À quelques mois de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) Républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique, avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Cette semaine, nous parlons de la Lettonie. Épisode 47 : le Daugava Riga, qui a touché les étoiles avant d’être six pieds sous terre.

Club letton majeur de la période soviétique, le Daugava Riga, club de deuxième division, s’est montré particulièrement malchanceux dans quête à l’accession à la Ligue Supérieure soviétique. Entre 1985 et 1987, les changements de règlements imposés par la fédération ont de lourdes conséquences sur le destin du club de Riga qui, après avoir touché du doigt le sommet, connait une descente aux enfers et disparaît au moment ou la Lettonie retrouve son indépendance.

Riga et la Lettonie

L’apparition du club est étroitement liée à l’histoire tumultueuse de la Lettonie. Occupant, pour son plus grand malheur, une position centrale entre les axes Est-Ouest et Nord-Sud, le pays est le théâtre d’innombrables batailles au cours des siècles et la proie de différents occupants. Au XIIIe siècle, les Allemands conquièrent la région et y développent le commerce via la Ligue hanséatique. Ils deviennent seigneurs des villes et des terres, excluant progressivement les Lettons de la vie politique et économique. Danois, Suédois ou Polonais se succèdent ensuite, avant que la région ne tombe au XVIIIe siècle dans le giron de la Russie tsariste. Pris en étau entre les Germano-Baltes et la Russie tsariste, qui confisquent progressivement toute place dans la société aux Lettons, ces derniers développent un nationalisme devenant un troisième pilier au sein du pays et prend un essor majeur au XIXe siècle. Dans le même temps, Riga connaît une croissance économique fulgurante grâce à sa position de nœud ferroviaire important et au développement de l’activité portuaire. Ce phénomène attire des Lettons vers la ville dont la population explose (de 100 000 habitants en 1867 à  470 000 à l’aube de la Première Guerre mondiale) et devient en majorité lettone, au grand effroi des Allemands et des Russes qui font tout pour contrer ce mouvement. Cette période est architecturalement  marquée par une transfiguration de la ville via la construction de nombreux bâtiments suivant les codes de l’Art nouveau, faisant de Riga l’une des villes les plus importantes de ce courant.

Entre une seigneurie allemande et la Russie qui tentent d’imposer une domination culturelle, le terreau est fervent pour le développement d’un socialisme teinté de nationalisme. Dans le contexte de la Première Guerre mondiale, des régiments de tirailleurs lettons sont créés pour combattre les Allemands. Déçus de la tournure des événements et de l’incompétence des officiers tsaristes, ceux-ci deviennent réceptifs au discours des communistes, d’autant plus que Lénine promet le droit à l’autodétermination des peuples de l’empire russe. Mais les communistes n’ont jamais réellement envisagé d’offrir cette liberté, et il faut en passer par une « Guerre de Libération » entre Lettons et Soviétiques, conclue par un traité de paix signé le 11 août 1920, pour que la Lettonie devienne enfin un état indépendant.

Le pays connait un développement économique et culturel  important, mais aussi d’une instabilité politique constante. Ce dont profite Karlis Ulmanis pour prendre le pouvoir via un coup d’Etat le 15 mai 1934 pour installer un régime autoritaire mettant fin à la démocratie. Ce régime, qui ne s’avère pas sanguinaire, est largement idéalisé aujourd’hui comme une période de prospérité. Il est surtout contesté par ceux qui en sont alors les ennemis déclarés : les Allemands et les communistes. Plus tard, le destin du pays est scellé par la signature du Pacte Molotov-Ribbentrop, dont les protocoles secrets cèdent les pays baltes à l’URSS. Une Union soviétique qui met la pression sur les trois petits pays, qui doivent céder aux chantages successifs de Staline. Le 21 juillet 1940, Ulmanis signe sa propre destitution de la présidence. La Lettonie devient soviétique.

Dans ce contexte particulier, le football en Lettonie ce développe tout d’abord à Riga. La communauté allemande se retrouve au sein du RV Union ou du Kaiserwald Riga, les Lettons autour du RFK Riga ou de l’ASK Riga (le club de l’Armée) et la communauté juive autour de l’Hakoah. Le fait que le pays soit un carrefour important du commerce international fait que beaucoup d’étrangers s’installent en Lettonie et y jouent au football. Ainsi, le meilleur buteur du championnat en 1936 est le Néerlandais Jakobs Šarfs, du LSB Riga, et l’on retrouve une influence britannique dans la création de certains clubs (Britannia FC Riga ou encore le Riga Vanderer créé par l’ancien consul britannique en Lettonie). Progressivement, le football se répand dans le pays et à la fin des années 30, le club à succès est l’Olimpija Liepāja. Les années terribles qui s’annoncent viendront complètement modifier ce paysage.

La naissance du Daugava Riga

Le Daugava Riga est fondé en 1944 dans une Lettonie ravagée par la Seconde Guerre mondiale et sous le joug du nouvel ordre soviétique. Comme tout club soviétique, son histoire est liée à différentes industries au fil du temps. Le nom de Daugava est extrêmement symbolique en Lettonie. Prenant sa source dans les collines de Valdaï, dans l’oblast de Tver, ce fleuve traverse la Biélorussie puis Daugavpils et enfin Riga, avant de se jeter dans la mer Baltique. D’une longueur totale de 1 005 km, dont 352 sur le sol letton, celui qui est pour les Lettons le « Fleuve de la Destinée » définit la frontière entre les régions ethnographiques de Vidzeme et Latgale sur la rive droite, et de Kurzeme et Zemgale sur la rive gauche. Reliant la mer Baltique à la mer Noire, le fleuve est utilisé en premier par les Vikings, qui s’en servent comme premier tronçon de la Route de l’Ambre, une route commerciale majeure qui relie les terres autour de la mer Baltique et la mer Noire. Le fleuve est donc une artère stratégique pour le transport et un moyen de subsistance pour de nombreux Lettons. Au XXe siècle, il fait office de source d’énergie hydroélectrique majeure pour la Lettonie.

Le contexte de l’après-guerre en Lettonie est extrêmement douloureux. Le pays doit accepter la perte de son indépendance et des destructions massives, mais aussi une révolution démographique. En effet, la première invasion soviétique (juin 1940) provoque le rapatriement par Hitler des Allemands qui ont longtemps été les maîtres du pays, et la déportation de Lettons (environ 35 000) vus comme un danger. L’arrivée des nazis en 1941 provoque le massacre de l’importante communauté juive (95 000 personnes environ), puis le retour des Soviétiques est marqué par l’apport de citoyens d’origines russe, biélorusse et ukrainienne, qui représentaient 10% de la population avant la guerre. Ce chiffre atteint 34% vers la fin de l’URSS et est intiment lié à l’industrialisation soviétique du pays, des conditions de vie plus confortables pour les soldats terminant leur service et une volonté de diluer le groupe ethnique letton.

Le football n’est pas le sport à principal en Lettonie. Le basket et le hockey sur glace sont beaucoup plus importants en termes d’attention et de succès. Ainsi en basket, l’ASK Riga domine le championnat soviétique au début des années 50 et remporte les trois premières éditions de l’actuelle Euroleague. Le VEF Riga lui succède comme figure majeure du basket soviétique, tandis que les filles du TTT Riga sont également au sommet à cette époque. Le hockey sur glace jouit également d’une énorme popularité via le Dynamo Riga (renommé Daugava Riga durant une dizaine d’années).

Comme chez son voisin estonien, le football est considéré en Lettonie comme sport plutôt populaire auprès des Russes. Le Daugava Riga attire néanmoins autant les Lettons que les russophones, même si la langue usuelle du club reste le russe. Il ne sert donc pas de lieu d’expression du nationalisme letton, comme on peut par exemple le voir en Lituanie avec le Žalgiris Vilnius, mais la situation démographique et ethnographique de la Lituanie est complètement différente.


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Les débuts

Le Daugava Riga fusionne dès 1948 avec le Dinamo Riga, et est promu en première division soviétique l’année suivante. Une présence dans l’élite de courte durée, la relégation intervenant en 1952. Le club retrouve l’élite en 1960, période à laquelle débute la construction du stade Daugava, d’une capacité de 10 000 places. Las, le club redescend en seconde division dès 1962. Une division où il stagne une décennie durant, avant le déclin. En 1971, le Daugava est relégué en troisième division ou il rejoint le Zvejnieks Liepāja (actuel FK Liepāja), qui est en fait une sorte d’équipe B du Daugava permettant à ses jeunes espoirs  d’acquérir de l’expérience avant d’éventuellement retourner à Riga.

Malheureusement pour lui, le Daugava Riga ne parvient pas à remonter directement. Le club est promu en 1975, mais directement relégué la saison suivante. Il ne s’extirpe enfin durablement de la troisième division soviétique que lors de la saison 1981, en finissant premier de la Zone VIII (regroupant les clubs des pays baltes, de la Biélorussie et de la Moldavie) puis en remportant le Groupe 1 des vainqueurs des différentes zones, composé des Arméniens du Kotaik Abovyan et des Ouzbeks du Neftyanik Fergana. Ce renouveau s’effectue sous le management de Jānis Skredelis, qui entraîne le club de 1981 à 1988 avant de tenter sa chance à l’étranger à la chute de l’URSS, avec des expériences comme sélectionneur de l’équipe olympique d’Irak ou entraîneur du Metalurg Zaporizhya, en Ukraine, avant de finir sa carrière en coachant différents clubs de Riga.

En quête du sommet

Sous la direction de Janis Skredelis, le Daugava Riga propose un jeu chatoyant et s’appuie sur un duo d’attaquants prolifiques. Le premier et le plus connu est Aleksandrs Starkovs, le futur entraîneur à succès de la Lettonie lors de l’Euro 2004. Starkovs évolue au Daugava sans discontinuer de 1975 à 1989 (excepté une escapade sans succès au Dynamo Moscou en 1977), disputant la bagatelle de 417 matchs au cours desquels il inscrit 189 buts. Le second est Jevgenijs Milevskis. Né en 1961, il dispute 90 matchs avec le Daugava entre 1981 et 1984. Il est ensuite transféré en 1985 au Spartak Moscou, mais ne s’y’impose pas et revient de 85 à 88 à Riga pour disputer 170 nouveaux matchs, pour 74 buts, avant de partir terminer sa carrière en Autriche. La défense s’appuie sur une figure de l’équipe nationale lettone à ses débuts (44 sélections et deux buts de 1992 à 1997), Jurijs Sevlakovs, taulier du Daugava de 1982 à 1990. Valerij Shantalosau, futur gardien de la sélection biélorusse, et Olegs Karavajevs, futur gardien de la Lettonie, sont également de  l’aventure Daugava, dont le noyau forme plus tard l’ossature de la toute fraîche équipe nationale lettone. Cependant, malgré de belles individualités et un jeu unanimement reconnu pour sa qualité, le club tente durant trois saisons de retrouver le sommet du football soviétique (Vyschaia Liga ) sans jamais y parvenir.

 

Septième en 1984. Le Daugava termine premier de division 2 en 1985. Cependant, cette place ne donne pas droit à une promotion directe. En effet, la fédération soviétique décide de réduire de 18 à 16 clubs le nombre de participants à la Vyschaia Liga, Rostov et le Fakel Voronezh sont directement relégués pendant que le Chernomorets Odessa et le  Neftchi Bakou doivent, eux, sauver leur tête en D1 dans des barrages de relégation contre Daugava et le CSKA Moscou.

Pour débuter, Daugava s’impose un but à zéro contre le CSKA, mais le déplacement à Odessa (1-0) et  la visite de Bakou (0-3) montrent qu’il y a une différence de niveau entre la l’élite et la deuxième division. Après avoir accroché un nul à Moscou (2-2), Daugava doit de nouveau s’incliner contre Odessa (0-1) et jouer une « finale » contre Bakou qui est encore mathématiquement rattrapable … mais Riga reçoit une correction en Azerbaïdjan (4-0). Aucun club de D2 n’accède à la première division cette année-là.

Daugava doit donc reporter ses ambitions d’une année, mais est victime, en 1986, d’un règlement assez particulier, en application de 1978 et 198, à savoir la limitation du nombre de matchs nuls donnant droit à un point avec une limitation à huit, dix ou douze selon les années. Les matches nuls suivants ne donnent droit à aucun point. Une mesure imposée dans le but de lutter contre les matchs arrangés et une approche soviétique très scientifique et mathématique du football.

Cette saison 1986 octroie la possibilité de réaliser douze matchs nuls donnant droit à un point. Le Daugava en réalise 14, deux de trop, deux points manquants qui vont permettre au CSKA Moscou (9 nuls) et au Guria Lanchkhuti (5 nuls) de devancer le Daugava d’un petit point. Mais le club de Riga ne peut s’en prendre qu’à lui-même, les deux nuls de trop sont réalisés lors des deux dernières journées contre le Pamir Dushanbe (5e), mais surtout lors d’un surprenant 0-0 sur le terrain d’un Pahtakor Tashkent qui sauve sa tête de la relégation de justesse, et ce alors que le Guria Lanchkhuti s’incline (3-1) au Fakel Voronezh ! Les 22 buts d’Alexandr Strakovs et les 18 de Gennadiy Shitik ne servent finalement à rien.

Cette saison est incroyablement faste au niveau des affluences. Pour un club habitué à évoluer entre 3 000 et 6 000 personnes, la plupart des gros matchs remplissent complètement les 10 000 places du stade Daugava, et on annonce même 15 200 spectateurs pour le choc contre le CSKA Moscou. Des chiffres qui laissent rêveurs les clubs lettons actuels habitués aux affluences faméliques. Mais c’est aussi la dernière fois que le Daugava Riga est aussi proche de la promotion.

En 1987, c’est sportivement que le club doit s’incliner en finissant troisième, largement distancé par le Chernomorets Odessa et le Lokomotiv Moscou, et ce malgré les 16 buts qu’inscrivent chacun Starkovs et Milevskis. La période faste est passée, le club termine huitième en 1988 et est même relégué en troisième division 1989. Il remonte directement mais disparaît faute de financement, et ce alors que la Lettonie est en train de sortir du giron de Moscou. Le club est alors remplacé par le Pardaugava Riga, qui finit dernier et participe encore, lors de la saison 91/92, à une coupe de la CEI dont il est éliminé dans l’anonymat le plus total dès le premier tour par le Neftyanik Akhhtyrka. Un autre Daugava sans lendemain participe, en 1990, au championnat baltique regroupant les trois pays baltes (les clubs lituaniens les plus incisifs s’excluent complètement du championnat soviétique, comme le Žalgiris Vilnius et l’Atlantas Klaipeda).

En 1991 est fondé le Skonto Riga, qui vient imposer son hégémonie sur le football letton pour une longue période. L’héritage du Daugava reste néanmoins convoité et plusieurs clubs se donnent ce nom au fil du temps, sans que l’on ne puisse établir une réelle continuité entre les entités, et surtout sans aucun succès sportif. Ainsi, le FK Jurmala, fondé en 2003, déménage à Riga en 2012 et se renomme FK Daugava Riga, pour mieux disparaître en 2015. Le dernier représentant de cette vague est le Rīgas Futbola Skola, aujourd’hui en Virslīga. Fondé en 2005 sous le nom de FC Daugava-90 Riga, ce club devient le Daugava Riga en 2008, mais abandonne définitivement ce nom historique en 2011.

Viktor Lukovic


Toutes les photographies utilisées dans cet article sont tirées du forum footballinussr.fmbb.ru

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