Bien trop souvent le football serbe se cantonne à ses ogres belgradois. Pourtant, la Serbie est un pays comme les autres, un pays vivant, puant le football, où chaque ville connaît son club fétiche, avec plus ou moins de succès. L’été dernier, nous nous étions par exemple arrêtés du côté de Nis. Cette année, nous décidons de nous diriger vers Novi Sad afin d’y découvrir l’un des meilleurs clubs du pays, derrière les deux mastodontes de Belgrade, le FK Vojvodina.


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Pour la première fois lors de ce FootballskTrip, nous avons la chance d’avoir un voyage rapide pour atteindre notre destination du jour. Située à 80 kilomètres au nord de Belgrade, la ville de Novi Sad nous accueille ; et plus particulièrement son club local avec lequel nous avons rendez-vous. En guise de guide maison, notre homme se nomme Miloš Subotin, PR du FK Vojvodina. Ville historique en Serbie, le coin est très ancien – les premières traces de vie humaine remontent à l’âge de pierre – et est encore aujourd’hui un centre économique et culturel très important dans la région. Capitale de la province autonome de Voïvodine pendant la période yougoslave, Novi Sad n’a rien perdu de son lustre d’antan avec, par exemple, une nomination comme capitale européenne de la culture en 2021.

Le centre-ville de la capitale européenne de la culture 2021 | © Antoine Jarrige / Footballski

Pour être honnêtes, nos premières impressions sont mitigées sur la ville tandis que nos yeux se confrontent au fur et à mesure à une succession de grands boulevards entourés de barres d’immeubles. Tel est le premier panorama que nous avons de Novi Sad. De là, notre quête est simple : se farcir deux bons kilomètres sous un soleil plombant afin de rejoindre l’enceinte du FK Vojvodina, lieu situé non loin du centre-ville. Un arrêt picole et cevapi plus tard, nous voilà devant le vétuste stade du club local. Situé en plein milieu de la ville, celui-ci trouve tant bien mal sa place aux côtés de la foule d’enceignes en tout genre, allant du dentiste au supermarché ou encore au spa. De quoi garantir un service intégral lors de votre expérience en tribune.

À peine arrivés, nous sommes chaleureusement accueillis par les deux responsables du club, Miloš, donc, ainsi que son compère, la bonne cinquantaine au compteur et véritable bible humaine sur la ville et son club de football. Ce même cinquantenaire qui nous emmène d’un pas sûr visiter les lieux.

Malgré un état quelque peu vieillissant, le Stade Karađorđe respire encore le bon football. Celui d’une période lointaine où vivent encore, sur ses murs, les portraits de ses stars du passé toujours présents dans le coeur de tout supporter du club. Dont notre guide du jour, ému à chaque présentation faite de ces légendes locales. Au point de s’emballer, photo après photo, portrait après portrait, débitant de longues tirades, en serbe dans le texte, au fil des minutes. Parmi ces gueules légendaires, citons le grand Vujadin Boškov et ses 200 matchs sous le maillot du club ou encore Siniša Mihajlović, lui qui, avant de faire le bonheur du football italien, a fait vibrer cette ville, ce peuple et ces supporters.


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Complètement désert en ce vendredi, nous imaginons alors ce stade vivant, chantant, vibrant, il y a de cela trente ans, devant ces hommes, ces joueurs, ces légendes. Les siennes. Celle d’un peuple de plus de 25 000 âmes présentes ici match après match. Saison après saison. Année après année. Mais si ce club aime son Histoire, le FK Vojvodina continue de voir grand pour son futur. Pour en discuter, notre guide change : Miloš Subotin entre en jeu.

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Si tu devais expliquer aux Français ce que représente de nos jours le FK Vojvodina dans le football serbe, que dirais-tu ?

Tu sais, en Serbie, dans l’esprit de beaucoup, les deux grands clubs sont Zvezda et le Partizan. Ces deux clubs, depuis le premier jour de leur existence, ont le soutien des différents gouvernements. De l’autre côté, vous avez Vojvodina. Nous sommes l’un des plus anciens clubs du pays, fondé en 1914 par un groupe d’étudiants. À cause de notre histoire ancienne, les autorités nous ont mis des bâtons dans les roues pendant la période yougoslave, mais malgré cela nous restons dans le top 3 en Serbie. Que ce soit en nombre de trophées, mais aussi en termes de qualité de jeu, même si ce n’est plus trop le cas ces dernières années, nous restons un grand club. Un club soutenu, très soutenu, avec une bonne base de supporters même si le stade est moins rempli qu’à l’époque. De plus, nous avons également une excellente académie avec des joueurs qui partent jouer dans les meilleurs clubs européens, que ce soit au PSG ou à l’Ajax, par exemple.

Justement, avec ces deux clubs belgradois, est-ce que les habitants de Novi Sad supportent toujours le club ?

Vojvodina est le nom d’une des deux provinces autonomes rattachées à la Serbie pendant la période yougoslave, avec le Kosovo au sud. De ce fait, la majorité des fans de Vojvodina viennent de Novi Sad. Ici, en Serbie, la situation est différente que ce que vous pouvez avoir en France, je pense. Si tu viens de Bordeaux, tu supporteras Bordeaux, si tu viens de Strasbourg, tu soutiendras Strasbourg … Ici, 85% des amateurs de football supportent soit Zvezda, soit le Partizan. Ces deux clubs ont des supporters dans tout le pays.

Fut un temps où tout le monde supportait le FK Vojvodina dans la ville. Le club représentait la province et le stade était plein pour quasiment tous les matchs. Aujourd’hui les choses changent, nous sommes une grande ville, les personnes qui vivent ici ne sont pas forcément nées à Novi Sad, elles viennent d’autres villes, d’autres pays et supportent donc d’autres clubs. Malgré tout, le soutien que nous avons est toujours très important.

Notre principal problème reste l’affluence. Quand on ne joue pas contre les deux gros, on rassemble environ 2 000 personnes dans un stade qui peut en contenir 25 000. Ce constat peut s’expliquer par la qualité de notre football national. Le championnat est hétérogène, certains stades sont en ruines, et le niveau général n’est pas forcément présent. D’ailleurs, même Zvezda et le Partizan connaissent ces problèmes et n’arrivent pas dépasser les 10 000 spectateurs de moyenne, même si cela risque d’augmenter avec la participation de Zvezda en Ligue des Champions. Seuls les grands matchs attirent les gens au stade. L’exemple le plus parlant de cette situation se trouve lors de notre finale de coupe jouée il y a quelques années : 11 000 de nos supporters ont fait le déplacement ce jour-là alors que l’on ne dépasse que rarement les 2000 personnes lors de nos autres matchs à la maison.

Penses-tu que la qualification de Zvezda pour la Ligue des Champions va faire du bien au football national dans son ensemble ?

Pour Zvezda, je pense, oui. Pour le reste, ça me semble plus compliqué. Je pense que les gens vont suivre un peu plus le championnat, voire découvrir qu’ils ont une équipe en première division dans leur ville …

À propos, nous avons vu en entrant à Novi Sad une grande affiche concernant le Proleter Novi Sad. Le fait d’avoir désormais un second club en D1, à Novi Sad, ne risque-t-il pas de diminuer l’affluence ?

Le Proleter est un tout petit club de D1 qui a connu sa première montée dans l’élite cette année, ils n’ont pas d’infrastructures et sont obligés de jouer dans notre stade. Le panneau devait être pour le premier match de leur histoire en D1. Je n’ai aucune idée de qui est à l’origine de cette campagne, mais en tout cas ça n’attire pas grand monde. Il y a quelques années nous étions en lien étroit avec le Proleter, on prêtait beaucoup de joueurs au club, mais maintenant nous ne pouvons plus car ils sont dans l’élite.

Comment attirer des jeunes dans votre académie alors que Zvezda et Partizan sont seulement situés à une heure de route ?

Premièrement, ces deux clubs ont des avantages financiers que nous n’avons pas. Ils ont de l’argent qui vient directement du gouvernement et ce n’est pas le cas pour nous. Malgré ça, nous avons un très bon réseau qui nous permet d’attirer des jeunes qui jouent parfois même à Belgrade. On attire des joueurs de Bosnie ou encore du Monténégro, mais bien sûr on se focalise sur des jeunes de la région.

La formation reste le projet du club.

Oui, bien sûr. Nous n’avons pas un grand budget, dès que nos joueurs ont une offre intéressante ils partent rapidement. Les joueurs veulent jouer l’Europe et, malheureusement, nous n’avons jamais pu atteindre la phase de groupes, même si nous avons joué des matchs de prestige contre Plzen, Alkmar ou encore l’AEK. Les jeunes quittent rapidement la Serbie, l’étranger est l’objectif de chacun. Du coup, nous sommes obligés de nous appuyer sur notre académie, sur nos jeunes, en essayant de les conserver le plus longtemps possible.

Quelles sont vos relations avec vos ultras ?

Nous avons de bonnes relations avec eux. Bien sûr, c’est parfois un peu tendu quand ils ne sont pas satisfaits du management et des résultats, mais ce sont des supporters très loyaux, ils se déplacent dans le pays pour nous supporter et même à travers l’Europe. Nous n’avons jamais eu de soucis majeurs avec eux, notre porte est toujours ouverte pour discuter avec eux.

L’année dernière, le FK Vojvodina a été dirigé par quatre entraîneurs différents. Que se passe-t-il ?

C’est une situation très complexe. En Serbie, les clubs ne sont pas privés, mais publics. Tous les membres sont élus par le parlement du club. Ce qui veut dire que dès que quelqu’un n’est pas content, il peut demander un vote et un changement peut avoir lieu dans le club. L’année dernière nous n’avons pas eu de bons résultats et c’est pour cela que tout change rapidement. Le problème est que tu dois repartir à chaque fois de zéro ; qu’il devient compliqué de trouver une stabilité dans une période où les résultats ne sont pas excellents.

Ressens-tu une identité particulière, ici, à Novi Sad ?

Quand le club a été créé en 1914, c’était encore l’Autriche-Hongrie et à l’époque il y avait des clubs hongrois dans la ville. Dans cette région de Serbie, il y a énormément de nationalités différentes, et le FK Vojvodina était le club serbe. Les Serbes d’Autriche-Hongrie se retrouvaient dans notre club et c’est là notre richesse. Maintenant, nous avons des supporters en Croatie ou en Bosnie.

Vous avez des relations avec d’autres clubs, notamment hongrois ?

Non, pas en Hongrie. Nos principales relations se font surtout avec le Slavia Prague et Banja Luka, en Bosnie. Le Slavia a eu un énorme impact dans notre fondation, le club a été fondé à Prague par des étudiants (une histoire similaire à celle de Hajduk Split, NDLR). Le Slavia nous a fourni des maillots et des équipements à l’époque. En hommage, nous portons chaque année un maillot rouge et blanc, deux couleurs que l’on retrouve aussi sur notre logo, avec une étoile bleue représentant la Serbie. Malheureusement, aujourd’hui, nous n’avons plus de liens actifs avec le Slavia Prague et aucun avec le Hajduk Split, même si nous avons été fondés au même endroit. La faute à la politique …

Il y a des rivalités dans la région ?

Oui, il y a une petite rivalité avec Subotica qui a eu un petit parcours en Ligue Europa cette saison. Mais nos deux clubs ne sont pas comparables, surtout sur le plan historique. Sinon, on ne sait pas pourquoi, mais il y a aussi une rivalité avec Zemun … en tout cas les ultras du club ne nous aiment pas (rires).

Antoine Jarrige et Antoine Gautier, à Novi Sad


Image à la une : © Antoine Jarrige / Footballski

1 Comment

  1. Aleks 15 octobre 2018 at 19 h 52 min

    Très bon article d’un club méconnu, mais chargé d’histoire. Merci de faire la lumière sur un autre club que les ogres que sont le Partizan et l’Etoile Rouge. Magnifique boulot.

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