A moins d’un an de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique, avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Cette semaine, nous parlons de la Géorgie. Épisode 14 : Ramaz Shengelia, le finisseur mingrélien

Comme vous le voyez cette semaine, il est difficile d’énumérer les étoiles qui ont fait le football géorgien dans les années 1970 et 1980 tellement il y en avait. Mais de celui dont nous parlons aujourd’hui, même le meilleur d’entre-eux David Kipiani, disait de lui qu’il ne sentait les situations comme personne. « J’avais à peine levé la tête, qu’il était déjà là-bas. » disait-il. C’était l’attaquant qu’il fallait à cette équipe du Dinamo pour la rendre irrésistible. Ce n’est pas un hasard si lors de sa disparition prématurée en juin 2012, ses funérailles étaient retransmises sur un écran géant à Tbilisi pour que toute la ville puisse les suivre. Il avait marqué une nation, mais pas seulement. L’Union Soviétique, également. Tout ce que compte cet ancien pays comme légendes se sont exprimées pour louer cet attaquant injustement méconnu chez nous.

Les débuts dans son Torpedo « natal »

Bien que Mingrélien (comme son nom l’indique, Shengelia), Ramaz est né et a grandi en Iméréthie, dans la capitale régionale Koutaïssi. Il a débuté dans le club de la ville, le Torpedo, qui, bien que dans l’ombre du voisin Dinamo Tbilissi, venait de passer une dizaine d’années dans l’élite avant de retomber en première division. De quatre à seize ans, il évolue dans les équipes de jeunes avant d’éclore sous les ordres d’un autre entraîneur légendaire : Karlo Khurtsidze. C’est dans cette jeune équipe du Torpedo qu’ont débuté d’autres stars du football géorgien tels Revaz Dzodzuashvili, Levan Nodia, Givi Nodia, Tamaz Kostava ou encore Tengiz Sulakvelidze. C’est en compagnie de ce dernier, qui est resté son meilleur ami jusqu’au bout, mais aussi de Tamaz Kostava, qu’il accepte l’invitation de Nodar Akhalkatsi de rejoindre la grande équipe du Dinamo Tbilissi en 1977, équipe qui venait de remporter la Coupe d’Union Soviétique, l’année précédente.

© Anatoly BOCHININ

Ramaz aura ainsi évolué quatre saisons à Koutaïssi, pour y marquer 27 buts en 75 matchs échouant d’ailleurs de peu a faire remonter la deuxième équipe géorgienne en Ligue Supérieure avant son départ pour la capitale. Mais ce n’était pas l’objectif principal, le Torpedo servant souvent à l’époque d’équipe de jeunes pour le Dinamo qui venait y puiser les jeunes talents que Khurtsidze formait. Shengelia, lui, a laissé à la ville comme souvenir un stade qui porte son nom (et qui va pouvoir fêter ses héros, redevenus champions de Géorgie le week-end dernier).

La gloire avec Nodar Akhalkatsi

A Tbilissi, le jeune Ramaz rejoint une équipe qui est en train de devenir un épouvantail dans le pays. Une génération dorée y évolue déjà avec le professeur David Kipiani, Vitali Daraselia, Vladimir Gutsaev et Aleksandr Chivadze. Avec les trois premiers cités, il va former le quatuor magique du Dinamo qui va amener le club à la deuxième place du championnat en 1977 et sacrer Kipiani, meilleur joueur du championnat soviétique. Élu dans la troisième équipe type du championnat, il ne marque que cinq buts cette saison-là. L’année 1978 est donc pour lui plus prolifique en titres, adapté il inscrit quinze buts qui permettent au Dinamo Tbilissi de terminer devant leurs cousins de Kiev et remporter un deuxième championnat dans leur histoire. A titre individuel, il est nommé meilleur joueur du championnat soviétique.


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Ses années au Dinamo sont encore nombreuses, car de ceux dont tout le monde se souvient, il est quasiment le seul à avoir joué pour le club quasiment jusqu’à l’éclatement de l’Union Soviétique malgré les baisses de performances, la retraite prématurée de Kipiani et la mort tragique de Daraselia, le quittant seulement en 1988 pour tenter l’aventure suédoise avec son fidèle compagnon Sulakvelidze avant de mettre un terme à sa carrière prématurément à 32 ans, décision qu’il avoua ultérieurement regretter par ailleurs. Ainsi nous ne vous rappelons pas toutes les autres performances du grand Dinamo car si vous êtes fidèles, vous savez déjà qu’il a marqué devant 100 000 personnes contre Liverpool, soulevé la Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupes avec ce onze légendaire ou vous avez sans doute vu ses buts (dont un deuxième, fort joli) contre le SC Bastia dans cette même C2.


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A titre personnel, Ramaz a marqué 152 buts (dixième meilleur buteur de l’histoire du championnat soviétique avec 120 buts) pour le Dinamo Tbilissi en une dizaine d’années grâce, selon lui à ce que lui a appris son premier entraîneur : « Il m’a appris le principal, ce que j’aimais. Marquer des buts (…) J’ai appris à marquer des buts des deux pieds, de la tête, de la poitrine, du nez, des oreilles ; peu importe tant que la balle est au fond des buts. » Il fait également partie des cinq joueurs à avoir été élu plus d’une fois, meilleur joueur de l’année, en (bonne) compagnie d’Oleg Blokhin, Alber Shesternyov, Fyodor Cherenkov et Eduard Streltsov.

Shengelia, le Géorgien intégrable

Avec un tel palmarès en club sur le plan national, on peut imaginer que les joueurs du Dinamo Tbilissi ont été les pièces maîtresses de l’équipe soviétique de l’époque, mais il en fut autrement, peut-être à cause du caractère difficile des Caucasiens, sûrement à cause de la vision du football des sélectionneurs nationaux dans laquelle la folie des Géorgiens n’avait pas forcément place. Il était difficile pour ces joueurs de s’exprimer en dehors du cadre mis en place par Nodar Akhalkatsi. Ce fut d’ailleurs le motif de la retraite de David Kipiani, oublié par Konstantin Beskov pour le mondial 82.

Ramaz Shengelia, lui, y était, en compagnie de Daraselia, Sulakvelidze et Chivadze. Il y marqua même un but éliminant les Écossais et se fit voler d’un penalty contre le Brésil au premier tour, mais le collectif soviétique ne dépassa pas le second tour et Lobanovski allait redevenir sélectionneur, ce qui n’allait pas aider les Géorgiens à exprimer leur fantaisie ballon au pied. Shengelia, et Chivadze (son autre meilleur ami, lui aussi élu joueur de l’année, en 1981 et capitaine de la sélection) sont sans doute ceux qui s’y sont le mieux intégrés. Ce dernier grâce à sa solidité défensive, et Ramaz grâce à son sens du but qui pouvait s’intégrer dans n’importe quel collectif. Malgré cela, son histoire n’a pas été aussi simple que cela avec le maillot rouge : sélectionné pour la première fois en 1979 (alors qu’il était le meilleur joueur du championnat en 1978 !) puis champion d’Europe espoirs en 1980, il est oublié cette même année pour les Jeux Olympiques de Moscou que l’URSS termine seulement à la troisième place malgré le boycott occidental.

Malgré ces débuts difficiles, Shengelia porta le maillot soviétique a vingt-six reprises et y inscrit dix buts (celui contre l’Écosse étant le dernier) jusqu’en 1983.

Un homme au-delà du simple footballeur

Après son escapade en deuxième division suédoise, Shengelia revient au pays. Comme tout Géorgien, il lui est difficile de s’adapter à un mode de vie différent et s’implique dans le football national naissant en essayant non-seulement d’apporter son expérience de légende du football mais surtout en tentant de transmettre cette philosophie footbalistique qui a fait, sous la houlette d’Akhalkatsi, du football géorgien une référence en Europe. Pour ce faire, il fut un temps directeur technique de la sélection nationale (alors qu’elle était entraînée par Aleksandr Chivadze). Il y occupa ensuite d’autres fonctions car en plus de son diplôme d’éducation physique, il était également juriste.

Le reste du temps, il vivait à Tbilisi et passait son temps dans sa datcha que l’état lui avait offert suite à la victoire en Coupe des Coupes. Tout le monde se souvenait de lui, et tout le monde le reconnaissait à Tbilissi. Une personne unanimement apprécié par ceux qui l’ont connu comme footballeur comme par ceux qui ne l’ont connu que comme Homme. A tel point que personne ne voulait accepter son argent, dans les cafés ou les magasins. « Je ne suis pas un homme riche sur le plan financier, disait-il, (il percevait une retraite de « champion » de 1 300 dollars par mois, NDLR.), mais je ne veux pas mettre dans une situation difficile les gens qui travaillent pour gagner leurs vies. Pourtant, il m’est très agréable que les gens se comportent si gentiment avec moi. Ma plus grande richesse, c’est la chaleur et l’amour que les gens me témoignent en Géorgie comme dans les autres pays où j’ai eu l’occasion d’aller. »

Le football, lui, a suivi Ramaz jusqu’au bout de sa vie. Son fils fut un temps footballeur professionnel en Géorgie et à Chypre alors que sa fille en a épousé un. Lui, était devenu vice-président d’honneur de la fédération géorgienne de football quelques semaines avant sa mort. Une mort, soudaine, à la datcha, d’un infarctus, à seulement 55 ans, qui a bouleversé le monde du football soviétique, poussant aux larmes le légendaire Rinat Dasaev lorsqu’il l’apprit de la bouche d’un journaliste qui lui demandait une réaction. L’histoire retiendra d’ailleurs que la dernière interview donnée par Ramaz Shengelia, une semaine avant sa disparition, fut un mot pour l’anniversaire de Dasaev dans un média russe.

Le football n’a donc ni oublié ce superbe attaquant, au profil de finisseur, ni oublié l’Homme, juriste, au sens de l’humour aiguisé en bon Iméréthien qu’il était malgré ses origines.

Adrien Laëthier


Image à la une : © ეროვნული ფოტომატიანე

1 Comment

  1. Nicolas cavoleau 30 novembre 2017 at 22 h 31 min

    Petite erreur : En 82 les soviétiques ont passé le premier tour. C est le second tour qu ils n ont pas passé à cause d un 0-0 tendu avec les Polonais dans un contexte un peu particulier.

    Très bon article par ailleurs. Comme d hab….

    Reply

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