À moins d’un an de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) Républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Place cette semaine au troisième de nos pays d’Asie Centrale, à savoir le Tadjikistan. Aujourd’hui, plongeons dans la vie de Sharif Nazarov afin de se souvenir des plus beaux événements footballistiques du Tadjikistan. En club ou en équipe nationale, le nom de Nazarov rime avec succès en tadjik. Portrait d’un monument du football de cette petite République d’Asie centrale.

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Dans le froid hivernal de Douchanbé, capitale du Tadjikistan, de jeunes garçons s’échauffent avant l’entraînement. Le froid et la neige recouvrant le terrain semblent peu propices aux activités sportives, mais les enfants ne s’en soucient guère. Au milieu du groupe, un septuagénaire effectue lui aussi les exercices. Habillé en survêtement, l’homme leur montre les exercices à réaliser, prodigue les conseils durant un match et, au terme de l’entrainement, s’assure que les enfants n’oublient rien sur le terrain, le tout à la manière d’un père attentif. Au premier regard, cet homme ne paie pas de mine. Et pourtant celui-ci n’est autre que Sharif Nazarov. Un nom qui ne vous dit peut-être rien, mais qui, au Tadjikistan, est une icône.

Le football comme substitution

« Je suis un entraîneur professionnel, je ne peux pas rester assis sans rien faire, je dois m’occuper, être utile à la société. » À 71 ans, Sharif Nazarov continue de fouler les terrains de son école de football qu’il a fondé en 2015 avec le soutien de la Fédération nationale de football. Située à Douchanbé, elle accueille une soixantaine d’enfants de six à dix-sept ans. « L’objectif principal raconte Nazarov, est d’arracher ces garçons à la rue, les occuper à faire du sport, améliorer leur santé, en faire de bonnes personnes. Travailler et communiquer avec les enfants me donnent de l’énergie. Je participe activement à la vie publique, je suis membre du Comité exécutif de la Fédération de football. Quand ma participation à la vie footballistique de la République est nécessaire, j’essaie d’aider, d’être utile. »

Sharif Nazarov est un homme au cœur énorme. Son engagement important au service des jeunes et son rapport paternel avec eux sont à mettre être en relation avec sa propre enfance. Né le 23 février 1946, le jeune Nazarov est rapidement confié par ses parents à un orphelinat. En 1953, à l’âge de sept ans, il se retrouve à l’internat de Shahrinav, à quelques kilomètres à l’ouest de Douchanbé. Nazarov ne cherchera jamais à retrouver ses parents, prétextant que, s’ils en avaient eu le besoin ou la volonté, ils auraient pu le faire à maintes reprises.« Quand tu es seul et que tu sais que personne ne compte sur toi, tu dois apprendre la vie par toi-même. » dit-il.

Visite de Sharif Nazarov à l’Internat de Shahrinav, fft.tj

Nazarov garde malgré tout un souvenir positif de ces années passées dans cet internat. « Tous les enfants de l’école n’étaient pas orphelins, certains étaient de familles pauvres, de familles dans le besoin. L’école proposait de bonnes conditions, il y avait beaucoup d’activités. » C’est ici, avec ses camarades dont le destin ne les a pas gâtés, que le jeune Nazarov s’initie aux joies du football. L’amour du football, c’est ici, dans cette cour bétonnée de l’internat, qu’il le cultive en participant à de nombreux tournois régionaux.

À la sortie de l’internat, le jeune homme intègre l’École navale militaire supérieure de Leningrad. Une expérience courte qui ne dure que quatre mois en raison du mal du pays. Comme le dit si bien Andrey Manannikov, gardien emblématique du Pamir Douchanbé du début des années 90, « celui qui est né à Douchanbé ne part pas. Et ceux qui vont à Moscou ou à Saint-Pétersbourg, c’est qu’ils ont de bons postes. » Nazarov, lui, a décidé de partir, pour mieux revenir. Après une demande acceptée pour retourner dans son Tadjikistan, il intègre l’Energetik Douchanbé, ancien nom donné au Pamir. Tout comme le principal intéressé le pensait, on peut se dire, qu’à cet instant, la carrière de football de Sharif Nazarov est bel et bien lancée. Et pour cause, défenseur rapide qui ne lésine pas sur les efforts, le garçon s’installe dans l’équipe et enchaîne les matchs. Mais, en 1970, une grave blessure au genou oblige le joueur alors âgé de 24 ans à faire une croix sur cette carrière de football. Une énième porte fermée qui n’arrête pas l’Homme tadjik.

De manager à entraineur

S’il ne peut être joueur, Sharif Nazarov continue de vivre de sa passion en dehors du terrain. En effet, Pamir Douchanbé lui propose de rester au club comme employé administratif, puis comme manager de l’équipe. « À cette époque, raconte le Professeur Georgy Kashlakov, tout était difficile. La responsabilité du manager était importante à l’époque. Il devait s’occuper de la nourriture, du transport, du centre d’entrainement, discuter avec les instances, rencontrer et accueillir les arbitres… Sharif s’en est tiré à merveille. »

Le Pamir Douchanbé évolue depuis la restructuration du championnat soviétique, en 1970, en Première Ligue soviétique (deuxième division). Nazarov peut alors côtoyer des entraîneurs tels que l’Ukraino-Hongrois Szekecs István, au Pamir Douchanbé de 1973 à 1978, Mark Tunis, de 1978 à 1981, ou encore Vladimir Gulyamhaydarov, de 1981 à 1983. Diplômé en 1976 de l’Institut tadjik de culture physique, il reçoit le titre honorifique d’entraîneur de la RSS du Tadjikistan l’année suivante alors qu’il ne termine sa formation d’entraîneur qu’en 1983.

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Mais l’arrivée de Yuri Syomin au Pamir lance véritablement cette carrière sur le banc de touche. D’abord en tant qu’adjoint du spécialiste soviétique, il prend finalement les commandes de l’équipe au moment du départ de Syomin pour le Lokomotiv Moscou, en 1985. « Après le départ de Yuri Syomin raconte Nazarov, j’avais peur. Je ne savais pas ce qui allait se passer, en quoi je pouvais aider l’équipe. » Sur les bases solides mises en place par le tacticien soviétique, Nazarov réussit en 1988 l’exploit historique de faire monter le Pamir Douchanbé dans l’élite du football soviétique en s’appuyant sur des joueurs tadjiks emblématiques tels que le gardien de but Andrey Manannikov, le défenseur Rachid Rakhimov, le milieu de terrain Yuri Baturenko, l’attaquant Mukhsin Mukhammadiev et bien d’autres encore. Cette montée est acquise le 28 octobre 1988, à Douchanbé, contre le club letton Daugava, sur le score de 2-0, à deux tours de la fin du championnat. Exploit monumental pour le Pamir et l’ensemble du football tadjik, devant 20 000 spectateurs criants « Pamir ! Pamir ! »

Le Pamir Douchanbé – 1988

Nazarov ou le succès tadjik

Mais alors que le Pamir connait sa première saison au sein de l’élite, Sharif Nazarov est envoyé quelques mois en Égypte pour prendre les commandes d’« El Marikh », un club basé à Port-Saïd. « Ça ne sert à rien de penser que je suis parti pour l’argent, déclare Nazarov. J’ai été envoyé là-bas par les plus hautes autorités, soit le Comité sportif d’URSS. Je souhaitais travailler au Pamir en Ligue supérieure. Et dès que la mission fut accomplie, je suis revenu au Tadjikistan pour reprendre les commandes de l’équipe. » Si les raisons de son départ nous plongent dans les dossiers et sous-dossiers, les grandes et petites histoires de ce qu’était tout le système communiste de l’époque, Nazarov marque l’Histoire du football en devenant le premier entraîneur tadjik à avoir entraîné en Afrique.

De retour au Tadjikistan, Sharif Nazarov peut enfin diriger le Pamir dans l’élite soviétique qui, on l’image, devait alors être un plaisir plaisir. Un plaisir de pouvoir se confronter à ce qui se fait de mieux en termes de football soviétique, même s’il est difficile pour les siens de rivaliser face aux machines qu’étaient, et que sont toujours, le CSKA Moscou, le Dynamo Kiev ou encore celui de Tbilissi. Mais les rares coups d’éclat restent, eux, mémorables. Ce fut le cas face au Spartak Moscou, le 13 octobre 1990, dans un stade « Frounze » comble. Le Pamir inflige alors une correction mémorable au Spartak, cinq buts à un, avec notamment un doublé signé Mukhammadiev. Si les rouge et blanc souvent l’honneur à la 90sur pénalty, les hommes de Nazarov réalisent un exploit retentissant face à une équipe composée de Stanislav Cherchessov, Igor Shalimov, Aleksander Mostovoï ou encore d’Oleg Ivanov. À tel point que l’annonce du résultat ne sera retransmise que le jour suivant par les radios ! Ironie de l’histoire,Ottavio Bianchi, entraîneur du Napoli, assiste à ce match en guise de préparation à une confrontation européenne face au Spartak Moscou. Au terme de cette débâcle moscovite, l’Italien se rendit étonné dans le vestiaire du club tadjik et y déclara ironiquement : « Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Avec quels maillots jouaient les joueurs du Pamir et du Spartak aujourd’hui ! »

Cette expérience au plus haut niveau du football soviétique ne dure que trois ans, jusqu’à la chute du régime soviétique et l’avènement de la République indépendante du Tadjikistan. Trois années durant lesquelles le football tadjik est représenté par le Pamir, devenant le symbole de tout un peuple à l’image du Pakhtakor Tachkent, en Ouzbékistan. La chute de l’Union soviétique entraînant celle du championnat, Sharif Nazarov s’attelle à apporter sa contribution au football tadjik. Tout en effectuant la transition du Pamir dans le championnat tadjik nouvellement créé, il prend aussi les commandes de la Sélection nationale tadjike durant la première année de son existence.

À partir de 1993, Nazarov laisse le Pamir et s’en va bourlinguer entre Ouzbékistan et Tadjikistan, prenant successivement les rênes de quelques clubs comme le FK Varzob Douchanbé, avec lequel il devient trois fois champion du Tadjikistan de 1998 à 2000 et remporte une Coupe du Tadjikistan en 1999, ou encore l’Aviator Chkalovsk avec lequel il remporte une nouvelle Coupe du Tadjikistan, en 2004. Un palmarès long comme le bras pour un entraîneur tadjik.. Mais cela ne s’arrête pas aux frontières du Tadjikistan puisque ce dernier remporte, avec la Sélection nationale, l’AFC Challenge Cup, en 2006, au Bangladesh, en sortant le Kirghizistan en demi-finale (2-0) et le Sri Lanka dans une finale remportée quatre buts à zéro. Soit l’unique titre international remporté par le Tadjikistan.

Nazarov et succès se conjuguent parfaitement au Tadjikistan. Mais plus que le succès, c’est aussi un homme de devoir que tout un pays peut remercier. Un homme qui, fidèle à son pays, ne l’a jamais abandonné et a su transmettre tout l’amour et la passion nécessaire aux générations futures. Comme un pied de nez à une histoire qui avait pourtant mal débuté.

Vincent Tanguy


Image à la une : Fc Istaravshan / Twitter

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