Notre dispositif Coupe du Monde se met en place et cette nouvelle série d’articles va vous accompagner de manière hebdomadaire jusqu’à l’ouverture de la compétition. Chaque semaine, nous faisons le lien entre un pays qualifié pour la compétition et le pays organisateur. Place ce jeudi à la Colombie, et son épopée en 1962, qui restera dans les mémoires cafeteras comme l’équipe qui a réussi à marquer 4 buts au grand Lev Yachin pour sa première participation à une Coupe du Monde.


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En juin prochain la Colombie débutera sa sixième Coupe du Monde, dans la peau d’un potentiel outsider pour la victoire finale. Pourtant, si les partenaires de James Rodriguez et Juan Cuadrado font partie des équipes à surveiller pour tous les favoris à la victoire finale cela n’a pas toujours été le cas loin de là. Qualifiés pour leur première Coupe du Monde en 1962 au Chili, les Colombiens ne marqueront pas la compétition par leurs performances en étant éliminés dès le premier tour. Cependant ils réussissent un exploit pour leur deuxième match de poule, en réussissant à accrocher l’Union soviétique, championne d’Europe deux ans plus tôt, en étant menée pourtant 3-0 au bout de 10 minutes de jeu. Un sursaut d’orgueil à la connotation très patriotique.

La lente éclosion du football colombien

Fondée en 1924 la fédération colombienne de football connait un développement initial relativement lent. En effet, la fédération n’est affiliée à la FIFA qu’en 1936, soit 32 ans après la fondation de la fédération internationale. Le premier match international de la sélection colombienne a lieu encore deux ans plus tard, pour une défaite contre le Mexique (1-3) dans le cadre des jeux centre-américains. Enfin, il faut attendre 1945 pour qu’une équipe colombienne participe au Championnat sud-américain (aujourd’hui Copa América), soit la dix-huitième édition !

La Colombie prend alors véritablement son élan en 1949, année de la création de son premier championnat professionnel. Seulement, la Dimayor (Division Mayor del Futbol Profesional Colombiano) entre rapidement en conflit avec les instances représentant le football amateur, sur fond de gros sous. La FIFA siffle rapidement la fin de la partie entre les deux instances et suspend tout simplement la sélection et les clubs colombiens de toutes ses compétitions jusqu’à nouvel ordre. Par-dessus ce contexte, la Colombie rentre progressivement dans une guerre civile entre milices conservatrices de droite et le Partido Liberal, de sensibilité socialiste. Des événements connus sous le nom de La Violencia qui feront plus de 300 000 victimes entre 1948 et 1960. La suspension de la FIFA ne sera d’ailleurs levée qu’en 1957, ce qui lui permettra de disputer les éliminatoires pour la Coupe du Monde 1958, mais sans succès pour les cafeteros. Il faut alors attendre 1962 pour voir les Colombiens enfin disputer une Coupe du Monde, sur leur continent, au Chili.

Sélection colombienne 1962 – Archives El Colombiano

Patriotes libéraux contre soldats communistes

Opposé au Pérou (contre qui la Colombie a connu une guerre 30 ans plus tôt), la sélection colombienne réussit tout d’abord un petit exploit au stade El Campin, l’antre des Millonarios, qui composent alors en grande partie son équipe, et s’impose sur la plus petite des marges. On voit mal cependant comment El tri peut aller tenir ce résultat à Lima, face un poids lourd parmi les nations sud-américaines. Mais contre toute attente les Colombiens arrachent un match nul 1-1, et parviennent donc à se qualifier pour la première Coupe du Monde de leur histoire. Le début d’une ferveur populaire inédite à l’égard de la sélection nationale.

Car, depuis la période de suspension par la FIFA, le football de clubs colombien s’est développé de façon surprenante. Libéré des règles de la FIFA et profitant des troubles causés par la guerre civile le championnat et la gestion des clubs est ainsi totalement libéralisé. Des hommes d’affaires prennent le contrôle des clubs et peuvent offrir des contrats en or aux joueurs argentins, uruguayens, brésiliens qui viennent profiter des largesses offertes de ce côté de la cordillère des Andes, d’autant que le championnat imposait à cette époque que seuls 4 joueurs colombiens soient alignés sur la feuille de match. Si les Colombiens sont donc fous de football à cette époque, c’est donc principalement les clubs et la fierté régionale qui y est attachée qui pouvait seulement les amener dans les abîmes de la passion. La victoire contre l’ennemi juré péruvien et la qualification pour le Mundial 1962 vont alors faire naître des espoirs et des convictions folles à travers toute la Colombie.

Mais un autre paramètre va rentrer en compte dans la préparation du match. Le tirage au sort des groupes de la Coupe du Monde réserve en effet deux pays issus du bloc socialiste, la Yougoslavie et l’URSS, plus l’Uruguay, double vainqueur de la compétition, comme adversaires. Gouvernés à ce moment-là par le Frente Nacional, alternance de libéraux et de conservateurs, farouchement anticommunistes et pro-Kennedy, éreintée par dix années de guerre civile, la Colombie s’imagine croiser le fer avec 11 bolcheviques couteau entre les dents. D’autant plus que la rumeur court que ces joueurs évoluant dans les clubs de l’armée et de la police principalement, ils seraient tout simplement spécialement détachés des forces militaires soviétiques. C’est alors tout le pays qui souhaite bonne chance à ses joueurs afin d’écraser le « péril rouge » au Chili. Les débuts sont d’ailleurs assez encourageants, avec une courte défaite 2-1 face à l’Uruguay, en ayant pourtant ouvert le score. Rassurés sur le fait que leur équipe a bien le niveau des meilleures équipes de la compétition le prochain match face à l’URSS doit leur permettre de le confirmer.

Quand l’araignée noire déchire sa toile

3 jours, plus tard, toujours à Arica, là-haut, tout au nord du Chili, à 10km de la frontière péruvienne et en plein désert d’Atacama, la sélection colombienne souffre comme jamais dans les 20 premières minutes de son deuxième match de coupe du monde. Valentin Ivanov par deux fois et Igor Chislenko s’amusent dans la défense cafetera et portent le score à 3-0 alors que tous les spectateurs n’ont pas encore pris place dans les gradins, fort dégarnis pour un match de Coupe du Monde. Hernan Aceros suprend cependant Lev Yachin une première fois d’une subtile feuille morte, hors de portée des bras tentaculaires de l’ « araignée noire », qui va se loger dans la lucarne du but soviétique. À la mi-temps la Colombie limite la casse en étant menée 3-1, mais tremble à chaque attaque soviétique. Ivanov et Ponedielnik se trouvent les yeux fermés, alors que Meskhi rend fou son vis-à-vis sur son couloir gauche, on voit mal comment l’URSS ne pourrait pas enfoncer le clou.


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À la mi-temps, les mines sont grises dans les vestiaires colombiens, et le sélectionneur Adolfo Pedernera, de nationalité argentine, a bien du mal à faire relever la tête à ses joueurs. La légende raconte alors qu’il demanda à ses hommes s’ils savaient chanter, une fois, puis de façon de plus en plus véhémente, avant de se mettre à entonner l’hymne colombien, qui sera repris à pleins poumons par les joueurs tricolores. Regonflés d’orgueil, les joueurs colombiens reviennent alors sur la pelouse avec une motivation à bloc, prêts à tout donner une nouvelle fois pour la patrie.

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Une technique qui ne portera pourtant pas ses fruits dès le départ puisqu’à la 57e minute Viktor Ponedelnyik profite une nouvelle fois de la fébrilité colombienne pour y aller de son but. Mais le destin est capricieux. Déjà lobé de façon surprenante sur le premier but colombien, Lev Yachin doit s’incliner une nouvelle fois sur un corner tiré par Marcos Coll. Gêné par son défenseur Givi Chokheli qui se décale de son premier poteau alors que la balle lui arrive dessus, par peur de dégager et de concéder un nouveau corner, le gardien du Dinamo Moscou n’a pas le temps de plonger ses mains vers la balle, qui finit sa course dans les filets de façon improbable. Le premier et seul corner direct de l’histoire de la Coupe du Monde vient d’être inscrit par un joueur colombien qui inscrit du même coup son nom dans la légende de la compétition. Du côté des Soviétiques, c’est l’incompréhension, entre un Yachin qui tente de remobiliser sa défense, Chokheli qui sort de son match et s’embrouille avec ses coéquipiers, et un trio d’attaque qui ne fait plus d’effort pour revenir en défense.

Galvanisés par cette nouvelle réduction de l’écart les joueurs au maillot bleu vont alors inscrire deux nouveaux buts dans les 10 minutes suivantes. C’est tout d’abord Rada qui conclut sur un centre de retrait, avant que Klinger, bien lancé en profondeur, ne profite d’une sortie incompréhensible de Yachin pour égaliser.

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Portés à ce moment-là par leur réussite insolente, les colombiens s’emballent et tiennent tête jusqu’au bout à une sélection soviétique qui ne sait plus ou donner de la tête. 4-4 score final (Résumé vidéo). Pour les Colombiens c’est comme une victoire, surtout face à l’équipe de Krouchev et au meilleur gardien du monde Lev Yachin. L’auteur du but égalisateur, Marino Klinger, résume l’état d’esprit qui régnait à ce moment-là parmi les joueurs colombiens :

« Je ne pensais plus à rien, ni même à ma propre personne. Je savais seulement que c’était la Colombie, et qu’il y avait quelque chose d’immortel qui s’appelait Colombie. » (cité sur gol.caracoltv.com)

Par la suite, le Président Guillermo Leon Valencia exprimera tout son soulagement d’avoir réussi à rivaliser face à aux joueurs soviétiques.

« C’est une victoire de la démocratie contre le totalitarisme. Espérons que la prochaine sera la victoire de la liberté contre la servitude. »

Malheureusement pour eux, les Colombiens auront tout donné pour contrarier Krouchev sur ce match et seront complètement débordés quelques jours plus tard face à Tito et ses Yougoslaves (5-0), qui s’offriront une demi-finale face à la Tchécoslovaquie. La marée rouge durant ce mondial 1962 est d’ailleurs assez frappante puisque la Hongrie est également sortie des poules. Quant aux Soviétiques qui avoueront avoir sous-estimé leurs adversaires colombiens, ils s’inclineront dès les quarts de finale dans ce même stade d’Arica face au Chili, porté par son public. Resterons pour les Colombiens les souvenirs de joie de ce 3 juin 1962 à Arica. Et la satisfaction d’avoir posé les bases d’une vraie communion entre sa sélection nationale et son peuple.

Antoine Gautier


Photo de couverture : footballinussr.fmbb.ru

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