À quelques mois de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) Républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique, avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Cette semaine, nous parlons de la Lettonie. Épisode #49 : Aleksandr Starkovs, buteur du Daugava Riga devenu légende nationale au tournant des années 2000.
Entraîneur mythique de la Lettonie, Aleksandr Starkovs a d’abord eu une carrière de buteur au Daugava Riga avant d’embrasser une fructueuse carrière d’entraîneur qui l’a vu réaliser l’exploit de qualifier le petit pays balte à l’Euro 2004 au Portugal, et marquer ainsi à jamais l’histoire du football letton.
Le Gerd Müller letton
Né dans la petite ville de Madona en 1962, c’est tout naturellement au sein du club local, le RPI Madona, qu’Aleksandr Starkovs chatouille ses premiers ballons. Et avec un succès certain puisque le grand club letton de l’époque, le Daugava Riga (D2 soviétique), attire le jeune attaquant en 1976. Son talent dépasse rapidement les frontières de la Lettonie et il file en 1978 au grand Dynamo Moscou, mais n‘arrive pas à s’y imposer. Retour logique au Daugava de 1979 à 1989 pour y disputer la bagatelle de 303 matchs et inscrire 110 buts.
Le Daugava ambitionne la montée au plus haut niveau de la hiérarchie soviétique, mais les buts de Starkovs ne s’avèrent pas suffisants pour permettre de concrétiser les espoirs du club. Cette période reste synonyme de désenchantement. S’il est un excellent attaquant, et sans doute le meilleur joueur letton de la période soviétique, Aleksandr Starkovs voit malheureusement son talent cantonné à la deuxième division soviétique. Il remise les crampons au moment ou la Lettonie réclame son indépendance et l’URSS s’effondre progressivement.
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Entraîneur et figure emblématique du Skonto Riga
Pour se préparer à sa nouvelle orientation, Starkovs part étudier le sport à Moscou. Il commence sa nouvelle carrière humblement en tant qu’adjoint au Daugava. Son club de cœur faisant rapidement faillite, il poursuit au Pardaugava Riga puis au Kompar/Daugava Riga avant de prendre en mains les espoirs lettons de 1992 à 1994. Mais surtout entre 1993 et 2004, il prend les rênes du Skonto Riga qui devient une machine à gagner sous son impulsion et règne sans partage sur le championnat letton avec 14 titres consécutifs ! Derrière le club, un président omnipotent, Guntis Indriksons, homme d’affaire ayant fait fortune lors de la chute de l’URSS via son groupe « Skonto. »
Starkovs résume ainsi dans So Foot la politique du club et cette période : « Pour Indriksons, l’ordre était premièrement, tu dois gagner le championnat. Deuxièmement, tu dois rendre tes joueurs compétitifs au niveau européen et les rendre disponibles pour le marché extérieur et ainsi augmenter ton budget en faisant une plus-value sur leur vente. Troisièmement, renforcer l’équipe nationale lettone. Le noyau dur de l’équipe lettone qui a connu ses plus grands succès s’est construit au travers de l’équipe du Skonto. Il faut aussi comprendre que lorsque Guntis Indriksons devient président de la fédération lettone en 1996, l’équipe nationale est devenue ma priorité. Le Skonto est devenu le laboratoire de l’équipe nationale à partir de ce moment-là. »
La domination totale du Skonto sur le football letton lui permet de disputer chaque année les compétitions européennes et de se frotter à Naples, Barcelone, Valladolid ou encore l’Inter de Milan, ce qui permet aux joueurs d’acquérir une expérience du niveau international. En parallèle de sa fonction au Skonto, Starkovs intègre donc le staff de l’équipe nationale. Suivant son habitude d’observer et étudier avant de prendre les choses en main, il gravit les échelons avant de connaître la consécration.
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Équipe nationale et consécration de l’Euro 2004
À partir de 1995 il devient donc adjoint de l’équipe nationale, côtoyant successivement Janis Gilis, le géorgien Revaz Dzodzouachvili et l’anglais Gary Johnson. Si ce dernier facilite les signatures de Marians Pahars à Southampton et d’Igors Stepanovs à Arsenal, les résultats lors des qualifications pour la Coupe du Monde 2002 sont catastrophiques. Après un match nul humiliant (1-1) contre Saint-Marin qui force Johnson à abandonner son poste, Starkovs débute sur le banc en tant que sélectionneur principal à l’occasion d’un déplacement en Belgique synonyme de défaite (3-1). La Croatie vient ensuite s’imposer à Riga (0-1) et la campagne prend fin avec une défaite 2-1 en Écosse. La Lettonie a donc uniquement pris des points contre Saint-Marin, le moral est au plus bas et il n’y pas vraiment d’effet Starkovs.
Le groupe 4 de la phase qualificative pour l’Euro 2004 offre à la Lettonie un groupe comprenant la Suède, la Pologne, la Hongrie et de nouveau Saint-Marin. Autant dire que personne ne donne une chance de faire beaucoup mieux aux Lettons. Mais les miracles vont s’enchaîner. Ainsi, la Lettonie commence par une victoire (0-1) à Solna contre une Suède médusée grâce au but d’un jeune attaquant prometteur, Maris Verpakovskis.
Confirmation au match suivant, la Hongrie repart de Riga avec un cuisant revers (3-1), grâce encore à un doublé de Verpakovskis. Cependant, la Pologne vient s’imposer (0-2) en Lettonie et le déplacement en Hongrie donne lieu à une seconde défaite (3-1) avec un nouveau but de Verpakovskis. Ce retour à la réalité refroidit l’enthousiasme letton. La double confrontation contre Saint-Marin redonne espoir après un bon 3-0 à la maison, mais aussi une victoire sortie de nulle part en principauté sur un but contre son camp du malheureux Carlo Valentini à la 89e. Avec douze points, la campagne est déjà réussie, mais l’appétit venant en mangeant, l’impossible semble être à portée de main. Et le miracle continue. En trompant Jerzy Dudek, Laizans offre une courte victoire aux Lettons à Varsovie, et du même coup une finale pour la première place contre la Suède lors de la dernière journée. Poussés par 8 500 supporters dans un stade du Skonto chauffé à blanc, les Lettons obtiennent un 0-0 miraculeux donnant droit à une place de barragiste. Et le sort désigne comme adversaire la Turquie, qui vient de finir troisième du dernier Mondial avec une seconde manche à disputer en Anatolie. Mission impossible à priori.
Si Verpakovskis offre une courte victoire à Riga (1-0), l’avantage semble bien ténu avant de se rendre dans l’enfer d’Istanbul. Et effectivement, Ilhan Mansiz (20e) puis Hakan Sukur (64e) offrent un avantage que l’on pense décisif à la Turquie. Mais il est écrit que rien ne peut arrêter cette équipe balte. Laizans réduit le score sur coup franc, avant que le héros Verpakovskis ne parte en solo égaliser devant un public turc incrédule. La Lettonie vient de se qualifier pour la première fois de son histoire pour la phase finale d’une compétition internationale. Cette équipe créée la sensation et une ferveur rarement vue dans ce petit pays, qui trouve autour des exploits de son équipe nationale l’occasion de se rassembler.
Starkovs à réussi à créer une alchimie en se basant sur l’effectif du Skonto renforcé par quelques joueurs qui jouent à l’étranger comme le gardien Kolinko (Rostov), Juris Laizans (CSKA Moscou), Igors Stepanovs (prêté par Arsenal à Beveren, en Belgique), Andrejs Stolcers (Fulham) ou encore Marian Pahars (Southampton). La plupart des joueurs approchent la trentaine et ont atteint leur maturité sportive, voire apparaissent comme périmés, à l’image des défenseurs du Skonto Mihails Zemlinskis (34 ans) et Olegs Blagonadezdins (31 ans) ou encore du milieu de l’Admira Wacker, Vitalijs Astafjevs (33 ans). Pratiquement tous sont passés par le Skonto sous les ordres de Starkovs. Le manque de qualité est ainsi compensé par une cohésion sans faille, l’enthousiasme de l’invité surprise mais aussi le soutien de toute une nation fière de son équipe. Le pays est en ébullition.
L’Euro 2004
En tombant dans un groupe avec l’Allemagne, les Pays-Bas et la République Tchèque, on voit mal la Lettonie échapper à quelques punitions. Personne ne prend au sérieux cette sympathique équipe d’un pays n’ayant aucune référence footballistique et dont les joueurs sont de complets inconnus.
Le premier match, contre la République Tchèque à Aveiro, est entamé de la meilleure des manières puisque Maris Verpakosvkis ouvre le score à la surprise générale dans les minutes additionnelles de la première mi-temps ! Mais le pressing infernal imposé par les Tchèques finit par payer. Baros (73e) et Heinz (85e) viennent briser les espoirs lettons en fin de match. Une première néanmoins encourageante et qui peut laisser des regrets à la Lettonie.
C’est l’ogre allemand qui est au menu du deuxième match. Sorti d’un match nul face aux Pays-Bas pour débuter, celui-ci ne peut laisser passer l’occasion de prendre les trois points contre le Petit Poucet du groupe dans l’optique de la qualification. Mais une nouvelle fois, la Lettonie est solide et organisée et obtient même la plus belle occasion du match via un déboulé de l’inévitable Verpakovskis, qui traverse un demi-terrain balle au pied avant d’échouer sur Oliver Kahn qui sauve la Mannschaft. Le siège du but de Kolinko se montre infructueux et la Lettonie obtient un résultat nul historique fêté comme une victoire. L’Allemagne peut de son côté s’en mordre les doigts, cette contre-performance lui coûtant une élimination sans gloire dès le premier tour de l’Euro portugais. La Lettonie, elle, se met à rêver. Verpakoskis déclare ainsi : « Nous n’avons besoin que d’un seul but contre les Néerlandais. On doit rentrer sur le terrain avec cet état d’esprit, car on a encore une chance de se qualifier pour les quarts. »
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Ruud Van Nistelrooy vient néanmoins rapidement rassurer les Pays-Bas de Dick Advocaat en inscrivant deux buts en première période, avant que Roy Makaay ne vienne fixer le score final à 3-0 en fin de match. Qu’importe, le pari est réussi pour une Lettonie qui n’a pas été ridicule pendant le tournoi, a tenu en échec l’Allemagne et a surtout fait vibrer toute une nation. Plusieurs centaines de Lettons ont fait le déplacement de 3 600 km via un trajet en car de cinq jours pour participer à ce moment unique.
Spartak Moscou et retour à la maison
Maris Verpakovskis rentabilise cette campagne incroyable en signant au Dynamo Kiev, mais connaît par la suite un parcours chaotique et en deçà de ce que l’on pouvait espérer de son talent. Les prestations de la Lettonie version Starkovs ne laissent, elles, pas insensible la direction du Spartak Moscou, et notamment son propriétaire Leonid Fedun (propriétaire de Lukoil), qui fait signer le Letton pour remplacer Nevio Scala. Fedun, un homme qui n’est pas connu pour sa patience avec ses entraîneurs. Mais pour Starkovs, il s’agit également d’un changement radical par rapport à la carrière qu’il a menée jusqu’alors, durant laquelle il n’a encore jamais eu affaire à une pression médiatique d’un tel niveau, et surtout jamais connu la gestion d’un vestiaire de stars. Son conflit avec Dmitri Alenichev est emblématique des problèmes qu’il découvre au Spartak. Si, lors de la première saison, le Spartak accroche la deuxième place, Starkovs est licencié en juin 2006 suite au conflit ouvert avec Alenichev qui s’est répandu dans les médias. Et le Letton de garder un souvenir amer de cette période.
C’est tout naturellement que Starkovs retourne alors en Lettonie pour reprendre en main l’équipe nationale tout en s’occupant du Skonto Riga, qui périclite peu après fautes de moyens financiers. Le technicien en profite pour tenter une brève escapade en Azerbaïdjan, au FC Bakou. Il abandonne le terrain en 2013 pour travailler au sein de la fédération, et redevient adjoint en 2016 puis de nouveau sélectionneur après les éliminatoires catastrophiques de la Coupe du Monde russe. La Lettonie n’est malheureusement plus une équipe compétitive et c’est un peu le sauveur qu’on appelle à la rescousse pour une mission quasi impossible. Le temps est passé et l’Euro 2004 est bien loin. Le football en Lettonie nage en plein marasme et n’a pas réussi à progresser. Il n’y a plus le Skonto pour former une épine dorsale, plus un joueur du talent de Verpakoskis et les doutes commencent même à poindre au sujet de Starkovs, que certains trouvent dépassé. Le nul 1-1 contre les iles Féroé et surtout la défaite de ce week-end contre Gibraltar (1-0) viennent évidemment donner de l’eau au moulin des détracteurs du sélectionneur, dont la tête est ouvertement réclamée… S’il ne jette pas l’éponge d’ici là, la prochaine Baltic Cup en juin, avec la Lituanie et l’Estonie, sera donc à haut risque pour le sorcier letton.
Viktor Lukovic
Image à la une : © AFP PHOTO / JANEK SKARZYNSKI