C’est notre deuxième jour à Sarajevo. Après avoir assisté à une belle purge du dimanche soir au stade du Željezničar nous nous intéressons à l’autre club de la ville, le FK Sarajevo, où nous avons eu le plaisir de rencontrer Sabrina Buljubašić , directrice du club « bordo ». Pas encore vendu aux Américains celui-là, mais plutôt à un homme d’affaire malaysien qui possède également les clubs de Cardiff City, Courtrai et Los Angeles FC, le FK Sarajevo n’en reste pas moins une légende du football yougoslave et bosnien – remportant notamment deux championnats de Yougoslavie.
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Et dans ce club, Sabrina Buljubašić occupe une place stratégique, mais avant de commencer l’interview, laissez-nous vous présenter son parcours, car celui-ci est également atypique. Née à Tuzla avant d’émigrer avec sa famille aux États-Unis à l’âge de 5 ans à cause de la guerre, elle commence le football à Vancouver et se voit offrir la possibilité de le continuer dans un programme universitaire américain. Chose qu’elle repoussera afin de rentrer en Bosnie, où tout en étudiant à l’Université américaine de Bosnie-et-Herzégovine, elle continue à jouer au Salt City Tuzla, dans sa ville natale, club qu’elle aura fondé, puis au SFK 2000, section féminine du FK Sarajevo et club le plus puissant de Bosnie. Également diplômée de la faculté d’Économie de Madrid, elle est nommée directrice du FK Sarajevo en août 2016, et reste aujourd’hui une des seules femmes à avoir jamais connu un tel poste dans un club européen.
Entre histoires de rivalités, les différents projets du club et l’état actuel du football bosnien et féminin, c’est donc avant tout une vraie passionnée de football que nous avons rencontrée.
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Pour commencer par une question un peu générale, pouvez-vous nous expliquer en quelque mot ce que représente selon vous le FK Sarajevo dans le football bosnien aujourd’hui ?
Le FK Sarajevo représente aujourd’hui l’un des plus grands clubs de Bosnie, mais aussi des Balkans. Aujourd’hui, nous développons beaucoup nos équipes de jeunes. Notre académie est d’ailleurs reconnue dans toute la région.
Quel est le modèle que vous souhaitez imposer au FK Sarajevo aujourd’hui ?
Je pense qu’en général, si on regarde tous les clubs dans la région, la meilleure façon de développer nos clubs est d’avoir un centre de formation performant. Par exemple, cette année, nous avons sept joueurs de notre académie qui ont intégré l’équipe première. Et ce week-end, six d’entre eux ont joué. Nous prévoyons que chaque année, au moins deux joueurs de notre académie rejoignent l’équipe première. S’ils ne sont pas encore prêts, nous les prêtons à nos clubs partenaires. Nous pensons qu’avec ce modèle, nous sommes beaucoup plus stables financièrement et sportivement. Ce n’est pas quelque chose de complètement original, si vous regardez l’Ajax ou le Dinamo Zagreb, le Partizan Belgrade. Par ailleurs, je dois préciser qu’en Bosnie nous sommes les seuls à avoir un centre de formation professionnel, donc nous développons beaucoup d’effort pour former ces joueurs.
La concurrence dans la région est rude pour repérer les jeunes joueurs, comment faites-vous pour les garder ?
Bien sûr, la Serbie notamment n’est pas très loin pour beaucoup de joueurs. Nous avons développé un fort réseau de scouting et ce que nous essayons, c’est de garder de très bons liens avec les entraîneurs locaux. Ensuite, nous essayons de les amener à Sarajevo en les convaincant de notre projet. Et justement, le fait d’avoir sept joueurs de l’académie en équipe première nous aide à les convaincre que chez nous, ils pourront progresser dans les meilleures conditions. Je pense qu’il y a peu de clubs qui poussent autant ce travail avec les jeunes. D’ailleurs, nous avons un centre d’entrainement de bon niveau, dans lequel nous cherchons à investir.
Et pour le stade, pensez-vous pouvoir faire des travaux bientôt ?
C’est vrai que nous avons un stade sur le format d’un stade olympique, qui est assez courant en Europe. Le problème est que nous ne possédons pas ce stade. Il est la propriété du gouvernement donc nous n’avons pas la main sur les décisions. Par ailleurs, l’autre problème est qu’avant de penser à moderniser il faudra d’abord faire des investissements d’entretien. Donc pour l’instant, notre principal projet est notre centre d’entrainement, là où les joueurs passent six jours sur sept. Nous allons construire un vrai centre, où les jeunes pourront vivre la semaine. Une autre part du projet sera également de construire sur un nouveau terrain de nouveaux terrains d’entrainement, ainsi que plusieurs terrains de football indoor que nous pourrons louer. Une partie pour l’entrainement et une partie à but commerciale. En parallèle, le stade est un projet de long terme. Nous avons un projet de nouveau stade, les architectes sont prêts, mais nous n’avons pas encore d’emplacement disponible et ce n’est pas la priorité pour l’instant. La priorité va à la finalisation de notre centre d’entrainement.
Que pensez-vous de l’état général du football bosnien ? Est-ce qu’il est en progression, en stagnation ?
Je pense qu’il s’améliore, mais à la vitesse d’un escargot. Je pense que le championnat est trop faible, nous n’avons que quatre équipes qui soient à un niveau correct. D’ailleurs il y a peu, toutes les équipes n’avaient pas forcément des joueurs sous contrat professionnel. Un des problèmes majeurs est le niveau des taxes. Je sais qu’en France c’est également très fort, mais ici le taux est de 70%. Si un joueur reçoit 1000€, le club doit donc payer 1700€. Donc c’est un poids énorme pour beaucoup de clubs et c’est pourquoi beaucoup de clubs font signer des contrats amateurs.
Quels sont les principaux obstacles au développement du football bosnien selon vous ?
Je pense que nous manquons également de formation pour les entraîneurs. Par exemple je pense que chaque entraîneur devrait connaitre un minimum la psychologie des joueurs. Vous avez peut-être 22 personnalités différentes avec vous donc vous devez savoir que pour certains joueurs il faudra leur crier dessus, et d’autres il faudra les encourager.
Un autre aspect est le niveau des infrastructures. Récemment nous avons joué un derby contre Zeljeznicar où nous avons fait 2-2, et tout le monde était d’accord pour dire que c’était le meilleur derby depuis peut être 10 ans. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils avaient une nouvelle pelouse, et les gens se sont rendu compte que le jeu était bien meilleur grâce à ça. Avant la sélection avait joué contre la Belgique au stade de Zeljeznicar et le terrain était très mauvais, la différence était flagrante. Je pense que nous n’avons pas encore de stratégie adaptée pour développer tous les aspects dont nous avons besoin. Il nous faut donc une stratégie de plus long terme.
Pouvez-vous nous expliquer la rivalité avec Zeljeznicar ? Qu’est-ce qui vous différencie ?
Bien entendu c’est une grande rivalité. Chaque fois qu’ils jouent, en championnat ou en Coupe d’Europe, nous espérons qu’ils perdent. Et c’est surement la même chose de leur côté (rires). Les derbys sont toujours très chauds, même ici dans les locaux, si quelqu’un arrive en portant bleu, on peut lui demander de rentrer chez lui (rires). Je dirais que la principale différence aujourd’hui entre nous et Zeljeznicar est que nous nous focalisons plus sur le développement des joueurs. Ils ont leur stade nous n’avons pas le notre. Nous avons un centre de formation et un centre d’entrainement et ils n’en ont pas.
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Et qu’est-ce qui différencie pour vous les supporters ? Comment cela se répartit ?
Il y a une explication géographique, mais ce n’est pas non plus la principale. Même aux alentours du stade de Zeljeznicar il y a des supporters de Sarajevo et inversement. Généralement on retrouve plus de supporters du FK Sarajevo en centre-ville. Les familles qui sont là depuis plus de 100 ans se retrouvent généralement dans les rangs du FK Sarajevo. Ceux qui sont arrivés plus tardivement et dans les faubourgs se retrouvent généralement à Zeljeznicar. Les fans de Zeljeznicar se considèrent en général comme issus des milieux populaires et ceux du FK Sarajevo viendraient des quartiers les plus riches. Je n’adhère pas à ça, mais c’est leur idée. Ce qui est certain c’est qu’à Sarajevo tout le monde doit choisir, même si vous n’êtes jamais allé à un match, que vous n’avez jamais vu un match de votre vie.
Quelles sont vos relations justement avec votre groupe de supporters, la Horde Zla ?
Pour être honnête, nos relations sont similaires aux relations que peut avoir n’importe quel club avec leurs ultras. Nous communiquons avec eux, nous les rencontrons, mais nous savons qu’ils ont cet esprit ultra et n’aiment pas être trop liés à la direction. Donc nous essayons de collaborer, nous les aidons, ils nous aident parfois. Ça pourrait être meilleur, mais on fait avec eux. Par exemple nous avons essayé de leur expliquer que l’on ne pouvait pas se permettre d’avoir des pyros en tribune lors des matchs européens…Et contre l’Atalanta ils l’ont quand même fait, alors qu’on avait un accord. Donc nous avons une bonne communication avec eux, mais nous savons aussi qu’ils ont leur parfois leurs propres règles comme tout groupe ultra en Europe.
Vous avez joué au football à Tuzla, au FK Sarajevo (SFK 2000), et maintenant vous êtes à un poste unique pour une femme dans le monde du football. Quelle est votre vision du football féminin en Bosnie aujourd’hui et est votre situation en tant que femme dirigeante dans le monde du football ?
En ce qui concerne le football féminin, je suis là maintenant depuis 10 ans et je dirais qu’il se développe beaucoup. Nous sommes toujours dans une situation où nous ne sommes pas professionnelles, mais nous avons certaines bases, si je regarde 10 ans en arrière. Par exemple tout le monde en Bosnie sait aujourd’hui qui est le SFK 2000. En ce qui concerne mon poste il est bien sûr unique. Il y a des bons et des mauvais côtés, mais ce que je sais c’est que j’aime le football et c’était un rêve pour moi d’arriver à concilier à vivre ma passion pour le football comme cela. Ce n’est ni masculin ni féminin, c’est chercher à vivre ses rêves. Si je n’aimais pas cela autant ce serait beaucoup plus compliqué puisque je dois prouver à certains hommes que je m’y connais autant qu’eux. Je peux leur dire « OK moi j’ai joué au football à un niveau international, vous est-ce que vous avez joué ? » Pour apprécier ce poste, il faut vraiment aimer ce que l’on fait. C’est mon cas, j’adore ça.
Antoine Gautier & Antoine Jarrige à Sarajevo pour Footballski.fr
Photo de couverture : FK Sarajevo.ba