À moins d’un an de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) Républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique, avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Cette semaine, nous parlons de l’Estonie. Épisode 30 : l’état du football en Estonie depuis l’indépendance.

Comme dans beaucoup de pays de l’est, le football souffre d’un certain déficit de popularité. Difficile en effet de se faire une place de choix dans un pays où de nombreux sports sont populaires : athlétisme, cyclisme, aviron, basket, lutte, sport automobile (depuis la réussite de Markko Märtin et Ott Tänak en WRC), sans compter les sports d’hiver, notamment le hockey sur glace. Dans un pays déjà petit et faiblement peuplé (1,3 millions de personnes), la fédération estonienne de football compte ainsi moins de 10 000 licenciés. Bien peu pour faire face aux meilleures nations sur le plan continental, que ce soit en club ou pour la sélection nationale. Et loin du modèle à succès qu’est devenu l’Islande au fil des années, l’Estonie peine à s’équiper de terrains couverts, où les licenciés, notamment les plus jeunes, pourraient jouer durant les longs et rugueux hivers des bords de la Baltique.

Des clubs au niveau stagnant

25 ans ont passé depuis l’indépendance des Pays Baltes et la création de la Meistriliiga en 1992. Et contrairement à plusieurs pays voisins, comme la Lettonie avec le Skonto Riga ou la Biélorussie avec le BATE Borisov, le championnat d’Estonie n’a pas connu de domination outrageante d’un club. Car en 25 ans, ce championnat, aujourd’hui appelé Premium Liiga, a vu plusieurs aller et venir en tête du classement, avant parfois de disparaître corps et âme. Sur les sept clubs à avoir inscrit leur nom au palmarès du championnat depuis la saison inaugurale de 1992, pas moins de quatre ont aujourd’hui disparu.

Lorsque la fédération estonienne de football (Eesti Jalgpalli Liit, ou EJL en estonien) est recréée en 1992, une première saison est mise en place. A l’issue de celle-ci, disputé sur une demi-année, le FC Norma Tallinn est sacré champion. Equipe parmi les plus importante de la SSR d’Estonie avant l’indépendance, et soutenue par la minorité russe de la capitale, le Norma double la mise en 1993, grâce notamment à son buteur Sergei Bragin. Au terme de la saison 1993-94, le Norma est ex-aequo avec le Flora Tallinn. Les deux équipes doivent jouer le titre lors d’une finale, mais à l’aube de la dernière journée, l’EJL (dont le vice-président est l’omniprésent Aivar Pohlak, également président-fondateur du Flora) disqualifie le Tevalte Tallinn, troisième, pour des soupçons de matchs truqués (qui ne seront jamais avérés). En représailles, le Norma aligne une équipe junior lors de cette finale, perdue 2-5. Dès la saison suivante, le Norma Tallinn est relégué en Esiliiga. Il disparaît trois ans plus tard, en 1998.

L’année où le Norma descend, un nouveau club reprend le flambeau pour la minorité russe. Fondé par une famille russe, le FC Lantana Tallinn termine deuxième de Meistriliiga en 1995, avant de remporter les deux éditions suivantes. Le sucès est néanmoins de courte durée. Après deux troisièmes places, la Lantana termine sixième du classement en 1999, année où la famille Belov qui le détient décide de dissoudre le club.

En moins de dix ans d’existence, la Meistriliiga a donc perdu deux de ses champions. Les deux autres, le Flora Tallinn, club à la forte identité estonienne, et le Levadia Tallinn, qui prend la succession des Norma et Lantana comme porte-étendard de la minorité russe de la capitale, comptent eux respectivement quatre et deux titres à la fin de l’an 2000.


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Les deux gros clubs du pays se partagent le palmarès du championnat d’Estonie, à trois petites exceptions près. En 2005, le TVMK Tallinn leur vole ainsi la vedette. Après plusieurs places d’honneur, le club nommé d’après l’usine de fabrication de meubles en contreplaqué de la capitale (Tallinna Vineeri-ja Mööblikombinaat) qui le détient remporte un titre inespéré dans le sillage des 41 buts marqués par son attaquant Ingemaar Teever. Un titre qui signe son déclin. La plupart de ses joueurs partent à l’étranger (Teever, Neemelo) ou chez des rivaux. Trois ans après son titre, et malgré deux nouvelles places sur le podium, le TVMK met la clé sous la porte, victime de ses difficultés financières.

Le défunt TVMK © Siim Semiskar / Soccernet.ee

La dernière disparition d’un club champion est, elle, toute fraîche. Voilà quelques semaines, le FCI Tallinn, anciennement Infonet, annonçait sa fusion avec le Levadia, pour le plus grand soulagement de son président Andrei Leškin. Le FCI devient ainsi le quatrième et dernier champion d’Estonie à disparaître du paysage local.

Aux côtés du Flora et du Levadia, devenu donc FCI Levadia, le Nõmme Kalju, titré en 2012, est le seul champion d’Estonie encore en activité. Il est surtout devenu en 2016 le club estonien étant allé le plus loin dans une compétition européenne. Après avoir éliminé les Lituaniens de Trakai puis les Israëliens du Maccabi Haifa, Kalju devient alors le premier club estonien à passer deux tours préliminaires d’une compétition européenne, et donc à atteindre le troisième tour d’Europa League. Un exploit pour un club d’un pays habitué à quitter très tôt les compétitions continentales.

Les clubs estoniens sont en effet toujours aussi peu en vue au plan européen. Le Norma Tallinn, premier champion d’Estonie, n’a ainsi jamais gagné le moindre match européen (un nul pour cinq défaites), encaissant même un mémorable 0-10 face à Maribor en 1994. Même constat pour le TVMK, toujours éliminé au premier tour – que ce soit en Champions League, Coupe UEFA ou Coupe Intertoto. Le défunt Lantana Tallinn n’a de son côté réussit qu’une seule fois à passer ce premier tour, en 1996, après avoir éliminé les Islandais de Vestmannaeyjar. Malgré pas moins de 23 présences européennes, le Flora Tallinn n’est lui aussi parvenu à passer le premier tour qu’une seule et unique fois, en Coupe UEFA 2006-07. Jamais champion, le Trans Narva a lui été systématiquement éliminé dès son entrée en compétition lors de ses 15 présences européennes (en Coupe UEFA/Europa League et Coupe Intertoto).

Le bilan des clubs estoniens en Europe est ainsi famélique. La piteuse élimination du Flora Tallinn au premier tour de Ligue des Champions par le nouveau venu de Gibraltar en 2016 en est le dernier exemple parlant. Le Nõmme Kalju et le Levadia Tallinn, chacun cinq fois vainqueurs lors d’un premier tour européen, sont les seuls clubs à avoir connu autant de réussite. En fusionnant avec le FCI, le Levadia espère devenir une superpuissance au niveau national, et être ainsi le premier club estonien à atteindre la phase de groupes d’une compétition européenne d’ici deux à trois ans.

Une sélection nationale toujours anonyme

A l’instar des clubs, la sélection estonienne peine à se montrer. Cette année encore, la campagne de qualifications pour le mondial russe ont soufflé le chaud et (surtout) le froid, et jamais l’Estonie n’a été en mesure de briguer une place de qualifié. Un échec de plus pour une équipe qui n’a encore jamais réussi à se qualifier pour une grande compétition internationale depuis son indépendance. Son unique présence en grande compétition remonte ainsi aux Jeux Olympiques de 1924, avec un match perdu 0-1 face aux Etats-Unis dès le premier tour. Et, comme on a pu le voir au sortir de la dernière campagne de qualification, les espoirs de voir enfin l’Estonie en Coupe du Monde ou à un Euro dans un avenir proche sont bien minces.


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Au lendemain de l’indépendance, les débuts de la sélection estonienne sont véritablement altérés par les problèmes de citoyenneté. Dans un pays où la lutte est intense entre Estoniens et Russes, seuls les premiers sont autorisés à acquérir la citoyenneté estonienne. Les habitants d’origine russe (c’est-à-dire arrivés au pays après la Seconde Guerre mondiale) s’en voient privés. Le football se retrouve prisonnier du système. A l’aube de disputer ses premiers matchs, former une sélection nationale est un véritable casse-tête. A l’issue d’un processus aux multiples controverses, la sélection est privée des joueurs non-citoyens estoniens, sous l’impulsion d’une partie dirigeants et des joueurs eux-mêmes. Pas une mince affaire dans un pays où, en manque de popularité, le football a longtemps été l’apanage de la minorité russe sous l’URSS. Minorité qui compose en 1992 la quasi-totalité des meilleurs clubs de l’époque, comme le Norma Tallinn, Sergei Bragin en tête. Entre problèmes identitaires et financiers, la sélection met ainsi plusieurs années à trouver un rythme de croisière.

Au fil du temps, l’Estonie a pourtant connu en Mart Poom, Joel Lindpere ou Ragnar Klavan des joueurs phares, auteurs de belles carrières à l’étranger. De belles têtes d’affiches malheureusement insuffisantes pour permettre à la sélection de créer l’exploit. Et par là même, de faire les gros titres des journaux, où le football laisse souvent la Une aux rallymen, skieurs nordiques et autres tenniswomen en pleine réussite.

La sélection a pourtant failli connaître son heure de gloire. Après des campagnes habituelles où elle termine cinquième et avant-dernière de son groupe en 2008 et 2010, l’Estonie fait sensation lors des qualifications pour l’Euro 2012. Placée dans le Pot 5 lors du tirage au sort, la sélection menée par Tarmo Rüütli déjoue tous les pronostics. Grâce à cinq victoires, dont trois à l’extérieur, l’Estonie compte 16 points (son record à ce jour) et termine deuxième de son groupe, derrière l’Italie, mais devant la Serbie et la Slovénie. Un véritable exploit qui l’envoie en barrages. Las, le match aller tourne à la catastrophe. Réduite à dix dès la demi-heure de jeu, puis à dix en fin de match, l’Estonie encaisse un sévère 0-4 à domicile face à l’Irlande de Robbie Keane.

Le rêve passé, la sélection est revenue à son niveau habituel, engluée dans le ventre mou de son groupe lors des diverses campagnes de qualification. Capable de battre la Croatie comme de faire match nul face à St-Marin, la sélection a connu des matchs amicaux en résultats en dent de scie au fil des années. Pas le meilleur moyen d’attirer la lumière et de susciter les vocations. Pour preuve, la sélection estonienne ne parvient qu’exceptionnellement à remplir les 10 500 places de son Albert Le Coq Arena.

Pierre-Julien Pera


Image à la Une © Brit Maria Tael

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