L’histoire suivante est arrivée à la rédaction du journal Gazeta Sporturilor par l’intermédiaire de plusieurs sources: joueurs et dirigeants des clubs du Dinamo Bucarest, du FC Viitorul et du Sepsi Sfântu Gheorghe. En résumé, voici ce qu’elle raconte: « En avril, avant le match face à l’ACS Poli Timișoara, la direction du club Sepsi a appris que deux de ses joueurs, Victor Râmniceanu et Patrick Petre, ont été surpris chez un bookmaker de la ville, avec 36 000 lei (7 700 euros environ) sur eux. Tous deux tentaient de parier sur un but encaissé par leur équipe. Sepsi a décidé de résilier leurs contrats avec effet immédiat, et a utilisé le film des événements pour empêcher Râmniceanu de réclamer le montant de sa clause de résiliation de 60 000 euros. »


Brillant journaliste et reporter roumain, Costin Ștucan, que Footballski vous a déjà fait découvrir à travers ses travaux sur Pini Zahavi et Marios Lefkaritis, ou encore son enquête sur la Romanian Connection, livre cette semaine sur le site du journal Gazeta Sporturilor une nouvelle enquête édifiante sur les dessous du football roumain. Nous la traduisons avec son aimable accord.


Officieusement, une escapade. Officiellement, une blessure

Si l’histoire relaté ci-dessus, et relayée ces derniers mois par plus de cinq sources différentes, était portée par les dirigeants du Sepsi à la commission de la FRF (la Fédération Roumaine de Football – ndt), Râmniceanu et Petre pourraient être suspendus pour une longue durée. Mais – selon ces sources – les dirigeants du club de Sfântu Gheorghe ont préféré régler le litige en interne.

Comment justifier néanmoins la résiliation des contrats de deux footballeurs en pleine saison, tout juste après le début des play-out, sachant notamment que Râmniceanu – fraîchement titré champion de Roumanie – n’avait signé le sien que trois mois auparavant ?

Victor Râmniceanu sous le maillot du Sepsi © GSP

Les informations concernant cet épisode chez un bookmaker ont rapidement commencé à fuiter du club auprès de journalistes. Le 4 avril, deux jours après le match face à l’ACS Poli Timișoara (2-2) auquel les deux joueurs n’ont pas participé, le journal basé à Brașov Monitorul Expres écrit que « Râmniceanu et Petre ont dépassé les bornes. Tous deux ont été exclus de l’équipe après une escapade. Le plus probable est que leurs contrats soient résiliés. »

Quelques heures plus tard, le site internet du club publie une annonce:

« Sepsi OSK a conclu un accord pour la résiliation à l’amiable des contrats de Patrick Petre et Victor Râmniceanu, les joueurs souffrant de blessures qui nécessitent une longue période de repos.« 

Ainsi, le club n’a pas attendu que deux joueurs importants (Râmniceanu était titulaire lors des six matchs joués depuis la signature de son contrat en janvier 2018, Petre n’a lui raté que deux matchs sur les 29 joués par Sepsi durant la saison) reviennent de blessure, et a préféré mettre brutalement fin à leurs contrats en pleine saison à cause de blessures dont les médias n’ont pas été informés.

« Ils n’avaient pas la tête au football« 

Ce cas de figure est rarement rencontré dans le football professionnel. C’est la raison pour laquelle la Gazeta Sporturilor a décidé de contacter officiellement les protagonistes de cet étrange épisode.

L’entraîneur du Sepsi, Eugen Neagoe, affirme que « leurs évolutions ont été l’élément le plus important dans le choix de prendre cette décision. Nous avions de plus grandes attentes envers eux. Râmniceanu n’a pas été à la hauteur de nos attentes. Il n’a pas fait d’erreur flagrante, mais lors des matchs face au FCSB et à Craiova, il aurait pu faire plus sur les buts encaissés. Patrick Petre s’est bien préparé durant l’hiver, mais il n’a pas joué comme nous le souhaitions. Ce qu’ils ont fait durant leur temps libre, c’est autre chose. Oui, Petre était touché au genou, et Râmniceanu avait lui aussi des problèmes médicaux. »

Râmniceanu encaisse son dernier but sous le maillot du Sepsi, lors du match nul face à Voluntari en mars 2018. © GSP

Neagoe n’a pas souhaité commenter les informations liées aux paris. Laszlo Dioszegi, le président du club, bien qu’étant en congés, a lui accepté un court dialogue dans lequel il parle du manque d’implication professionnelle des deux joueurs :

  • Reporter : Pourquoi Râmniceanu et Petre ont-ils été licenciés ?
  • Dioszegi : Ça, il faut le demander à Monsieur Bokor. Moi, je ne m’occupe pas trop de l’équipe, pour pas dire que je ne m’en occupe pas du tout.
  • Reporter : Cette histoire des paris est arrivée à vos oreilles ?
  • Dioszegi : (légèrement hésitant) Euuuh, la vérité, c’est que personnellement, je ne crois pas qu’il y ait eu de paris. Ils se sont plutôt promenés en ville, ils n’avaient pas trop la tête au football. Ça, je peux le dire.
  • Reporter : Mais la vidéo, vous l’avez vue ?
  • Dioszegi : Demandez-le à Monsieur Bokor, il vous donnera tous les détails qu’il connaît.

« Nous avons entendu cette histoire de paris »

Janos Bokor est le directeur sportif du Sepsi. Lors de son dialogue avec les reporters de Gazeta Sporturilor, il reconnaît que la blessure de Râmniceanu a été un artifice destiné à justifier la résiliation:  » Nous avons fait venir Râmniceanu en grandes pompes. Il était le gardien du champion de Roumanie en titre,  mais il ne s’est malheureusement pas élevé au niveau de nos attentes.  Il avait un gros salaire pour les moyens de l’équipe. Avec Eugen Neagoe, nous avons pris ensemble la décision de faire confiance à nos jeunes, qui était plus concentrés, pensaient plus à travailler. Il faisait un peu le beau en arrivant du Viitorul. Nous, nous l’avons respecté. Il a eu sa chance, mais a commis des erreurs face au FCSB et à Craiova. Et il avait également un problème de poids qu’il n’a pas réussi à régler. »

Un officiel du Sepsi a également décrit Patrick Petre comme un joueur désintéressé du football : « Nous nous sommes occupés de lui, nous avons voulu le réinventer. Mais lui n’a malheureusement plus la tête au football. Il rêve. Il pense à d’autres choses. Nous n’avons pas réussi à le ramener vers le football, mais sa blessure était réelle. La sienne, oui. »

Patrick Petre à sa sortie du terrain lors du match FCSB-Sepsi en février. © GSP

Janos Bokor affirme que le Sepsi n’a eu aucune vidéo des deux joueurs chez le bookmaker : « Oui, des bruits concernant des paris sont parvenus jusqu’à nous. Nous ne sommes cependant pas des policiers, nous n’avons pas de preuve. »

Patrick Petre n’a pas pu être contacté. Il évolue aujourd’hui au sein du Poli Iași sous les ordres de Flavius Stoican, un ancien coéquipier de son père.

De son côté, Victor Râmniceanu est libre de tout contrat. Ce dernier soutient que « nous ne nous sommes pas entendus à Sepsi. Moi, je n’étais pas à 100% physiquement. J’ai eu quelque chose à l’aine, et eux non plus n’étaient pas satisfaits. Mon départ n’a absolument rien à voir avec des paris. Pas le moindre petit rapport. » Le gardien de but a finalement demandé à savoir qui étaient les sources des reporters de Gazeta Sporturilor, ce que ces derniers ont refusé de lui divulguer.

Qui sont-ils ?

Patrick Petre, un talent perdu dans les casinos

Fils de l’international Florentin Petre, Patrick (21 ans) a été considéré comme l’un des plus grands espoirs du Dinamo Bucarest, inscrivant notamment un but lors du derby face au FCSB voila deux ans.

https://www.youtube.com/watch?v=bVDvVcGN9Qo

Sa vie extra-sportive l’a ensuite empêché de progresser. Ces dernières années, Petre Jr est apparu sur de nombreuses vidéos de casinos et salles de jeu. Des sources internes au Dinamo parlent d’un entourage préjudiciable et d’une dépendance aux paris. Petre est un des joueurs du Dinamo qui, sous l’influence de l’alcool, ont commis des incidents dans l’avion transportant l’équipe nationale espoirs en mars 2017. Son père, Florentin Petre, a récemment déclaré : « Je vais parler avec lui, lui demander s’il veut encore jouer au football, s’il arrête l’alcool, les machines à sous, les casinos… Sa vie file en deux-trois ans. Soit il se réveille maintenant, soit c’est ça. Que puis-je y faire ? » Prêté au Sepsi par le Dinamo Bucarest, Patrick Petre n’a pas rejoué avec le club bucarestois à son retour du club de Sfântu Gheorghe. Libéré de son contrat, il s’est engagé cet été avec le Poli Iași.

Un surnom, « Butoane« 

Victor Râmniceanu (28 ans) est titré champion de Roumanie avec le FC Viitorul en 2017. Le gardien de but titulaire de l’équipe de Hagi est néanmoins mis dehors à la surprise générale au début de l’année 2018. L’explication officielle est que Râmniceanu a souhaité partir. Officieusement, Hagi et ses collaborateurs connaissaient depuis quelques temps ses problèmes avec les jeux de hasard.

Le filleul de Florin Cernat, ancien gardien du Dinamo, de Chiajna, Otopeni et Turnu-Severin, était surnommé « Butoane » (« Boutons » que l’on pourrait également traduire par « clics » – ndt) au FC Viitorul à cause de sa passion pour les machines à sous et les chats vidéo. Les sources soutiennent qu’il a demandé au club une avance sur salaire, mais a ensuite été surpris au casino du City Mall Park, où ses numéros favoris étaient le 17, le 4 et le 20. Le nom de Râmniceanu est également apparu lors d’un match suspect en 2014, FCSB-Concordia Chiajna (4-0), durant lequel le gardien laisse entrer dans son but un tir mal bloqué de Chipciu. « Nous ne sommes pas aveugles au point de ne pas voir ce qu’il se passe, déclarait alors Mircea Minea, le maire de Chiajna. Tout est possible. Peut-être qu’il y a eu des paris, je ne me rends pas compte. » Après son passage écourté au Sepsi Sfântu-Gheorghe, Râmniceanu est aujourd’hui sans contrat.

Traduction réalisée par Pierre-Julien Pera avec l’accord de Costin Ștucan.

Vous pouvez retrouver la version originale sur le site roumain Gazeta Sporturilor.

Costin Ștucan travaille en tant que journaliste d’investigation depuis 1999. Vous pouvez le suivre sur sa page twitter: @CostinStucan.


Image à la Une : capture d’écran d’une vidéo de Patrick Petre dans un casino © GSP

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