Temps de lecture 9 minutesLe football dans les RSS : #48 la Lettonie – Skonto FC, la chute d’une institution lettone

À quelques mois de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) Républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique, avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Cette semaine, nous parlons de la Lettonie. Épisode #48 : Le Skonto FC, ou la chute d’une institution du football letton.

Remporter un championnat est déjà quelque chose de beau, mais le conserver l’année suivante est tout aussi compliqué. Alors que dire de ces clubs qui alignent les championnats sans partage durant des décennies ? Deux clubs en Europe détiennent le record du nombre consécutif de championnats remportés : le Lincoln Red Imps FC, club semi-professionnel de Gibraltar, et le Skonto Riga FC, club professionnel letton qui remporte de 1991 à 2004 une série de quatorze titres nationaux de rang ! Actuellement, le Bate Borisov est à deux titres d’égaliser le record du club letton. Mais même si le club biélorusse peut très bien dépasser cet impressionnant record, personne ne pourra enlever cela au Skonto Riga, club disparu depuis décembre 2016 de la Virslīga, la première division lettone. Retour sur l’histoire d’un des clubs majeurs de la Lettonie post soviétique.

Des origines étudiantes

Un homme est à l’origine du Skonto Riga et de ses succès futurs. Cet homme, c’est Marks Zahodins. Né en 1954, cet Israelo-letton connaît une modeste carrière professionnelle, mais côtoie durant cette période de nombreux talents lettons de l’époque, tels que Vadims Ulbergs ou Jānis Gilis, avec qui il joue au FK Daugava Riga. En parallèle, Marks Zahodins se forme au métier d’entraîneur avec à ses côtés, la majorité des hommes qui dirigeront plus tard les instances sportives de la Lettonie post-soviétique.

Marks Zahodins © rus.delfi.lv

Sa carrière d’entraîneur commence au plus bas de l’échelle dans un club de district de Riga. Mais rapidement, Zahodins intègre le FK Daugava Riga pour entraîner les jeunes du club et se montre un bon formateur, très attaché à la pédagogie, à la psychologie et surtout à une bonne préparation physique.

En 1988, tout s’accélère. Il devient entraîneur de l’équipe lettone des étudiants, formation qu’il doit préparer pour jouer les Jeux universitaires d’URSS. Une compétition où les Lettons affrontent une formation lituanienne formée de joueurs du Žalgiris à forte expérience. Malgré la défaite 2-0 contre les Lituaniens, les résultats plus que convaincants durant la compétition montrent les progrès apportés par Marks Zahodins à l’effectif. En concertation avec le FK Daugava et les instances sportives du pays nouvellement indépendant, l’équipe reçoit l’autorisation d’intégrer la Virslīga, le championnat letton.

En 1990, sous le nom de Daugava-LVFKI Riga, l’équipe de Marks Zahodins participe à un projet pilote de championnat baltique regroupant seize équipes (huit équipes de Lituanie, six équipes de Lettonie, une équipe estonienne et une équipe russe). Le jeune collectif engrange de l’expérience et remporte la compétition contre le FK Apgaismes Tehnika (0-0 à la fin du temps réglementaire, 4-2 aux tirs au but). Marks Zahodins s’est attaché à transmettre un maximum d’expérience à ses joueurs, notamment en intégrant des joueurs d’expérience du FK Daugava tels qu’Alexandre Kaņiščevs ou Vladimir Pačko.

Dans un rare entretien, Marks Zahodins décrit les difficultés de l’époque pour se frotter aux équipes étrangères : « Malgré l’envie des joueurs, qui étaient alors étudiants, les subventions étaient faibles. Nous passions environ la moitié de l’année pour trouver le financement afin d’être en mesure de partir à l’étranger, chose difficile à l’époque. »


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Un petit nouveau qui s’impose

1991 marque le tournant de cette équipe. C’est en effet à partir de là que le club commence à se structurer autour d’un entrepreneur passionné de football, Guntis Indriksons. Le fondateur du club profite d’une base solide élaborée de toute pièce par Marks Zahodins au niveau sportif, et d’un sponsor déjà présent, Forum. Le Daugava-LVFKI Riga change de nom (Forum puis Forums Skonto) pour au terme de la saison 1991, prendre le nom définitif de Skonto FC. Un club est né.

Mais contrairement à ce qu’on pouvait imaginer, le Skonto FC s’impose très rapidement dans un championnat letton qui connait lui aussi un tournant important. En effet, la Lettonie, comme l’ensemble des pays du bloc soviétique, déclare son indépendance dès 1990, mais doit faire face en 1991 à une riposte militaire des autorités soviétiques ayant pour but la restauration de l’ordre. Cette épreuve de force – autrement appelée « événements de Janvier » – touche les trois pays baltes, qui opposent aux forces soviétiques une forte résistance. L’épisode engendre des pertes humaines : quatorze morts et une centaine de blessés en Lituanie, cinq morts, dont trois journalistes, et quelques blessés en Lettonie, aucune perte en Estonie, qui arrête la progression soviétique à l’aide d’un bouclier humain. Quoi qu’il en soit, les pays baltes remportent une éclatante victoire, confirmant ainsi leur indépendance et accélérant la chute de l’URSS.

Dans ce contexte ultra-tendu, le football garde tout de même ses droits. « Je ne peux pas dire que le football partait de zéro, il y avait déjà des bases, mais on peut voir que ce sport et le pays se sont construits concomitamment, petit à petit, raconte Aleksandrs Starkovs dans un entretien sur SoFoot. Le football est devenu une part importante du pays à cette époque. »

En 1991, le Forums Skonto est propulsé dans la toute nouvelle Ligue majeure lettone. Un honneur pour ce club novice ! Et les hommes de Marks Zahodins font plus qu’impressionner puisqu’ils terminent en tête de la poule 1, trois points devant le Pārdaugava Riga, et finissent le travail en remportant dès la première année de leur participation le premier championnat national letton avec quatre points d’avance sur ce même Pārdaugava Riga ! Un résultat fondé sur une attaque de feu, une défense de fer (50 buts marqués et huit encaissés durant la phase régulière, 33 buts marqués et sept buts encaissés durant la phase finale) grâce à des joueurs expérimentés au sein de l’effectif comme le gardien Aleksandrs Kulakovs, Vladimir Pačko, le milieu de terrain Armands Zeiberliņš et l’avant-centre Alexei Šarando.

Le FK Forums/Skonto en 1991 (Marks Zahodins est à gauche) © sportacentrs.com

Pour conserver son titre le Skonto FC doit cravacher jusqu’au bout l’année suivante. Face RAF Jelgava, Marks Zahodins doit passer par un match en or à la fin de la saison pour déterminer le vainqueur du championnat. En effet, les deux clubs ont terminé la saison régulière avec le même nombre de points. Or dans le règlement, ni la différence de buts, ni le nombre de victoires en faveur du Skonto FC ne peuvent donner le titre. Cela doit passer par le terrain et cette finale ; finale dont le Skonto FC sort vainqueur en remportant le match 3-2 avec un doublé d’Aleksandrs Jelisejevs. L’équipe réalise même le doublé championnat-coupe cette année-là.

Pour la première fois de l’histoire du football letton, le Skonto FC gagne le droit de représenter son pays en Ligue des Champions. Et se permet même le luxe de passer le premier tour en battant le champion des Iles Féroé, le Klaksvikar Ittrotarfelag (3-0, 3-1), avant de s’incliner avec les honneurs face au Lech Poznań (0-0, 0-2).

Malgré cette saison de rêve, Marks Zahodins quitte le club au terme de la saison. « Il convient de noter que tous les deux, Guntis Indriksons et moi, sommes des personnes avec une forte autorité et au caractère difficile, se soumettant difficilement à l’autre » concède-t-il plus tard. Zahodins reste  comme l’architecte à la base de cette équipe, et continue, malgré sa disparition en février 2016, à être considéré comme un des fondateurs du football letton post-indépendance.

Une longue domination sans partage

Pour remplacer la légende, le Skonto FC fait confiance à Aleksandrs Starkovs. Né en 1955 à Madona, en plein pays letton, Aleksandrs Starkovs débute une carrière de footballeur dans sa ville natale avant d’intégrer en 1975 le Daugava Riga, où il évolue pendant trois ans. En 1978, le Dinamo Moscou fait appel à ses services d’attaquant, avant de le laisser rapidement revenir au Daugava Riga, avec lequel il dispute la bagatelle 303 matchs, pour 110 buts marqués. Après avoir été un temps assistant au Daugava Riga puis entraîneur de la sélection lettone U21, Starkovs arrive en 1993 au Skonto FC. Pour y rester jusqu’en 2004…

Aleksandrs Starkovs © Roman Koksharov / skontofc.com

Avec Starkovs à sa tête, le Skonto FC survole littéralement le championnat letton, remportant douze titres nationaux consécutifs et six coupes nationales. Le Skonto FC surclasse ses adversaires, à tel point que l’équipe connait deux saisons de suite, 1994 et 1995, sans la moindre défaite et une avance de plus de 20 points sur son premier poursuivant lors de l’édition 1995. Que le championnat se joue en une phase ou en deux, le Skonto FC écrase tout ! En 1998, les hommes de Starkovs écrasent le FK Valmiera 15-2, le record du club ! Il faut attendre la saison 2001 pour revoir le leader incontesté se battre jusqu’au bout contre le FK Ventspils pour remporter le championnat.

En Europe, le Skonto FC ne peut évidemment espérer mieux que passer un tour ou deux de qualification. Le club letton tient néanmoins son exploit durant la saison 1994/1995 en battant le club écossais d’Aberdeen, ancien vainqueur de la Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupe et de la Supercoupe d’Europe 1983, grâce à un nul 1-1 en Ecosse. Le Skonto FC se frotte également à des cadors du Vieux Continent tels que le Napoli en 1994, le FC Barcelone en 1998 ou encore Chelsea en 2000.

Quelle est cette formule miracle du succès ? Selon Starkovs, c’est bien une philosophie de club qui a permis cette aventure. « Pour Guntis Indriksons, la victoire finale en championnat n’a jamais été la mission principale. Lui partait du principe qu’on devait se développer. Ici, en Virslīga, on peut gagner le championnat avec la seule force de son budget, de son argent. Donc pour Indriksons, l’ordre était : premièrement, tu dois gagner le championnat, deuxièmement, tu dois rendre tes joueurs compétitifs au niveau européen, les rendre disponibles pour le marché extérieur et ainsi, augmenter ton budget en faisant une plus-value sur leur vente. Et troisièmement, renforcer l’équipe nationale lettone. »

Le Skonto FC forme en effet durant toute cette période une quantité de joueurs qui façonnent la sélection nationale lettone. On peut citer Mihails Zemlinskis, défenseur qui joue 252 matchs avec le Skonto FC et détient le record du club du nombre de matchs en Coupe d’Europe (52 matchs), ou encore Mihails Miholaps, meilleur buteur du club avec 155 buts en 216 matchs de championnat. Le club réalise également de très bons transferts sur le plan financier (Igors Stepanovs à Arsenal pour un 1,1 M d’euros ou encore Juris Laizans au CSKA Moscou pour un montant de 1.8 M d’euros, ce qui reste le transfert le plus important de l’histoire de la Virslīga).

« A chaque fois qu’on perdait un joueur excellent – Pahars, Stepanovs – il fallait qu’on le remplace par un autre tout aussi bon. » Aleksandrs Starkovs

Et lorsqu’on demande à Starkovs l’éventuelle difficulté de remplacer des joueurs au cours du temps, il répond : « A chaque fois qu’on perdait un joueur excellent – Pahars, Stepanovs, etc. – il fallait qu’on le remplace par un autre tout aussi bon. Je ne me rappelle plus quand exactement, mais un journaliste m’avait demandé à l’époque : ‘Quelle est la ligne la plus forte dans votre équipe ? L’attaque, la défense, le milieu ?’ Vous savez ce que j’ai répondu ? ‘La ligne présidentielle !’ »

Grâce à ces joueurs, la sélection nationale lettone s’illustre notamment durant les éliminatoires de l’Euro 2004 au Portugal, en se qualifiant pour la compétition grâce à des victoires sur la Pologne à Varsovie (0-1), la Hongrie (3-1) et la Suède à Stockholm (0-1). La sélection a durant cette période un certain Aleksandrs Starkovs comme entraîneur. Étrange coïncidence…

Fin de domination et chute définitive

En 2005, le Skonto FC connait un changement de taille. Aleksandrs Starkovs quitte la capitale lettone pour Moscou, où il prend les commandes du Spartak Moscou, qui n’obtient pas les résultats escomptés avec Nevio Scala. L’absence du pilier du club de Riga se fait douloureusement sentir, et son départ coïncide avec la fin de l’hégémonie du Skonto FC. Les divers entraîneurs qui suivent ne peuvent remettre le Skonto au sommet du championnat. Il faut attendre 2010 et le retour éclair d’Aleksandrs Starkovs pour retrouver le titre.

Revenu au sommet du classement de Virslīga, le Skonto FC ne parvient cependant pas à retrouver sa gloire passée. Certes, le club remporte la Coupe de Lettonie en 2012 et termine deuxième du championnat de 2012 à 2015, mais il perd une partie de son âme en 2012 avec le départ forcé de Guntis Indriksons. En effet, la modification des règles de la Fédération de Lettonie de Football (LFF) rendent impossible le port de la double casquette de président d’un club et de la LFF, poste qu’Indriksons occupe depuis 1996. Exit donc le président historique du club, suivi par le principal sponsor du club qui quitte lui aussi le navire pour raisons financières. Le club entre ainsi dans une spirale financière négative faite de retards de paiement des salaires et d’autres obligations.

En 2014, le Skonto FC échoue à obtenir la licence nécessaire pour participer à la Virslīga. Ce n’est qu’à la suite d’un processus en appel que le club peut tout de même participer au championnat. Mais dès qu’un club entre dans cet engrenage infernal, les difficultés ne font qu’empirer. L’UEFA disqualifie le club letton de toute compétition européenne, tandis que la LFF lui interdit d’enregistrer tout nouveau joueur à moins de présenter une ardoise vide de toute dette. Pour finir, ce sont les joueurs qui réagissent le 6 juillet 2014, en refusant de jouer un match à l’extérieur contre le FK Liepāja, perdu par forfait. Malgré tout, le club survit aux difficultés du moment. Et plutôt bien puisqu’il termine la saison 2015 en deuxième position, derrière le FK Liepāja. Une place de vice-champion qui ne suffit pas. Criblé de dettes, le Skonto est administrativement relégué en division inférieure. Un an plus tard, en décembre 2016, le club est déclaré en banqueroute.

Sans son académie, le Skonto Riga aurait définitivement disparu du paysage footballistique letton. En coopération avec l’Université technique de Riga, l’équipe continue tout de même d’exister sous le nom de RTU FC/Skonto Academy. Le Skonto n’est donc pas tout à fait mort. Sous sa nouvelle entité, l’ancien glorieux club letton évolue désormais en Pirmā līga, la deuxième division, dont se classe neuvième sur douze en 2017. Des résultats qui traduisent difficilement la place de ce club dans l’histoire du football letton. Plus qu’un club, le Skonto FC a été une institution.

Vincent Tanguy


Image à la Une : © AFP PHOTO / FRANCOIS XAVIER MARIT

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