À quelques mois de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) Républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique, avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Cette semaine, nous parlons de la Moldavie. Épisode 42 : on évoque le Tiligul Tiraspol, qui aurait dû être la seconde équipe moldave à intégrer la Première Ligue soviétique, avant que l’Histoire n’en décide autrement.

« Pour nous, c’était une grande déception, pour le dire poliment. Après tout, nous voulions tous nous frotter au haut niveau. Et on savait que le championnat d’URSS de football était l’un des meilleurs d’Europe. En plus, à Tiraspol, il existait alors un véritable boom du football. Mais bon… » – Igor Oprea, joueur du Tiligul Tiraspol.

L’histoire a ce don de jouer des tours, a fortiori quand on ne s’y attend pas. Les événements d’août 1991 à Moscou, alors que l’Union était déjà tout ébranlée par des mouvements d’autonomisation à ses marges, font basculer le monde dans une nouvelle ère, et les républiques socialistes soviétiques vers l’indépendance.

Dans cette grande marche de l’Histoire, le football n’échappe bien sûr pas à la règle, au grand dam du Tiligul Tiraspol. Classé deuxième de l’antichambre de l’élite lors de la saison 1991, celui qui aurait dû être le deuxième club de la république socialiste soviétique moldave, après le Zimbru Chișinău, à intégrer la Première Ligue soviétique, n’en verra finalement jamais la couleur. Le club gagnera trois coupes nationales à l’orée du football indépendant moldave comme lot de consolation. Avant de retomber dans l’oubli puis de disparaître corps et âme il y a quelques années, faute de financement.

Le Tiligul, sur la rive gauche

Comme bon nombre de clubs moldaves, y compris le Zimbru Chișinău, le Tiligul Tiraspol a connu plusieurs vies et plusieurs noms. Le club est initialement fondé en tant que Spartak, en 1938, alors que Tiraspol fait partie de la République Autonome Socialiste Soviétique Moldave (RASSM), alors dans la République Socialiste Soviétique d’Ukraine et dont une partie est par la suite rattachée à une Bessarabie amputée de plusieurs districts pour former la République Socialiste Soviétique Moldave (RSSM), qui correspond au territoire actuel de la République de Moldavie. Si tant est que l’on considère la République moldave du Dniestr, région sécessionniste correspondant, à quelques exceptions près, à la partie de la RASSM rattachée à la Bessarabie, comme faisant partie intégrante de l’actuelle République de Moldavie.

Mais après cette brève et modeste existence en tant que Spartak, le club est renommé Pichevik jusqu’en 1961, avant de devenir, au gré des périodes, le Luceafărul, Zvezda, l’Energiya, le Start ou l’Avtomobilist Tiraspol. C’est néanmoins sous le simple nom de Tiraspol que l’équipe intègre les divisions inférieures soviétiques, en 1972. Puis en 1985, le club se dénomme Tekstiltchik et gagne la coupe de la RSSM avant de terminer deuxième de sa zone (en Deuxième division, soit le troisième échelon du championnat de l’URSS) en 1986. Pour finalement la remporter en 1989, un an après que le Nistru Chișinău l’a également remportée. Les deux équipes se retrouvent donc en Première Division en 1990, lorsque le Tekstiltchik change de nom pour le Tiras Tiraspol, du nom grec de la rivière que l’on appelle aujourd’hui le Dniestr.

Entre 1987 et 1990, les Jaune et Noir sont alors entraînés par une figure bien connue de la RPL, à savoir Ivan Daniliants, l’actuel coach de Rostov. Surtout, elle peut compter sur une génération de qualité, avec Serghei Belous, Serghei Stroenco, Igor Raitchev, Eduard Lemechko, Aleksandr Veriovkin ou encore Ivan Mandricenco. Le Nistru termine devant son acolyte de Tiraspol en 1990, mais en 1991 c’est bien le Tiras, sous le nom de Tiligul Tiraspol (du nom d’une rivière près d’Odessa qui se jette dans la Mer Noire, mais surtout de la fabrique de vêtements de sport du nouveau président, le fantasque Grigori Korzun), qui tire le haut de l’affiche. Daniliants a entre temps laissé ses ouailles sous les ordres de Vladimir Veber, ancien gardien de but du Nistru notamment, et qui ira entraîner par la suite en Syrie et au Liban, entre autres.

© world-over.ucoz.ru

1991, les victoires dans le chaos

Igor Oprea, l’homme qui marquera quelques années plus tard le premier but international de l’équipe nationale moldave, arrive également dans l’équipe en cette saison 1991, celle de tous les espoirs. Dans une division où l’on retrouve le Tavria Simferopol, le Rotor Volgograd, le Neftchi Bakou, le Shinnik Yaroslavl, le Zenit Saint-Pétersbourg ou encore le Kairat Alma-Ata, le Tiligul termine invaincu à domicile et avec le titre de meilleur buteur pour Serhiy Husyev, le « local » d’Odessa, auteur de 25 buts et qui apparaîtra cinq fois sous les couleurs de l’équipe nationale ukrainienne par la suite. Prêté par le Chernomorets, on lui avait promis une nouvelle Jigouli 7 s’il marquait 20 buts en championnat. Le Tiligul accroche la seconde place, cinq points derrière le Rotor, mais trois devant l’UralMash Ekaterinbourg.

Le président Korzun admet que le top 5 était l’objectif initial, mais qu’il a cru en bien plus que ça « à partir du cinquième match, quand on a fait match nul avec le principal favori de la ligue – le Rotor Vologograd, qui descendait de Première Ligue. (…) Nous avons tout fait pour que les joueurs se rallient à cet objectif. Sous les mots « tout fait », bien sûr, il y avait des récompenses matérielles. (…) Les joueurs recevaient un salaire initial mensuel de 500 roubles. Après avoir réalisé qu’on est capable de faire quelque chose, ils recevaient 500 roubles additionnels pour chaque victoire », conte-t-il pour le portail Moldfootball.

Mais le destin est déjà décidé. Le 8 novembre 1991, le Tiligul termine la saison avec un match nul 1-1 face au Geolog Tyumen. La République de Moldavie a déjà déclaré son indépendance depuis deux mois et quelques jours et commence, bon an mal an, une transition qui fera couler du sang quelques mois plus tard. Ce match à Tyumen est le dernier joué par le Tiligul dans le championnat soviétique, alors qu’il aurait dû augurer une année de grand football comme Tiraspol n’en a jamais vu, jusqu’à l’avènement du Sheriff.

Certains joueurs restent, d’autres partent, et le Tiligul Tiraspol d’offrir une belle résistance face à un Zimbru Chișinău qui dévore tout sur son passage dans le championnat national. Ainsi, le club de Transnistrie parvient à décrocher six places de dauphin et deux places de troisième lors des huit premières saisons du championnat, tout en remportant la Coupe de Moldavie trois fois d’affilée (1993, 1994, 1995), en plus de deux finales perdues en 1992 et 1996.


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Surtout, l’Histoire continue de jouer des tours. La première saison de transition a lieu entre mars et juin 1992, soit en plein pendant les combats qui font rage sur les bords du Dniestr entre les forces moldaves et séparatistes. Le Tiligul, malgré certains matchs boycottés, parvient à terminer en tête du mini-championnat, à égalité avec le Zimbru. Un match d’or est alors organisé pour désigner le vainqueur, sur terrain neutre, à Bălți. Mais le Tiligul refuse de jouer ce match, laissant au Zimbru la « joie » de gagner le premier championnat de Moldavie sur tapis vert.

Après le retrait de Korzun, le Tiligul Tiraspol végète dans le ventre mou de la Première division moldave, avant de disparaître en 2009, faute d’argent. Il sert d’équipe réserve à l’Olimpia Bălți, mais rien d’autre. Comme quoi, l’Histoire joue des tours et en moins de deux décennies, le Tiligul a cru à la Première Ligue soviétique, au titre de champion de Moldavie, pour n’avoir finalement que trois coupes moldaves à afficher sur son épitaphe.

Par Thomas Ghislain


Image à la une : © andron-prodan.blogspot.com

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