“Soborna Crkva, 17:00 !!!!

Une fois de plus nous allons montrer que nous sommes les plus forts tous ensemble !!

Komiti fournira des tickets pour ceux qui ne peuvent pas s’en acheter.

Mobilisation !!! »

Nous sommes à la veille du match le plus important de l’histoire récente du Vardar Skopje, contre Fenerbahçe en barrages d’Europa League. Les dernières campagnes européennes n’ont pas été brillantes et la ferveur a presque disparu des travées du stade Philippe II, comme on peut le constater en championnat. Ce match à ne pas rater est une chance unique pour le club de regagner sa popularité dans les cœurs macédoniens, comme à l’époque yougoslave. Elle offre aussi une visibilité inespérée aux ultras Komiti qui profitent de l’occasion pour aider les plus démunis à venir au match et faire un cortège jusqu’au stade. Une chose ne change pourtant pas: le rendez-vous est pris à l’église orthodoxe Soborna Crkva, deux bonnes heures avant le match. Pour ces fervents supporters, chaque match de leur équipe favorite débute avec le traditionnel rassemblement à l’église Soborna, lieu de culte le plus vaste de l’Église Orthodoxe Macédonienne.  La cathédrale, consacrée le 12 août 1990 lors du 1 150ème anniversaire de son Saint, Clément d’Ohrid, est le symbole parfait du Vardar Skopje, très majoritairement supporté par les Slavo-Macédoniens.

Lors de notre première arrivée à Skopje, en provenance de l’aéroport, l’édifice en forme de rotonde nous avait justement attiré l’œil, du siège arrière de notre taxi. Nous ne savions pas encore que cette originale réalisation architecturale moderne, qui aiguisait notre curiosité, nous emmènerait vers le football. En réalité, elle est même le centre du football de Skopje, très lié à la religion tout comme l’histoire et l’identité du pays.

Un nationalisme exacerbé par les tensions ethniques et religieuses

Il faut remonter à la construction de la Yougoslavie pour en avoir les origines. Etant donné la résistance des habitants de la Macédoine-Vardar contre les Nazis, 116 délégués du Conseil contrôlé par les Communistes décident en 1944 que la Macédoine-Vardar sera une des six républiques semi-autonomes constitutives de la Yougoslavie. Malgré une forte contestation côté serbe, le leadership communiste accepte le fait que les macédophones slaves habitants de la Macédoine-Vardar ne sont ni des Bulgares ni des Serbes (malgré les « preuves » des historiens de ces deux pays) mais bien une ethnie propre. La SFRY commence alors à promouvoir une écriture slavo-macédonienne distincte, aussi bien qu’un système d’éducation et une culture et une identité basée sur la langue, proche du bulgare par son vocabulaire et du serbe par sa grammaire. Sur ces bases le FK Vardar est fondé en 1947 , du nom du fleuve qui traverse Skopje…et de la salle de cinéma dans laquelle se retrouvent ses fondateurs.

(C) fkvardar

En 1958, avec l’appui du régime communiste yougoslave, un archidiocèse d’Ohrid est rétabli. En 1967, la Communauté Chrétienne Orthodoxe de Macédoine se sépare de l’Eglise Orthodoxe Serbe alors qu’elle en faisait partie jusqu’alors. L’autoproclamée Eglise Orthodoxe Macédonienne est alors en autogestion. Ce qui ne fait que renforcer la volonté slavo-macédonienne d’être une nation de droit plutôt que d’être une branche de la nation serbe ou de la nation bulgare. L’Eglise Orthodoxe Serbe et toutes les Eglises orthodoxes importantes s’insurgent bien entendu contre cette prise de liberté, ce qui place encore plus la Macédoine en situation d’isolement, seule contre tous. Quelques récents relents ont d’ailleurs fait tâche, comme quand l’archévèque slavo-macédonien Jovan Vraniskovski écope de trente mois de prison pour « incitation à la haine ethnique et religieuse » en juillet 2005. Les nationalistes serbes, eux, continuent à contester la Macédoine, renommée « Sud Serbie, » avec une insertion dans le plan fantasmé de « Grande Serbie. » Avec ces actions, les Serbes n’ont fait que renforcer le sentiment nationaliste des Slavo-Macédoniens. Dès octobre 1989, la foule au stade du Vardar commence à scander « Nous nous battons pour une Macédoine unie » ou « Solun (Thessalonique) est à nous. » En février 1990, le poète Ante Popovski lance même un mouvement en organisant d’immenses démonstrations à Skopje pour protester contre les persécutions des Slavo-Macédoniens en Grèce et en Bulgarie, deux pays revendiquant l’héritage et l’identité de cette Macédoine qui n’a aucune raison d’exister à leurs yeux.

L’envenimement récent dans les tensions entre Albanais musulmans et Slavo-Macédoniens orthodoxes a aussi contribué au nationalisme slavo-macédonien. Les tensions, se caractérisant très bien lors du derby Vardar-Shkupi, sont influencées par une raison majeure : la religion. Les ultras de Shkupi se sont nommés les « Shverceri » (Contrebandiers en VF), ce qui nous donne une idée globale de comment ces membres de la société macédonienne se perçoivent. De l’autre côté, les Komiti se revendiquent du nationalisme slavo-macédonien évoqué plus haut. Lors de ce derby, les affrontements avec des mots dans le stade deviennent des affrontement avec des poings dans la rue, comme nous l’expliquaient deux jeunes adolescents des Komiti et le fils du président de Shkupi, 8 ans. Une sorte de guerre, pour défendre son identité avec son sang.


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Quand la politique s’en mêle…

Le groupe ultra Komiti est devenu un synonyme de la violence dans le football des Balkans après une série de raids violents à travers la Yougoslavie dans les années 80. Et ils sont toujours connus pour leur hostilité particulière envers d’autres clubs des Balkans qui visitent Skopje. Durant notre séjour, nous en avons eu l’expérience de près : lorsque des membres du groupe ont remarqué que nous étions des étrangers lors du rassemblement à l’église avant le match contre Fenerbahçe, certains nous ont demandé, menaçant, d’où nous venions. La réponse « France » les a, semble t-il, plutôt apaisés. Nous ne préférons pas penser au tournant qu’aurait pu prendre la conversation après une réponse « Bulgarie », « Serbie », « Grèce » ou « Albanie », entre autres. Il valait également mieux éviter de répondre que nous étions des journalistes, puisqu’ils ne doivent pas parler aux journalistes. Et pour cause…

© Footballski – L’amicale de pétanque de Vaisons-la-romaine se rassemble dans la joie et la bonne humeur

Dans les Balkans, les ultras ne sortent pas les muscles que pour les bagarres, mais aussi pour des desseins politiques. Au cours des années 1990, les ultras des meilleurs clubs ont été recrutés par des unités paramilitaires dans l’ex-Yougoslavie. Les plus célèbres étaient les Tigres commandés par Arkan. Les anciens chefs de milice ont beau avoir été tués ou expédiés à la Haye, leurs têtes et leurs idées resurgissent souvent dans les tribunes ultras. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des bannières à l’honneur de Johan Tarculovski dans la tribune des Komiti, alors même que l’homme purge une peine de prison pour crimes de guerre (il a été reconnu coupable par le tribunal de La Haye pour le meurtre en 2001 de sept Albanais de souche).

En Macédoine, politiques et associations de supporters vont de pair. Les politiques considèrent les ultras comme une potentielle base électorale et militante lors des élections. En contrepartie d’un soutien mobilisateur, les éléments les plus influents se retrouvent avec des emplois convoités dans le secteur public, où la carrière peut être stimulée par des liens étroits avec les partis au pouvoir. Les fans des Komiti, par exemple, ont formé l’épine dorsale des jeunesses de VMRO-DPMNE (Democratic Party for Macedonian National Unity) durant les années 1990. Et comme ce pays est encore marqué par la guerre de 2001, dont l’épicentre était à Tetovo, rien n’est simple. Beaucoup ont un membre de leur famille ayant combattu avec les militaires macédoniens. L’accord de paix qui a arrêté les violences a donné aux Albanais une plus grande autonomie, ainsi qu’un rôle dans le gouvernement de coalition. Mais très vite, les accords sont contestés par beaucoup de Macédoniens, qui estiment que les Albanais ont pris plus que leur juste part et combattent plus pour la reconstitution de la Grande Albanie que pour leurs droits.

Et les débats au Parlement ont donné le ton des affrontements dans le stade et dans les rues. Il y a peu, un désaccord entre les partis de la coalition a provoqué un affrontement entre Komiti et Sverceri dans l’ancienne forteresse de Skopje. Bizarrement, aucune suite n’a été donnée aux arrestations. Cependant, aujourd’hui, tous s’accordent à dire qu’ils ne reçoivent pas de faveur ou de financement par des politiciens. Le code de conduite écrit de Komiti, distribué sous forme de brochure, annonce d’ailleurs accueillir des membres de tous les partis politiques – des anarchistes aux ultra-nationalistes et à tous les autres. Néanmoins, il ne faut pas parler bien longtemps aux fans pour tomber sur le fossé ethnique et les entendre révéler qu’ils se considèrent comme les soldats des causes nationalistes qui dominent la politique.

Séisme, titres et Vardar handball

La Macédoine était en plus la région la plus pauvre de Yougoslavie, si l’on excepte le Kosovo. Bien que des investissements réels fussent réalisés dans le pays, le niveau de richesse restait extrêmement bas, bien loin de celui de la Slovénie. La tragédie de 1963 n’aida en rien à la reconstruction. Une tragédie devenue aussi une partie de l’identité Vardar. A ce moment, un séisme de magnitude 6,9 sur l’échelle de Richter touche alors principalement la vallée du Vardar. La présence de la faille Sillon du Vardar, courant de la mer Égée à la région de Belgrade devient fatale. Les dégâts sont terribles. Skopje est détruite à 80%. 1 000 personnes meurent alors que 120 000 personnes perdent leur abris. Comme l’ensemble de la ville, le FK Vardar perd ses infrastructures et son patrimoine. Deux années avant, en 1961, le club gagnait pourtant son premier trophée majeur : une Coupe de Yougoslavie face au Varteks Varazdin. Beaucoup de joueurs de la région commençaient alors leur carrière au Vardar, lequel devenait une puissance locale. Mais avec le séisme, l’élan est coupé net. Heureusement, la ville se remet rapidement grâce au statut de non-aligné de la Yougoslavie. L’aide afflue du monde entier et des architectes de renom arrivent pour reconstruire la ville. En revanche, pour le club de football, il est plus dur de s’en remettre. Il faudra attendre la fin des années 80 pour voir le Vardar revenir titiller le haut de tableau yougoslave.

Le deuxième grand moment de l’histoire du Vardar Skopje intervient en 1987, avec un titre, qui n’en est pas vraiment un, de champion. En plein chaos du football yougoslave. Déjà minés par des tensions ethniques, les clubs sont aussi empêtrés dans des scandales de matchs truqués. La saison précédente, le président de la Fédération ordonne de rejouer neuf matchs en raison de trucages évidents lors de la 34ème journée. La saison suivante, dix équipes commencent la saison avec 6 points de pénalité. Le Vardar n’en fait pas partie et remporte le titre. Seulement, suite à une série de procès et d’appels, la déduction de points est enlevée et le Partizan repasse devant le Vardar grâce à ces six points récupérés. Pour l’UEFA, le Vardar Skopje est champion et peut jouer la C1 l’année suivante. Pour les autorités yougoslaves, c’est le Partizan. Quoi qu’il en soit, l’année 1987 voit l’éclosion de la plus belle génération du football macédonien avec Darko Pančev, Ilija Najdoski, Dragi Kanatlarovski et Vujadin Stanojković. Une génération probablement encore plus belle que celle détruite par le tremblement de terre.

Darko Pancev époque Vardar – fkvardar

Le club célébre l’indépendance en gagnant trois titres consécutifs. Des succès qui en appellent alors d’autres, faisant du Vardar Skopje le géant de Macédoine que l’on connaît, devenu sur le tard mais logiquement premier club macédonien à se qualifier pour une phase de poules de Coupe d’Europe. Le gouvernement, jamais le dernier pour faire usage de propagande (bonjour projet Skopje 2014!), ne connaît que trop bien le pouvoir du sport. Et son club phare concentre le plus gros des investissements dédié au sport dans le pays pendant que les Albanais se plaignent du manque de considération les concernant. Ainsi, la section football du Vardar est le club le mieux organisé du pays avec les meilleures infrastructures et les meilleurs joueurs.

Pourtant, il est peu de dire que le football ne déchaîne pas les passions chez les Macédoniens, qui se tournent plutôt vers le handball ou le basket-ball, sports à succès du pays. Les affluences sont globalement catastrophiques chez les clubs macédoniens. Le Shkendija et Shkupi se débrouillent bien et trustent les deux premières places. Mais derrière, le Vardar Skopje peine à rassembler 1 000 personnes en moyenne dans son stade. Même contre Fenerbahçe, malgré la ferveur des supporters présents, le stade Philippe II est loin d’être plein, quand bien même les Turcs se sont déplacés massivement. Cela n’empêche pas les Komiti, venus en nombre, de chanter des louanges aux Albanais et de montrer que les Slavo-Macédoniens existent. Leurs joueurs leur feront un grand plaisir en prouvant à tous que la Macédoine est plus jamais que vivante.

Damien Coltea


Image à la Une : graffiti_ultras – Komiti zapad

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