003 dans sa ville natale pour prendre les rênes de ce qui est devenu l’Ordabasy Shymkent (né de la fusion entre l’ex Metallurg et un autre club de la ville fondé à l’indépendance). Cette fois-ci, sans gloire. Comme avec Kairat et Atyrau qu’il a ensuite entraîné avant de disparaître une nouvelle fois dans la nature pendant 8 ans. Avant un énième come-back pour découvrir l’Europa League avec son Shymkent où il est toujours autant populaire : « Ici, les chauffeurs de taxi me transportent gratuitement. »

Une dernière pour la gloire ?

Arrivé pour la pré-saison 2016, Baiseitov n’a pas caché ses ambitions : « Je suis très heureux d’être de retour à Shymkent, ma ville natale. L’objectif principal est de faire franchir un cap à l’équipe. Le travail effectué l’année dernière a été fructueux, et devrait nous permettre de jouer efficacement la coupe d’Europe cette année. » En effet, même s’il est déjà une légende dans sa ville, il peut marquer l’histoire du club à jamais à travers une belle campagne européenne. Car contrairement à Kairat et Astana ou même brièvement Karaganda, Ordabasy ne s’est jamais fait un nom en coupe d’Europe. La saison dernière, pour la deuxième campagne de son histoire, l’ex Metallurg s’est fait sortir dès le premier tour par le Beitar Jerusalem. Justement, par rapport à l’année dernière, Ordabasy ne va pas si bien. En 17 matchs de championnat, l’équipe a remporté 7 victoires pour 6 nuls et 4 défaites. Sans compter que son capitaine Azat Nurgalyev est parti en direction d’Astana il y a une semaine.

De l’autre côté, le FK Cukaricki est un adversaire coriace. Nous en parlions sur Footballski, il devenu le premier club de football serbe privatisé et se maintient au haut niveau depuis maintenant trois saisons. La privatisation a considérablement amélioré la situation financière et organisationnelle du club, des investissements ont été réalisés dans les infrastructures et les joueurs. Son capitaine Igor Matic, une ancienne connaissance du football kazakh (il a joué 11 matchs à Megaspor Almaty), mènera une équipe toutefois amputée de ses meilleurs éléments au mercato.

Ordabasy sera favori pour le match mais les supporters doutent du niveau de l’équipe et du management vieille école de Baiseitov, dont le dernier fait de gloire remonte à 1992. Celui-ci essayera de se rappeler du bon souvenir de ses jeunes années, du Metallurg à l’équipe nationale en passant par Meliorator. Et promis, cette fois-ci, il ne se fera pas entrer en jeu.

Damien Goulagovitch


Image à la une : © Omar Shukurov

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